vendredi, 11 février 2005
Saluer Jean Cayrol
Levez-vous compagons aux épaules de terre
et vos yeux déchirés et vos mains de racines
il est temps de juger la terre avant les dieux.
Je lance en vain l'appel par la gorge des merles
par les becs paresseux d'oiseaux de haute-mer
dites, entendez-vous le seul vivant qui hurle
et qui montre du doigt le Jugement Dernier
dans ce bleu tribunal d'astres morts et d'étoiles.
...................................................................
Allégez cette terre qui ne servira plus
et dont nous oublierons la poussière altérée
et la perle de nuit qui roulait de si loin.
C'est le moment où vous devez paraître
dans la volupté des brouillards arrachés
Je sens que tout surgit d'une cendre fervente
Adieu Terre, encore toute mâchée par nos os qui s'éveillent
Nous sommes d'un pays qui ne peut rien sans nous.
Jean CAYROL
Adieu Terre
Les Phénomènes célestes
Cahiers du Sud,1939
Hier, jeudi 10 février, Jean Cayrol est mort, à Bordeaux.
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jeudi, 10 février 2005
Le "dernier" texte de Robert Desnos
“Le dernier poème” de Robert Desnos
“J’ai rêvé tellement fort de toi” ne serait pas le vrai bon dernier.
Le maître du site “robert.desnos.online” le mentionne déjà comme "soi-disant" dernier.
Cet après-midi, à la recherche d’un recueil de Paul Verlaine, je retrouve un numéro de la revue...Change*, le n°13 de décembre 1972. Entre Lu Xun, Cortazar, Baffo, Jakobson et André Velter, il y a un dossier DESNOS.
Il y est relaté le témoignage de Joseph Stuna qui soigna Desnos dans les jours qui suivirent la libération du camp de Térézin : « Sa seule propriété personnelle, à l’époque, était une paire de lunettes et à part ça on n’a rien retrouvé. » (cité par Adolf Koupa dan les “Lettres Françaises” du 1er mars 1947).
Pierre Berger écrit que c’est le même Stuna qui aurait fait parvenir le “dernier poème”.
Berger ? Koupa ? Stuna ?
Est-ce ainsi que naissent les légendes ? Les manuels de littérature auraient répandu la version “Berger”.
Grands sentiments et romantisme, quand vous nous tenez !
Change donne un texte en prose et deux textes en vers du poète, comme étant les “dernières œuvres connues de son écriture”.
Du 6 avril 1944 (donc sans doute écrit au camp de Compiègne), l’ultime :
Printemps
Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l'amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.
Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d'aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.
C'est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S'efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourant nous l'entendons et lui obéissons.
Au lavoir ou l'eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l'instant où le soleil fleurira les buissons.
“Vous avez le bonjour de Robert Desnos.”
* Collectif permanent de CHANGE en 1972 : Philippe Boyer, Yves Buin, Jean Pierre Faye, Jean-Claude Montel, Jean Paris, Léon Robel, Mitsou Ronat, Jacques Roubaud.
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mercredi, 09 février 2005
Tout à coup, une autre musique
Ce soir, Mahler.
Résurrection, la IIe symphonie : il n' y a que lui pour nous emmener aux bords du silence.
Une fois, deux fois. une fois encore !
Plus loin, fracas en catastrophe.
Et Nathalie Stutzmann, la voix de contralto : un dieu souterrain qui monte à nous.
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mardi, 08 février 2005
Pour prolonger Char et raccourcir les 35 heures
Écoutant Robert Castel - le sociologue, pas le clown nostalgique du Bab-el-Oued de naguère - ce matin sur France Cul, intervenant sur l’histoire des droits du travail, la longue lutte de nos aïeux - je pense à mon père en 36, en 55 - sur la présente évolution de cette histoire, quand nos députés, chers démocrates virtuels, débattent des 35 heures à rallonger pour ceux qui veulent gagner du fric et pour ceux qui n'en veulent point perdre, en guise de merci à Castel et pour fêter nos aïeux, je prolonge René Char.
Le Soleil des Eaux
Spectacle pour une toile de pêcheurs
scène XXXIV
................................
L'ARMURIER.—....Celui que tu bats, frappe-le sans l'injurier. Il ne se souviendrait que des injures et pas de tes coups.
FRANCIS.— Arrivés devant la fabrique, comment se placeront les bateaux ?
L'Armurier, lent et brusque à la fois, fait le geste d'encercler.
L'ARMURIER.— Comme un soleil qui prend tout.
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René CHAR
René CHAR
...ou le combat avec l’Ange
Aujourd’hui encore, à l’ouverture de ce livre, l’étonnement adolescent, la naïve lecture....
Toutes les lectures qui suivront lecture de ce livre, se tiendront entre
cette déflagration que fut l’une des premières lignes lues
Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.
jusqu’au geste de se courber au plus ras de la terre
À partir de la courge, l’horizon s’élargit.
En avril 1955, depuis la découverte de Claudel, de Cadou, l'aventure de la poésie moderne me passionne ; à la librairie, je vais droit au rayon où s'alignent les "Seghers". Sous une couverture marron, le n°22 des Poètes d’aujourd’hui.
Une photo du poète : un bel homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je prends le livre.
C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau. Beau à lire ! Ce qui peut paraître contradictoire avec l’aveuglement.
