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lundi, 24 janvier 2005

Et si l'on revenait au début ?

Poézibao, le beau blogue de Florence Trocmé m’a donné quelque idée pour une chronique régulière, hebdomadaire.
Partager “mes” poètes, mon cheminement de lecteur, mon intérêt pour la chose éditoriale.
Le développement de Poésie/Gallimard, plus de trois cents titres, l’anthologie en “jeans” de Delvaille, celle, plus maigre, du jeune Espitallier, les naissances et morts des revues traditionnellement sur papier ou “en ligne” permettent, à ce jour, de mesurer la vie en expansion ou en régression du poème ; je ne sais si la mémoire culturelle a déjà exercé son tri et retenu les 10% de ce que, habituellement, elle estime de valeur.

Il est des gens fort intéressants qui font, ces temps, paraître de doctes livres sur la lecture et le lecteur : entre autres, Alberto Manguel avec Une histoire de la lecture et son Journal d’un lecteur.
Ce sont d'excellents guides routiers pour grande littérature, mais qui se rapprochent plus du manuel pour fins lettrés - ainsi Lanson en son époque - et se tiennent dans l'espace susdit de la mémoire culturelle.

Je connais des lectrices et des lecteurs qui n’ont point attendu la parution de ces ouvrages pour, depuis plus de vingt ans, pratiquer cet exercice qu’en jargon pédagogique nous nommons “l’autobiographie du lecteur”.
ET l'on s'y retrouve à des milles des horizons lettrés.

Son apprentissage terminé sachant lire, sachant surtout pourquoi il lit, le lecteur commence un lent et long - ce que je lui souhaite - labeur d’autodidaxie, enrichi, appauvri, régénéré, selon, par ses rencontres avec la famille, les instituteurs, les bibliothécaires, les journalistes, les professeurs de collège de lycée, d’université, avec les bons et, tout autant, avec les mauvais.
Pour certains - beaucoup ? -, la trilogie professorale n’aura été qu’une maison très éloignée
Plus que le lecteur lettré, ce lecteur hors des classes aura pratiqué le “lire : un braconnage” de Michel de Certeau.
Lecteur solitaire, il est un farouche libertaire et son mutisme peut fort bien se comprendre comme un vigoureux bras d’honneur au magistère de toutes littératures.

Intimement, cette autoformation - la “face nocturne” de la formation, dirait Gaston Pineau - se construit dans l’affrontement de son questionnement de vie avec les écrits lus et comparés....

Ce blogue est celui d’un lecteur qui depuis qu’il fut alphabétisé, exerce quasi quotidiennement son “braconnage” de liseur, au gré des bonheurs, des rages, des passions, des ennuis.
Peu me chaut la rigueur de la critique - un lapsus m’a fait saisir la “crotique” , “o” trop proche de “i” sur le clavier !-
Il ne s’agira point, ici, de valeur littéraire ; plutôt de goûts : de bons mais aussi de mauvais goûts. S’agira-t-il de littérature ? de poésie ?
Je ne sais. D’écrits, oui, avec certitude.

J’ai commencé ce chemin consciemment, j’avais sept ans ? huit ans ?
Le tout premier ? Le Moricaud par Amélie Perronnet, à la Librairie d’Éducation de la Jeunesse, sans date ; c’était, je crois, le Premier prix d’Écriture de Augustine-Marie Bretaudeau, ma grand-mère.

La récitation de l’école élémentaire n’a laissé que peu de traces ; dans les années cinquante, c’est l’entrée dans cet écrit qu’est le poème : de Charles d’Orléans à Rimbaud, mais à la sauce des bons pères.
De la poésie propre, nette, pure, plus encore pour l’exercice de mémoire que pour le travail sur la langue. Poésie du décor !

Je pris le maquis en classe de seconde, je devais avoir dix-sept ans. J’avais, cependant, soumis à la signature du préfet de discipline, un homme ouvert, lettré, passionné de Racine et de La Fontaine, un livre acheté avec l’argent de poche que ma mère me remettait pour acquérir les classiques Larousse ou de Gigord à la procure du lycée ; j’avais rogné sur l’achat des dits classiques. Je posais le livre sur son bureau : la signature fut apposée, non sans réticences, avec beaucoup de recommandations quant à ma fréquentation future de cet auteur : c’était Paul Claudel, Cinq grandes Odes. Acheté chez Beaufreton, passage Pommeraye.

