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mardi, 28 mars 2006

Poème et/ou nouvelle

J'achève la lecture de la correspondance Béalu-Cadou.
Elle m’aura permis de sortir de l’oubli de certaines étagères de ma "librairie" un bouquin paru dans la Bibliothèque Fantastique de Marabout en 1972, sous une jaquette "trash", dirait-on de nos jours.
Les Mémoires de l’ombre apparaissent dans les lettres dès mai 1941. Cadou ne tarit point d’admiration pour les textes de Béalu. On suit la parution des premières nouvelles dans des revues d’alors jusqu’à leur première édition complète en 1945 par Gallimard.
À lire Cadou, on peut penser qu’il s’agit de poèmes. Une brève allusion à Edgar Poe fait incliner le lecteur vers le fantastique. Encore un côté ignoré du Cadou lecteur qui se dévoile.
Il faut dire que Béalu détonne entre la poétique d'un Max Jacob qui le chaperonne et celle des gus de “l’équipe de Rochefort” (Ils récusent tous le terme “école”. Alors ?).
Un décalage de l’angle du regard”, c’est ainsi que Béalu caractérisait ses nouvelles-poèmes


Pour exprimer son amour des livres, cet ami me confiait avoir aimé dans sa jeunesse une jeune fille : de lui toucher seulement le bras je ressentais une commotion... et il ajoutait : C'est cette même sensation que j'éprouve aujourd'hui quand j'ouvre un livre.
Que d'émotions il eût connues dans la chambre secrète où je conservais, en des vitrines spécialement aménagées, ma collection de femmes reliées ! Sous l'apparence d'honnêtes in-octavo elles demeuraient là, mes chères petites d'hier et d'autrefois, alignées l'une contre l'autre, enfin sages, enfin rangées, chacune définitivement habillée selon ni nature et non d'après les caprices vulgaires de la mode : en veau mort-né les romanesques, percaline rosé les fausses naïves, cuir noir genre missel les passionnées, et les vierges en maroquin blanc. Quelle patience il m'avait fallu pour les posséder ainsi, non plus à l'image de la terrible vie du monde, folles, bruyantes et trop souvent dispersées, mais réduites à cette petite vie d'objet, ou plutôt à cette petite mort où je les tenais enfermées, fidèles à mon appel jaloux. Toutes sans prétention d'auteur ni ornement superflu portaient seulement un millésime et, sous la nuque en guise de titre, leur prénom. Ces doux vocables si souvent criés dans le délire, il ne me semblait pas du tout étrange d'épeler ici leurs froides syllabes incrustées. Ô ma brune Anik demi-basane, mon Ève coquette dorée sur tranche, ma rouée Claudine dos à nerfs, et toi, et toi, ma mélancolique Marguerite plein-chagrin ! Lorsque, en prenant bien soin de ne pas abîmer votre coiffe, je vous tirais du réduit où votre beauté momifiée n'attendait que mon geste pour renaître, vos bras soulevant leur fermoir me révélaient, toujours à nouveau, quelque endroit inconnu, quelque parfum inattendu, quelque grâce ignorée de votre corps ainsi merveilleusement préservé.
Le choix nécessaire, car je vous aimais toutes un peu sans discernement jadis ! m'avait obligé aussi à beaucoup de souffrance. Si bien qu'à présent je n'aurais consenti à me séparer d'aucune d'entre vous. Et chaque fois — de plus en plus rarement il est vrai, tant à vous fréquenter s'était affiné mon goût — chaque fois qu'une « nouvelle acquisition » venait resserrer vos rangs, c'était à votre tour d'éprouver une légère angoisse. Heureusement, elle ne se traduisait, sur la page où dormait votre regard figé, que par l'apparition de quelques taches de rousseur qui rehaussaient d'un charme complémentaire la nacre monotone de votre teint désincarné.

 


BIBLIOGYNIE
Mémoires de l'ombre



Un peu plus sur Marcel Béalu :
• aux éditions José Corti
Marcel Béalu, un surréaliste fantastique (ndrl : pas sûr qu'il ait apprécié un tel qualificatif !)

Commentaires

Les passages réguliers sur ce blog sont des plaisirs choisis. Il me semble y parcourir à chaque fois une anthologie dont j'apprécie les parfums comme si je les avais choisis moi même.
Et cela combien même mes "27 mars" sont très différents. Cela m'est aussi une très grande source d'enrichissement que cette découverte de communion commune quand bien même le 29 je suis resté... au bureau!
@ bientôt et merci

Écrit par : BdG | jeudi, 30 mars 2006

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