Le livre, signé par Pierre Berger, le même qui rédigea “Robert Desnos”, s’annonce “essai”. Soit ! Un essai qui tient de l’hagiographie, long et lyrique commentaire du seul recueil, Feuillets d’Hypnos, qui, d'ailleurs, ne figurera pas dans “les œuvres choisies et textes inédits”, présentés à la fin du bouquin :
Une incantation entre admonestations et objurgations. À l’instar de Char, mais pas du meilleur Char, écriraient les détracteurs et du poète et de l’essayiste.
Écrit sans doute au début des années cinquante, il est marqué par l’effervescence inquiète qui suit la Libération : le monde rêvé des grands idéalistes est investi par les profiteurs de tous bords.
Longtemps, cette introduction au poète me paraîtra aussi obscure, sinon plus, que le texte de Char lui-même.
L’important pour le lecteur, ce sont les citations en italiques de l’essai - je lirai ainsi les Feuillets d’Hypnos.
C’est le choix des œuvres et quelques inédits d’alors - jusqu’aux Matinaux inclus.
Ce sont les photographies - Char avec ses amis de la Sorgue, avec les habitants de Céreste libéré, avec Camus.
C’est un dessin d’Henri Matisse, laissant entrevoir les rapports intenses que le poète entretiendra avec les peintres , ses “alliés substantiels”.
Ce sont les fac-similés des manuscrits - la graphie finement penchée et très lisible.
La collection Poètes d’aujourd’hui, dans sa maquette et son appareil éditorial, offrait ainsi toute une culture du livre qu’ignorait trop souvent l’enseignement traditionnel de la littérature.
Les quelques 120 pages du choix de textes vont être le seul viatique du jeune lecteur jusqu’en 1963, date d’acquisition de La parole en archipel, éditée en 1962.
Cadou, c’était le Végétal, les vents humides, les nuits.
Voici le Minéral, le solaire dans son écrasement, les aubes et les crépuscules.
Tout s’annonce et s’assemble : la beauté, l’amour, la colère, la bonté, la philosophie, la cruauté, l’érotisme, la tendresse....
Les titres des recueils, des poèmes délivrent des aperçus. Pêle-mêle :
.... Arsenal, le Marteau sans maître, L’alouette, Robustes météores, Premières alluvions, Le poème pulvérisé, Le vitrail de Valensole, La révélée, La murmurée, La torche du prodigue, À une sérénité crispée, Le soleil des eaux, Affres détonation silence, Jacquemard et Julia; Dehors la nuit est gouvernée...
L’approche de cet homme, aujourd’hui encore, sera une lutte pour la compréhension, un corps à corps avec ses mots, avec ses images et mes propres émotions.
Salut, chasseur au carnier plat !
À toi, lecteur, d’établir les rapports.
Merci, chasseur au carnier plat.
À toi, rêveur, d’aplanir les rapports.
Ainsi sommé, le lecteur ne peut que continuer avec ce sentiment d’être sur l’arête extrêmement aiguë d’une crête à l’air raréfié. Il faudra beaucoup de jours, des expériences enfin vécues, des rencontres assumées, l’émotion forte d’un moment : s’éclaire alors le texte. Alchimie langagière entre le poème et ma vie.
dessin de Picasso pour le poème Dépendance de l'adieu
De suite, des évidences martelées qui haussent
Aptitude : porteur d’alluvions en flamme.
Audace d’être un instant soi-même la forme accomplie du poème. Bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-émotion instantanément reine.
Je ne plaisante pas avec les porcs.
La pensée sage est secouée à la découverte de ces aphorismes, si éloignés des sentences classiques. Et par delà Char, se découvrent ceux d’Héraclite où il affirme l’harmonie des contraires.
Char va prolonger “la route qui monte, descend et est la même” de ce philosophe ancien dit “l’obscur” qui convoque les dieux au coin de son âtre. Char désigne, lui, l’humble carreau de la fenêtre :
Pures pluies, femmes attendues
La face que vous essuyez,
De verre voué aux tourments,
Est la face du révolté ;
L’autre, la vitre de l’heureux
Frissonne devant le feu de bois.
Je vous aime mystères jumeaux,
Je touche à chacun de vous ;
J’ai mal et je suis léger.
la tension de l'arc
L'obsession de la moisson et l'indifférence à l'Histoire sont les deux extrémités de mon arc.
la densité de la foudre
L'éclair me dure.
Héraclitéen, certes, dans l’usage terrien des mots et le concret des moments de vie. On peut aussi l’imaginer devisant dans le jardin d’Épicure : un René Char, philosophe en son jardin.
Car il faut avoir longuement observé la terre et la rivière pour nommer le serpent, le lézard, le rouge-gorge, la truite,
Rives qui croulez en parure
Afin de remplir tout le miroir
Gravier où balbutie la barque
Que le courant presse et retrousse,
Herbe, herbe toujours étirée,
Herbe, herbe jamais en répit,
Que devient votre créature
Dans les orages transparents
Où son cœur la précipita ?
avoir quotidiennement surveillé la pousse des végétaux
Si les pommes de terre ne se reproduisent plus dans la terre, sur cette terre nous danserons. C’est notre droit et notre frivolité.
On n’enfonce pas son pied dans la source
Pour paraître l’égal de l’amandier
...Jadis l’herbe avait établi que la nuit vaut moins que son pouvoir, que les sources ne compliquent pas à plaisir leur parcours, que la graine qui s’agenouille est déjà à demi dans le bec de l’oiseau. Jadis terre et ciel se haïssaient, mais terre et ciel vivaient....