Je lus, ivre :

Possédons la mer éternelle et salée, la grande rose grise ! Je lève un bras vers le paradis ! je m’avance vers la mer aux entrailles de raisin !


Je me suis embarqué pour toujours !

Embarqué, je le fus. Mais si Claudel, le grand poète catholique, inquiétait mes maîtres, de quoi s’agissait-il donc dans la poésie contemporaine pour les effaroucher et laisser cois ?
Je ne soumis plus aucun de mes livres au “nihil obstat” de mes bons pères. J’entrais en lecture clandestine.
Et devins un familier, lors des sorties libres du jeudi, de la librairie du passage Pommeraye.

En juin 1954, m’échoit dans les mains un dépliant qui présente un poète nantais : quelques photographies, quelques poèmes en... vers libres. Je dois prendre le train pour Ancenis, j’attends l’heure, je vais m’asseoir sur un banc du Jardin des Plantes - je sais encore aujourd'hui lequel, je le revois de temps à autre. Je lis un poème. Les poèmes. Je ne suis pas ivre. Je suis ailleurs. Je ne me souviens plus de quels poèmes précisément ?
Oh, si ! Je me souviens d'un titre, Tristesse et de ce verset qui est mon entrée dans le poème contemporain :

Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s’éteignent
Pour qu’elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d’hiver les a longtemps muries



Cadou ne me quittera plus.

medium_cadou.4.jpgEn janvier 55 - cinquante ans déjà, non ? - j’ai, entre la grammaire grecque de Ragon et le manuel de psycho de Cuvillier, dissimulé dans mon pupitre de la salle d’études, un bouquin jaune, format 13x16 cm, René Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui n°41, aux éditions Pierre Seghers, 1954. Le poète, un jeune homme un peu joufflu, a “une clope au bec”.



En avril, le rejoint, au format identique, sous une couverture marron, le n°22. Le poète, un homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je l’ai choisi. C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau :
O monnaie d’hélium au visage lauré !

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Il faut bien les deux dictionnaires de tout bon élève de Classique A, le Bailly et le Gaffiot, pour dissimuler ce qui me semble une charge explosive.

Toute la lente appropriation du poème s’est bâtie sur ces deux livres : parce qu’il y avait alors un authentique éditeur de poètes, Pierre Seghers et qu’à la fin du René Char était relié un cahier, catalogue de l’édition qui offrait des avenirs insoupçonnés de lectures.

Quand, à l’automne, je partis pour la Côte d’Ivoire, ma cantine était lourde d’une bibliothèque naissante et j’avais en guise de viatique pour mes lectures désormais libérées de toute signature, une table d’orientation qui, d’un format plus grand, 19x14 cm, mais en couverture, de mise en page identique m’ouvrait l’espace du poème :
le Panorama critique des nouveaux poètes français
de Jean Rousselot
achevé d’imprimer le 26 mars 1953,
pour le compte des Éditions Pierre Seghers.


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Chaque mardi, je retirerai donc, du rayon où ils s'alignent, un d'entre ceux qui furent naguère.... les POÈTES D'AUJOURD'HUI.

vendredi, 21 janvier 2005

Quand le soleil est levé

Les matins de France Cul ? Noémie me dirait : « Papy, c'est "trop" ! »

Nicolas Demorand invite François Jullien : de la philosophie chinoise ravivant la philosophie occidentale et de l'idéogramme fécondant la linéarité alphabétique.
À lire donc, Nourrir sa vie qui sort "en poche" au Seuil, Points/essais.

(La Martinière n'a pas encore tout écrasé.)


Beaucoup de commentaires sur les ondes et dans la presse à propos du discours d'investiture du président américain : entre le creux ou le plein, il n'est pas facile de se situer.
Il a dit, c'est maintenant écrit :
"Notre objectif est plutôt d'aider les autres à parler de leur propre voix, obtenir leur propre liberté et tracer leur propre voie"

Le simple et modeste citoyen que je suis ne peut oublier qu'avec les amis américains, il ne faut effacer, ni Hiroshima et Nagasaki*, ni le Chili et Allende.

Alors les beaux mots d'un discours ?
Il faudrait sans doute, comme le propose Jullien, confronter notre linéarité alphabétique à l'ordre du "bas et haut" de la pensée idéographique.
Désaliéner la Bonté ?


* La mairie propose aux Nantais, jusqu'au 27 février, un événement (expositions, conférences, témoignages) :
Hiroshima 8 H 15
Nagasaki 11 H02


La pyramide des martyrs obsède la terre
écrit René Char.

