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samedi, 10 septembre 2011

les génuflexions de Montaigne

Ma raison n’est pas duite à se courber et flechir, ce sont mes genoux.
(III, 8)

 

 À Rome, ce jour-là 29 de décembre 1580, reçu par le pape Grégoire XIII, les genoux de Montaigne ont fléchis.


Après un ou deux pas dans la chambre, au coin de laquelle le pape est assis, ceux qui entrent, qui qu'ils soient, mettent un genou à terre, et attendent que le pape leur donne la bénédiction, ce qu'il fait; après cela ils se relèvent et s'acheminent jusques environ la mi-chambre. Il est vrai que la plupart ne vont pas à lui de droit fil, tranchant le travers de la chambre, ains gauchissant un peu le long du mur, pour donner, après le tour, tout droit à lui. Étant à ce mi-chemin, ils se remettent encore un coup sur un genou, et reçoivent la seconde bénédiction. Cela fait, ils vont vers lui jusques à un tapis velu, étendu à ses pieds, sept ou huit pieds plus avant. Au bord de ce tapis ils se mettent à deux genoux. Là, l'ambassadeur se mit sur un genou à terre, et retroussa la robe du pape sur son pied droit, où il y a une pantoufle rouge, à tout une croix blanche au-dessus. Ceux qui sont à genoux se tirent en cette assiette jusques à son pied, et se penchent à terre, pour le baiser. M. de Montaigne disait qu'il avait haussé un peu le bout de son pied. Ils se firent place l'un à l'autre, pour baiser, se tirant à quartier, toujours en ce point...
...ains ayant là reçu une autre bénédiction, avant se relever, qui est signe du congé, (les visiteurs reprennent) le même chemin. Cela se fait selon l'opinion d'un chacun : toutefois le plus commun est de se sier en arrière à reculons, ou au moins de se retirer de côté, de manière qu'on regarde toujours le pape au visage. Au mi-chemin comme en allant, ils se remirent sur un genou, et eurent une autre bénédiction, et à la porte, encore sur un genou, la dernière bénédiction.*

 

Les genoux, soit ! mais cinq fois : deux en entrant, une  — et les deux genoux à la fois après s'être tirés en cette assiette aux pieds du visité— et deux encore en sortant. En dépit des bénédicions reçues à chaque génuflexion, la "raison" n'en a-t-elle point vacillé ?

 

Ou plutôt Montaigne n'aura-t-il pas pensé, baisant cette mule rouge à croix blanche, à la rumeur que rapporte Mikkaïl Bakhtine à propos de Rabelais**, reçu un jour chez le pape, qui aurait proposé de "baiser le visage à l'envers" dudit pape, à la condition qu'il fut bien lavé...

Sans commentaire.

 

 

*Journal de voyage en Italie, Rome, Décembre 1580.

** Montaigne a lu Rabelais ; il le cite au livre II, 10, parmi les livres simplement plaisants... s'il les faut  loger sous ce titre, dignes qu'on s'y amuse. Quand on sait les préoccupations du "bas" chez Montaigne, il connaissait sûrement le chapitre 13 du Premier Livre sur "la merveilleuse intelligence de Gargantua (reconnue) à l'invention d'un torche-cul.


Commentaires

Montaigne venait s'assurer, à Rome, que les Essais ne déplairaient pas trop à l'Eglise. Il me semble qu'il s'est dit, comme Henri IV, que l'autorisation de publier valait bien une - et même plusieurs - génuflexions ! Il est fort probable qu'il n'en pensait pas moins...
bonne cure !
cordialement
alainB

Écrit par : BARRE Alain | lundi, 19 septembre 2011

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