mercredi, 15 mars 2006
Immigré mon ami
La mort n’est pas loin.
À quelques pas d’ici, de mon jardin qui n’est pas encore rétréci, il y a mon copain exsangue, cireux, immobile sur un lit, certains diront son corps, d’autres son cadavre, moi, je dis encore « mon copain » !
Hier, je voulais parler de cet après-midi de samedi dernier, un après-midi de solidarité ; flottait le drapeau du Thibet ; je n’aime plus les drapeaux, mais ceux des pays qu’on veut rayer des cartes, je pense qu’il est sensé de les faire flotter !
Ce fut donc de la solidarité avec les immigrés. Ateliers, tables rondes.
Moi, je me suis occupé de livres : j’étais, pour un après-midi, libraire-et-bibliothécaire.
Je n’aime guère le commerce, s’il me fallait une psychanalyse, ce serait pour ma relation à l’argent. J’ai vendu pour 560 €. Meilleurs scores pour la Fracture coloniale, La révolte des banlieues ou les habits nus de la République (petit brûlot sur les événements de novembre), Je suis noir et je n’aime pas le manioc, Histoire des Français venus d’ailleurs, ... Pour un qui donnerait plutôt les bouquins, pas trop mal !
Deux amis de Baalu témoignaient.
Baalu, une communauté de dix villages au profond du Sénégal oriental, aux confins du Mali et de la Mauritanie, au confluent du Sénégal et de la Falémé, depuis dix siècles, réservoir de l’émigration, depuis l’implosion de l’empire du Ghana, pour cause de serpent maléfique et de vierge forcée, pour l’or épuisé, pour le désert qui s’avance.
Bref, le commencement de la diaspora Soninké : Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Europe, ils sont désormais à New-York, recommercialisent Harlem et touchent déjà la côte Ouest !
Dans l’urbs parisienne, ils sont sans doute les plus nombreux, balayeurs, ingénieurs, magasiniers, informaticiens, chauffeurs de taxi, sociologues, mais É M I G R É S !
Mamadou D et Al-Hadji K ont témoigné. Ce dernier qui alla à l’école française jusqu’à l’âge de douze ans a dit ce texte, qu’il nous a confié ; c’est simple et nu.
IMMIGRÉ
Être immigré, c’est vivre loin de chez soi,
Laissant parents, amis et coutumes,
Se retrouver dans un autre lieu,
Dont on ignore en général
La mentalité et le mode de vie de ce nouvel endroit.
Cest aussi vivre dans la solitude, l'ennui,
Et l’inquiétude des gens qui t'entourent
Car la chaleur humaine n’est toujours pas la même.
Que ce soit dans le bonheur ou le contraire,
On est appelé à le supporter dès qu’on a choisi d’émigrer.
La nostalgie des siens gagne du terrain de jour en jour,
Parfois même, le retour au bercail se fait sentir,
Mais le courage devrait emporter là-dessus,
Pour faire remonter le moral.
On en profite pour s’instruire,
La rencontre avec un nouveau monde,
Une nouvelle culture est toujours enrichissante.
Parce que voyager veut dire aussi ça !
Al-Hadji Kanouté
Je n'ai pas encore parlé de l'iniquité de la loi Sarkozy, gros étron chié des accords de Schengen, et de ses circulaires d'application !
Ce soir, la mort est encore notre voisine et persiste la tristesse .
21:40 Publié dans les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 14 mars 2006
Son dernier trek
Ce matin, Claude s'en est allé.
Demain, nos pas seront de lourde tristesse.
Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quitté.
René Char
Il nous faudra cependant sourire en évoquant sa gouaille de "fine gueule" !
22:30 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 13 mars 2006
Oublier rondement ?
Dans un vide mental.........
Restreindre son espace ce n'est pas si anodin !
Une parcelle de terre qui ne sera plus foulée, des arbres qui seront dissimulés.
« C'est la vie ! » me dit cette femme qui mesure mon lopin. Conne !
« C'est l'argent ! », lui ai-je répondu.
René Char dans ce va-et-vient de tristesse
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La pelouse et les arbres,
La paresse endormie
L'espace ténébreux
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Puisqu'il faut renoncer
À ce qu'on ne peut retenir
Qui devient autre chose
Contre ou avec le cœur, —
L'oublier rondement
Puis battre les buissons
Pour chercher sans trouver
Ce qui doit nous guérir
De nos maux inconnus
Que nous portons partout.
Le deuil des Névons
Pas facile "d'oublier rondement" quand va se restreindre sans retour la familiarité d'un paysage !
21:25 Publié dans les diverses | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 10 mars 2006
à suivre, pour Artaud
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Artaud s'assied, visage en cendre dans le vent.
C'est l'aube, où fume encore un dernier campement,
L'âtre noir où se perd la piste du voyage
Du cavalier qui monte en chantant vers l'orage.
Artaud meurt, essayant d'enfiler sa chaussette,
Mais le Thibet retient la main qui se dessèche,
Artaud plein de pavots étouffés dans sa tête,
Artaud dit non, dans son cercueil, aux coups de bêche.
Henri Thomas
mort d'Artaud
Sous le lien du temps, 1963
Henri Thomas. Pendant quinze ans, de 1970 à 1985, il a fréquenté Houat. Peut-être l’ai-je croisé au hasard des mouillages. À la prochaine escale, je m’enquiers de son séjour.
Il fut un des proches d’Artaud quand celui-ci était à Rodez.
Poésie/Gallimard vient de publier Suppôts et suppliciations (n°416), édition établie par Évelyne Grossman. Mon catalogue était ancien ; sous le n° 385, c’est Pour en finir avec le jugement de dieu, suivi de le Théâtre de la cruauté qui a été publié récemment.