10:35 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 18 janvier 2005

Prendre l'air

Des... qui n'ont point les bras raccourcis, ce sont celles* et ceux qui brassent les vents du monde. Les premiers du Vendée Globe sont déja sur le point de rentrer dans notre hémisphère.
J'avais un faible pour la simplicité rude de Jean Le Cam, mais le bizuth qu'est Vincent Riou est un sacré marin.

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Dac'hlmat, Breuded Penn ar Bed !

Tenez bon, les Finisterriens !
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* L'une d'elles, Anne Liardet, vraie "marine".

D’une légère escroquerie poétique

Début décembre, je trouvais en collection de poche une anthologie de la poésie française aujourd’hui, Pièces détachées d’un certain Jean-Michel Espitallier. Heureux de ma trouvaille, mince certes, je la mis dans mon panier, après avoir parcouru quelques textes. Roubaud, Stéfane, Tarkos, Hocquard, Prigent : ma foi !
J’eus quelques doutes avec Rossi et la dame Nathalie Quintane qui déjà m’avait roulé dans la supercherie d’un titre : L’Année de l’Algérie* (40 pages à 5 €, 0,125 € la page).
Chère, très chère page, quand je compare aux 36 € pour 1140 pages de quartiers de ON ! par onuma nemon, avec des images, des hors-texte, des vignettes en marge et un disque compact, en prime.
Enfin, j’aurai appris le mot occuré attaché, semble-t-il, à un herpès, et dont il faut sans doute chercher le sens dans un “dico” médical ; car ignoré dans le petit Robert et introuvable dans le Trésor de la Langue Française informatisé.

Revenant à Pièces détachées, il me faut aller à la septième page de la composition des trains - poétique, non, pour une introduction - pour apprendre que la sélection fut opérée à l’intérieur d’un corpus exclusivement constitué d’auteurs ayant publié au moins une fois dans la revue “Java” ; le “compositeur” excuse bien la minceur en qualifiant son anthologie “d’imparfaite cartographie...de Meccano multicolore...de trente-trois pièces détachées”.
N’empêche que la “cueillette des discours” n’est point immense brassée. Monsieur Espitallier est, sans doute, atteint d’un raccourci chronique des bras.

Ô la couverture en “jeans” de La Nouvelle Poésie Française ! En 1972, Bernard Delvaille “ne consacrait pas”, il “pariait”. Mais sur plus de quatre-vingt dix noms.
Je garde de cette moisson l’ami Daniel Biga, André Velter, James Sacré, Frank Venaille, Denis Roche, Georges Drano, Marc Cholodenko, Alain Borer...
Plus de trente ans déjà !

*Inventaire/Invention, pôle [ multimédia ] de création littéraire, revue en ligne qui assure “l’édition de textes courts”. Y sont édités, parfois, des gens que j’aime bien, que j’ai parfois fréquentés, de loin, de près, sur la Toile : François Bon, Cathy Barreau, Albane Gellée. On y retrouve un certain Jean-Michel Espitallier. Tiens donc !
C’est précis, propre. Un peu exsangue. Ça ressemble curieusement à une littérature d’atelier d’écriture**, quoi !
On semble vite avoir le souffle court dans les jeunes éditions.

** "De mon temps”, nous appelions prosaïquement cette activité : “stage d’expression écrite”. Il me faut me méfier ; je deviens peut-être un vieux con !
Pardon, Cathy ! Pardon, François Bon !

dimanche, 16 janvier 2005

Dans l'almanach

L'almanach du marin breton, bien sûr !
Pris hier chez "Sauve qui peut", mon accastilleur préféré. Avec une tentative de modernisation. Une tentative. Il est illustré de photographies aériennes des ports, certes utiles et lisibles, mais d'une tonalité verdâtre....
En guise de préface, une méditation épistolaire de Mr. Hervé Hamon sur horizon et large - manière sans doute de "mariniser" les citadins et les touristes qui, en achetant l'almanach, verseront à la bonne Œuvre du Marin Breton.


Pour éclaircir le sombre du "large", donc, connaître les heures de marée, identifier les feux et préparer les navigations à venir.

En prime, en haut de page - naguère, à chaque page - une sentence, un dicton, selon !
À croire que désormais, la littérature des Lumières circule dans les Foyers du Marin, c'est Diderot qui coiffe les pages 190-191 :

Le repos modéré rend à l'âme sa verve ; prolongé trop longtemps, il l'accable et l'énerve.

