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mercredi, 11 janvier 2017

le "Vendée Globe" n'est plus ce qu'il fut ?

Mais si, tant que l'homme, sur une coque, des voiles, une barre et sa jugeotte, le soleil et les étoiles, circumnaviguera !

 

Pendant notre séjour à l'embouchure du fleuve, nous ne vîmes qu'une fois la tramontane, qui nous parut très basse à l'horizon ; aussi nous ne pûmes la voir que par temps clair et serein et encore nous apparut-elle à la hauteur d'une lance au-dessus de la mer. Nous vîmes également six étoiles basses sur la mer, grandes, lumineuses et brillantes, qui nous servirent de repères. Il nous sembla reconnaître le chariot austral, mais nous ne pûmes apercevoir l'étoile principale, ce qui ne se pouvait raisonnablement, sans perdre la tramontane.

Alvise Ca'da Mosto
Voyages en Afrique Noire
Première navigation 1455
Éditions Chandeigne



Lundi 3 octobre audit an, à l’heure de minuit, nous fîmes voile en tirant à la volte d’auster, que les mariniers de Levant appellent siroc, nous engoulfant en la mer océane. Nous passâmes le cap Vert et les îles circonvoisines de 14°30’...
En cette manière, nous naviguâmes pleuvant l’espace de soixante jours jusqu’à la ligne équinoxiale, qui fut chose fort étrange et non accoutumée de voir, selon le dit des vielles gens et de ceux qui y avaient navigué plusieurs fois. Toutefois, avant de joindre à cette ligne équinoxiale, en 14° nous eûmes diversité et mauvais temps, tant pour les groupades que par le vent et les courants d’eau qui nous vinrent par devant, en telle manière que nous ne pouvions aller plus avant.
Durant ces fortunes, le corps de saint Anselme s’apparut à nous plusieurs fois ; et entre les autres, une nuit qui était fort obscure à l’occasion du mauvais temps, ledit saint s’apparut en forme de feu allumé au plus haut de la grande gabbe, et demeura là plus de deux heures et demie, ce qui nous réconforta tous.

Antonio Pigafetta,
Le voyage de Magellan (1519-1522),

Navigation & découvrement de la Indie supérieure 

Éditions Chandeigne


Ils quittèrent le Cap-Vert le 16 mars au matin. La chaleur était de plus en plus lourde et étouffante. Le vendredi-saint après-midi, le ciel devint tout noir et ils eurent un gros orage tropical avec des éclairs et du tonnerre.
Le 16 avril à midi, après avoir relevé la hauteur du soleil, le pilote arbora un large sourire et annonça que, si Éole ne les lâchait pas, ils passeraient la ligne le lendemain. Les anciens de cette route se lancèrent alors activement dans de mystérieux conciliabules et des préparatifs dont les néophytes du parcours étaient soigneusement écartés. Le lendemain, le vent les abandonna, d’après le pilote juste sur la ligne. C’est donc par une très forte chaleur sans un souffle d’air et sur une mer plate comme une crêpe de blé noir du Faouët que se déroula la cérémonie du baptême.

J.D. de Certaines,  
Fricambault

Éditions Liv’édition



Jusqu’au 15 avril (1783), époque où nous coupâmes l’équateur par 17° de longitude, un beau ciel, une mer paisible, un temps serein, tout favorisa notre marche ; nous n’éprouvâmes même pas les calmes qui règnent ordinairement dans ces parages ; aussitôt nous eûmes dépassé la ligne, la fortune nous présagea ses rigueurs. »

Capitaine Péron

Mémoires, 

Éditions La Découvrance


Dans la nuit du 14 au 15 novembre (1791), par 18°30’ de longitude à l’occident de Paris, l’effet en a été remarquable au moment où un orage qui paraissait devoir être très-violent, commença d’éclater. Toute la partie de la mer qui était agitée par le vent jetait une lumière resplendissante et formait une nappe de feu qui s’approcha du vaisseau avec l’orage, et qui bientôt l’environna de toutes parts. L’éclat de cette lumière ne fut pas de longue durée ; mais le sillage du vaisseau, ainsi que les traces des poissons qui nageaient le long du bord, furent très-brillants toute la nuit ; en général, son éclat m’a paru toujours plus vif par un temps orageux, lorsque l’atmosphère est chargée de fluide électrique, que dans les circonstances où elle en contient en moins grande quantité.