Salut, poussière mienne, salut d’avance, joyeuse, devant les pattes du scarabée.
Les premiers dialogues entre langue et peinture vont s’écrire dans la fréquentation de Corot, de Courbet, de Georges de la Tour ; Char a dit sa reconnaissance à ce dernier dont la reproduction du Prisonnier l’accompagna dans le maquis et par la suite, jusqu’au terme final.
Il relate dans La Fontaine narrative une rencontre nocturne avec une inconnue alors qu’il vient d’achever un “poème qui (lui) a beaucoup coûté”
Madeleine à la veilleuse
Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour fouler l’évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais pas sous votre main si jeune la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins avides que moi, retireront votre chemise de toile, occuperont votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d’huile se répandra par le poignard de la flamme sur l’impossible solution.
Dommage que les beautés obscures s'enlisent dans le bric-à-brac surréaliste, dans des pages aux pans aussi lisses que des parois à pic... Parfois, le lecteur doit-il craindre une incompréhension définitive ? À moins que....
Dans le tohu bohu surréaliste, l’hermétisme passait ; ce sera plus difficile quand, aux fureurs de jeunesse, s’ajouteront des préciosités et d’obscures, très obscures admonestations .
Fallait-il absolument écrire et faire éditer tel ou tel recueil qui, pour n’être point trop mince, demandait des ajouts comme autant de quincailleries inutiles, qui trouent les derniers livres, pour vendre, pour vivre ?
Et si peu d’humour ! Ne passons point sous silence ; cependant, allons au-delà.
Il est de grands cris
Placard pour un chemin des écoliers
Enfants d’Espagne, — ROUGES, oh combien, à embuer pour toujours l’éclat d’acier qui vous déchiquète ; — À vous.
C’est écrit en mars 1937
Le Placard s’achève sur une tendre et grave balade, Compagnie de l'écolière
Je sais bien que les chemins marchent
Plus vite que les écoliers
Attelés à leur cartable
Roulant dans la glu des fumées
Où l'automne perd le souffle
Jamais douce à vos sujets
Est-ce vous que j'ai vue sourire
Ma fille ma fille je tremble.
N'aviez-vous donc pas méfiance
De ce vagabond étranger
Quand il enleva sa casquette
Pour vous demander son chemin
Vous n'avez pas paru surprise
Vous vous êtes abordés
comme coquelicot et blé
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il tient entre les dents
Il pourrait la laisser tomber
S'il consent à donner son nom
À rendre l'épave à ses vagues
Ensuite quelque aveux maudit
Qui hanterait votre sommeil
Parmi les ajoncs de son sang
Ma fille ma fille je tremble
Quand ce jeune homme s'éloigna
Le soir mura votre visage
Quand ce jeune homme s'éloigna
Dos voûté front bas et mains vides
Sous les osiers vous étiez grave
Vous ne l'aviez jamais été
Vous rendra-t-il votre beauté
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il gardait à la bouche
Savez-vous ce qu'elle cachait
Père un mal pur bordé de mouches
Je l'ai voilé de ma pitié
Mais ses yeux tenaient la promesse
Que je me suis faite à moi même
Je suis folle je suis nouvelle
C'est vous mon père qui changez.
Il est vrai que dans le même Placard, il est des jouets étranges qui tiennent de la quincaillerie évoquée plus haut.
Il nous faudra, avec Célia, six ans et Noémie, neuf ans, tenter à voix haute l'Exploit du cylindre à vapeur.
N’y aurait-il qu’une lecture à sauver - le livre à emmener sur l’île déserte ?
Ce sont les Feuillets d’Hypnos, les carnets de maquis, édités en 1946 - Char avait, de 1940 à 1944, décidé le silence - qui questionnent la nécessaire et juste violence, dont la concision devrait inspirer les plumitifs va-t'en guerre et autres guérilleros trop bavards.
couverture pour le cahier de L'Herne - 1971
Cet homme m’a aidé à me tenir debout.
Je rêve d’un pays festonné, bienveillant, irrité souvent par les travaux des sages en même temps qu’ému par le zèle de quelques dieux, aux abords des femmes
Le 45e feuillet d’Hypnos.
Le post-scriptum qui aussi une brève (!) bibliographie et plus...
• René CHAR, Œuvres complètes, introduction de Jean Roudaut, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
• En Poésie/Gallimard, au moins neuf recueils.
• Sur l'œuvre, depuis les années cinquante, beaucoup d’approches avec des visées très différentes : de Greta Rau (1957) à Paul Veyne (1990) en passant par............................etc.
• Sur l'homme, une biographie récente de Laurent Greilsamer, L'éclair au front, chez Fayard, en 2004
L’ensemble peut - fera - l’objet d’une chronique ultérieure. Pourquoi pas ?
• Pierre Boulez a composé des musiques sur le Marteau sans maître et le Soleil des eaux
• Terres mutilées, montages de textes, dits et chantés, par Hélène Martin.
Mais, l’incontournable qui m’a ouvert les chemins de la poésie et de la littérature en tous ses états :
• Georges MOUNIN, La communication poétique, précédé de Avez-vous lu Char ?, les Essais CXLV, NRF Gallimard, 1947, réédité en 1969.
En espérant qu’il ne soit point épuisé.