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On ne glisse point impunément de la morale catholique - et bretonne toujours - à l'éthique théiste.
Décidément, c'est du côté populaire que surgit la verve :
Quand le coq chante à la veillée, il a déjà la queue trempée !


À bon entendeur, salut.

Post-scriptum : J'aime bien l'almanach du marin breton.

samedi, 15 janvier 2005

Mémoire et souvenir

J’avoue être fort remué par le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis.
Deux documents, parmi d'autres, à l’appui de ce trouble :
j’ai revu hier soir Nuit et brouillard sur Antenne 2 et j'achève de lire le texte de Boris Cyrulnik, les Anges exterminateurs dans le Nouvel Obs de cette semaine.

J’avais neuf ans en 1945 ; au début de l’année 1946, les Frères de Ploermel nous avaient emmenés au musée des Beaux-Arts où était présentée une expo sur ce qu’on nommait alors la “Déportation”.
Je me souviens de cette visite parce que les images me renvoyaient à des bribes de paroles entendues dans les années de guerre et au malaise qui ronge encore ma tendresse pour mes parents bien-aimés.

...jusqu’aux effluves plus malsaines de pétainisme et d’antisémitisme qui affleuraient dans sa famille mais qu’il acceptera mal parce qu’il ressentait, tout môme, une injustice cruelle dans le sort auquel le petit peuple “catholique et nantais toujours” renvoyait ces gens qu’ils appelaient avec dédain les Juifs et, avec plus de mépris encore, les Youpins.

Il n’avait pas oublié une conversation sur le marché Talensac quand sa mère et d’autres s’étonnaient de ce que les Burons, - « Oui, vous savez, nos voisins, qui sont banquiers » - ne la portaient pas cette étoile jaune et que le curé de Saint-Similien avait osé dans son prône du dimanche assurer que le Christ était juif.
Il n’avait pas oublié le premier vieux monsieur accompagné d’un jeune enfant, croisés dans la rue, l’énorme étoile cousue, côté cœur, sur leurs manteaux.

Quelques mois plus tard, dans une certaine allégresse de libération quand les soldats américains lui donnent chocolat et chewing-gum, il pleure parce que, place Viarme, des hommes sur une estrade tondent violemment quatre femmes. Il ne comprend pas, mais il est révulsé par ces étoiles jaunes et ces crânes rasés. Plus tard encore sur le chemin de l’école, deux ou trois fois, il a croisé, au sortir du Palais de Justice, un homme encadré par deux gendarmes ; son regard s’est arrêté sur les poignets de l’homme menotté.

Sourd ressentiment de la violence et de l’humiliation...

dans les derniers § d' Algériennes.



Cette “ambivalence...au cœur de la condition humaine” que pose si fortement Cyrulnik, quand il glisse trois phrases sur le lynchage d’un milicien, me renvoie au projet d’une lecture publique, “Une heure avec...” que j’ai l’intention de faire à partir des Feuillets d’Hypnos de René Char.
Une longue interrogation avec Chris en décembre sur la nécessité de la violence n’avait fait que me renforcer dans ce désir d’approcher cette incontournable ambivalence et de proposer à d’autres cette approche dans l’abrupt de l’aphorisme, le laconisme des scènes vécues et la beauté s’étendant jusqu’à l’obscur.

La mémoire est sans action sur le souvenir. Le souvenir est sans force contre la mémoire. Le bonheur ne monte plus.
Feuillets d'Hypnos, aphorisme 102

17:20 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (2)

jeudi, 13 janvier 2005

Sans commentaire

Depuis trois nuits, des voix revenues des parages de l'humiliation, de l'horreur, de la mort.

Et ce matin, les borborygmes d'un vieux mec qui a... peur d'être oublié !
Faire silence.

16:55 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)

mardi, 11 janvier 2005

Africa et ...théologie fantastique

Hier, au soir.
D’abord, à Nantes-histoire, Pascal Blanchard, un fringant et jeune conférencier sur l’Imaginaire colonial.
Un uppercut en plein plexus pour le jeune colonial qui avait, heureusement, dans sa malle, Victor Ségalen, Henri Michaux et Gide (quoique !). Plus tard vinrent s’ajouter Kateb Yacine, Aimé Césaire, Franz Fanon... D’autres.
Et surtout la Première femme :

Nigra sum sed formosa !

