Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

samedi, 01 avril 2006

Chronique portuaire de Nantes I

Des Origines à la fin du Moyen-Âge

Préhistoire.VESTIGES NANTAIS DE NAVIGATION PRÉHISTORIQUE.

Le Musée de Nantes possède, — sans parler de plusieurs pierres d'ancrage trouvées à Saint-Nazaire lors des travaux du bassin de Penhoët, — trois barques monoxyles qui constituent de curieux et vénérables vestiges de la navigation préhistorique.
Creusées chacune dans un seul chêne, au moyen, semble-t-il, de la pierre ou du feu, ce qui les fait remonter à une époque antérieure à l'âge de bronze dans notre région, c'est-à-dire vers le VIIe siècle avant l'ère chrétienne, elles furent draguées en Loire dans le courant du siècle dernier, et, à en juger par leur forme, servaient exclusivement à la navigation en eau paisible, tout au plus à la navigation fluviale.

Longues, effilées, à fond plat et à bordage à peine accusé, véritables périssoires, mais périssoires que seize hommes vigoureux parviennent à peine à porter, elles étaient, en effet, absolument impropres à la navigation maritime ; et l'on peut même douter qu'elles aient pu affronter sans danger un voyage un peu long en Basse-Loire. Elles servaient donc uniquement à la pêche le long des rives ou en marais, et aux communications entre les îles du fleuve et les cités lacustres des peuplades primitives.

Indépendamment de ces trois barques monoxyles, qui, incomplètes de la poupe, mesurent de 5 à 6 mètres de long sur 0 m.72 de large, un certain nombre d'embarcations semblables furent également draguées en Loire à différentes époques. (1)

__________________________________________
(1) Express de l’Ouest, n° des 16 et 23 juin 1908.



Époque gauloise.NANTES ET CORBILON

D'après Strabon, il existait sur la Loire, dès le IVe siècle avant J.C, un important « emporium » ou marché, comparable à celui de Marseille sur la Méditerranée ; et nous voyons que vers 250 avant l'ère chrétienne, Scipion, désireux de vérifier les assertions du voyageur Pythéas, fit interroger des marchands et navigateurs de Corbilon après avoir écouté ceux de Marseille et de Narbonne.

Au dire des anciens géographes, cet « emporium », qui disparut avant l'occupation romaine, était un port très important ; port d'embarquement pour la Grande-Bretagne, et port de relâche sur l'Océan pour les navigateurs de la Méditerranée. Toutefois, il est pour ainsi dire impossible de fixer sur l'embouchure de la Loire remplacement même approximatif de ce port gaulois. Tandis que les uns le reculent jusqu'à Blois, ce qui est sans doute un peu loin de la mer, d'autres le placent à Saint-Nazaire, ce qui, par contre, s'en rapproche peut-être un peu trop. Enfin, une opinion respectable, s'appuyant sur l'antiquité incontestable de Nantes, identifie notre port avec ce mystérieux « emporium » gaulois, comme étant le seul point du fleuve où les vaisseaux de mer pouvaient vraisemblablement trafiquer avec les barques de l'intérieur (1).

________________________________________________
(1) Annales de la Société Académique. 1890, pp. 363-4.


Tirées de Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908.

vendredi, 31 mars 2006

Solidarité silencieuse

medium_aids02_sm.jpg

19:15 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (1)

jeudi, 30 mars 2006

ils savent "bloquer"

Ils retrouvent les bonnes vieilles stratégies de leurs ancêtres. Il sortent des villes et y reviennent aussitôt pour “bloquer” et les portes et les ponts.
Elles sont fières, ils sont fiers. Je les aime. Ils sont simples et clairs. À ravigoter ma vieille peau !
Frémissement de vie qui repousse la grisaille de ces années : démocratie embourbée depuis le coup d’état de mai 1958...

Du coup, j’ai raté le corrigé de la troisième Philippique mais j’ai pu acheter le Libé du jeudi ; les deux pages centrales du cahier “livres” sont un brûlot aux bonnes mœurs. De temps à autre, des pavés dans le stupre et le sperme éclaboussent les pensées moralement correctes.
Cœurs sensibles d’abord, cœurs purs ensuite, ne lisez point !

Revenez aux trois premières pages du dit cahier. Elles parlent d’Aristoclès au large front qu’on surnomma Platon. Lequel concluait, dit-on, son testament par un « Je ne dois rien à personne ».
Faut-il en déduire que Socrate n’a jamais existé !

mercredi, 29 mars 2006

dans la "cité d'Orphée"

Plus de 70 000 sur le Cours des Cinquante-Otages dont quelques jeunôts qui entrent dans le grand âge.
C'était hier dans les giboulées toniques de Mars.