Éd. Goepp & E.-L. Cordier  

Les grands hommes de la France, les Navigateurs

Journal de bord de Bruny d’Entrecasteaux
Éditions P. Ducrocq



Des vents favorables nous permirent de couper le tropique du Cancer le 25 brumaire, puis de doubler les îles du Cap-Vert le 28. Ensuite les calmes de l’équateur ralentirent notre course avec opiniâtreté. Nous fûmes immobilisés pendant d’interminables semaines, navires étales sur la surface lisse et argentée de la mer, attendant un souffle qui nous eût permis d’avancer en étarquant toutes les voiles. Mais rien. Rien qu’un balancement imperceptible, la voilure inerte le long des mâts et des matelots trébuchant sur les cordages comme des somnambules. Partout un bleu éblouissant qui semblait avoir absorbé pour toujours les nuages du ciel et la houle de l’océan. Comme d’Entrecasteaux neuf ans auparavant

Muriel Proust de la Gironière,
Nicolas Baudin,
marin et explorateur ou le mirage de l’Australie 
Éditions du Gerfaud

 

 

 

Emprunt de quelques citations au site officiel du Vendée Globe
dans la rubrique Actualité, "Un jour, un livre",
présenté par un certain DBo,
amassant ainsi une fort belle bibliographie maritime,
rubrique quasi aussi passionnante à suivre

que la régate elle-même.

lundi, 02 janvier 2017

an 2017, jour 2

IMG_3718.JPG

Que le feu héraclitéen avive allègrement l'âtre de vos premiers jours de cet An qui vient de s'ouvrir !

 

Ailleurs, en ce deuxième jour, écoutant sur France Cul les Nouveaux chemins de la Connaissance — changés, hélas !, en Chemins de la Philosophie — je réapprends par les sentiers de Confucius, commentés par la belle Adèle et la philosophe Anne Cheng, qu'entre les septantes et les octantes années, nous serions parvenus à la sérénité de la sagesse.

Je suis avec quelque lenteur en train d'engranger la première de ces octantes et me paraissent bien lointains encore les fastes de cette sage sérénité. Malgré ma fréquentation insistante d'Héraclite, de Montaigne, de Bachelard, et de quelques autres que l'on nomme poètes, Char, Cadou, Du Bellay, ... Mais, qui, des seconds ou des premiers cités, serait plus philosophe que poète, plus poète que philosophe ?

D'autre part, je ne tiens guère à vivre cet autre précepte du sage chinois :
"Celui qui le matin a compris les enseignements de la sagesse, le soir peut mourir content."

J'attendrais bien le soir pour ne mourir content que le lendemain matin ou même le surlendemain soir....

 

samedi, 31 décembre 2016

Achevant l'an 2016 et inaugurant son suivant



Lisant un Lucien Jerphagnon posthume
"qui riait avec les dieux"
et s'interrogeait sur ce que le penser,
dans ses plus hautes intuitions, ne nous fera qu'entrevoir
il citait  Henri Bergson
que déjà Vladimir Jankélévitch
citait dans la dernière page de son tonique et revigorant penser sur "La Mort"



« Je ne sais pas, mais je devine parfois que je vais avoir su »



à toutes et tous
dans les parages de mes amitiés et au-delà


* Lucien Jerphagnon, L'homme qui riait avec les dieux, éditions Albin Michel, 2013.
* Vladimir Jankélévitch, La Mort, Champs Flammarion, 1977.

dimanche, 18 décembre 2016

pour fêter une vieille amie "imprimeure"

Fin du Troisième millénaire avant notre ère, aux rives de l'Euphrate, en la cité d'Uruk, une Femme, une potière, façonne les boules d'argile dont se sert un scribe pour y tracer les saisons, dénombrer les troupeaux, les gerbes de blé, les jarres d'huile, elle écrase par mégarde une boule, elle ne rejette pas l'argile au fleuve, sur les conseils du scribe, elle en façonne une tablette.
Ce fut la Première Page.

Deuxième millénaire de notre ère, en la ville de Mayence, aux rives du Rhin, un homme, Johannès Gensfleich, dit Gutenberg, invente, dans son atelier,  pour les lettres des caractères mobiles dans un alliage de plomb, étain et antimoine, il perfectionne sa presse à bras, il améliore les encres.
On ignore si une Femme exerçait dans cet atelier.