En plein exotisme, oui. Mais aussi, en totale "contre-épreuve" comme l'écrit Ségalen.
J'y reviendrai un autre jour avec images et petits récits.

Prolongement tard dans la nuit autour de Baalu, notre communauté amie aux confins arides du Mali et de la Mauritanie : l’alphabétisation, le développement de la lecture, le “banco stabilisé”....

Dédié à mes vieux copains Jop et Chris qui sont souvent (trop ?) plongés dans les monothéismes, ce dialogue entre Ernesto Sabato et Jorge Luis Borges :
Sabato : Mais dites-moi, Borges, si vous ne croyez pas en Dieu, pourquoi écrivez-vous autant d’histoires théologiques ?
Borges : C’est parce que je crois en la théologie comme littérature fantastique. C’est la perfection du genre.

dimanche, 09 janvier 2005

Lire, mais aussi écouter et lire à nouveau

Dans le serpent d’attente de la Folle journée, j’écoutais France Cul. Ah ! ces nuits ! Une voix haut perchée - un homme ? une femme ? - qui parle d’un dénommé Joubert. J’aime bien ces écoutes du hasard où se dévoilent, au fil des minutes, les thèmes, les personnages, l’interviewé et son interviewer. Suspens des savoirs : le "google" de l'écoutant balaie les souvenirs pour tenter l'identification.

Cette nuit de vendredi à samedi, donc : Parler en prose et le savoir. C’est Sipriot qui s’entretient avec Jean Guitton. On est dans le "naguère" : le ton radiophonique, l'expression orale sans faille, l’affirmation des idées, des valeurs ; ça semble vieillot, suranné, passé de mode. Mais se glissent beaucoup de subtilités délicates. Et Guitton s’en retourne plus loin encore jusqu’à un certain Joseph Joubert... Accroissement du raffinement.

Une heure qui a effacé la nécessaire patience de la file d’attente et les premières risées d’un vent de suroît.

Et en ce dimanche sombre de janvier, quand Le pavé dans la mare s'exerce sur la symphonie n°6 de Schubert (France Mu), cette facilité inouïe de la Toile, qui évite le report à plus tard d'une recherche en bibliothèque, pour savoir qui est Joubert Joseph...

Sans avoir été un lecteur assidu de Guitton, même au temps de mon catholicisme d’adolescent, je dois dans mon autodidaxie une fière chandelle au vieux philosophe qui publia en 1951 Le travail intellectuel, sous-titré conseils à ceux qui étudient et à ceux qui écrivent.

Il y parle des cahiers de chevet qui me renvoient à la notion du blogue et du travailleur en cellule qui me fait reprendre l’expression de Pascal Quignard sur l’entrée en anachorèse.

D’ailleurs, je me demande si, depuis Les petits traités (1990), et peut-être même avec des bouquins précédant ceux-ci, Quignard n’est pas à situer dans une archéologie des blogues de lecteurs.

Post-scriptum
À propos de ces auteurs "rares, tel Joseph Joubert, j'attends avec impatience l'intervention de Michel Onfray sur Saint-Èvremond, mardi 11.

samedi, 08 janvier 2005

La folle journée

Au mitan de la nuit, dans le serpentin d'attente de la Folle journée "Beethoven".
Le coup de vent n'était pas encore arrivé et à six heures du matin, je recevais le 328ème ticket... pour revenir réserver les places, en début d'après-midi.
Je n'ai jamais écouté "en vrai" la IXe : Ludwig Van peut bien exiger une demi-nuit blanche.

Quignard aurait écrit, mais je ne l'ai point trouvé dans le Dernier Royaume :
« Le silence qui suit Beethoven, c'est encore du... Haydn ! »
Croche-pied musicolo-littéraire un peu facile.

À midi,

J'ai quasi tous les concerts souhaités par les amis : la IXe, le concerto pour violon, le Ve concerto "l'Empereur", les sonates et Barbara la belle Négresse qui eût été en d'autres temps une "Immortelle Bien-Aimée" probable !

jeudi, 06 janvier 2005

Des rites du lecteur

Dès le retour à la maison, ils ont été disposés en pile, là-haut, sur la table de la “librairie” gorgée de soleil. J’ai ouvert la fenêtre et entre la douceur hivernale de nos pays d’Ouest.
Au sortir du cours de grec ancien - nous avons “tiré les Rois”, “Bel olivier” offrait le Muscadet de la Chapelle-Basse-Mer, j’apportais la brioche couronnée de chez Bonnin, toute fraîche de la nuit, - je suis passé chez “Coiffard”, rue de la Fosse.