Ici, on peut pleurer des larmes d'Orphée et avoir le poing serré !

mardi, 28 mars 2006

Poème et/ou nouvelle

J'achève la lecture de la correspondance Béalu-Cadou.
Elle m’aura permis de sortir de l’oubli de certaines étagères de ma "librairie" un bouquin paru dans la Bibliothèque Fantastique de Marabout en 1972, sous une jaquette "trash", dirait-on de nos jours.
Les Mémoires de l’ombre apparaissent dans les lettres dès mai 1941. Cadou ne tarit point d’admiration pour les textes de Béalu. On suit la parution des premières nouvelles dans des revues d’alors jusqu’à leur première édition complète en 1945 par Gallimard.
À lire Cadou, on peut penser qu’il s’agit de poèmes. Une brève allusion à Edgar Poe fait incliner le lecteur vers le fantastique. Encore un côté ignoré du Cadou lecteur qui se dévoile.
Il faut dire que Béalu détonne entre la poétique d'un Max Jacob qui le chaperonne et celle des gus de “l’équipe de Rochefort” (Ils récusent tous le terme “école”. Alors ?).
Un décalage de l’angle du regard”, c’est ainsi que Béalu caractérisait ses nouvelles-poèmes


Pour exprimer son amour des livres, cet ami me confiait avoir aimé dans sa jeunesse une jeune fille : de lui toucher seulement le bras je ressentais une commotion... et il ajoutait : C'est cette même sensation que j'éprouve aujourd'hui quand j'ouvre un livre.
Que d'émotions il eût connues dans la chambre secrète où je conservais, en des vitrines spécialement aménagées, ma collection de femmes reliées ! Sous l'apparence d'honnêtes in-octavo elles demeuraient là, mes chères petites d'hier et d'autrefois, alignées l'une contre l'autre, enfin sages, enfin rangées, chacune définitivement habillée selon ni nature et non d'après les caprices vulgaires de la mode : en veau mort-né les romanesques, percaline rosé les fausses naïves, cuir noir genre missel les passionnées, et les vierges en maroquin blanc. Quelle patience il m'avait fallu pour les posséder ainsi, non plus à l'image de la terrible vie du monde, folles, bruyantes et trop souvent dispersées, mais réduites à cette petite vie d'objet, ou plutôt à cette petite mort où je les tenais enfermées, fidèles à mon appel jaloux. Toutes sans prétention d'auteur ni ornement superflu portaient seulement un millésime et, sous la nuque en guise de titre, leur prénom. Ces doux vocables si souvent criés dans le délire, il ne me semblait pas du tout étrange d'épeler ici leurs froides syllabes incrustées. Ô ma brune Anik demi-basane, mon Ève coquette dorée sur tranche, ma rouée Claudine dos à nerfs, et toi, et toi, ma mélancolique Marguerite plein-chagrin ! Lorsque, en prenant bien soin de ne pas abîmer votre coiffe, je vous tirais du réduit où votre beauté momifiée n'attendait que mon geste pour renaître, vos bras soulevant leur fermoir me révélaient, toujours à nouveau, quelque endroit inconnu, quelque parfum inattendu, quelque grâce ignorée de votre corps ainsi merveilleusement préservé.
Le choix nécessaire, car je vous aimais toutes un peu sans discernement jadis ! m'avait obligé aussi à beaucoup de souffrance. Si bien qu'à présent je n'aurais consenti à me séparer d'aucune d'entre vous. Et chaque fois — de plus en plus rarement il est vrai, tant à vous fréquenter s'était affiné mon goût — chaque fois qu'une « nouvelle acquisition » venait resserrer vos rangs, c'était à votre tour d'éprouver une légère angoisse. Heureusement, elle ne se traduisait, sur la page où dormait votre regard figé, que par l'apparition de quelques taches de rousseur qui rehaussaient d'un charme complémentaire la nacre monotone de votre teint désincarné.