Libé-livres d’hier présentait un bouquin Ferdière, psychiatre d’Antonin Artaud, mince opuscule de 48 pages rédigé par un psychiatre, Emmanuel Venet. Je suis confus de n’avoir pas saisi le propos du livre, pas plus d’ailleurs que ce qu’en écrit le critique de Libé ; une photo de Artaud, Ferdière (“en surplomb”, sic) et de deux inconnu(e)s.
Dans Suppôts et suppliciations, une trentaine de lettres dont plusieurs à Henri Thomas, une très longue à André Breton et un projet de correspondance à Claudel, appelé “cloclo”, qui avait décidé de cesser toute collaboration avec la revue Fontaine de Max-Pol Fouchet, parce que ce dernier y avait publié “les élucubrations d’un aliéné”. "L'aliéné" s'y fâche !
Hors de ses propres dérives soigneusement dissimulées, ne fut jamais très à l’aise avec la folie des autres, le grand Claudel !
Tristesse !
14:55 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 07 mars 2006
de quelques rognes matinales et simultanées
Il y a des matins comme celui-ci où la colère se fait plus vive. Trois ou quatre ou cinq grognes à entretenir et développer. Six même !
Le Contrat “Précarité Emploi” : ils causent bien du CPE quand ils en parlent, les messieurs du pouvoir ! Alors, ne sachant pas lire les sigles, car ayant appris par la méthode syllabique, j’anticipe mal, très mal.
La méthode syllabique objet d’un arrêté ministériel. Toujours avec ces messieurs du pouvoir. Ils nous ramènent au cher Jules Ferry, monsieur du pouvoir du siècle pénultième, qui voulait bien que le peuple sache lire et écrire. Mais pas trop, hein !
Le mec de la BNF, conservateur en chef - tiens encore, un de pouvoir - qui a vendu, sans nous demander notre avis et pour la modique somme de 251 000 €, le manuscrit “Hébreu 52” : de quoi va-t-il écoper ? Nous ne le saurons que le 11 mars. Nous veillons, messieurs les juges !
Gaumont et Pathé qui passent le prix des places à 9,20 € : là, ce sont les gens d’argent. Les auteurs et compositeurs n’en ramassent que 1,27 %. Il y a quelques mois déjà que je ne fréquente plus que les salles d'art et d'essai - souvent dans ma province, anciennes salles de cinéma paroissial. Tiens donc !
D’où mon interrogation sur le soutien qu’apportent ces derniers, les gens d’art, pas les cinémas paroissiaux, au projet de réglementation des messieurs de pouvoir, licence globale ou pas, pour nous sanctionner, sinon nous interdire, le”pair-à-pair” ?
Enfin, enfin - mais cette colère est très ancienne - c’est pour la journée Solidarité Internationale de ma petite cité ; combien de mes concitoyens ignorent - nul n'est censé ignorer les lois - les applications de la loi sur l’immigration, conçue en droite ligne des accords de Schengen, applications mises en œuvre depuis novembre 2004 par décret et circulaire, signés du petit vizir qui veut être roi ?
ET MERDRE.
10:00 Publié dans les civiques | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 05 mars 2006
une femme rencontre Artaud
Anaïs Nin et Antonin Artaud vont se rencontrer et s’écrire entre mars et août 1933.
Mois intenses qui s’achevèrent sans doute dans l’incompréhension de Artaud face à l’extrême liberté de femme de Anaïs Nin.
Il faut relire toutes les pages du Journal de l'écrivaine*, au long de ces six mois. Fascinant regard sur la tension folle d’un homme qui découvre UNE femme.
Deux êtres de beauté en miroir.
Artaud. Maigre, tendu. Un visage creusé, des yeux de visionnaire. Des manières sardoniques. Tantôt fatigué, tantôt ardent et malicieux.
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Il a les yeux bleus de langueur, noirs de souffrance. Il est tout en nerfs. Il était pourtant si beau dans le rôle du moine amoureux de Jeanne d’Arc dans le film de Carl Dreyer. Les yeux enfoncés du mystique, comme s’ils brillaient au fond d’une caverne. Profonds, sombres, mystérieux.
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Lorsque je revois Artaud, il m'accueille debout, noble et fier, une joie folle dans les yeux, des yeux de fanatique, des yeux de fou. Le triomphe sur son visage, l'éclair d'orgueil et de joie parce que je suis venue. La lourdeur de ses gestes qui s'accrochent, leur étrange despotisme. Ses mains m'effleurent seulement,
effleurent mes épaules, je sens pourtant la force de leur magnétisme.
Je suis vêtue de noir, de rouge et d'acier, comme un guerrier, pour me défendre d'être possédée par lui. Sa chambre est nue comme une cellule de moine.
Un lit, une table, une chaise. Je regarde les photographies de son étonnant visage, le visage changeant d'un acteur, amer, sombre et parfois rayonnant de quelque extase spirituelle. Il appartient au Moyen Âge, si grave, si intense. Il est Savonarole en train de brûler des livres impies, de brûler des plaisirs. Son humeur est presque satanique, sans joie claire, un entrain diabolique. Sa présence est écrasante, i! est tout entier tendu et brûlant comme une flamme blanche. Il y a dans ses gestes une fermeté, une intensité, une férocité, une fièvre qui éclate sur son visage en sueur.
Il me montre ses manuscrits, me parle de ses projets, devient sombre, m'implore, s'agenouille devant moi. Je lui répète tout ce que je lui ai déjà dit. La pièce tourne autour de nous. Il se lève, le visage convulsé, figé, pétrifié.