Depuis un certain temps, je “tournais” autour de deux ou trois titres, et Noël ayant été généreux en d’autres petits bonheurs : whisky “single islay malt” , Ran en dvd, le Sahara noir et blanc en images, je n’avais plus à craindre de doublons.

J’ai trouvé facilement l’Éthique de Morin, les Conversations de Borges et Sabato. J’eus plus de mal avec quartiers de on ! et j’écorchai le nom de son auteur qui serait presque un palindrome ou même la négation de tout nom, Onuma Nemon. La libraire m’a regardé, interloquée. J’eus beau lui dire qu’il y a trois semaines, il était là dans les parutions premières, mais que ça ne m’étonnait guère qu’il n’y soit plus... Renvoyé sans doute au second rayon ? Nous avons consulté “Électre” ; dans “Verticales”, nous allions forcément trouvé ce nom qui est nom sans nom ; nous avons trouvé “quartiers de on !”, le titre, et l’auteur nous fut donné par surcroît.

La cueillette n’était point achevée ; traversant la Fosse, je suis allé parcourir les rayons des “poches”. Ébène de Ryszard Kapuscinski me tentait depuis plus d’un an ; je n’ai précédé cet homme en Afrique que de deux ans ; le tout récent apaisement - jusqu’à quand ? - au Soudan m’a incliné sur le rayon le plus bas quand, voisins, se sont offerts à mes yeux les tomes II et III du Dernier Royaume. Ce n’était point prévu, mais je m’étais bien juré quand Quignard reçut le Goncourt d’avoir l’attente patiente jusqu’à la parution en poche ; en octobre, il y eut Les Ombres errantes, voilà Sur le jadis et Abîmes.
Oui, je sais, s’offrent, en repassant de l’autre côté de la Fosse, et ce depuis deux ou trois jours, Sordissimes et les Paradisiaques. Mais je retarderai de deux ans s’il le faut le plaisir de lire les Quignards “nouveaux”; depuis Les tablettes de buis d’Apronenia Avitia, mes “Quignards” s’alignent en poche sur un rayon : c’est une règle qui n’est point toujours... d’économie ! Vieille passion adolescentes pour les "poches".

Voilà ! C’est ainsi que depuis ce midi, ils sont là, à attendre en pile sage. Et dans la cuisine, je m’affaire au rangement de la vaisselle, à la mise en ordre des journaux et revues - du tri à faire -, je rince des bouteilles, je sors au jardin, je ramasse les branches que les bourrasques d’hier ont brisées. Des voisins bavardent dans le parc proche, je vais les saluer, le soleil adoucit l’humidité de l’herbe, je pense aux arbres fruitiers qu’il va me falloir faire tailler, je traîne mes sabots. De droite, de gauche.

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Sur la table, là-haut, la pile doit être en plein soleil. Je retarde le moment.

Le premier feuilletage, l’entrebaillé des pages, un mot par-ci, par-là, un paragraphe de-ci, de-là, la quatrième de couverture, la table des matières, l’achevé d’imprimer* - plus d’imprimatur, ni de nihil obstat, dommage parfois, naguère, double était le bonheur des lectures "à l'index" - encore des mots. La paume de la main sur le lisse de la couverture, le pouce qui fait chuinter/chanter la tranche des feuillets. Noms, noms propres, de lieux, de femmes, d’hommes, des phrases, encore des mots, des gros mots... des mots inconnus !

Le lecteur pose ses balises.

Tout à l’heure, stylo en main, entr’ouvrir et sur la page blanche de garde, apposer, l’ex-libris à ma manière, tous livres étant en cet endroit marqués du lieu et de la date de prise de possession.

À plat, sur la table, sur une étagère, sur un coin de meuble, dans la chambre, la cuisine, sur le manteau de la cheminée, aux ouatères, dans l’escalier, posé sur une chaise, sur le guéridon de l’entrée, près du petit ordinateur.
Ailleurs !
Mais jamais écorné, ni taché. Épousseté parfois. Jamais oublié - le drame de celui qui fut prêté et n’est jamais revenu !
Dans une heure, un jour, un mois, un an peut-être, le livre va être ouvert.

Commence l’aventure.