Le codex ancestral devint livre, il y en eut dix, il y en eut cent, il y en eut mille et plus, et plus, plus encore.

Ce fut "notre" Premier Livre.

Fin du deuxième millénaire de notre ère, aux rives de Loire, en la ville de Nantes, il y a quarante et une années, se crée sur le quai André Rhuys, une imprimerie dite LA CONTEMPORAINE au statut si évocateur de SCOOP, Société Coopérative OUVRIÈRE de Production.
En ce lieu, nul ne peut ignorer que, gérant les caractères dits aussi polices, les papiers, les encres, les offsets et bientôt les écrans, officie d'une main de maîtresse-imprimeure, à nouveau, une Femme,

                               Jeanne Marie PONSIN, femme LEBOT.
 

quelques jours avant la remontée de la lumière.

mercredi, 23 novembre 2016

dans l'obscur et le froid de l'absence

 

même le nom s'effacera dans la nuit du plus jamais
demeure l'inoubliable Visage

lundi, 17 octobre 2016

Quand à Bashô, s'ajoutent les Fleurs du Mal et la Diane Française

Dernière fin de semaine en cure.

À l'aube, entre deux trouées nuageuses, Castor et Pollux, les Gémeaux au zénith de la clairière.

Hier, Chez mes Très Douces, à Saint-Pierre de Buzet, brocante et vide-grenier.
Déniché une édition des Fleurs du mal de 1935 pour 50 centimes. Préface signée d'un JC anonyme qui parle ainsi de Jeanne Duval, "cette" négresse qu'il enleva..." ;  ce"cette" : un soupçon de mépris, non ? L'Expo Coloniale de 31 est encore proche.

 Plus loin dans une caisse, La Diane Française d' Aragon, parue en juin 1945, chez Seghers dont "la présente édition constitue le premier tirage de l'édition courante" pour 1 euro.
Acquisition d'autant plus précieuse qu'il y a le merveilleux "Il n'y a pas d'amour heureux" que Brassens mettra en musique dans les années 50, et que, dix ans plus tard, dans la brinquebale d'un GMC, toute nuit, je chantonnais lors de ma première opération-commando de jeune " sous-bite" appelé, dans l'ouest du Zaccar au printemps 61. Pour qui ?

Au petit matin de ce jour-là, après plus d'une minute de marche dans une tenace puanteur, j'allais enjamber sur un sentier escarpé mon premier cadavre. Victime d'un accrochage précédent ou d'une épuration ?

Je n'avais pas de parti pour me redonner les vraies couleurs de France* et la juste violence m'était pour un temps encore inconnue. 

     

 * Du poète à son parti, in La Diane de France, p. 87.

vendredi, 14 octobre 2016

lire Bashô dans la première dépression d'automne

Sont enfin venues, nocturnes, les pluies bienfaisantes de l'automne. En reverdiront les landes d'Armagnac, mais les trop rares belles de la cure avaient le teint fané des petits matins gris.

 

au premier vestiaire d’entrée

réparant moi-même le papier de mon parapluie

159.

Vivre dans le monde
comme le dit Sögi
c’est s’abriter de l’averse hivernale

 

au vestiaire du couloir de marche

25.

Branches de saule pleureur
dans le vent d’est —
des belles se repeignent

 

 au vestiaire de la piscine de douche sous immersion et de mobilisation

15. 

Blancheur éclatante sur terre —
la face de la lune,  
la Princesse Shitateru ?

 

dans le bain d’eau courante

5.

Les gens pauvres
peuvent voir aussi les esprits
dans les fleurs de chardon-ogre

 

tirés de
BASHÔ
Seigneur ermite
L’intégrale des Haïkus
La Table Ronde, 2012

 

 Trop tôt dans l'octobre, la cure s'achèvera.

lundi, 10 octobre 2016

Bashô et quelques-uns de ses haïkus pour 16 ans de blogue

dans la nonchalance d'une cure thermale
à Barbotan
aux Landes d'Amargnac

 

 

au premier vestiaire d’entrée

138.

Ravi de sa pauvreté
le solitaire admirant la lune
fredonne la chanson de riz de Nara

 

au vestiaire du couloir de marche

1.

La lune pour guide —
Restez donc un peu avec nous 
dans cette auberge !

