mercredi, 03 avril 2013
un pape, le sonnet et de vieux professeurs
La convergence de plusieurs faits et événements m'a porté à relire des sonnets : la visite de la maison de La Boétie, le conclave de Rome qui suscita la lecture de Joachim Du Bellay, le papier de Michel Butor sur Twitter et le sonnet, la disparition apprise trop tardivement — il est décédé en mai 2012, à Aiguebelle — de Joseph Garoff, Breton du Léon, missionnaire puis cistercien de l'abbaye camerounaise de Koutouba.
Ce Joseph Garoff fut mon professeur de lettres en classe de 3ème et en réthorique. Y eut-il jeune curé plus laïc ? Jamais, il ne fit dans son enseignement référence à la foi catholique, ni n'émit le moindre jugement moral sur les écrivains et leurs œuvres. Il portait le texte au plus près de ce qu'avait été son auteur. Je franchis ainsi passionné, sous son humble et paisible enseignement, Moyen-Âge et XVIème Siècle, XVIIIème, XIXème et XXème Siècles.
Au printemps 1952, il m'avait entraîné à bicyclette jusqu'au manoir de la Turmelière en Liré, les lieux d'enfance de notre Joachim. Je passais mes vacances d'interne à Ancenis, je n'avais qu'à traverser la Loire, ça ne m'était pas encore venu à l'idée.
De cette première escapade littéraire, est né ce que je nommerai plus tard lisant Michel Chaillou mon "sentiment géographique". Sentiment qui surgit très fortement dès que j'arpente une contrée, une terre, une ville où vécut, résida et écrit celle ou celui qui écrivit ce que j'ai lu, lis, lirai et peut-être — souvent — relirai.
Ce fut dans ce vallon du Doué du Lou, mince ruisseau qui rejoint la Loire entre Liré et Drain, où s'érigent encore les ruines du manoir de Joachim que m'advint cette « évidence que toute rêverie apporte sa terre »*.
Sans doute, à seize ans, ma rêverie m'entraînait plus au delà de la terre, sur l'autre rive du Loyr gaulois, où je demeurai, pour une dont le "chef" était plus de nuit que d'or. Mais cette "une", je la cachai bien à mon bon maître et ne lui manifestai que cette passion pour le sonnet qu'il me faisait découvrir dans le paysage même qui suscita le poème.
Plus tard, la jolie brune s'en alla vers d'autres horizons, me resta la passion du sonnet.
Celui-ci, sage et très pétraquisant :
D'amour, de grâce, et de haulte valeur
Les feux divins estoient ceintz, et les cieulx
S'estoient vestuz d'un manteau précieux
A raiz ardens, de diverse couleur.
Tout estoit plein de beauté, de bonheur
La mer tranquille, et le vent gracieulx.
Quand celle là naquit en ces bas lieux
Qui a pillé du monde tout l'honneur.
Ell'prist son teint des beaux lyz blanchissans.
Son chef de l'or, ses deux lèvres des rozes,
Et du soleil ses yeux resplandissans.
Le ciel usant de libéralité
Mist en l'esprit ses semences encloses,
Son nom des Dieux prist l'immortalité.
L'Olive, II
Cet autre, clandestin et qui n'était que le rêve d'un futur qui tardera à venir :
Ô beaux cheveux d'argent mignonnement retors !
Ô front crêpe et serein ! et vous, face dorée !
Ô beaux yeux de cristal ! ô grand bouche honorée,
Qui d'un large repli retrousses tes deux bords !
Ô belles dents d'ébène ! ô précieux trésors,
Qui faites d'un seul ris toute âme enamourée !
Ô gorge damasquine en cent plis figurée !
Et vous, beaux grands tétins, dignes d'un si beau corps !
Ô beaux ongles dorés ! ô main courte et grassette !
Ô cuisse délicate ! et vous, jambe grossette,
Et ce que je ne puis honnêtement nommer !
Ô beau corps transparent ! ô beaux membres de glace !
Ô divines beautés ! pardonnez-moi, de grâce,
Si, pour être mortel, je ne vous ose aimer.
Les Regrets, XCI
Il se pourrait bien que ce retour au Sonnet relance une agitation plus fréquente de ce blogue qui depuis quelques mois s'engoncait dans le désintérêt et de bien paresseux silences.
* Michel, Chaillou, Le sentiment géographique, coll. Le Chemin, Gallimard, 1978
19:25 Publié dans Du Bellay mon voisin, glane de sonnets | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Bel hommage à celui qui fut mon Prof de "Basoche" et qui nous enseigna l'amour des racines grecques et des poètes moyenâgeux! Sa ferveur communicative au Français était d'autant plus méritoire que cet Humaniste vint à l’École simplement muni de son vocabulaire breton!...
C'était sa première année d'enseignant et les terribles gamins que nous fûmes réussirent un jour à le faire pleurer, ce que nous regrettons aujourd'hui.
Il restera en nos mémoires!
Écrit par : Hémon André | samedi, 06 avril 2013
Bel ajout ! J'avais oublié la "Basoche", oublié le "jardin des racines grecques". Je regrette d'avoir perdu le cahier où était consigné ce précieux jardin ; me serait bien utile depuis ma reprise du Grec.
Tu as, ô combien raison, de souligner les origines langagières de notre BON Père Garoff. C'était encore fréquent chez les jeunes Bretons bretonnants de sa génération. Notre "Er Klasker" en était aussi et s'il a actuellement des soucis avec l'orthographe de son blogue, c'est la perte progressive de sa vue qu'il faut incriminer.
Écrit par : Grapheus tis | dimanche, 07 avril 2013
Les commentaires sont fermés.