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samedi, 15 janvier 2005

Mémoire et souvenir

J’avoue être fort remué par le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis.
Deux documents, parmi d'autres, à l’appui de ce trouble :
j’ai revu hier soir Nuit et brouillard sur Antenne 2 et j'achève de lire le texte de Boris Cyrulnik, les Anges exterminateurs dans le Nouvel Obs de cette semaine.

J’avais neuf ans en 1945 ; au début de l’année 1946, les Frères de Ploermel nous avaient emmenés au musée des Beaux-Arts où était présentée une expo sur ce qu’on nommait alors la “Déportation”.
Je me souviens de cette visite parce que les images me renvoyaient à des bribes de paroles entendues dans les années de guerre et au malaise qui ronge encore ma tendresse pour mes parents bien-aimés.

...jusqu’aux effluves plus malsaines de pétainisme et d’antisémitisme qui affleuraient dans sa famille mais qu’il acceptera mal parce qu’il ressentait, tout môme, une injustice cruelle dans le sort auquel le petit peuple “catholique et nantais toujours” renvoyait ces gens qu’ils appelaient avec dédain les Juifs et, avec plus de mépris encore, les Youpins.

Il n’avait pas oublié une conversation sur le marché Talensac quand sa mère et d’autres s’étonnaient de ce que les Burons, - « Oui, vous savez, nos voisins, qui sont banquiers » - ne la portaient pas cette étoile jaune et que le curé de Saint-Similien avait osé dans son prône du dimanche assurer que le Christ était juif.
Il n’avait pas oublié le premier vieux monsieur accompagné d’un jeune enfant, croisés dans la rue, l’énorme étoile cousue, côté cœur, sur leurs manteaux.

Quelques mois plus tard, dans une certaine allégresse de libération quand les soldats américains lui donnent chocolat et chewing-gum, il pleure parce que, place Viarme, des hommes sur une estrade tondent violemment quatre femmes. Il ne comprend pas, mais il est révulsé par ces étoiles jaunes et ces crânes rasés. Plus tard encore sur le chemin de l’école, deux ou trois fois, il a croisé, au sortir du Palais de Justice, un homme encadré par deux gendarmes ; son regard s’est arrêté sur les poignets de l’homme menotté.

Sourd ressentiment de la violence et de l’humiliation...

dans les derniers § d' Algériennes.



Cette “ambivalence...au cœur de la condition humaine” que pose si fortement Cyrulnik, quand il glisse trois phrases sur le lynchage d’un milicien, me renvoie au projet d’une lecture publique, “Une heure avec...” que j’ai l’intention de faire à partir des Feuillets d’Hypnos de René Char.
Une longue interrogation avec Chris en décembre sur la nécessité de la violence n’avait fait que me renforcer dans ce désir d’approcher cette incontournable ambivalence et de proposer à d’autres cette approche dans l’abrupt de l’aphorisme, le laconisme des scènes vécues et la beauté s’étendant jusqu’à l’obscur.

La mémoire est sans action sur le souvenir. Le souvenir est sans force contre la mémoire. Le bonheur ne monte plus.
Feuillets d'Hypnos, aphorisme 102

17:20 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (2)

Commentaires

Moi aussi, ça fait des années que ça me remue tout ça... N'ayant pas vécu ces conflits, ces combats, ces situations, j'en lis de tous les auteurs que j'ai le temps de lire et je n'arrive toujours pas à accepter que des hommes fassent toutes ces sortes de crimes envers d'autres hommes, non pas à titre individuel, mais à titre communutaire (étatique, éthnique, économique, etc.). Suis en train de lire Guyotat, qui vient bientôt au Japon, et c'est une des formes les plus tendues, les plus difficiles à supporter... Pour la mémoire, je crois aussi que ça ne sert à rien s'il n'y a pas d'honnêteté et d'amour de l'autre, au lieu de la rapacité et de la bêtise qu'on voit partout (même si ça peut faire con de dire ça, je l'assume).
Bonne continuation.

Écrit par : Berlol | dimanche, 16 janvier 2005

Réponse à Berlol
J’en suis encore, en débutant du blogue, à éprouver beaucoup de chaleur à la lecture des commentaires qui me sont offerts. Merci donc.
Rapacité ? il est possible de lutter. Bêtise ? complètement désarmé et plus écœuré encore !
Vous me faites reposer Guyotat sur la table de lecture.
Lecture dans l’insoutenable et cependant quelle justesse : à la fois par le recours au quotidien le plus banal et par un surgissement de nos monstres les plus nocturnes, dans une “logorrhée” - au sens étymologique - qui peut nous submerger, lui et nous.
En décembre 2003, pour la sortie en Folio de “Vivre”, Kéchichian le citait parlant de Sa peur : “... J’ai peur, mais cela depuis toujours, j’ai peur pour les autres. Peur pour leur sécurité.”
À réécouter sa lecture publique de “Progénitures”. Lira-t-il à Tokyo ?
Étonnante aussi cette dédicace du “Tombeau pour cinq cent mille soldats” à son oncle (!) mort en 1943 à Orianienburg par laquelle il lie et les camps d’extermination et la guerre d’Algérie. Stupéfiant raccourci que je me prends en pleine gueule.
Quand je pense que le “Tombeau” n’est même pas cité dans la bibliographie du monument que prétend être - qu’est d’ailleurs - le “Guerre d’Algérie” de Harbi et de Stora. On a peu écrit, à peine mentionné “les Feuillets d’Hypnos”, quand il est question de la Résistance.
Quand les historiens ne maîtrisent point les typologies littéraires, préféreraient-ils faire silence ?
Bon vent à vous !

Écrit par : Grapheus tis | dimanche, 16 janvier 2005

Les commentaires sont fermés.