 

au vestiaire de la piscine de douche sous immersion et de mobilisation

27.

Contemplant les fleurs sans lassitude,
mon carnet de haïkus
rarement sorti du sac

 

à la cabine des douches pénétrantes 

18.

Contemplant la lune claire
l’été de la Saint-Martin
se reposer au nouvel an

 

dans le bain d’eau courante

8.

Les silhouettes des iris,
reflétées sur l’eau,
ressemblent aux iris

 

 

tirés de
BASHÔ
Seigneur ermite
L’intégrale des Haïkus

La Table Ronde, 2012

 

vendredi, 07 octobre 2016

Bashô aux landes de Armagnac

Pour la première cure de Barbotan, j’avais emmené dans mon sac de curiste Les Regrets de Joachim Du Bellay. J’y puisais la lecture de plusieurs sonnets au hasard des numéros de vestiaire qui, selon la nature des soins, m’étaient dévolus.
Cet an, j’ai glissé le gros « Poche Points »  de l’Intégrale des Haïkus de BASHÔ, paru à la Table Ronde en 2012 ; il est un peu lourd dans la poche plastique qu’on nous remet pour affronter quotidiennement notre parcours de soins.
La lecture y est plus brève que celles de sonnets. Elle autorise une humide et régénérante méditation, quand celle-ci n’est point troublée par le passage furtif d’une gracieuse Néréide, irradiante dans cette assemblée de corps las, usés, déformés, claudicants qu’est un établissement de cure à visée rhumatologique et phlébologique !



au premier vestiaire d’entrée

33.

Fleurs d’arrière-saison —
comme des fleurs sur la houle
les pétales de la neige

à la cabine d’illutation générale

58.

Comme le dieu Tenjin,
j’admire le trésor dans le ciel bleu —
fleurs de prunier

 

au vestiaires du couloir de marche

55.

Le saké déborde
sur le plateau
orné de chrysanthèmes

 

au vestiaire de la piscine de mobilisation et de douche sous immersion

39.

Deux cerfs,
poil contre poil,
voluptueusement


à la cabine des douches pénétrantes

22.

De fins grêlons
sur la neige,
délicats dessins de kimono


Dans le bain en eau courante, le soin sublime

10.

Sur les rochers,
fleurs d’azalées rouges
teintes par les larmes du coucou


tirés de
BASHÔ

Seigneur ermite
L’intégrale des Haïkus
La Table Ronde, 2012

jeudi, 06 octobre 2016

Georges Balandier disparu des sentiers mondiaux

L'homme qui me permit d'alléger mon "orientalisme" juvénile pour m'engager sur les sentiers d'un "africaniste" autodidacte, avec l'accompagnement combien précieux et tout autant chaleureux de quelques femmes - Ama, Rabéa - et hommes d'Afrique, Bruno Kwamé, Si Salah Boulanouar et d'autres.

Sa mort me rapproche d'Adrian Adams, disparue en 2000, tout à la fois Écossaise et Soninké, anthropologue rencontrée sur les rives du fleuve Sénégal, à la fin des années 90.


Que les routes qu'ils ont foulées gardent mémoire de leurs pensers.

À Gabarret, dans les Landes d'Armagnac, autre pays pour moi où je suis tout autant l'Étranger  et ça ne me déplaît point.

samedi, 10 septembre 2016

Cendrars sur le Volturno

 

Quelle idée de s'embarquer un matin de septembre sur un joli petit "Fifty" de 30 pieds, baptisé VOLTURNO, pour le convoyer de Belle-Île en Vilaine quand on sait qu'un navire du même nom prit feu en pleine tempête en 1913 ? Mais ça, c'est une autre histoire... Et une histoire à la Cendrars !
Serais-je monté à bord, si j'avais su ce naufrage ? Les voileux ont réputation d'être superstitieux, : le louis d'or  sous le pied de mât... le cousin du lièvre ou l'animal aux grandes oreilles... le refus des poulies-coupées (!) à bord...
D'un air amusé, un compagnon de convoyage me fit remarquer que le nom "Volturno" avait un rapport avec l'écrivain Cendrars. Je fus légèrement dépité de cette ignorance.

Volturno001.jpg

Oui, une histoire à la Cendrars, dans la vie même de Cendrars .