— Je ne suis pas fait pour l'amour sensuel. Et cela, pour les femmes, a tellement d'importance.
— Pas pour moi.
— Je ne voulais pas vous perdre.
— Vous ne me perdrez pas.
* Anaïs NIN, Journal 1931-1934, Le livre de poche n°3901, 1974
12:45 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
à quelle altitude ?
Très, très haut la Conversation souveraine de René Char avec Antonin Artaud.
Je n'ai pas la voix pour faire ton éloge, grand frère.
Si je me penchais sur ton corps que la lumière va éparpiller,
Ton rire me repousserait.
Le cœur entre nous, durant ce qu'on appelle improprement
un bel orage,
Tombe plusieurs fois,
Tue, creuse et brûle,
Puis renaît plus tard dans la douceur du champignon.
Tu n'as pas besoin d'un mur de mots pour exhausser ta vérité,
Ni des volutes de la mer pour oindre ta profondeur,
Ni de cette main fiévreuse qui vous entoure le poignet,
Et légèrement vous mène abattre une forêt
Dont nos entrailles sont la hache.
Il suffit. Rentre au volcan.
Et nous,
Que nous pleurions, assumions ta relève ou demandions :
« Qui est Artaud ?» à cet épi de dynamite dont aucun.
grain ne se détache,
Pour nous, rien n'est changé,
Rien, sinon cette chimère bien en vie de l'enfer qui prend
congé de notre angoisse.
dans Recherche de la base et du sommet
Je m'immisçais dans ces mots obcurs pour tenter d'atteindre les contrées de la folie
12:40 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 04 mars 2006
Antonin ARTAUD, le 4 mars 1948
Antonin Artaud ?
Est-on dans la poésie ? La littérature ? L’écriture ?
En deçà. Au delà.
Le n° 66 de la collection Poètes d’aujourdhui, paru en février 1959, est acheté à Nantes le jour même de mon retour en Algérie, le 7 octobre 1960. Comme pour les trois titres précédents, Rousselot, Supervielle et Essénine, la lecture de l’essai de Georges Charbonnier sur Artaud est le confluent d’une histoire amoureuse avec An et d’échanges littéraires intenses - trop littéraires, sans doute -, puisque l’amour s’effacera de par ma seule et piteuse responsabilité dans les mois qui suivirent ma reprise des “crapahuts” dans les djebels.
Tant il est vrai que si l’amour vient à manquer il n’est nul héritage
Qui puisse combler la vacuité des sens et cette absence de corsage
écrit Cadou évoquant la liaison d’Apollinaire et de Madeleine.
Cadou qui était, à An et moi, découverte et passion adolescentes communes, Cadou, une fois de plus qui fut l’ouvreur du chemin à Artaud :
Avec tes yeux comme une sonnerie bloquée Antonin
Comme un printemps foutu
Avec tes mains
Tes mains sur les barreaux de l'asile Antonin
Tes mains sur les fils électriques
Sur l'espagnolette sur la poésie partout
Antonin partout
Tes mains sur ton front pressées
Sur tous les corps de jeunes filles
Sur la campagne de Rodez
Antonin la campagne
Tu pêcherais dans la rivière
Avec une arbalète Antonin
Avec toutes les femmes
À même
À même la poésie Antonin
Et pas de camisole
Pas de frontières
Pas de répit surtout
Hélène ou le règne végétal - 1948
René Char suivra plus tard.
L’accès ne fut guère aisé, Georges Charbonnier étant, à ma connaissance, le premier à rompre avec la charte éditoriale de la collection : le choix des textes était supprimé ; bibliographie, dessins, portraits et fac-similés maintenus.
AVERTISSEMENT. Dans cet ouvrage, faute de place, et pour mieux conserver aux remarques qui le constituent, leur caractère d’essai, il a paru préférable de sacrifier tout détail historique ou anecdotique à l’approche des textes d’Antonin Artaud.
Antonin Artaud est né à Marseille le 4 septembre 1896. Dès sa jeunesse il séjourne dans une maison de santé. La vie entière d’Artaud s’écoulera sur la scène, sur le plateau, à l’asile. Le plus long séjour à l’asile dure neuf ans (Le Havre, Sotteville-lès-Rouen, Sainte-Anne, Ville-Évrad, Rodez).
Pour la société, Antonin Artaud est un drogué et un aliéné. Il n'a fait « carrière » ni au théâtre, ni au cinéma, ni dans la littérature.
L'histoire d'Antonin Artaud est celle d'un homme qui n’avait pas choisi d’être ; qui, étant, n'avait pas choisi son corps. (Un jour, cet homme constate qu’il ne sait pas choisir ses mots.............
Antonin Artaud est mort le 4 mars 1948 à Ivry.
Antonin a fait mot son corps....
De quoi laisser pantois, le lecteur ! Secoué par la violence des textes, ceux de Artaud, mais aussi par le commentaire de Charbonnier.
Plus que pantois, pantelant.
J’ai souvent eu l’envie de chambouler les deux seuls repères :
Artaud ? Pourquoi pas né le 4 mars 1896, mort le 4 septembre 1948. Expulsé avant d’être né, les os de sa momie tintinnabulant longtemps après son affaissement au pied de son lit.
ce corps inemployable
fait de viande et de sperme
Et ÇA va se lire dans les affres de la contre-guérilla, les embuscades nocturnes, les sueurs des ratissages, les soirées avinées des pitons, le staccato lointain d’un accrochage au flanc d’un djebel, les amours désertées.
Charbonnier va entrelacer, à travers onze parties précédées d’un avant-propos, les textes et ...cris d’Artaud et ses analyses de l’œuvre.