* La chose imprimée de François Richaudeau, aux éditions Retz : la référence pour s’assurer de l’exactitude des termes techniques concernant l’écrit en tous ses états. Pour les non-professionnels.

mercredi, 05 janvier 2005

Un compagnon s'en est allé

Là-bas, dans le Sud, au pied des Dentelles de Montmirail, un compagnon de l'Éducation populaire s'en est allé.
En Avignon, il est peut-être de jeunes Gitans qui n'oublieront pas que cet homme les guida dans la découverte de leur propre histoire.
Il avait écrit, à ce propos :

« Cela est né d'une simple bûche enflammée qui a allumé la mèche de la mémoire.»


Naguère, je lui avais proposé le troc de ses Dentelles contre les Aiguilles de Port-Coton ; il n'avait pas dit non et m'avait parlé des fleurs de l'amandier.

Cette nuit, les lavandes sont noires et ternes les oliviers.
On le nommait Pierre Simiand.

« Dormez, désespérés, c'est bientôt jour, un jour d'hiver ».
René Char, les Dentelles de Montmirail.

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mardi, 04 janvier 2005

Zoroastre, grammairiens et fabrique de littérature

Il est des réveils sur France Cul qui m’étourdiront de plaisir étonné. Encore heureux que j'étais encore allongé sous la couette.
Ce matin, 6 heures, je perçois le tracé d’une craie sur un tableau qui doit être noir, des mots étranges qui, pour moi, s’apparentent à de l’indou, prononcés par une voix savoureuse qui mâche ces mots avec sensualité.
Il est question d’Immortelles bienfaisants, de philologues et de grammairiens à lubies, de l’hypertrophie de la catégorie de l’infinitif : se mêlent des dieux et des fonctions grammaticales dans des lectures "à suffocation" - Dumézil aurait parlé de lecture “sous une cloche à fromage”.
Une heure durant les dieux et la philologie s’entremêlent ; j’écoute fasciné.

Je sais que c’est l’heure de “l’éloge du savoir”; reviennent des problèmes de titulatures, de génitif et super-superlatif.
Émergent des bribes du Mazdéisme.
L’homme qui parle de dieux et de grammaire est Jean Kellens. Il ne cache ni les difficultés, ni les doutes, ni les obscurités que recèlent les études zoroastriennes. La craie s’anime toujours sur le tableau noir et chante la voix sur les noms de divinités indo-iraniennes.

Ce matin, j’ai abordé un “continent” quasi inconnu. Oh ! Zarathoustra, ça me disait bien quelque chose.
Irai-je y voir de plus près. Je ne sais.
Les dieux, je m’en fous, mais cette grammaire avec des “immortels bienfaisants", des infinitifs hypertrophiés et des aoristes effacés ! Ça, alors ?

Depuis quelques jours, j’ai entrepris deux lectures parallèles : La fabrique de la langue de Lise Gauvin et Ces voix qui m’assiègent d’Assia Djebar.
Je suis servi dans mes interrogations ; depuis des années, le mot “littérature” m’incommode ; du moins dans les acceptions qui nous sont servies dans les revues, les magazines, les sites, les blogues.
Je ne sais plus de qui je tiens l’idée d’un artisanat de la langue.
Quand je me réfère à mon trio de fin d’adolescence, Cadou tenait du menuisier, Michaux - ça coule de source - du peintre, Char, du sculpteur - son père était dans les plâtrières, non ?.
Ça rejoint Kellens qui mentionne dans le Mazdéisme, un menuisier qui fabrique une déesse !
Quand mon poète d’enfance, - Lise Gauvin lui consacre son premier chapitre - Joachim Du Bellay se réapproprie son dialecte angevin, Assia Djebar n’est pas loin avec la ténacité qu’elle déploie à s’emparer de la langue de l’ancien oppresseur. Les mânes de Kateb Yacine doivent en frémir de bonheur linguistique.

Voilà où mènent, pour une journée, des grammairiens à lubies et des “immortels bienfaisants”.
Il s’agissait aussi de digérer les agapes du nouvel an, d’aller aérer Dac’hlmat - belle, la Vilaine dans les brumes ! - d’explorer le programme des Folles journées qui célèbrent Beethoven, de régler ce fichu accès au blogue de Jobic, “Er Klasker”.

Demain matin, à 6 heures, encore rendez-vous avec Kellens, ses “immortels bienfaisants”, le bruit de sa craie sur le tableau noir !