Il se nomme alors Frédéric Sauser. Le 11 décembre 1911, il débarque du Birma à Ellis Island, petite île près de New-York où sont parqués, triés, contrôlés, chaque jour, les milliers de migrants fascinés déjà par le "rêve américain". Il vient à l'invite d'une femme qui l'aime.

Nous arrivons par un beau clair de lune splendidement étoilé. Voici le premier phare...J'attends le point du jour, l'aube de ma vie... C'est une nouvelle naissance ! Je vois des feux briller, comme à travers l'épaisseur de la chair... Je me souviens, je me souviens des splendeurs apparues... Vais-je crier, ainsi qu'un nouveau-né ?

Ils vivront six mois d'amour et de misère. Il réembarquera pour l'Europe, seul, le 6 juin 1912*, sur le bateau des refoulés du Nouveau Monde, le VOLTURNO.

Je reviens d'Amérique à bord du Volturno, pour 35 francs de New-York à Rotterdam

écrit-il dans un poème ultérieur, « Le Panama ou les aventures de mes sept oncles ».

Il se nomme désormais Blaise Cendrars et le jour de Pâques, dans la solitude et la fièvre, il a écrit un texte qui va ébranler et la langue et la poésie françaises du siècle naissant.

« Je me suis réveillé en sursaut. Je me suis mis à écrire, à écrire. Je me suis rendormi. Je me suis réveillé une
deuxième fois en sursaut. J'ai écrit jusqu'au petit jour et je me suis recouché pour de bon. Je me suis réveillé à cinq heures du soir. J'ai relu la chose. J'avais pondu les Pâques à New York

Seigneur,  c'est  aujourd'hui le  jour  de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion,

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans le livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux.
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

A l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

A vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle!
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, — c'est l'Éternel.

.................................................................................
.................................................................................

Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retentit sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et dénient.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché des toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne..
Ma chambre est nue comme un tombeau...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre...
Mon lit est froid comme un cercueil...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux...
Non, cent mille femmes... Non, cent mille violoncelles.

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.



Le VOLTURNO, sans doute à la mi-juillet 2012, touchera le port de Rotterdam. En débarque un Blaise Cendrars bien décidé à devenir écrivain et à "bourlinguer" : « On bourlingue sur les livres comme sur la mer ». Les paquebots seront pour lui des bibliothèques flottantes.


En octobre 1913, au milieu de l'Atlantique, en pleine tempête, un violent incendie qui ne pourra être maîtrisé se déclare à bord du VOLTURNO : une importante explosion secoue la soute à charbon et la salle des machines. Le paquebot coule ; il y aura 136 disparus sur plus de 650 passagers et membres d'équipage.

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DONC, ayant eu connaissance de tout ce qui précède et ayant été un lecteur plus attentif de l'ami Blaise, aurais-je,  ce samedi dernier 2 septembre 2016, accepter de  monter à bord du petit "fifty" Volturno pour le convoyer en Vilaine ?
PAS SI SÛR !

Ce qui est certain, c'est que le seul nom de "Volturno" m'a fait replonger dans la belle bibliothèque flottante de Cendras, de Bourlinguer jusqu'Au cœur du Monde !

 

 

* Le 21 mai 1912, écrit sa fille Myriam Cendrars dans la très forte biographie qu'elle a consacrée à son père en 1984 (chez Balland, publiée par la suite en "Points Biographie" au Seuil, 1985).

lundi, 22 août 2016

rappeler SA VOIX


Poursuivre une fois encore l'aventure
Le tiers livre de François Bon
back to basics, 7
aller chercher la voix des vivants

 

rappeler sa voix

le heurt sourd des pilons dans les mortiers du soir  tout autour l'écoulement d'une langue encore ignorée
l'impossible de SA VOIX
quand donc a-t-elle lancé le chant que reprend criarde et piétinante la ronde des filles
convoquer l'alentour des sons des bruits des cris qui l'encerclent dans les nuits le hurlement enfantin de "l'ahua" qui plane dans la canopée poussiéreuse de la saison sèche
l'impossible de sa voix
craquement énorme d'un fromager rongé par les termites dans l'au-delà des collines le froissement soyeux de ses pieds nus sur le sol de la véranda quand elle le surprend pour leur première nuit
le foudroiement de la tornade nocturne l'interminable mitraille des pluies sur les palmes de l'apatam
la longue plainte aigue et lente des veuves maculées seins nus crânes rasés de kaolin au chevet du lit de terre où repose le cadavre de la mère
comment donc parla-t-elle le même sang sous leurs peaux noire et blanche
l'impossible même de son murmure à l'infime extrême
du silence
de l'absence
rappeler sa voix
ma surdité parfois jusqu'à l'insoutenable de toutes ces années
mais
mais rappeler SA VOIX et ne savoir l'entendre

 

Ainsi suis-je comme l'ensommeillé, cet Homo Algus de Sophie Prestigiacomo dans le marais de Séné.