L’avant-propos laisse entendre les tensions et les petits scandales qui semblent jusqu’à nos jours animer les clans qui se partageraient Artaud et le droit de publier ou non les textes.
« LEUR Antonin Artaud qu’ils le gardent.
Le nôtre est celui qui leur échappe. »
Georges Charbonnier ? Il faudra bien qu’un jour France Cul (ou un quelconque étudiant ou chercheur ) nous livre un travail - ou un hommage - sur cet homme de radio qui, des décades durant , s’entretint avec écrivains, peintres, musiciens : Lévy-Strauss, Borgès, Audiberti, Barthes, Masson, Varèse, Queneau, Butor, Leiris, Giacometti et d’autres...
Le bouquin est écrit dix ans après la mort d’Artaud.
Antonin Artaud « retranché »
La création d’Antonin Artaud
Le corps étranglé d’Antonin Artaud
Antonin envoûté
« Toute l’écriture est de la cochonnerie »
Le sexe
« Tout vrai langage est incompréhensible »
Le Mexique
Le théâtre
Le théâtre de la cruauté
Ceux qui ont la face sempiternelle pour eux.
Une approche lente sera nécessaire pour assimiler. Tout un monde inconnu qui surgit : la folie, l’insulte, le sexe, les normes dynamitées, l’obscénité, la révolte, la rage...
Des pages seront ignorées. Par crainte ? Par répulsion ? Par difficultés de compréhension ?
Il me faudra attendre la parution de l’Ombilic des limbes et du Pèse-nerfs en Poésie/Gallimard pour entrer dans cette langue.
Une photo va marquer tout autant que le texte, une de la si poignante série réalisée par Denise Colomb. Agrandie en 40x50, elle sera collée sur un contreplaqué et me suivra dans tous les coins de lecture et d’écriture de pendant quarante ans dans mes tribulations, elle est toujours là, posée par terre, sombre interrogation !
Peut-être m’a-t-elle tout autant apporté réponse aux questions que me faisait poser Artaud : ce glissement des mots, cette faille qui s’insère entre langue et pensée, le moment de la perte quand s’insinue la folie :
Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel.
Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité.
Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements. Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée.
Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.
Sous cette croûte d'os et de peau, qui est ma tête, il y a une constance d'angoisses, non comme un point moral, comme les ratiocination d'une nature imbécilement pointilleuse, ou habitée d'un levain d'inquiétudes dans le sens de sa hauteur, mais comme une (décantation)
à l'intérieur,
comme la dépossession de ma substance vitale,
comme la perte physique et essentielle
(je veux dire perte du côté de l'essence)
d'un sens.
Il me manque une concordance des mots avec la minute de mes états.
« Mais c'est normal, mais à tous le monde il manque des mots, mais vous êtes trop difficile avec vous-même, mais à vous entendre il n’y paraît pas, mais vous vous exprimez parfaitement en français, mais vous attachez trop d'importance à des mots. »
Vous êtes des cons, depuis l'intelligent jusqu'au mince, depuis le perçant jusqu'à l'induré, vous êtes des cons, je veux dire que vous êtes des chiens, je veux dire que vous aboyez au dehors, que vous vous acharnez à ne pas comprendre. Je me connais, et cela me suffît, et cela doit, suffire, je me connais parce que je m'assiste, j'assiste à Antonin Artaud.
Le Pèse-nerfs
La folie et, nouvelle, la douleur :
Cette douleur plantée en moi comme un coin, au centre de ma réalité la plus pure à cet emplacement de la sensibilité où les deux mondes du corps et de l’esprit se rejoignent....
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Mais cet effritement qui atteint ma pensée dans ses bases, dans ses communications les plus urgentes avec l'intelligence et avec l'instinctivité de l'esprit, ne se passe pas dans le domaine d'un abstrait, insensible où seules les parties hautes de l'intelligence participeraient. Plus que l'esprit qui demeure intact, hérissé de pointes, c'est le trajet nerveux de la pensée que cet effritement atteint et détourne. C'est dans les membres et le sang que cette absence et ce stationnement se font particulièrement sentir.
Un grand froid,
une atroce abstinence,
les limbes d'un cauchemar d'os et de muscles, avec le sentiment des fonctions stomacales qui claquent comme un drapeau dans les phosphorescences de l'orage.
Images larvaires qui se poussent comme avec le doigt et ne sont en relations avec aucune matière.
Fragments d’un journal en enfer
Qui atteignit jamais cette atroce frontière ?
Je suis stigmatisé par une mort pressante où la mort véritable est pour moi sans terreur.
Je laisserai vides les cases “théâtre”, “peyotl” : j’y suis très nettement mal à l’aise.
Mais comment échapper au torrent révolté - haineux ? - que suscite chez Artaud la psychiatrie.
Relire Artaud le Momo ; relire dans Charbonnier les pages 68 à 84 d’Artaud envoûté :
Le Bardo est l'affre de mort dans Iequel le moi tombe en flaque,
et il y a dans l'électrochoc un état flaque par lequel passe tout traumatisé,
et qui lui donne, non plus à cet instant de connaître, mais d’affreusement et désespérément méconnaître ce qu'il fut, quand il était soi, quoi, loi, moi, roi, toit, zut et ÇA.
J'y suis passé et je ne l’oublierai pas.
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La médecine soudoyée ment chaque fois qu'elle présente un malade guéri par les introspections électriques de sa méthode,
Je n'ai vu moi que des terrorisés de la méthode, incapables de retrouver leur moi.
Qui a passé par l'électrochoc du Bardo et le Bardo de l’électrochoc ne remonte plus jamais de ses ténèbres et sa vie a baissé d'un cran.