 


BIBLIOGYNIE
Mémoires de l'ombre



Un peu plus sur Marcel Béalu :
• aux éditions José Corti
Marcel Béalu, un surréaliste fantastique (ndrl : pas sûr qu'il ait apprécié un tel qualificatif !)

dimanche, 26 mars 2006

Alentour de quelques-uns de “mes” 27 mars

27 mars 1939
J’ai trois ans.
Des montgolfières s’épanouissaient au-dessus de la Sèvre. Il y avait de drôles d’enfants déguisés en insectes. C’était, m’a-t-on dit plus tard, la fête annuelle de l’institut des sourds-muets, à la Persagotière.

27 mars 1943
J’ai sept ans.
L’âge où je suis devenu fou, insolent, cependant souple, rêveur, paresseux, jouisseur - déjà un peu avant -, lecteur. Ils n’ont rien pu y faire, les grands ! Je serrais dans mon petit poing le noyau dur de l’insoumission.

27 mars 1947
J’ai onze ans.
Bientôt les envolées en fin de printemps au sortir des églises : mes communiantes virginales en fleur et les communiants raides dans leur premier costume gris ou bleu marine. Il y avait alors deux grandes questions : culottes courtes ou pantalons et les bons ou mauvais résultats au catéchisme, pour le rang. Je n’étais que troisième et maman m’a balancé une gifle.

27 mars 1955
J’ai dix-neuf ans.
Appuyé contre l’horloge de mon anxieuse adolescence qui s’éteint, j’attends dans la nuit de l’Auberge solitaire les onze échos qui lanceront mon nouvel âge sur la route.... Essoufflé par mes courses pensives, j’arrive en retard à tous les âges de ma vie. (ndlr : c'est un écrit d'époque)

27 mars 1963
J’ai vingt-sept ans.
Pierre qui roule n’amasse déjà plus la sagesse... Les indépendances se sont écoulées. On entre dans les dérives. Utopies mortes.
Et la mort qui vient, proche, trop proche....

27 mars 1976
J’ai quarante ans.
Tu prends la mer, il n’y a pas d’âge. Alors à trois ans ou à quarante... Tu prends la mer et tu t’adosses aux murs d’une vieille maison.
Quelqu’ami t’a dit que c’est une vraie maison pour vieillir et y mourir...
Va savoir ! Qui de la vague ou de la terre ?

27 mars 1996
J’ai soixante ans.
Un des plus beaux 27 mars. Le plus beau des dons pour ces soixante années : elle est venue, Noémie, celle que parmi toutes les femmes que j’aime, je souhaite être ma lectrice première. Nous serons toujours du même âge, à soixante années près.
Merci à ma fille bien-aimée, à Nicléane, ma compagne, à ma mère, à mes aïeules ! Je tire fierté de cette filiation par les femmes.

27 mars 1999
J’ai soixante-trois ans.
À 9 heures TU, nous sommes par 05°00 Nord et 113°12,30 Ouest, à 1 423 miles des Galápagos. À 14 heures par notre travers arrière, un cargo qui fait route au Sud-Est, notre première rencontre après 30 jours de mer depuis Ua-Hauka.

26 mars 2006

Je suis au dernier jour de ma soixante-dixième année. Je suis “dans l’enfance du grand âge*”. Je sais un peu mieux lire - du moins, je le crois. Je blogue depuis un an et demi. Je dois achever une chronique de mes années algériennes. Entre autres. Mais j'ai toujours la paresse de mes sept ans. J'ai enfin glissé quelques lignes autobiographiques dans la note de "l'a-propos". Je remonte encore le mouillage de Dac'hlmat sans guindeau.

J'ai reçu, hier un courriel de ma filleule qui est dans une île lointaine de l’hémisphère sud. J’avais trente ans quand elle est née, il y a quarante ans. Je l'ai remerciée et pris rendez-vous avec elle dans trente ans quand , son tour venant, elle aura soixante-dix ans. Ça ne me déplairait.
Mais si je dois m’en aller demain, pourquoi pas ?

* Benoîte Groult dans le Libé de jeudi dernier, 23 mars 2006.

samedi, 25 mars 2006

« pieds nus »

Figure-toi que jeudi dernier j'étais à un tel point saoul que j'ai trouvé le moyen de perdre mon vélo et une paire de souliers. En pleine nuit sous une pluie torrentielle j'ai fait plusieurs kilomètres pieds nus et me suis retrouvé à l'aube, entre deux vaches, éloigné de 7 kilomètres de Saint-Aubin. Non tu te rends compte. Mémorable entre toutes mais emmerdante si le vélo ne se retrouve pas parce que pas à moi.

En lisant la correspondance Béalu-Cadou, une lettre de ce dernier datée du premier jour du printemps 1942.