Homo Algus.jpg

Je n'entends SA VOIX que dans le rêve






 

dimanche, 07 août 2016

autoportrait matinal

Pour tenter l'aventure :

Le tiers livre de François BON
back to basic 6
le faux autoportrait comme vraie fiction

un détournement du fabuleux Autoportrait d’Edouard Levé

 

 

Quatre heures trente du matin, il achève ainsi souvent ses nuits : il effleure la chevelure de sa compagne de lit, il sort dehors avant l'aube, il lève les yeux, il cherche, l'été au zénith de son ciel, la Croix du Cygne, Altaïr dans l'Aigle, Vega dans la Lyre, l'hiver, dans l'ouest-suroît, Orion et son Baudrier, il a grande nostalgie de l'immense Scorpion sous l'équateur du Pacifique Sud.
Il se recouche rarement. Le jour levé, en toute saison il parcourt pieds nus le jardin. Il salue, par dessus la haie, son voisin l'ouvrier partant au chantier.
Il fait infuser son thé, un thé vert japonais à la saveur fine, il boit à longues goulées lentement. Il s'accoude à son bar entre cuisine et salle de séjour, il lit, debout, une, deux ou trois pages d'un des trois ou quatre bouquins en cours. Il consulte, sur sa tablette, ses courriels, l'annuaire des marées et la météo marine de Penmarc'h à l'anse de l'Aiguillon.
Puis, quoique Breton, à la manière des Bas-Poitevins, il "va".

La journée est suspendue à l'incertain du lendemain.

samedi, 30 juillet 2016

poursuivre l'aventure

Si difficile d'échapper à Rimbaud.
Alors voilà ce que, dans ma gribouille, devient Enfance :

 

L'Aïeule franchit le seuil de sa vie dans les odeurs sucrées des vendanges à la fin d'un été exsangue. —Les ancêtres qui l'avaient précédée ébranlèrent le parvis des églises de leurs sabots ferrés. —Sa fille avait fui dans les lointains orientaux  — et pleuraient les enfants dans l'incertain désespéré de son retour.

Dans le désert des ruelles s'insinuait un air aigre de gavotte — les linges immaculés battaient dans les rafales de suroît. Les desservants du temple avaient, sur les pantoires du lin sacré, frappé les cordes de chanvre de la cloche , — et la virginale angélus, d'un crépuscule à l'autre, était muette. — Le Maître, sur le registre des ports, consignait l'errance obscure des migrants. — Vides, les couches  aux abris des pêcheurs.

Les anses révèlent la rouille des socs, les carcasses des chars-à-bancs endimanchés et les ancres. — Ô les phares et les dentelles de rocs, les hauts-fonds du tumulte et l'apaisé des moissons !

Oiseaux crieurs et luisants cétacés qui peuplent les marées. Odeurs puissantes des grandes laminaires échouées. Pourpre pourrissement des sables .— Largueront-ils une fois encore pour l'au-delà des Îles ?

 

Poursuivre donc l'aventure
Le tiers livre de François Bon
back to basics, 5 La route rouge de Rimbaud

 

Naguère dans mes pages,
un salut sur une peinture de Ernest Pignon-Ernest.

 

jeudi, 21 juillet 2016

larguées les amarres

Quand s'éloignent Artaud et les grandes sécheresses de la folie et des souffrances.


Pour quelques nuits de mer .

 Là nous allions, de houle en houle, sur les degrés de l'Ouest.
Et la nuit embaumait les sels noirs
de la terre,
dès la sortie des Villes vers les pailles,

parmi la chair tavelée des femmes de plein air.
Et
les femmes étaient grandes, au goût de seigles
et
d'agrumes et de froment moulé à l'image de leur
corps.

Saint-John Perse,
Vents II

 

D'Artaud à Perse, la langue a-t-elle jamais fait un aussi grand écart ?