J'y ai connu ces moléculations souffle après souffle du râle des authentiques agonisants.
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Or, je le répète, le Bardo c'est la mort, et la mort n'est qu'un état de magie noire qui n’existait pas il n'y a pas si longtemps.
Créer ainsi artificiellement la mort comme la médecine actuelle l'entreprend c’est favoriser un reflux du néant qui n'a jamais profité à personne
mais dont certains profiteurs prédestinés de l'homme se repaissent depuis longtemps.
En fait, depuis un certain point du temps.
Lequel ?
Celui où il a fallu choisir entre renoncer à être homme ou devenir un aliéné évident.
Mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d’être soignés par d’authentiques vivants ?
in Artaud le Momo
Et Charbonnier d’ajouter :
« Vous aurez 65 électrochocs, M. Artaud. »
Est-ce le portrait quasi quotidiennement scruté ? Sont-ce ces éclairs du Pèse-nerfs ou de l’Ombilic des limbes ? À la fin des années soixante-dix, moi qui n’avais jusqu’alors jamais eu affaire avec les psychiatres, -chanalystes, -chologues, j’ai “rencontré” l’anti-psychiatrie en lisant “Une grammaire à l’usage des vivants” de David Cooper, il m’arrive encore de pratiquer l’exercice mental décrit au chapitre XV, mon “curriculum mortis”.
Pour me laver , écrit Artaud à propos du peyotl des Tarahumaras.
Demeurent, avant les électrochocs, l’amour - ou le sexe ? -, après les électrochocs, la peinture.
L’amour ?
Est-ce la boniche de la taverne d’Hoffmann, “ la boniche crapuleuse et mal lavée” ?
L’Héloïse d’Abélard qui “ a aussi cette chose en sextant de marine, autour de laquelle toute magie tourne..” ?
Les fillettes du chanoine Lewis ?
Les si tendres Filles du du Feu de Gérard de Nerval ?
Ce fut l'amour comme une mer, comme le péché, comme la vie, comme la mort.
L'amour sous les arcades, l'amour au bassin, l'amour dans un lit, l'amour comme le lierre, l'amour comme un mascaret.
L'amour aussi grand que les contes, l'amour comme la peinture, l'amour comme tout ce qui est.
Et tout cela dans une aussi petite femme, dans un cœur si momifié, dans une pensée si restreinte, mais la mienne pensait pour deux.
Du fond d'une ivresse insondable un peintre pris de vertige tout à coup se désespérait. Mais la nuit était plus belle que tout. Tous les étudiants regagnèrent Ieur chambre, le peintre recouvra ses cyprès.
Une lumière de fin du monde remplit peu à peu ma pensée.
Il n'y eut bientôt plus qu'une immense montagne de glace sur laquelle une chevelure blonde pendait.
La vitre d’Amour
in l’Art et la Mort
En 1947, Artaud doit être devenu enfin "un aliéné évident" sans renoncer à être un homme. Il publie un extraordinaire hommage à l’un de ses pairs en aliénation, Vincent Van Gogh, :
Je reviens au tableau des corbeaux.
Qui a déjà vu comme dans cette toile la terre équivaloir la mer.
Van Gogh est de tous les peintres celui qui nous dépouille le plus profondément, et jusqu'à la trame, mais comme on s'épouillerait d’une obsession.
Celle de faire que les objets soient autres, celle d'oser enfin risquer le péché de l'autre, et la terre ne peut pas avoir la couleur d'une mer liquide, et c'est pourtant bien comme une mer liquide que Van Van Gogh jette sa terre comme une série de coups de sarcloir.
Et la couleur de la lie du vin il en a infusé sa toile, et c'est la terre qui sent le vin, qui clapote encore au milieu des vagues de blé, qui dresse une crête de coq sombre contre les nuages bas qui s'amassent dans le ciel de tous les côtés.
Mais je l'ai déjà dit, le funèbre de l'histoire est le luxe avec lequel les corbeaux sont traités.
Cette couleur de musc, de nard riche, de truffe sortie comme d'un grand souper.
Dans les vagues violacées du ciel, deux ou trois têtes de vieillards de fumée risquent une grimace d'apocalypse, mais les corbeaux de Van Van Gogh sont là qui les incitent à plus de décence, je veux dire à moins de spiritualité,
et qu'a voulu dire Van Van Gogh lui-même avec cette toile au ciel surbaissé, peinte comme à l'instant précis où il se délivrait de l'existence, car cette toile a une étrange couleur, presque pompeuse d'autre part, de naissance, de noce, de départ,
j'entends les ailes des corbeaux frapper des coups de cymbale forte au-dessus d'une terre dont il semble que Van Van Gogh ne pourra plus contenir le flot.
Puis la mort.
Van Gogh, le suicidé de la société
Il ne me reste plus qu’à fermer les yeux.
L’orageuse lumière de la peinture de Van Van Gogh commence ses récitations sombres à l’heure même où on a cessé de la voir.
Artaud par Pigon-Ernest-Pignon
Le matin du 4 mars 1948, le jardinier de la maison de santé d’Ivry vient apporter le petit déjeuner ; il trouve “Antonin Artaud au pied de son lit où il s’est affaissé
— définitivement
— en liberté.”
08:30 Publié dans Cadou toujours, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (3)
Poursuivre la lecture de Artaud
Partielle, trop partielle, ma noter, à la simple hauteur de ma naïveté et de cette tentative de critique de "témoignage".