• La Toile se prête à la littérature aphoristique et au voisinage des poètes et des peintres : René Char se dissémine - se dissimule (!) - sur pas mal de sites, blogues et groupes de discussions.
• Pour entendre Char dit par d’autres que par lui-même, un nom, un seul : Laurent TERZIEFF.
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dimanche, 06 février 2005
En triant des papiers
« Le dévot est ouvert à toute pratique pourvu qu'elle reçoive l'aval d'une autorité qui, si l'on peut dire, lui donne cours : une réalité, considérée comme impie, sera aussitôt adoptée si le juriste lui assure que "ça se fait", le policier que "c'est permis", le médecin que "c'est conseillé", le philosophe que "c'est rationnel" ! »
Clément Rosset
Jetée sur une feuille volante, sans date, ni référence. Dommage !
Éloignons-nous des dévôts !
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samedi, 05 février 2005
En écho à Cadou
...Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfoncé
Dans la poitrine ce goût de vivre comme un clou rouillé
René Guy Cadou
Après Dieu, le déluge
L'héritage fabuleux
in Hélène ou le règne végétal
Quand "l'attentive" poursuit la lecture et nous donne le fétu d'un "Pater noster" peu orthodoxe.
16:45 Publié dans Cadou toujours, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
vendredi, 04 février 2005
Petite chronique d’un vendredi ordinaire
C’est le vendredi matin qu’au bourg, sur la place de l’Église, s’installe le marché.
Je ne déroge point à mes habitudes, je monte au bourg, c’est le jour de la brioche et du Monde des Livres.
Un tout petit marché ! Le charcutier, les poissonnières, le marchand des “quatre-saisons”, le crèmier, la fleuriste et le marchand de brioches.
Ce matin, odeur chaude et beurrée de la galette qui s'étale sur la tuile de fonte brûlante : s’est installé un nouveau marchand de galettes. Tiendra-t-il ?
On s’y rencontre et on cause.
Vu Jd.
Nous évoquons le riche week-end nantais passé : la Folle Journée, Debray à l’espace LU, le savoir, la croyance et l’Europe, le concours hippique de la Beaujoire, nos élus municipaux et la vie associative, l’avenir de notre coopération avec nos amis baalinkés.
J’achète trois boudins et échange propos de saveurs avec le charcutier sur l'art du boudin ; je trouve que trop de viande et pas assez de sang assèchent. Il en convient, me disant que naguère : "C’était un tiers de sang, un tiers d’oignon, un tiers de gras".
À l’étal des “quatre-saisons”, propos sur une poire métisse : demi-Comice, demi-Passe-Crassane, ça donne l’Angélys, le juteux de l’une, le fondant de l’autre sans le grain. J’en prends six. À goûter !
Trois galettes pour voir si la pâte n’a pas trop de froment ajouté !
Le marchand de brioche me piège avec un sachet au contenu brun indécis ; il me dit que ça me rappellera des souvenirs : je tâte, soupèse, j’opte pour de la semoule de millet.
Nul ! C’est du sable du désert nigérien !
Je lui décris mes quinze jours dans un épais brouillard de sable rouge ; c'était à Biskra au printemps 1963 : la fine poussière sur les meubles à l’intérieur des demeures, les vêtements rosis, les dents qui crissent, les cils épaissis !
Dans le Monde des livres, où, c’est vrai, sévit de moins en moins madame Josyane Savigneau, la “chèvre-émissaire” de certains intellectuels blogant sur la Toile - ils en font un Saint-Just littérateur en jupons -, Catherine Bédarida présente “Un duo d’amour et d’écriture”, Jocelyne et Abdellatif Laâbi, qui, ce matin, étaient les invités de France Cul. Lui, interrogé sur l’absence de haine dans ses écrits de prison, répond sobrement : « La haine, elle est dans l’autre ! »
Plus bas, un entretien de Patrick Kéchichian avec une dame philosophe, Catherine Malabou, auteur(e !) d’un livre au titre qui me laisse dans un beau songe, La Plasticité au soir de l’écriture. À beau titre, belle notion : la Plasticité !
Je crains l’ardu d’une lecture qui me renvoie à un autre titre qui gît sur ma table, La parole muette, essai sur les contradictions de la littérature, de Jacques Rancière. Faudra du temps pour saisir la faille !
De ce même Rancière, j’ai tant aimé l’utopie de l’émancipation intellectuelle dans le Maître ignorant et la nostalgie de l’union avec le Peuple dans Courts voyages au pays du peuple.
Quand je passerai par la rue des Olivettes, je me mettrai en quête de l’enseigne “MeMo", passage Douard : on y fait de la belle ouvrage pour les enfants. Depuis dix ans, ça a beaucoup bougé dans l’édition nantaise. Mais je ne suis plus guère dans le circuit du livre. "La lecture et les bébés" fut mon chant du cygne en littérature de jeunesse dans les années quatre-dix commençantes !
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mercredi, 02 février 2005
Un homme dru
À propos de René Guy CADOU
encore
C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.
Les dernières lignes du livre de Manoll, consacré à Cadou et cité avant-hier, sont un raccourci de l’ouvrage : un poète écrivant sur un poète ; et surgit souvent un trop poétique qui peut vite glisser du côté des petits oiseaux des fleurs et des récitations d’école primaire. Un trop poétique et un lyrisme métaphysique qui longtemps vont coller aux écrits de Cadou.