Plus tard, le poème "Louisfert" dans Le cœur définitif
Pieds nus dans la campagne bleue, comme un Bon Père
Qui tient sa mule par le cou et qui dit des prières
.........................................................................

Dans l'esprit du poète, je ne sais. Mais dans la tête du lecteur, si !

vendredi, 24 mars 2006

Belle vieillarde comme beau vieil....

L’émotion nocturne a noué la gorge ; et les larmes d’affleurer jusqu’au matin. Entre le quai Hoche et la rue Lanoue-Bras-de-fer, c’était plus encore l’air vif qui piquait les yeux.

Pour quitter les affres de l’Orphée nocturne, il m’a fallu la rudesse de la IIIe Philippique de Démosthène lors de l’atelier de Grec ancien ; le sortilège s'éloigna - c’est banal, m’a-t-on commenté. L’après-midi, autour des grands textes du Moyen-Âge, s’enchanta des Troubadours. Parvenu à Jaufré Rudel et à l’amor de terra londhana, je craignis à nouveau l’envoûtement funèbre de "ma" belle Sarrazine.

Je m’emballai dans une présentation du travail du Clémencic consort autour du Trobar et apportai plus de précisions sur celle que je place allègrement entre Sappho et Louise Labé, Béatriz, comtesse de Dié, mes condisciples (!) de l’atelier ignorant l’existence de ces chères Trobaïritz, et cela sous le regard bienveillant et ravi de AmR qui est sûrement la meilleure pédagogue rencontrée depuis quatre ans à l’Université permanente.

E membre vos de nostres partimens !


Il y a des jeudi de Libé-livres qui sont de véritables bonheurs.
Le nonagénaire Maurice Nadaud :
« Je réagis, je participe, je m’enrichis à la lecture. Je ne suis pas aussi bête que je le suis tout seul. »
Merveilleux vieillard et non moins vivante vieillarde, Benoîte Groult, qui revendique sa liberté de l’être : belle vieillarde, et de poser elle-même la touche étoile quand elle le décidera.
Dans les autres pages, Augiéras, entre désert et océan. À lire, à lire !
Deux israéliens arabes qui écrivent en hébreux, Sami Michael, Sayed Kashua.
Hanna Craft, autobiographie d’une esclave, écrite dans les années 1850.
Et la suite du “Maitron”, le dictionnaire du mouvement ouvrier.

Je ne pourrai ni acheter, ni lire ; mais de certains jeudis - Libé -, de certains vendredis - Le Monde - je me répands dans une lecture euphorique de ces recensions qui prépare peut-être - allez savoir ! si je mets mes petits pas dans ceux, très grands, de Nadaud ? - les lectures des trente ans à venir.

“Vent d’Ouest” tenait une table de librairie au sortir des Chantiers, commémoration de la mort de Cadou oblige ; je me suis offert enfin le dvd réalisé par Jacques Bertin et Annie Breit. Le coffret est enrichi (?) d’un cd avec poèmes chantés et dits ; il reprend les poèmes lus par Daniel Gélin quand un 45 tours s’ajoutait au livre de la collection Poètes d’aujourdhui ; dieux ! que la diction de Gélin a vieilli !
Le meilleur, et je le savoure d’autant plus qu’il me faut manier le coupe-papier, c’est la correspondance Béalu-Cadou entre 1941 et 1951 : ça vaut toutes les approches critiques et les habituelles hagiographies.

Pour entrer tendrement dans une paisible nuit - ce n'est pas Cadou - mais c'est si proche à des siècles d'écart.

Enquer me membra d'un mati
que nos fezem de guerra fi
e que.om donet un don tan gran :
sa drudaria e son anel
enquer me lais Deus viure tan
qu'aia mas mans sotz son mantel !

Guilhem IX coms de Peitius


Encore me souviens d'un matin
où à la guerre mîmes fin
qu'elle m'accorda un don si grand :
sa fente nue et son anneau
que dieu me laisse vivre tant
que j'ai mes mains sous son manteau !

jeudi, 23 mars 2006

nuit

Je ne sais si cela arrive aux autres, à l’autre.
À toi ? À vous ?

Je viens de m’éveiller en larmes au mitan de la nuit parce qu’Elle est revenue.
Ou est-ce moi qui suis redescendu ?

À trop penser Orphée, voilà ce qui advient, de ne plus savoir entre le rêve du sommeil et la songerie de la veille.

