dimanche, 08 février 2015
merci à Fatima Zohra Imalayen dite "Assia Djebar".
Comme un silence blanc autour des textes
de cette Femme
et en ligne d'horizon proche
Mouloud Feraoun, Kateb Yacine,
dans un plus lointain
Taos Amrouche, Jean Sénac,
Boualem Sansal, Albert Camus
Ma poésie n'est que murmures
Voix de rouge-gorge ou son de cuivre
Fuient mon masque arabe troué
Même quand je tisse quelques mots français
Je retrouve mon langage étranger.
1967.
Cet extrait des Corps enlacés
comme une vaste métaphore
de mon entrée dans une "algérianité" que j'ai l'audace de revendiquer.
Est-ce au cours de cette descente vers la mer ou le lendemain, dans un des camions du convoi, sous la pluie..., qu'un certain Bernard se confie à celui qui fera le récit de ces jours d'El Aroub, et évoque ce qu'il n'oubliera plus?...
La veille du départ, en pleine nuit, Bernard sans armes rampe sur les genoux et les coudes, passe dans le noir entre deux sentinelles, progresse, tâtonne dans le village, jusqu'à ce qu'il trouve une ferme au toit à moitié effondré, à la porte presque entièrement arrachée.
— Là, avoue-t-il, dans la journée, une jolie Fatma m'avait souri ! Il se glisse sans frapper. Il doit être une heure trente du matin. Il hésite dans le noir, puis gratte une allumette : devant lui, une assistance féminine, recroquevillée en cercle, le regarde ; presque toutes sont de vieilles femmes ou le paraissent. Elles sont serrées les unes contre les autres ; leurs yeux luisent d'effroi et de surprise...
Le Français sort de ses poches des provisions en vrac, qu'il distribue hâtivement. Il va et vient, il rallume une allumette; ses yeux qui cherchaient rencontrent enfin « la jolie Fatma » qui avait souri. Il la saisit aussitôt par la main, la redresse.
Le noir est revenu. Le couple se dirige au fond de l'immense pièce, là où l'ombre est de suie. Le cercle des vieilles n'a pas bougé, compagnes accroupies, sœurs du silence, aux pupilles obscurcies fixant le présent préservé : le lac du bonheur existerait-il?...
Le Français s'est déshabillé. « Je me serais cru chez moi », avouera-t-il. Il presse contre lui la jeune fille qui frémit, qui le serre, qui se met à le caresser.
« Si l'une des vieilles allait se lever et venir me planter un couteau dans le dos ? » songe-t-il.
Soudain, deux bras frêles lui entourent le cou, une voix commence un discours de mots haletants, de mots chevauchés, de mots inconnus mais tendres, mais chauds, mais chuchotés. Ils coulent droit au fond de son oreille, ces mots, arabes ou berbères, de l'inconnue ardente.
« Elle m'embrassait de toutes ses lèvres, comme une jeune fille. Imagine un peu ! Je n'avais jamais vu ça!... A ce point-là! Elle m'embrassait! Tu te rends compte?... M'embrasser ! C'est ce petit geste insensé surtout que je ne pourrai oublier ! »
Bernard est retourné au camp vers trois heures du matin. A peine endormi, il sera réveillé en sursaut : il faut quitter le village à jamais.
Vingt ans après, je vous rapporte la scène, à vous les veuves, pour qu'à votre tour vous regardiez, pour qu'à votre tour, vous vous taisiez. Et les vieilles immobilisées écoutent la villageoise inconnue qui se donne.
Silence chevauchant les nuits de passion et les mots refroidis, silence des voyeuses qui accompagne, au cœur d'un hameau ruiné, le frémissement des baisers.
Troisième partie : LES VOIX ENSEVELIES
Quatrième Mouvement
Les voyeuses
Corps enlacés
pp. 293-295.
J'ai libéré le jour
de sa cage d'émeraude
comme une source vive
il glissa de mes doigts.
J'ai libéré la nuit
de la tombe de l'onde
comme un manteau de pluie
elle retomba sur moi.
J'ai libéré le ciel
de son lit d'amarantes
dans un éclair d'orgueil
il s'envola en roi.
J'ai lancé le soleil
sur la scène du monde
l'ombre était si profonde
qu'il devint hors-la-loi.
POÈME AU SOLEIL
1956
et aux confins
Ibn Khaldoun
Post-scriptum : Les deux poèmes sont tirés de « poèmes pour l'algérie heureuse", un mince recueil édité par la Société Nationale d'Édition et de Diffusion d'Alger, acquis dans une librairie à Bou Saada, le 2 novembre 1977.
17:22 Publié dans la guerre, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
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