Les chapelles, conjugale et amicale, qui l’entourent et veillent sur l'héritage, ne contribueront-elles point à façonner la légende d’un poète trop diaphane ? L’on sait que, pendant des années, ne pas être conforme aux discours de l’une ou l’autre chapelles vous faisait écarter des sources et archives.
Entre l’adhésion communiste et le lyrisme célébrant le Divin, il y eut quelques silences, suivis de débats feutrés.
D’une intense sensualité dans de nombreux textes, le corps de Cadou se tait dans les approches critiques qui suivront sa mort.
Madame Cadou n’est certes point une veuve abusive : on peut, cependant, se demander si, dans sa vigilance de légitime légataire, elle ne souhaita point une sorte de béatification pour son diable de mari.
L’anonyme lecteur n’a sans doute que faire de ces maigres interdits, de ces censures inavouées. Une longue et solitaire lecture du poète lui est une provende abondante.
Mais vient un temps où des éclairages biographiques autour d’écrits non publiés - ébauches romanesques, correspondances - favorisent une compréhension plus intime, sans tenir du voyeurisme : le vin, la nudité, les bêtes de la terre s’épanouissaient dans les horizons de l’homme Cadou.
Un premier colloque en 1981, celui de novembre 1998 indiquent que l’entr’ouvert s’élargit. Mais fallait-il donc attendre le sérieux (!) et l’autorité de l’Université pour ce faire ?
Cadou était lyrique, tendre et dru.
Je pense à toi qui me liras dans une petite chambre de province
Avec des stores tenus par des épingles à linge
Bien entendu ce sera dans les derniers jours de septembre
Tu te seras levé très tôt pour reconduire
Une vieille personne qui t’est chère avec son vieux sac de cuir
Tu auras peur soudain et tu rentreras dare-dare
« Mon Dieu pardonnez-moi d’être sans volonté
« Je suis malade de luzerne et je fréquente les cafés
« J’ai bu bien davantage que de coutume des absinthes
« Mais Bernadette et Sœur Chantal sont mes Saintes »
Tu t’assiéras dans le jour maigre et tu liras
Mes vers « O mon Dieu se peut-il que ce poète
« Me mette des douleurs de ventre dans la tête
« Que je m’enfante et que je vive en moi comme un posthume enfant
« Qui souffre de rigueur et renifle en plein vent »
Et le Seigneur dira : Bénis soient de la gare
Les bistrots pour t’avoir redonné la mémoire.
Pour plus tard
in “Hélène ou le règne végétal” - 1948
15:15 Publié dans Cadou toujours, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 01 février 2005
René Guy CADOU
L’histoire de ce livre commence sans doute quand naît le rédacteur de cette chronique :
À la devanture d’un libraire, une pauvre devanture, parmi des gravures de mode et gros in-folio, de petits livres de poèmes couverts de papier cristal et de grandes feuilles manuscrites.
Je n’ai pas honte de mes culottes courtes et j’entre. Il y a des colombes qui volètent dans le magasin, un long jeune homme nourri de cigarettes aux doigts brûlés.
Mon enfance est à tout le monde
Voici comment Cadou rend compte de sa première rencontre avec Michel Manoll. C’était pendant l’hiver 1936.
C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.
Voilà comment Michel Manoll achève le livre qu’il consacre à Cadou dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.
Entre 1936 et 1954 : une vie d’instituteur et poète qui s’achève en mars 1951 et un livre que le libraire, poète et ami consacre à celui qu’il guida, conseilla sans doute et accompagna.
Une biographie suivie d'un choix de textes, parmi les recueils déjà publiés et beaucoup d’inédits ; en hors-texte, des portraits, photographies, dessins et documents.
C’est un essai conforme à ceux publiés alors dans la collection concue par Pierre Seghers : rédigé par un poète où le fil conducteur de la biographie s’enrichit de nombreuses citations illustrant des commentaires littéraires.
C’est le dépliant publicitaire de ce livre que l’adolescent que je suis, a entre les mains, cet après-midi de juin 1954.
Acquis le 4 janvier 1955, le livre porte sur la page de garde en exergue : En un beau jour d’amitié...
La lecture de Cadou sera, pour moi et pour longtemps, du côté des amitiés, de l’amour, du pain quotidien, des campagnes d‘ouest, des pommiers à cidre et des vents d’ouest, des jeunes filles nues aux croisées de fenêtres, des balades dans la Nantes d’après-guerre, une “forme de la ville” pré-gracquienne, des auberges au vin frais et des gares perdues.
Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu’à la margelle de mon établi
Je veux chante la joie étonnament lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre le ciel
Et que tous les paysans viennnent voir ce miracle d’un homme qui grimpe après les voyelles
...................................................................
Le chant de solitude
Anthologie sera la rose des vents pour les poètes à découvrir, à lire :
Max Jacob ta rue et ta place
Pour lorgner les voisins d’en face !
Éluard le square ensoleillé
Un bouquet de givre à ses pieds !
Jouve ! c’est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche
Léon-Paul Fargue ! La musique
D’un triste fiacre mécanique !
Blaise Cendrars ! Apollinaire !
Le bateau qui prend feu en mer
Reverdy ! la percée nouvelle
Les éléments comme voyelles !
Le remue-ménage cosmique
De Saint-Pol-Roux-le-Magnifique !
Boulevard Jules Supervielle
Noë la Fable et les gazelles !