Des pans entiers laissés pour compte : Artaud et le Surréalisme, Artaud au Mexique chez les Tarahumaras, Artaud et le théâtre, Artaud et le cinéma - sur ce point, j'entrevis une fois le visage du moine Massieu dans la Passion de Jeanne d'Arc de Carl Dreyer.
À quand un producteur de dvd pour Artaud et le cinéma ? Vingt rôles ! Qui connaît Sidonie Panache ? - Arte à l'aide !
Bibliographie en poche :
• L'ombilic des limbes, précédé de Correspondance avec Jacques Rivière et suivi de Le pèse-nerfs, de Fragments d'un Journal d'Enfer, de L'Art et la Mort et de textes de la période surréaliste, préface d'Alain Jouffroy. Poésie/Gallimard, première édition en 1968.
• Héliogabale ou l'Anarchiste couronné, L'Imaginaire/Gallimard n°36, mai 1986.
• Nouveaux écrits de Rodez, L'Imaginaire/Gallimard n°307,
• Van Gogh, le suicidé de la société, L'Imaginaire/Gallimard n°432, janvier 2005.
• Le théâtre et son double, Folio/Galimard n° 14.
• Les Tarahumaras, Folio/Galimard n°52.
• Messages révolutionnaires, Folio/Galimard n°320.
.
Gallimard publiait les Œuvres complètes, édition réalisée par Paule Thévenin, vingt-six tomes jusqu'en 2004. Puis en 2004, l'édition discutée dans la collection QUARTO
Quelques revues :
• Europe n°873-874, janvier-février 2002.
• Magazine littéraire, n°61, février 1972, n°434, septembre 2004.
• Planète+Plus n°20, février 1971.
Ça remonte à Mathusalem ; y avaient participé Anaïs Nin, J.L. Barrault, R. Aron, le Dr. Ferdière, Henri Thomas
• Colloque Artaud/Bataille, Tome 1, en 10/18, à Cerisy-la-Salle en juillet 1972, Sollers officiant avec toute la fine équipe marxo-lénino-maoïste du Tel quel d'alors, i.d. Kristeva, Roche, Pleynet, Scarpetta, Henric, Guyotat dans le rôle du branleur se branlant, et des intervenants. C'est parfois inaudible/illisible. Un petit monument à visiter avec beaucoup d'humour. En prêtant l'oreille, on pourrait entendre ce qu'auraient pu être les rugissements, glapissements, éructations de l'ombre - du cadavre - de Artaud, "travaillé par la Chine"(sic) et assistant au Colloque.
En cherchant, on doit trouver des articles dans La Quinzaine littéraire et Art Press.
Radio :
Dans la Parole soufflée, ch. VI de l'Écriture et la différence, Derrida évoque Artaud ; dans le Magazine littéraire de septembre 2004 (cf. ci-dessus), il mentionne l'importance des archives sonores :
« La voix de Artaud..., quand on l’a entendue, on ne peut plus la faire taire. Et donc il faut le lire avec sa voix, avec le spectre, le fantôme de sa voix qu’on doit garder à l’oreille. Pour moi, l’archivation de la voix est une chose bouleversante. Contrairement à la photographie, la voix archivée est “vivante”. »
Allez l'entendre !
• Pour en finir avec le jugement de Dieu - l'émission censurée, le 2 février 1948, enfin diffusée par France Culture en 1973.
Extraits en mp3 sur le site cité (!). J'avais enregistré en direct la diffusion de 1973.
• Van Gogh le suicidé de la société, lu par Alain Cuny - il faut aimer le proféré de Cuny (j'aime !) - diffusé par France Cul, lors de l'Atelier de Création Radiophonique du 3 mai 1987. Enregistrée aussi en direct. Sur la Toile, je n'ai pas retrouvé la version "Cuny" ; il s'en trouve en "podcasting" ; c'est fadasse !
Les deux émissions seraient publiées par les Éditions André Dimanche.
Télévision :
• La Véritable Histoire d'Artaud le Momo, film de G.Mordillat et J. Prieur (les films d'ici, 1993).
• Artaud Cité (Atrocités), film de André S. Labarthe, FR3, coll. Un siècle d'écrivains, 2000).
Sur la Toile :
• http://www.antoninartaud.org
• Le bulletin international Antonin Artaud
• Une thèse.
• Un site parmi d'autres (riche iconographie, autorisée ?)
• sur le blogue de Constantin Copronyme, "Beauté convulsive".
07:55 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 02 mars 2006
Un vrai vracquier
En vrac !
Je me fais l’effet certains jours d’être un vieux “vracquier”* qui charge en désordre dans ses cales toutes choses n’ayant guère de rapport entre elles.
Ainsi, une journée comme hier, occupée
à écouter - tout en regardant, merveille du dvd - un opéra, l’Orféo de Monteverdi, puis l’abécédaire de Gilles Deleuze que m’a prêté Ét,
à lire et écouter, lu par Cuny, le Van Gogh d’Artaud,
à lire Le bonheur fou de Giono et la Littérature française du Moyen-Âge,
à traduire avec quelque peine l’Andromaque d’Euripide....
Et la vie tout autour, belle parfois - longue et lente promenade avec Nicléane sur les rives du canal de la Martinière dans un soleil de fin d’hiver - mais souvent ces jours-ci trébuchante :
les amis, Jc, Cl, Je, et le compagnon de Fra, qui luttent à coup de “chimiothérapies” accompagnées de leurs inévitables complications contre la Sournoise,
Jej qui repasse au bloc pour qu’on lui “lave” un stimulateur infecté...
S’élève le chant d’Orphée :
Où t’en vas-tu, ma vie ?
Parfois comme une gêne d’être en insolente santé.
