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vendredi, 23 septembre 2011

confidences sur l'oreiller ?

Ou de Montaigne et ses Essais... lecture à suivre.

 

Il y a quelque temps que ce vingt-neuvième chapitre du Livre I m’interroge, d’abord parce que il ne paraît susciter guère d’intérêt chez les montaigniens, comme s’il ne s’agissait, pour valoriser la publication des sonnets de son ami Étienne, que d’une longue dédicace, à une femme très belle, fort intelligente et dont la stature citoyenne et... amoureuse a sans doute influencé certains acteurs politiques d’une époque pour le moins très troublée.

Grammont 2.jpg

©Nicléane


Que Montaigne ait publié ces sonnets dans les éditions de ses Essais de 1580 à 1588, puis les mentionne comme ”se voyant ailleurs”, tout en maintenant l'adresse qui devient un chapitre, bref certes, mais chapitre cependant, souligne l’importance que l’essayiste attribue à sa relation avec Madame de Grammont, veuve de son camarade de guerre, le comte Philibert de Grammont, tué au siège de La Fère en 1580.

C'est, plus qu'un modeste chapitre, une lettre que nous lisons.
Et qui n'est point  de flatterie courtisane. Mais bien de cette hauteur que Montaigne mettait dans l'art de converser avec ses pairs — dans ce masculin pluriel, faut-il encore intégrer le commerce entretenu avec ces "belles et honnestes femmes", et parmi elles, cette Diane de Grammont, comtesse de Guissen au superbe «pseudo» : Corisande d’Andoins.

Alors, quand, au détour d'un méandre de la Bidouze, modeste affluent de l'Adour, le lecteur, au hasard de ses errances basquaises, franchit un pont surmonté par une impressionnante ruine, très vite, il va réouvrir le Livre I :

Madame, je ne vous offre rien du mien, ou par ce qu'il est desjà vostre, ou pour ce que je n'y trouve rien digne de vous. Mais j'ay voulu que ces vers, en quelque lieu qu'ils se vissent, portassent vostre nom en teste, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande Corisande d'Andoins. Ce présent m'a semblé vous estre propre, d'autant qu'il est peu de dames en France qui jugent mieux et se servent plus à propos que vous de la poësie: et puis qu'il n'en est point qui la puissent rendre vive et animée, comme vous faites par ces beaux et riches accords dequoy, parmy un million d'autres beautez, nature vous a estrenée. Madame, ces vers méritent que vous les chérissez ; car vous serez de mon advis, qu'il n'en est point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre sortis d'une plus riche main. Et n'entrez pas en jalousie dequoy vous n'avez que le reste de ce que piec'a j'en ay faict imprimer sous le nom de monsieur de Foix, vostre bon parent, car certes ceux-cy ont je ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse, et eschauffé d'une belle et noble ardeur que je vous diray, Madame, un jour à l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faveur de sa femme, et sentent desjà je ne sçay quelle froideur maritale. Et moy je suis de ceux qui tiennent que la poësie ne rid point ailleurs, comme elle faict en un subject folâtre et desreglé.
 

Grammont 1.jpg

©Nicléane

Bien qu'instammment sollicitée de donner son jugement, je ne sais si la grande Corisande apprécia les laborieux sonnets de l'ami Étienne. Avait-elle déjà lu ceux de Pierre de Ronsard, de Joachim du Bellay, de Louise Labé ? Sans doute !


L'amitié peut troubler le regard puisque ces sonnets sont "à voir". Peut-être n'en est-il point sorty de Gascoigne qui eussent plus d'invention et de gentillesse. De Gascogne certes. Mais d’ailleurs, il y eut mieux.


Quant à moi, j'hésite à sauver de l'ennui, fusse un tercet ?


Et dès lors (grand miracle), en un même moment,
On vit tout à un coup du misérable amant
La vie et le tison s'en aller en fumée


un vers ?

Je sais aimer, je sais haïr aussi.

ou

Ores son œil m'appelle, or sa bouche me chasse.




Mais bon, pour Montaigne, ils avaient je ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant, comme il les fit en sa plus verte jeunesse et eschauffé d'une belle et noble ardeur.

Et de les opposer à ces sonnets ultérieurs que La Boétie composa — et que Montaigne publia aussi — comme il estoit à la poursuite de son mariage, en faveur de sa femme, lequels vers sentent desjà je ne sçay quelle froideur maritale. Et dont Diane de Grammont n’a point à être jalouse, si Montaigne ne les lui a point adressés.

Où, pour le lecteur, l’adresse devient piquante, c’est que Montaigne propose à Diane de lui commenter plus intimement les circonstances de l’écriture de ces sonnets :

que je vous diray, Madame, un jour à l'oreille.

Madame de Grammont est veuve, Henri de Navarre, l’amant futur, encore très occupé à guerroyer.

Alors ? De l’oreille à l’oreiller ?


 Post-scriptum : Les vingt et neuf Sonnets d'Étienne de la Boëtie "se voient ici" sur Calaméo.

Commentaires

...Et l'on peut voir également ces 29 sonnets sur wikisource (sous forme de photocopies des originaux) !
cordialement
alainB

Écrit par : BARRE Alain | samedi, 01 octobre 2011

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