Ce n’est plus de la littérature ce sont des mots pour vivre pour mourir
tu pleures au cœur de la nuit
sur ton rêve ta rêverie sur ta vie

Il repose
livré aux mains des furies tendres
baigné dans la langueur du cadavre et le flux
lointain de la naissance
Orphée n'est plus

Ô seins dressés que je meurtris ô toute morte
dans le plaisir ! Tu es l'aimée. Tu es l'aimée.

Je sais. Tant de fougère ancienne. Je connais
l'humide, et la trompeuse ondée du souvenir
et la mousse des pas paisibles et la rosée
sur Toi mon Eurydice,
mais si belle,

parmi ces corps où moi perdu n'ai plus de corps
ô contour de ma vie ! demeure

il croit cerner

les reins
mais l'abîme dans la moiteur remue il est très loin


.........................................................................................

dans la nuit nue tu ouvres ce livre qui remonte des larmes tu es pourtant si loin de cette croyance le christ n’est plus qu’un lointain copain
.........................................................................................

Le sel immense et bleu bu par le sang agile
la plaie gercée d'oubli devient lèvre au printemps.
Le salpêtre des morts est léché sur les ruines
par la Bête vêtue de dieu : ô roche nue
parais
C'est l'odeur de la femme son regard
qui fait rage de tous ses vents dans les blessures
c'est le rauque grondement des chevelures
la femme détachée de l'écho qui prend feu
l'odeur qui dans le cœur déplace ses montagnes
les à-pics beaux comme des temples où s'appuie
le soleil le profond soleil criblé de balles
et profusion de l'ombre en l'or ! la mer surgie
roche d'ardent feuillage et d'oiseaux où la terre
découpe adamantine une baie sur la Nuit.
Pierre Emmanuel
Tombeau d’Orphée


la nuit une nuit cette nuit.

mercredi, 22 mars 2006

ça m'interroge

2034 pages du blogue lues le 19 mars ? Pour un nombre habituel de lecteurs.
Que s'est-il passé ? Un "stage" qui s'initie aux blogues ? Les flics ? Les RG ? Les gendarmes de l'Internet ? Des éditeurs ruinés ?
Préfiguration de la future législation des droits d'auteurs.
S'ils s'instruisent, passe encore ! Ces lectures me pertubent avec bonheur les moyennes de mes pages lues.
Le tout avec un assourdissant silence dans les commentaires.
Ô le lamento du commentaire (0) !

À l'usage de ces visiteurs insistants - et pourquoi pas ? - une glane de mes lectures entre troubadours (pour demain) et hymnes orphiques (pour ce soir) :


Je ne t'aimerai vraiment que si tu joins
les bracelets de mes chevilles à mes boucles d'oreilles !


Paroles de villageoises d'Occitanie ou d'Andalousie à la belle langue crue. Ce serait un refrain de chanson populaire !
Dommage !
Ne suis point sûr d'être encore d'âge à acquiescer à si troublante invite.

lundi, 20 mars 2006

de mort et de printemps

Mais non, mais non ! Ça peut être "beau de mourir au printemps".
Moi, j'aimerais bien cette année-là - enfin l'année où ça me viendra - que mon cerisier soit enfin fleuri.
Il a tant de retard cette année !
Aujourd'hui, du moins cette nuit, entre le 20 et le 21 mars, c'est mon poète d'adolescence qui s'en alla, l'an 1951.
Peut-être l'ai-je croisé quand j'étais un petit enfant, du côté de la rue Jean Jaurès, de la rue du Marchix ou de la place Bretagne, un jour où il allait rendre visite à son copain le libraire.
J'ai rencontré ses mots sur un banc du Jardin des Plantes, trois ans trop tard pour reconnaître son visage.

Ce matin, j'ai mis du vin en bouteille, de ce dernier vin d'une vigne massacrée parce qu'il importe plus de construire des "airbus" que d'élever de bons et simples vins.
Il n'y a plus un cep vivant.
Il n'y a plus que des monstres qui nivellent, trouent, aplanissent dans un vacarme immonde.

je ne suis pas nostalgique pour autant. Le blogue d'Al m'a suggéré des poèmes printaniers.
Mettant mon vin en bouteille, j'ai pensé à lui, à "mon" Cadou dont le nom "demeure comme un bruissement d'eau claire sur les cailloux". Sans doute, s'attardait-il trop aux tables des bistrots !