Vladislas de Lubics-Milosz
Les clefs de Witold dans sa poche !
Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme !
Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d’Elsa tout au fond !
Cocteau la neige la roulotte
L’ange amer qui se déculotte !
Paul Claudel ! filleul de Rimbaud
Cinq grandes odes cent gros mots !
Mais aussi mon Serge Éssénine
Ce voyou qui s’assassina
Et la grande ombre de Lorca
Sous la pluie rouge des glycines !
À qui s’en prendre désormais
pour célébrer le mois de mai ?
Hélène ou le règne végétal
(1949)
Ma vie, mes amitiés, mes amours, mes lectures, seront souvent de plain-pied dans le flux des métaphores accroissant émotions, suscitant regards neufs, libérant une parole autre.
Aujourd’hui, mes lectures m’emmènent du côté du sang, des lampes, des corridors où rôde la camarde, de la sécheresse ardente de ces chroniques brèves : Burger, le Diable et son train, Pacifique Liotrot,
............................................................
Il est debout dans sa jeunesse et il s’habille
De velours vert avec des boutons qui brillent
Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château !
Qu’est-ce qu’il porte là dans ses deux mains brisées ?
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.
de ces autres encore : Rue du sang, Sainte Véronique, Mourir pour mourir, Saint Thomas,
Poète ! René Guy Cadou ?
Mais montrez-moi trace des clous !
Montrez l’eau vive où il s’abreuve
Montrez rabots et planches neuves !
Montrez-le-moi sur le sentier
Larron avec le fer aux pieds !
....................................................................
Bègue à moitié navré transi
Montrez-le-moi quand il écrit
Ces mots à tort et à travers
Pareils aux vagues de la mer
Ce n’est que depuis quelques années qu’une des rares obscurités de Cadou, désormais, pour moi fait sens :
J’écris pour des oreilles poilues, d’un amour obstiné qui saura bien, un jour, se faire entendre.
Usage interne 1946-1949
Post-scriptum en guise de bibliographie :
RENÉ GUY CADOU, Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, préface de Michel Manoll, Paris, Éd. Seghers, 1997, 475 p.
Christian MONCELET, René Guy Cadou - Les liens de ce monde, collection Champ poétique, Éd. Champ Vallon, 1983, 246 p.
Colloque René Guy CADOU, un poète dans le siècle, novembre 1998, Université de Nantes, Éd. Joca Seria, 1999, 300 p.
Un DVD
René Guy CADOU, de Louisfert à Rochefort-sur-Loire, film de Jacques Bertin, distribué par Velen
00:40 Publié dans Cadou toujours, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (4)
lundi, 31 janvier 2005
Pour prendre l'air, une dernière fois
Vincent Riou ne pousse-t-il point trop son option Nord. Il serait, cette nuit, à la lattitude de l'estuaire de ma Vilaine bien-aimée.
Par 47°31.00' N et 17°32.08' W
Oh ! Vincent !
Dumet et Yeu ne sont pas des marques de parcours à laisser sur tribord !
Le roi Jean ou, toi, le grand dauphin ?
Dac'hlmat, Breuded Penn ar Bed !
Tenez bon, les Finisterriens !
05:35 Publié dans les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
Croire ? Savoir ? Va savoir !
Était-il venu en voisin de Ludwig Van ?
Régis Debray était à l'Espace LU, ce dimanche soir, invité par l’association Philosophia, pour causer sur “La Croyance” ; il avait proposé ce titre : "J'y crois, j'y vais ".
Dans la glane, cette idée que les églises et autres organisations religieuses - systèmes, communautés, etc - seraient "des appareils à rafraîchir les croyances", évitant ainsi les dérives fanatiques et sectaires.
Sur l'Europe, lors du débat qui suit l'intervention : peut-on "croire" en une Europe bâtie sur une procédure, la fameuse Constitution ?
Sur l'enseignement du fait religieux - c'est quand même un peu son "fonds de commerce" - il a mentionné les réticences qu'éprouvaient les philosophes à être catéchisés - je fais dans le raccourci ; mais il était difficile de ne pas songer à la rogne laïque de Onfray, jeudi dernier, dans le "7 à 9" de France Cul.
Il va me falloir faire avec ces contre-courants dans l'estime que je porte à l'un et à l'autre.
Confronté pour la seconde fois à des commentaires peu amènes - c’est parfois peu dire - et surtout anonymes.
Réaction sans doute vive : j’efface !
Quel est l’usage sur la Toile ?
D’autres semblent souvent confrontés à cette situation. Sans prétendre à leur renommée, le rédacteur quelconque - traduction très lâche de grapheus tis en grec ancien - ne voudrait point renoncer à l’incommodité que propose Vaneigem : Rien n’est sacré, tout peut se dire.
Mais l’anonymat de la signature - aucune référence à une adresse électronique, mèl ou site qui autoriserait une réponse instantanée et directe, dialogue ou affrontement - me fait renvoyer ces commentaires à des pratiques d’humanoïdes corvidés ou de chiens errants.
Ma première aventure, ce fut en décembre, le commentateur estimait (!) le "blogue nul tenu par un vieux con”. Soit, soit !
C’était signé “Dieu” : ça m’a bien arrangé. J’ai pris ma balayette et effacé la divine crotte.