Ainsi pour aller déguster de la pomme de terre au coin de la rue des Halles et de la rue des Carmes, dans un joli “caboulot” dénommé À l’amour de la pomme de terre, où l’on vous sert le tubercule en tous ses états. Selon votre gourmandise ! On vous propose un vin d’Alicante, grenat et dense
Ainsi en ouvrant le Libé-livres - il est souvent des semaines mornes, sans titres, sans auteurs, sans “clientèle” dirait Deleuze parlant des époques de sécheresse - celui d’aujourd’hui me comble avec ses lectures à venir - le printemps s’annonce
avec Quignard et un art de rompre, Villa Amalia,
avec Coetzee et l’Homme ralenti,
avec Patrick Roegiers et le Cousin de Fragonard, Honoré l’homme aux écorchés - j’avais beaucoup aimé sa Géométrie des sentiments -,
avec Derrida et l’Animal que donc je suis - pour penser les vivants autres qu’humains, à l’heure où nous nous préparons à massacrer des millions de volatiles, rééditant nos sanglantes tueries bovines -,
avec enfin, il fait la Une, David Le Breton avec La saveur du monde. Une anthropologie des sens.
« L’homme ne va pas sans la chair qui le met au monde.»
Je pressens que cette lecture qui ne nie point le dualisme occidental du corps et de l’esprit est une tout aussi belle entreprise de conciliation de l’un et l’autre que ne tentent de la faire les assertions hédonistes un tantinet forcées de Onfray.
Marongiu qui signe la critique commence ainsi :
« À l’origine, une homologie manifeste a relié dans la langue, le savoir et la saveur... En latin par exemple, le verbe sapere dit à la fois ce qu’on sait et ce qu’on sent. »
Je tairai la chronique d'Édouard Launet, la gardant, et pour cause, en mon for intérieur ; elle est titrée Vive l'agonie. "La plume, au seuil du néant, devient (peut-être) d'une extrême acuité". À mon usage futur, je ne refuse point.
Je préfère bien mieux que mes vieux copains puissent encore, et pour longtemps, conjuguer le verbe “sapere”, même si certains n’entendent point le latin !
* Cargo qui souvent fait du cabotage en transportant les matériaux et denrées les plus divers.
15:10 Publié dans Les graves, les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 27 février 2006
de l'influence de la géographie sur le penser
Pour détendre "ma" langue des fractures mentales d'Artaud, retour au Bonheur fou de Giono, par lecture nocturne :
À faucher les prés, fendre le bois et égorger les carpes qu'on pêchait de temps en temps à l'épuisette dans un grand vivier, il pouvait se consacrer entièrement à ses idées. Or, dans ce désert rocailleux et sylvestre, la moindre idée était exquise.
23:55 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 26 février 2006
"La maladie de la mort"
Cet après-midi, j'ai écouté Gérard Desarthe lisant La maladie de la mort de Duras.
Il ne faut jamais dire "Fontaine, je ne boirai point de ton eau ! "
Le 3 mars 1996, j'étais au mouillage en rade de Houat quand la radio annonça la mort de l'écrivaine : je feuilletais son bouquin Écrire. Il y était question de la mort d'une mouche.
Oui. C'est ça, cette mort de la mouche, c'est devenu ce déplacement de la littérature. On écrit sans le savoir. On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire.
Vais-je me mettre à lire - à tenter de lire une fois encore - Marguerite Duras ?
23:44 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 25 février 2006
« Philosophe, oui ! Démagogue, non ! »
Décidément “mes” philosophes se font étriller.
Après Marcel Conche, l'autre semaine, “mis en bouteille” avec ses si pour son Journal étrange, voilà que l’hédoniste aux lunettes fines se fait admonesté par le philosophe du Monde !
Onfray sort sa contre-philosophie, celle qu’il prêche depuis quatre ans en sa chaire de l’Université populaire de Caen et Roger-Pol Droit l’admoneste.
Je puis paraître et méchant et ingrat ; j’ai suivi ses cours, ceux de Onfray, par l’entremise généreuse des étés de France Cul, j’ai importé, via la Toile, leurs synopsis. J’y pris beaucoup d’intérêt et tant appris sur des pensers qui nous étaient occultés.
Je n’ai point encore feuilleté les deux tomes de sa Contre-histoire de la Philosophie, mais il est vraisemblable qu’il a repris les dits cours.
C’est bien dans ses chemins ; j’ose dire que depuis l’Art de jouir, il ne fait qu’étirer à travers de superbes titres - ceux de son journal par exemple, le Désir d’être un volcan, les Vertus de la foudre, l’Archipel des comètes, la Lueur des orages désirés (à paraître) -2 500 ans de philosophie hédoniste.
Pourquoi pas ? Bis repetita placent ! Et j’en ai profité.
Une erreur d’appréciation vacharde de Roger-Pol Droit, toutefois : “Le matérialiste est (sans doute) étudié depuis des décennies, à la Sorbonne et ailleurs”, il n’est guère sorti des cabinets lettrés. Onfray a certes été instrumentalisé, de son plein gré, par les médias - l’anecdote du secrétaire de la Libre Pensée, à la sortie du Traité d'athéologie, est savoureuse : “... un rabbin, un curé, un imam et... Onfray !” - à manichéens, manichéen et demi ! - il a descendu ce penser hédoniste dans la rue.
Reste à souhaiter pour nous, lecteurs de Onfray, qu’il calme ses passions athées, qu’il règle ailleurs qu’en philosophie, ses problèmes d’adolescence avec les pères salésiens, qu’il vérifie ses sources et s’exerce à la prudence - eh, oui ! - mais qu’il continue à développer la théorie des anecdotes de Hégel, ces “sagas miniatures” qui concentrent et ramassent la philosophie et qu'il nous livre à nouveau quelques beaux textes, tel “Esthétique du pôle Nord”.