Ô vieilles pluies souvenez-vous d'Augustin Meaulnes
Qui pénétrait en coup de vent
Et comme un prince dans l'école
À la limite des féeries et des marais

En un pays mené de biais par les averses
Et meurtri dans son cœur par le fouet des rouliers
Le lit défait du garde-chasse
Les chemins creux du monde entier
C'est là que je t'attends c'est là que je te veille
Printemps comme un chanteur des rues printemps pareil
À la petite lumière d'un vélo sur la route
Voici que le plus simple entre nous s'émerveille
D'avoir entre les mains un bouquet de jnquilles
Et l'oiseau qui dormait encore se souvient
D'une fenêtre au bout du monde
Peut-être que là-bas dans les terres perdues
Une jeune fille de famille toute nue
Se dresse à la croisée ouverte et se regarde
Dans un morceau de lune triste comme un parc

Peut-être bien que c'est ainsi dans les romans
Une grosse cloche avec le printemps dedans

Mon amour tu es là comme une herbe qui penche
Sa longue écriture douce sur la page
Et je lis dans tes yeux et tu peux bien baisser
Ta paupière pareille à du genêt mouillé
J'épelle à haute voix comme un enfant qui dort
La chaude et mesurée syllabe de ton corps.
Hélène ou le règne végétal, 1948

 


Rentre vite, René ! Hélène va s'inquiéter.

dimanche, 19 mars 2006

célébrer un grand Passeur

dédiée à Kheira, à Djanet !
Que sont-elles devenues, ces femmes de grande liberté,
dans la tourmente de ces vingt dernières années ?



Pour commémorer - on commémore beaucoup quand la barbe blanchit - le 19 mars 1962, la confluence des dates avec l'anniversaire de la mort d’Ibn-Khaldûn, il y a 600 ans, m’est apparut comme un sacré signe ; le voisinage du texte sur le Désert pour accompagner la dépouille de Claude n'en est que plus fortuit - qui paraît fortuit, glisserait Borgès - et renforce la tonalité maghrébine de cette note. Et quand, ce soir, au Beaulieu, on passe la Bataille d’Alger, le médiocre film de l'italien PonteCorvo... alors !
Eh, bien alors ! Je me suis replongé dans mon vieux bouquin de la Muqaddima, qui porte en ex-libris “Alger, Pâques 1966 ~ En attendant Kheira...” !

Toujours ce petit bonheur d’avoir naguère - jadis ! - glissé entre les pages du livre des feuillets : ceux-là combien précieux, puisqu’ils évoquent le labeur théâtral que je fis avec René Lafforgue* - où est-il, celui-là ? - autour d’Ibn-Khaldûn pour la fête de la Jeunesse de juillet 1966 au Grand Théâtre d’Alger. J’avais failli tenir le rôle de Pierre le Cruel, roi de Castille, je me bornais à la régie “son”. Dommage, car lors de son séjour, le Castillan était accompagné de sa maîtresse, Maria de Padilla ; dans notre évocation, le rôle était tenu par Djanet, une jeune actrice du Théâtre National Algérien ; elle était sur scène, j’étais derrière ma console ; nous ne fûmes point indifférents, l'autre à l'un. Elle était belle ! Ça ne dura qu’un seul été !

Oserai-je écrire que j’ai retrouvé Ibn-Khaldûn lors de notre périple ibérique de 2001/2002 ? Au cours de la visite de l’Alcazar de Séville et de ses jardins, en novembre 2002, son ombre est revenue :


...Ou peut-être, un siècle plus tard, avez-vous croisé Ibn Khaldûn venu à la cour de Pierre le Cruel en ambassadeur de l’émir de Béjaia : vous l’avez questionné sur son étonnante démarche d’un voyageur qui s’intéresse avec tant d’insistance aux groupes humains et à leur organisation sociale ; plus tard, les lettrés diront qu’avec sa Muqaddima, il fut le premier à jeter les jalons de la sociologie !

Coule la fontaine !



