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lundi, 26 octobre 2015

quand Joachim a peut-être le mal de mer


à Roger Morel, celui des bords de Vilaine
qui est un Morel plus récent que celui des REGRETS,
pour cette belle passion partagée : la mer et le vent,
un même port nous ayant rapprochés.

 


Au mitan de cette cure aux Thermes de Barbotan, la numérotation de mes salles de soins me fait rejoindre un Du Bellay triste et mélancolique dont, depuis son fameux « Heureux qui comme Ulysse… » (XXXI),  toujours de la maison le doux désir (le)point. (XXX).
Le secrétaire-intendant depuis le XVII accumule le lexique et les métaphores du voyage maritime et de ses aléas, de l’errance et de l’exil étranger :

erré sur le rivage — vers le Nautonier sourd — pour payer le naulage — tirant à la rame — la rive latine — hausser les voiles, dresser le gouvernail, épier les étoiles — être ancré désormais — le vent à gré — des flots marins, lourdement outragé — sauvé du naufrage — en cette mer, nagé — cette mer romaine, de dangereux écueils et de bancs toute pleine — si tu ne sais nagé d’une voile à tout vent — aller de port en port — et voyage toujours sans penser au retour — perdre en voyageant le meilleur de (son) âge.

Le poète parvient au seuil du XXXIV avec cette métaphore désabusée qui clôt le dernier tercet du XXXII :

Ainsi le marinier souvent pour tout trésor
Rapporte des harengs au lieu de lingots d’or,
Ayant fait, comme moi, un malheureux voyage

Ce sonnet XXXIV est entièrement marin et, curieusement d'actualité, quand on songe à ces voiliers de la Transat du Café (laidement dite transat Jacques-Vabre) lancés depuis Le Havre vers les Amériques et qui depuis ce matin affrontent, — non pas une tempête, les média, toujours, exagèrent pour entretenir le suspense — mais une belle dépression qui génère un avis de grand frais avec des vents Sud de 30 à 35 nœuds.

Ne pas oublier ce que sont ces textes : un projet d'écriture, un labeur sur la langue qui s'énonce et s'affine tout au long des trente premiers sonnets, selon les situations évoquées et la relation que le poète entretient avec ses interlocuteurs : les "copains" de la Pléiade — Ronsard, Peletier, Belleau...—, les amis — Morel, Magny, Gordes...

Ainsi, Joachim "touitte" à Magny dans le XII :

Vu le soing mesnager dont travaillé je suis,
  Vu l’importun souci qui sans fin me tourmente,
  Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
  Tu t’esbahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis :
  Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
  Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante :
  Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l’ouvrier en faisant son ouvrage,
  Ainsi le laboureur faisant son labourage,
  Ainsi le pèlerin regrettant sa maison,
Ainsi l’avanturier en songeant à sa dame,
  Ainsi le marinier en tirant à la rame,
  Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.

 

Dans le Sonnet XXIV, Joachim se retrouve donc comme "le marinier tirant à la rame", et pis même, comme l'énonce, avec une belle dose d'humour noir, la clôture dans le dernier vers du second tercet :

Comme le marinier, que le cruel orage
A longtemps agité dessus la haute mer,
Ayant finalement à force de ramer
Garanti son vaisseau du danger du naufrage,

Regarde sur le port, sans plus craindre la rage
Des vagues ni des vents, les ondes écumer :
Et quelqu’autre bien loin, au danger d’abîmer,
En vain tendre les mains vers le front du rivage :

Ainsi, mon cher Morel, sur le port arrêté,
Tu regardes la mer, et vois en sûreté
De mille tourbillons son onde renversée :

Tu la vois jusqu’au ciel s’élever bien souvent,
Et vois ton Du Bellay à la merci du vent
Assis au gouvernail dans une nef percée.

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