Cette accalmie sera-t-elle possible ?
Il ne faut pas oublier qu’un de ses premiers livres est titré “Cynismes, portrait du philosophe en chien”.
L’Hédoniste peut devenir un Chien.
Démagogie, non ! Philosophie, oui !
20:15 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (3)
vendredi, 24 février 2006
nordet, amitié et justice
Mardi, à la pointe de Trévignon, le vent avait déjà viré Nordet.
L'océan, jusqu'aux Glénan, était à peine ridé. Mais l'alternance des grains et des embellies répandait sur la baie de Concarneau la belle lumière des fronts froids.
Cinquante ans de silence, de parcours pour le moins dissemblables et, le soir, l'amitié si chaleureuse était au rendez-vous !
Studieuse préparation de la note sur Antonin Artaud et le bouquin de Ceorges Charbonnier.
Ce matin dans Le Monde, une contribution du philosophe Yves Michaud au débat sur le contrôle et les limites de la justice ; il s'appuie sur le Montesquieu de l'esprit des lois :
« ...le judiciaire doit être naturellement indépendant et probe, non partisan, connu et autorisé. Autant de qualités qui nécessitent le contrôle des citoyens - (je souligne). Montesquieu est encore plus explicite en recommandant que la puissance de juger, "qui peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières", ne soit pas donnée à un Sénat permanent mais "exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert" (De l'esprit des lois, XI-6) ».
Il y a quelque chose de Grec, là-dedans !
Et j'ai toujours ma petite idée d'un contrôle "ouvrier", exercé à tous les échelons des instances élues et des institutions administratives, par quelques citoyen(ne)s - de trois à cinq - tiré(e)s au sort pour une durée limitée.
16:50 Publié dans les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 20 février 2006
petits bonheurs et grand vent
Je suis entré dans la lecture et la recherche autour d’Antonin Artaud, pour une note à venir sur le bouquin "Poètes d'aujourd'hui". Quête grave au delà - en decà - de toute littérature.
Hier, l’annonce d’une semaine “Duras” m’a ramené à ce qu’on appelait “le nouveau roman”. J’ai avoué mes ennuis aux longues lectures d’endurance dans Claude Simon ; j’ai omis de nommer certains plaisirs chez Robbe-Grillet ; mais faut-il encore que le feuilletage s’inscrive dans la brièveté - le mince “Instantanés” fut ainsi longtemps mon livre d’élection.
Pour dégourdir mes sensualités littéraires - les miennes, j’insiste - j’ai toujours en sous main, depuis la récente projection du film tiré du Hussard sur le toit, mes “giono” ignorés.
Le Bonheur fou me comble.
À preuve : un certain Bondino dit Brutus-à-la-rose qui en dix-sept pages, les premières du roman, a galopé et navigué de Novare et Gênes à Marseille, La Rochelle, dans le Marais poitevin et Royan pour se retrouver à Londres : le lecteur cavale de litote en litote pour “s’évâiller”* dans une hyperbole bien gouleyante :
Il forcissait. Il avait toujours été très gourmand de viandes. Le gigot de mouton, quoique bouilli à l'anglaise, faisait ses délices, avec le bœuf saignant. « Je suis de grosse vie », disait-il. Il s'étonnait d'avoir pu subsister jadis d'anchois écrasés dans l'huile et de pain frotté d'ail.
La polenta même n'était dans son souvenir que comme une chose vaporeuse et légère et qui ne tenait pas au corps. Son corps bourré de viandes était désormais tenu. Il éprouvait des joies surhumaines à voir les tranches de bœuf cru sur les grils, à en humer l'odeur; il en buvait les jus à la cuillère. Il mastiquait solidement, tournait sept fois sa langue dans sa bouche et sept fois sept fois...
...Il fit également connaissance avec l'eau glacée. C'était une jouissance suprême. Il finissait tous ses repas par une grande consommation de biscuits dits « Champagne » trempés dans de l'eau glacée.
Le bonheur fou
Pour prolonger le bonheur, je n’ai plus qu’à réouvrir la chronique de la belle et monstrueuse :
Ennemonde prenait sa deuxième écuelle de bœuf en daube, buvait son litre, mais ne mangeait pas tout son pain. EIle aimait par-dessus tout cette sauce lourde, mordorée, de lard fondu et d'huile vierge. Elle prenait chaque fois la précaution d'emporter de chez elle une cuillère à soupe cachée dans son corsage, et à table elle la sortait pour boire la sauce comme du bouillon. Ses gencives dures comme du fer mâchaient très bien la viande archicuite. Enfin c'était bombance ! Doublement : le ventre plein..., elle s'abandonnait à un vertige semblable à celui qui l'enivrait sur la route. Elle se voyait en train de scandaliser cette bourgade cafarde. Elle n'allait plus se frotter à des ciels, à des hauteurs, à des couchants, à des aurores, mais à des hommes sentant le bouc.
Ennemonde et autres caractères
Deux ou trois jours d’écran silencieux, le temps d’aller humer dans l’amitié le coup de vent à la pointe de Trévignon, au pays de Xavier Grall, l’homme qui écrivait :
Je ferai l’éloge de la pluie sur mes toits, dans les abers... Je ferai l’éloge de la pluie, de sa liberté, de son opiniâtreté. Pluies féales, pluies bretonnes, pluies libertines.
*S’évâiller : se répandre, s’étaler en dialecte gallo du pays nantais
22:35 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)