J’avais déjà mis mes pas dans les siens dans les années 60, dans une Algérie enfin libre et pour quelque temps encore heureuse : à Tlemcem, Constantine, Bedjaïa, Batna, Biskra.
Sur certaines terrasses de Biskra ou de Baniane, je suis resté longuement rêveur devant la palmeraie qui s’étendait jusqu'aux confins du désert. Toujours il y eut des musiques : chaâbi constantinois, raïta guerrière, rebbäb nostalgique, musique douce andalouse, humble et rustique roseau du nomade.
Peut-être qu’entre deux ambassades, un enseignement, deux recrutements de mercenaires, une charge de caïdat, s’était-il retiré, là, pour méditer et construire son grand œuvre ?
Il l’élabora au cours d’un siècle obscur, tumultueux et un parcours de vie qui ne lui épargna aucune vicissitude. Rien de l’activité humaine ne lui sera étranger ; on le fait l’ancêtre de la sociologie ; il est bien au delà. Aurais-je brièvement l’audace d’évoquer un Pierre Bourdieu ? un Edgar Morin ?
Pas un mot plus haut qu’un autre, il observe, décrit, définit, classe, hiérarchise, compare, analyse ; il développe, il expose, il ne juge pas ; quand il pressent le désaccord qui se dessine, il écrit : « Nous réfuterons.» Quand il avance une preuve, il avoue que cette preuve “se fonde uniquement sur la difficulté de la chose et l’impuissance de l’esprit humain de tout comprendre”.

Sur la science et l’Islam

Lorsque la communauté musulmane étendit son empire et absorba d'autres nations, les sciences des Anciens furent effacés par la révélation prophétique et le Livre. L'inculture était alors la marque distinctive de cette communauté. Mais ensuite la souveraineté, la puissance et les services forcés des peuples vaincus la façonnèrent (aux usages) de la civilisation sédentaire et adoucirent ses mœurs. Dès lors l'enseignement des sciences religieuses, qui s'était fait chez les musulmans par la voie de la transmission orale, devint un art et le progrès de leurs connaissances amena la composition d'une foule d'ouvrages et de recueils. Mus par le désir de connaître les sciences des autres peuples, ils les intégrèrent à leur savoir en les traduisant et en les adaptant à la forme de leurs propres spéculations.


Sur la pensée et la faim


Il faut savoir que la faim est de toute manière plus favorable au corps qu'une surabondance d'aliments, pourvu qu'on puisse s'habituer à l'abstinence ou à réduire son alimentation. La faim agit favorablement sur le corps et l'esprit : elle entretient la santé de l'un et éclaircit l'autre ainsi que nous l’avons dit.
On peut en juger par l'effet que les aliments produisent sur le corps. Nous avons observé que si des hommes adoptent pour nourriture la chair de très gros animaux, leurs descendants prennent les qualités de ces animaux. La chose est évidente si l'on compare les Bédouins aux citadins.



Je ne savais plus qui dédaigneusement laissa brûler la bibliothèque d’Alexandrie, arguant que si le savoir de la Bibliothèque était contre le Coran, il fallait la détruire et que si ce savoir était déjà dans le Coran, ce dernier suffisait et que point n’était besoin de la bibliothèque, qu’il convenait donc de la brûler.

Sur l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie

Les sciences intellectuelles acquirent une très grande importance chez les Perses, et leur culture y fut très répandue, ce qui tenait à la grandeur de leur empire et à sa vaste étendue. On rapporte que les Grecs les apprirent des Perses à l'époque où Alexandre tua Darius et se rendit maître de l'empire des Achéménides. Alexandre s'empara alors de leurs livres et (s'appropria la connaissance) de leurs sciences. Nous savons cependant que les musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques, et que (leur général) Sa'd ibn Abi Waqqaç demanda par écrit au Khalife Umar ibn al-Khatib s'il lui serait permis de les distribuer aux croyants avec le reste du butin. Umar lui répondit en ces termes : « Jette-les à l'eau ; s'ils renferment ce qui peut guider vers la vérité, nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s'ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! ». On jeta donc les livres à l'eau ou dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent au point qu'il ne nous en est rien parvenu.



Je ne sais comment mon passé algérien va me rattraper ce soir avec “La bataille d’Alger”, ce dont je suis sûr, c’est que, depuis deux jours, de m’être replonger dans les pages de la Muqaddima, m’a joyeusement réconcilié avec la pensée d'un très grand Maghrébin.
Cet homme est toujours un PASSEUR entre nos rives.

Post-scriptum :
• Les extraits de la Muqaddima présentés par Georges Labica et traduits par Jamel-Eddine Bencheikh ont été édités en 1965, par Hachette, pour le Centre Pédagogique Maghrébin.
• Un premier tome des Œuvres d’Ibn Khaldûn, Le Livres des exemples, traduit et présenta par Abdesselam Cheddadi, a été publié par Gallimard, en Pléiade, en décembre 2002.
• Dans l'encyclopédie collective de la Toile, Wikipédia, une biographie qui semble juste.