Post-scriptum :
Précédant Zoroastre, il y avait, de 1 heure à 6 heures, le Pays Dogon. C’est écoutable encore pour la semaine. qui est consacrée au Mali...

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Sur France Cul, naturellement.

dimanche, 02 janvier 2005

La science des ânes

Pour mes petites-filles , NOÉMIE et CÉLIA,
qui seront aussi mes LECTRICES premières.

Ceci est l’histoire qui se raconte dans les moments où affleurent les souvenirs d’école dans la famille. Paroles sur l’écriture plutôt que traces d’écriture. Autre que cette histoire, il faudra écrire sur le dressoir de la branche maternelle qui fut le lieu premier de mes écritures familiales et vacancières.

Ma grand-mère, Augustine-Marie Bretaudeau, la première fille de Bellevue à aller à l’école, celle de Jules Ferry, alentour des années 1882/1883, quand le peuple paysan accède à ce qu’il croit être enfin la liberté de savoir — depuis deux ou trois siècles, ce n’est que l’apanage de quelques-uns d’entre eux.

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les mains d'Augustine-Marie , elle écrivait alors depuis plus de 70 ans.


Augustine-Marie, donc, s’en va à l’école, un an, deux ans, trois ans...
En juin, le temps qui précède les moissons, l’école se ferme sur une cérémonie où ban et arrière-ban du bourg et des villages sont invités : dans la cour de l’école, estrade fleurie, oriflammes tricolores, tapis rouge, rangées de chaises empruntées à la paroisse — on fait encore bon ménage. Le maire, le curé, l’instituteur — certaines années, on y voit même le sous-préfet — et toute la notabilité de l’argent du savoir et de la terre, peut-être bien même le comte ou la marquise de ... Tout ce beau monde, le cul dans le rouge capitonné des fauteuils républicains, et là-haut, sur sa stèle, le buste épanoui de la Marianne, couronnée de lauriers.
Au pied de l’estrade, les enfants, filles à droite, garçons à gauche. Derrière, les adultes, ceux du bourg d’abord, tout endimanchés comme quand ils vont à la ville. Derrière encore, ceux des hameaux, en blouse comme quand ils vont aux foires du canton et leurs femmes, assombries dans leurs châles et longues robes de cretonne. Seule blancheur aérienne, les fines coiffes empesées...
La proclamation des prix, d’excellence, de diligence, premier prix, second prix, accessits... à l’appel des noms, la montée sur l’estrade dans les applaudissements, les livres reçus à brassée : rouges et dorés, lourds ou minces selon le mérite.
Augustine-Marie Bretaudeau : la fierté du nom proclamé par le curé. Premier prix d’Écriture : Augustine-Marie....
Dans le frémissement léger des coiffes, tout au fond, près du mur de clôture, Véronique Bretaudeau, la mère, qui se redresse, orgueilleuse de sa fille...
« Et dire que le père n’est point là ! » Parti au matin dans la pièce de la Vallée. Le père ! Eugène Bretaudeau, de Bellevue, patriarche du lieu, fier de ses terres, de ses bodes, de ses fils et de ses filles. Ses terres et sa descendance ! Pas de “n’out maîte” chez les Bretaudeau. Libres !
Quand Véronique a émis l’idée d’envoyer Augustine-Marie à cette nouvelle école qui s’ouvrait au bourg... « Oui, pourquoi pas ! Ça ne coûterait point, c’était gratuit. Faudra quand même que la petite... Oui, envoie-la donc. »
Elle avait craint, Véronique ! Elle avait craint le refus. Mais non, c’était oui, sans plus. Et voici, Augustine-Marie sur l’estrade, premier prix d’Écriture !
Quand la cérémonie fut terminée, l’école refermée pour tout l’été, elles sont revenues, joyeuses. À Bellevue, le père était là, devant la porte de l’étable avec les fils qui pansaient les bêtes.
De loin, Véronique a crié :« Marie, elle a eu le premier prix d’Écriture ! » Dans la moustache du patriarche, un marmonnement, entendu par le plus proche des fils le cadet, Amand, celui qui rapportera l’histoire : « Premier prix d’écriture, premier prix d’écriture ! L’écriture ? L’écriture, c’est la science des ânes ! »

vendredi, 31 décembre 2004

Bon vent pour 2005

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Aux compagnes, aux compagnons, aux amis rencontrés en 2004, aux visiteuses et visiteurs de ce blogue !