Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

vendredi, 02 septembre 2011

Montaigne et le "bas matériel et corporel"

Il n'y a point que Rabelais pour dire le "bas matériel et corporel " comme le nomme justement Mikaïl Bakhtine*. Certes avec Montaigne, nous sommes éloignés du registre de la fête populaire, du grotesque et du carnavalesque ; nous sommes invités à regarder, écouter le corps, — notre corps — dans un comportement — je n'écrirai pas médical, Montaigne se heurte trop à cette science en affirmant la primauté de l'attention à soi-même, âme et corps — donc dans un comportement plus hygiéniste, tendant à gérer sa santé corporelle.

Dans la merde, dans la douleur, la saveur d'une langue populaire s'épanouit en toute verdeur. Il a écrit, il est vrai :

Je me presente debout et couche, le devant et le derrière, à droite et à gauche, et en tous mes naturels plis.

Essais, III, 8

J'extrais du dernier Livre, le Treizième la fiente et la douleur— mais c'est l'entier de cette "fricassée" à lire et relire qu'il propose au lecteur avec toute la richesse de sa réthorique : énumérations, interrogations, métaphores, injonctions, sentences sur le boire, le manger, le repos, le sommeil, l'emploi du temps, le vieillissement et ...la mort.

(Pour l'amour, c'est surtout dans les Essais III, au Livre 5,  "Sur des vers de Virgile", mais l'amour s'entend aussi de multiples fois dans les mille pages. Je reviendrai sur un détail très mince du Livre 29 des Essais I. )

 Et les Roys et les philosophes fientent, et les dames aussi. Les vies publiques se doivent à la cérémonie; la mienne, obscure et privée, jouit de toute dispence naturelle; soldat et Gascon sont qualitez aussi un peu subjettes à l'indiscrétion. Parquoy je diray cecy de cette action: qu'il est besoing de la renvoyer à certaines heures prescriptes et nocturnes, et s'y forcer par coustume et assubjectir, comme j'ay faict; mais non s'assujectir, comme j'ay faict en vieillissant, au soing de particulière commodité de lieu et de siège pour ce service, et le rendre empeschant par longueur et mollesse. Toutesfois aux plus sales services, est-il pas aucunement excusable de requérir plus de soing et de netteté ? « Natura homo mundum et elegans animal est. » De toutes les actions naturelles, c'est celle que je souffre plus mal volontiers m'estre interrompue. J'ay veu beaucoup de gens de guerre incommodez du desreiglement de leur ventre; le mien et moy ne nous faillons jamais au poinct de nostre assignation, qui est au saut du lict, si quelque violente occupation ou maladie ne nous trouble.

Je ne juge donc point, comme je disois, où les malades se puissent mettre mieux en seurté qu'en se tenant quoy dans le train de vie où ils se sont eslevez et nourris. Le changement, quel qu'il soit, estonne et blesse. Allez croire

que les chastaignes nuisent à un Perigourdin ou à un Lucquois,

et le laict et le fromage aux gens de la montaigne. On leur va ordonnant, une non seulement nouvelle, mais contraire forme de vie: mutation qu'un sain ne pourroit souffrir.

Ordonnez de l'eau à un Breton de soixante dix ans,

enfermez dans une estuve un homme de marine,

deffendez le promener à un laquay basque; ils les privent de mouvement, et en fin d'air et de lumière.

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

On te voit suer d'ahan, pallir, rougir, trembler, vomir jusques au sang, souffrir des contractions et convulsions estranges, dégoûter par foys de grosses larmes des yeux, rendre les urines espesses, noires, et effroyables, ou les avoir arrestées par quelque pierre espineuse et hérissée qui te pouinct et escorche cruellement le col de la verge, entretenant cependant les assistans d'une contenance commune, bouffonnant à pauses avec tes gens, tenant ta partie en un discours tendu, excusant de parolle ta douleur et rabatant de ta souffrance.

………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………

 

...tu ne meurs pas de ce que tu es malade ; tu meurs de ce que tu es vivant.

 Essais, Livre III, 13

 

 

* Mikkaïl BAKHTINE, L'œuvre de François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, Bibliothèque des Idées, Éditions Gallimard, 1970, ( repris dans la collection "TEL").


Les commentaires sont fermés.