dimanche, 05 mars 2006
une femme rencontre Artaud
Anaïs Nin et Antonin Artaud vont se rencontrer et s’écrire entre mars et août 1933.
Mois intenses qui s’achevèrent sans doute dans l’incompréhension de Artaud face à l’extrême liberté de femme de Anaïs Nin.
Il faut relire toutes les pages du Journal de l'écrivaine*, au long de ces six mois. Fascinant regard sur la tension folle d’un homme qui découvre UNE femme.
Deux êtres de beauté en miroir.
Artaud. Maigre, tendu. Un visage creusé, des yeux de visionnaire. Des manières sardoniques. Tantôt fatigué, tantôt ardent et malicieux.
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Il a les yeux bleus de langueur, noirs de souffrance. Il est tout en nerfs. Il était pourtant si beau dans le rôle du moine amoureux de Jeanne d’Arc dans le film de Carl Dreyer. Les yeux enfoncés du mystique, comme s’ils brillaient au fond d’une caverne. Profonds, sombres, mystérieux.
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Lorsque je revois Artaud, il m'accueille debout, noble et fier, une joie folle dans les yeux, des yeux de fanatique, des yeux de fou. Le triomphe sur son visage, l'éclair d'orgueil et de joie parce que je suis venue. La lourdeur de ses gestes qui s'accrochent, leur étrange despotisme. Ses mains m'effleurent seulement,
effleurent mes épaules, je sens pourtant la force de leur magnétisme.
Je suis vêtue de noir, de rouge et d'acier, comme un guerrier, pour me défendre d'être possédée par lui. Sa chambre est nue comme une cellule de moine.
Un lit, une table, une chaise. Je regarde les photographies de son étonnant visage, le visage changeant d'un acteur, amer, sombre et parfois rayonnant de quelque extase spirituelle. Il appartient au Moyen Âge, si grave, si intense. Il est Savonarole en train de brûler des livres impies, de brûler des plaisirs. Son humeur est presque satanique, sans joie claire, un entrain diabolique. Sa présence est écrasante, i! est tout entier tendu et brûlant comme une flamme blanche. Il y a dans ses gestes une fermeté, une intensité, une férocité, une fièvre qui éclate sur son visage en sueur.
Il me montre ses manuscrits, me parle de ses projets, devient sombre, m'implore, s'agenouille devant moi. Je lui répète tout ce que je lui ai déjà dit. La pièce tourne autour de nous. Il se lève, le visage convulsé, figé, pétrifié.
— Je ne suis pas fait pour l'amour sensuel. Et cela, pour les femmes, a tellement d'importance.
— Pas pour moi.
— Je ne voulais pas vous perdre.
— Vous ne me perdrez pas.
* Anaïs NIN, Journal 1931-1934, Le livre de poche n°3901, 1974
12:45 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Je songeais beaucoup à Van Gogh en lisant les textes d'A. Artaud
et précisément, la suite du texte sur le Champ des Corbeaux m'est apparue tout à fait de la même veine.
Comment peux-t-on appeler "simples d'esprit" ceux qui ne voyagent pas comme nous dans leur tête; n'est-ce pas le signe de notre suffisance? ou craignons-nous qu'un jour, notre voyage intérieur se poursuive, pour nous aussi, par d'autres chemins?
Écrit par : p.chauvel | lundi, 06 mars 2006
Si vos passages chez moi sont rares, ils sont tout ausi précieux.
Un pétale pour vous posé sur cette note et pas non plus par hasard : Antonin et Anaïs, rencontre de choix...
Écrit par : AURORA | jeudi, 09 mars 2006
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