* Oui ! Qu'est-il devenu, ce vieux compagnon ? Instructeur national "théâtre" à la Fédération nationale des Maisons des jeunes et de la culture, à l'époque où nous travaillions sur Ibn Khaldûn, il mettait en scène pour Paris - mais quelle salle de théâtre ? - Noces de sang de F.G. Lorca

samedi, 18 mars 2006

Le mercredi 19 mars 1406

Il y a six cents ans, plus justement, le 25 ramadhan 808, meurt au Caire le Grand Cadi malikite IBN KHALDÛN.

Il était né le 1er ramadhan 732 (27 mai 1332) à Tunis, dans une famille de notables féodaux installée en Andalousie depuis le IXe siècle et originaire de l'Hadramawt, région de l'Arabie du Sud .

Il s'appelait Abû Zayd Abd-ar-Rahman ibn Muhammad Ibn-Khaldûn Wali ad-Din at-Tunisi al-Hadrami al-Ichbili al-Maliki.

vendredi, 17 mars 2006

Pour saluer l'ultime randonnée de Claude

Nous avions, lui et moi, en commun dans nos foulées, dans nos rêves, ce désert.

...C'était un pays hors du temps, loin de l’histoire des hommes, peut-être, un pays où plus rien ne pouvait apparaître ou mourir, comme s'il était déjà séparé des autres pays, au sommet de I’existence terrestre. Les hommes regardaient souvent les étoiles, la grande voie blanche qui fait comme un pont de sable au-dessus de la terre... Puis ils écoutaient la nuit.

...Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu'ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux.

...c'était le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n’avaient plus d'importance. Un pays pour les pierres et pour le vent... quand le soleil brûle et que la nuit gèle.

De Désert - J.M.G. Le Clézio

22:55 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)

jeudi, 16 mars 2006

Que plorant dessor la peitrine...

J’avais écrit une note, hier soir.
Perdue, cette nuit dans les dédales étranges de “Hautetfort”.
Toujours cette fâcheuse coutume de publier directement sans passer par le bon vieux traitement de texte et l'utilisation, après le dernier mot, d'un tout aussi bon vieux copier-coller.

Il y était question, non point de funérailles - c’est demain que nous accompagnons, “copains d’abord”, Claude, pour son dernier désert - mais très trivialement du plein de la cuve de fioul que les frimas prolongés de l’hiver épuisent, du retard du livreur, de la plainte d’Hécube penchée sur le corps brisé d’Astyanax, son petit-fils - oui, oui, le fils d’Andromaque ! - que célèbre Euripide dans les Troyennes, plainte péniblement traduite et dont j’ignore, vu mon absence, à l’atelier de Grec ancien, le nombre de faux-sens et contre-sens commis, il y était question, écrivais-je, de la découverte d’une autre plainte, le beau et poignant lamento d’Énide.
Je me refusais d’en donner la traduction, toujours terne, quand l’extrême concision du vieux français fait merveille et en dit tant plus.

(Que plorant dessor la peitrine
An chieent les lermes sor lui,
Et dist :] "Lasse, con mar m'esmui
De mon païs! Que ving ça querre?
Bien me devroit sorbir la terre,
Quant toz lî miaudre chevaliers,
Li plus hardiz et li plus fiers,
Li plus biaus et li plus cortois,
Qui onques fust ne cuens ne rois,
A del tôt an tôt relanquie
For moi tote chevalerie.
Donques l'ai je honi por voir ;
Nel vossisse por nul avoir.


Je ne suis point un fan de Chrétien de Troyes qui affadit trop, par morale et chrétienne et courtoise, la fort libertaire “matière de Bretaigne”. Augustinien en diable(!), le clerc tonsuré de Marie de Champagne aurait-il lu et médité le Père de l'Église ? Sa tonsure ne le contraignait point à tant de prudrerie ! La lamentation qu'il met dans la bouche d'Énide est à nouveau, aujourd'hui, allègrement niée par notre "Faites l'amour, pas la guerre !".
Mais se mettre en goule :

Lasse, con mar m’esmui
De mon païs ! Que ving ça querre ?


c’est d’un autre bonheur que

Malheureuse, que j’ai eu de malchance !
Loin de mon pays, que suis-je venu chercher ici ?


Pour avouer tout, je ne me hasarderai point à traduire - quoique ! - mais je ne refuse pas le conseil d'une honnête traduction de cet Érec et Énide.

...A del tot an tot relanquie
Por moi tote chevalerie.