05:20 Publié dans Les blogues | Lien permanent | Commentaires (4)
dimanche, 30 janvier 2005
Durant la Folle Journée
Bien de la tradition dans tout ça !
Un éclair et beaucoup d'émotion : un long jeune homme à la longue chevelure qui joue la (!)Clair de lune et l'Appassionata comme un beau rocker.
Les trente-deux sonates pour une seule vraie folle journée avec ce pianiste-là, je veux bien !
Frank Braley ! Je serai à l'affût dans les bacs des seuls disquaires (?) qui nous restent.
Ah si ! Un violoniste, David Grimal, qui dans le concerto pour le dit instrument parvient à balancer merveilleusement les aigus tout en arrière de l'orchestre, jusque dans les cintres.
Jamais entendu cela avant ! Une joie !
La génération "rock" ravale allègrement le "jeune" Beethoven.
05:10 Publié dans Les musiques | Lien permanent | Commentaires (2)
mercredi, 26 janvier 2005
Salut ! Robert !
...je relevai la robe de soie noire dont elle s'était débarrassée. Nue, elle était nue maintenant sous son manteau de fourrure fauve. Le vent de la nuit chargé de l'odeur rugueuse des voiles de lin recueillie au large des cotes, chargé de l'odeur du varech échoué sur les plages et en partie desséché, chargé de la fumée des locomotives en route vers Paris, chargé de l'odeur de chaud des rails après le passage des grands express, chargé du parfum fragile et pénétrant des gazons humides des pelouses devant les châteaux endormis, chargé de l'odeur de ciment des églises en construction, le vent lourd de la nuit devait s'engouffrer sous son manteau et caresser ses hanches et la face inférieure de ses seins. Le frottement de l'étoffe sur ses hanches éveillait sans doute en elle des désirs érotiques cependant qu'elle marchait allée des Acacias vers un but inconnu. Des automobiles se croisaient, la lueur des phares balayait les arbres, le sol se hérissait de monticules, Louise Lame se hâtait.
Robert Desnos
La Liberté ou l'Amour
Les profondeurs de la nuit
Belle manière d'assècher la Camarde !
06:20 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 25 janvier 2005
Robert DESNOS, le cinquième des...
.
... quatre sans cou
Quand ils mangeaient, c'était sanglant,
Et tous quatre chantant et sanglotant,
Quand ils aimaient, c'était du sang.
Quand ils couraient, c'était du vent,
Quand ils pleuraient, c'était vivant,
Quand ils dormaient, c'était sans regret.
Quand ils travaillaient, c'était méchant,
Quand ils rodaient, c'était effrayant,
Quand ils jouaient, c'était différent,
Quand ils jouaient, c'était comme tout le monde,
Comme vous et moi, vous et nous et tous les autres,
Quand ils jouaient, c'était étonnant.
Mais quand ils parlaient, c'était d'amour.
Le plus grand parmi les rêveurs, écrivit André Breton dans le premier Manifeste du surréalisme :
“La prodigieuse agilité qu'il met à suivre oralement sa pensée nous vaut autant qu'il nous plaît de discours splendides et qui se perdent, Desnos ayant mieux à faire qu'à les fixer. Il lit en lui à livre ouvert et ne fait rien pour retenir les feuillets qui s'envolent au vent de sa vie”.
Il poursuivra dans les Pas perdus et dans les Entretiens radiophoniques avec André Parinaud (de mars à juin 1952), soulignant la capacité prodigieuse de Desnos à “se transporter à volonté, instantanément, des médiocrités de la vie courante en pleine zone d’illumination et d’effusion poétique”.
Grand joueur de mots
Pourquoi votre incarnat est-il devenu si terne , petite fille dans cet internat où votre œil se cerna ? Rrose Sélavy
Tour à tour, commis-droguiste, secrétaire dans une maison d’édition, comptable, courtier en publicité, caissier, journaliste, pigiste, journaliste à la radio, réalisateur avec Paul Deharme de la célèbre émission radiophonique La grande complainte de Fantomas, musique de Kurt Weill, Antonin Artaud pour la direction dramatique et le rôle de Fantomas.
Il aima le cinéma et lisait des bandes dessinées.
Il osa le Corsaire Sanglot et se fit censuré, en 1927, par le Tribunal correctionnel de la Seine
Tes lèvres font monter des larmes à mes yeux ; tu couches toute nue dans mon cerveau et je n’ose plus dormir.
La Liberté ou l’Amour
Il aima. Parfois deux amours à la fois, au moins une fois !
Dans la nuit il y a les étoiles et le mouvement ténébreux de la mer, des fleuves, des forêts, des villes, des herbes, des poumons de millions et millions d'êtres.
Dans la nuit il y a les merveilles du monde.
Dans la nuit il n'y a pas d'anges gardiens, mais il y a le sommeil.
Dans la nuit il y a toi.
Dans le jour aussi.
Les espaces du sommeil
Parfois, il ne fut pas aimé et
The night of the loveless nights
ce fut son Bateau ivre à lui
Nuit putride et glaciale, épouvantable nuit,
Nuit du fantôme infirme et des plantes pourries,
Incandescente nuit, flamme et feu dans les puits,
Ténèbres sans éclairs, mensonges et roueries.
Qui me regarde ainsi au fracas des rivières ?
Noyés, pécheurs, marins ? Éclatez les tumeurs
Malignes sur la peau des ombres passagères,
Ces yeux m'ont déjà vu, retentissez clameurs !
Le soleil ce jour-là couchait dans la cité
L'ombre des marronniers au pied des édifices,
Les étendards claquaient sur les tours et l'été
Amoncelait ses fruits pour d'annuels sacrifices.
Il fut grand enfant pour les enfants
Le blaireau
Pour faire ma barbe
Je veux un blaireau,
Graine de rhubarbe,
Graine de poireau.
Par mes poils de barbe !
S'écrie le blaireau,
Graine de rhubarbe,
Graine de poireau,
Tu feras ta barbe
Avec un poireau,
Graine de rhubarbe,
T'auras pas ma peau.
Ce sont Chantefables et chantefleurs
à faire lire par les grands-pères pour toutes les Noémie et Célia du voisinage.
Devenant le poète clandestin
Il fut Cancale, parigot à l’argot de maquereau
C'est tarte, je t'écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser
Il fut Valentin Guillois pour célébrer les armes de justice et la fraternité de ceux qui les prirent.
Et bonjour quand même et bonjour pour demain !
Bonjour de bon cœur et de tout notre sang !
Bonjour, bonjour, le soleil va se lever sur Paris,
Même si les nuages le cachent il sera là,
Bonjour, bonjour, de tout cœur bonjour !
Il fut arrêté par la Gestapo, le 22 février 1944.
Il “fit” Fresnes, Compiègne, Auschwitz, Buchenwald, Flossenburg, Flöha.
À Térézine, il vécut, quelques jours, libre et à l’agonie.
.... J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché.................
Je crois bien que c’est Cadou qui me mena à Desnos.
J’étais dans mes années de merde et de feu à Tamloul et l’arme que j’avais, en mains, n’était point de justice : nous tentions d’être propres.
Depuis 1956, les lieux que j’habitais n’avaient pas de librairies, mais la Poste délivrait encore les paquets de bouquins au fin fond de la forêt tropicale et jusqu’aux secteurs postaux des pitons d’Algérie.
Dans le dernier cahier de certains “Poètes d’aujourd’hui”, Pierre Seghers écrivait : “Demandez à votre libraire habituel de faire, lui aussi, un effort en faveur des poètes. Commandez-lui nos ouvrages. Si nous n’avez pas de librairie à votre disposition, écrivez-nous”.
Depuis cinq ans, je lui écrivais et il m’envoyait les poètes.
C’était un temps déraisonnable !
ROBERT DESNOS, c’était une première de couverture, blanche avec des lettres noires, qui rompait avec les autres bouquins de la collection.
Comme un livre de deuil !
C’était le n°16, une édition nouvelle, avec une étude de Pierre Berger. Dans un avertissement cet homme se défendait d’avoir fait un essai. « La seule ambition de son auteur est d’avoir fait acte de camaraderie.
Il ne s’agit donc pas de littérature. D’ailleurs Desnos détestait cela. »
Un livre de “copain” !
Il entrelaçait la vie quotidienne d’un Desnos aux petits métiers, grandes misères et les nuits fabuleuses, les amours, les querelles, les injures du grand bazar surréaliste.
N’était pas encore venu le temps de la sémiologie, de la stylistique, des thèses.
Berger rapporte deux faits :
Après l’arrestation de Desnos, lors d’un dîner en ville entre un haut-fonctionnaire, des écrivains et journalistes de la presse du moment (!), un dénommé Alain Laubreaux hurle à propos de Desnos :
« Pas déporté... vous devriez le fusiller. C’est un homme dangereux, un terroriste, un communiste.»
Berger poursuit
“Alain Laubreaux est actuellement chez Franco.
Mais SI ON LE REPREND...”
C’était en 1949.
Laubreaux est-il encore vivant ?
Le second fait est rapporté par André Verdet, poète et compagnon de déportation :
“À Auschwitz, devant la chambre à gaz, les dix-huit cents camarades du transport attendaient la mort. Abrutis de fatigue, de faim, d’angoisse, la plupart demandaient qu’elle vint vite. Tout à coup il se passa quelque chose : un homme parcourait furtivement les rangs du bétail, prenait les mains de chacun..., examinait les lignes de vie et de chance, prédisait une existence longue et heureuse, la fin des misères, prophétisait encore... C’était Robert Desnos”.
Je ne sais qui est Pierre Berger, il a écrit dans la même collection une introduction à Pierre Mac Orlan, à René Char.
Vous avez le bonjour de Robert Desnos !
Post-scriptum
Le rédacteur du blogue, très troublé par le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis, a modifié l’ordre de parution de ces retours sur les “POÈTES D’AUJOURD’HUI”, qui devaient suivre l’ordre de ses découvertes. Cette nuit-même, est projeté en continu, sur une chaîne nationale, SHOAH de Claude Lanzman.
Le temps de mon enfance fut le temps des assassins :
Robert Desnos,.
arrêté le 22 février 1944, mort à Térézine, le 8 juin 1945.
Max Jacob,
arrêté le 24 février 1944, mort au camp de Drancy, le 5 mars 1944.
Précédés par
Federico Garcia Lorca, fusillé à Viznar près de Grenade, le 19 août 1936
Sangs féconds
Pour lire Robert Desnos aujourd'hui
• 3 recueils dans Poésie/Gallimard
• Des liens
- œuvre et biographie de Desnos
- Desnos déporté
- Desnos célébré (!)
- Desnos chanté
- Desnos chanté bis
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