samedi, 11 novembre 2006
"la vie enseigne, le livre précise"
L'horizon est gris, pour les bibliothèques d'entreprise.
À Saint-Nazaire, lors du colloque sur Lecture et Monde du travail, hier, nous avons beaucoup parlé de délocalisation, de sous-traitance, de précarité de l'emploi, d'intérimaires, de "boites" qui ferment. Et une "boite" qui ferme, c'est une bibliothèque qui disparaît ! Certes le développement des bibliothèques de lecture publiques enfle. Mais, mais ...!
Mais tes sept ou huit heures de boulot dans les bras ne t'encouragent guère à pousser une porte qui va d'ailleurs bientôt se fermer. D'ailleurs pour un lieu où prendre la parole dans l'espoir d' échanger est loin d'être encore un acte "légitime".
Je ne suis intervenu que dans la dernière heure, quand déjà les horaires des trains font les rangées de chaises vides. J'ai parlé des utopies de mon métier, glanées à travers l'éducation ouvrière — Pelloutier, Martinet, mon père quand, à la maison, il nous parlait de ses apprentis des Chantiers — l'éducation populaire — Peuple & Culture, Cacérès, Dumazedier, Georges Jean — l'éducation de base — Paolo Freire, Germaine Tillion.
De la nécessaire et permanente formation des lectrices et des lecteurs que les carences d'une école républicaine et bourgeoise n'ont fait qu'alphabétiser. Ce qui ne vous mène pas encore dans une proximité suffisante avec la maîtrise des écrits et l'émancipation intellectuelle.
J'y suis allé, avec ferveur, en guise d'au-revoir, de mon couplet, sur la Toile, les blogues, les sites, de cette étonnante et possible ouverture de la prise de parole quand la travailleuse et le travailleur s'estimeront enfin "légitimé(e)s" pour s'en saisir.
« ... les mots seuls ne construisent pas, il faut des outils, — et des humains farouchement décidés à s'en servir !
Marcel Hasfeld.
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jeudi, 09 novembre 2006
Chroniques portuaires de Nantes XXVIII
Au XVIIe Siècle
1654. — DÉPART D'UN NAVIRE DE LA “COMPAGNIE DE TERRE FERME DE L’AMÉRIQUE”.
Attirée par le bon renom des chantiers de constructions nantais, la Compagnie de Terre ferme de l'Amérique, ou France équinoxiale, avait décidé d'y faire construire ses navires. Le 2 février 1654, la population de la ville se portait en foule à la Fosse pour assister au départ du premier de ces navires, armé de cinq canons, et monté d'environ trois cents hommes, sans compter un grand nombre de femmes et dix administrateurs de la Compagnie qui se disposaient à se fixer dans la France équinoxiale (1).
Les archives de la Chambre de Commerce possèdent un « Exposé du dessein de la Compagnie formée pour la terre ferme de l'Amérique ou France équinoxiale » daté de 1654 et attribué à l'abbé de Marivaux (2).
1660. — DÉFENSE D’EMBARQUER LES CATHOLIQUES À DESTINATION DES PAYS PROTESTANTS.
L'armateur Henri Barclai, de nationalité anglaise, accomplissant régulièrement la traversée de Nantes au Canada, embarquait sans distinction sur son navire le Dauphin des émigrants catholiques et protestants. Le Bureau de Ville, craignant que les catholiques ainsi transportés en pays hérétiques n'y perdent leur foi, fit défense à Barclai de les embarquer, et délégua le sieur Martin Nicollon pour se rendre à bord du Dauphin, en rade de Bourgneuf, et s'assurer de l'exécution de ses ordres. Le 17 juin 1660, Martin Nicollon adressait au Bureau de Ville un rapport par lequel il affirmait, qu'après une visite minutieuse, il n'avait trouvé aucun catholique à bord du Dauphin, et qu'il en avait en conséquence autorisé le départ (3),
1662. — MESURE CONTRE LES NAVIRES CHARGÉS DE BLÉ.
Nantes était alors cruellement éprouvée par la famine ; et les souffrances des habitants étaient d'autant plus vives que chaque jour des navires chargés de blé remontaient la Loire à destination d'Angers ou d'Orléans. En présence de cette situation, le Bureau de Ville, assemblé le 18 avril 1662, décida de contraindre par la force ces navires à s'arrêter à Nantes, et résolut d'armer une galiote pour forcer les capitaines à faire planche à ses quais, et à n'en repartir que lorsque la Municipalité leur aurait acheté la quantité de blé suffisante pour subvenir aux besoins des habitants (4).
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(1) MELLINET, La Commune et la Milice de Nantes, t. 4, p. 428.
(2) Archives de la Chambre de Commerce.
(3) TRAVERS, Histoire de Nantes, t. III, p. 368.
GUIMAR, Annales nantaises, p. 448.
(4) MEURET, Annales de Nantes, t. II, p. 223.
RAPPEL
Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908.
19:30 Publié dans Les chroniques portuaires | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 08 novembre 2006
ce n'est pas grave
Quignard n'est pas venu.
Fallait-il en avoir dépit ?
L'écrivain, le lecteur sont des solitaires. Le rêve d'un contact par solitude.
Liber, XVIIe traité, tome III, p. 415, en Folio
Plus tard dans l'insomnie des nuits....
Qu'étaient-ils, ces deux humains quand ils précédaient le langage ?
Comme une participation fortuite au dialogue de ma note de dimanche entre Caroline, Berlol et FB.
22:15 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 07 novembre 2006
la pédagogie aux orties
Dix ans, déjà ! Je décidais ce qui précède.
Voilà bien un anniversaire que j'ai failli oublier. Comme quoi, cesser l'activité professionnelle n'était, pour moi, qu'une légère modification de statut social.
"Aux orties", c'est ainsi que dans la campagne gallo, mes ancêtres nommaient les écarts où l'on jetait toutes ces choses qui, aujourd'hui, vont dans les décharges et les déchetteries. À l'époque, il y en avait peu de choses bonnes à jeter et la pollution était un mot ignoré : ça pourrissait, ça rouillait, ça se décomposait et les orties poussaient à foison.
Je ne suis plus un praticien, je ne suis plus qu'un témoin.
Et je témoigne pour rappeler !
Dans les écarts, comme une petite poignée d'orties.
Une belle plante, l'ortie !
Post-scriptum :
J'adresse un grand merci à F qui m'a envoyé, par commentaire, un beau coucher de soleil sur Loire et en mots. Le troc sur la Toile, j'aime bien !
J'insiste : il importe d'aller lire et relire sa rubrique en son l'ensemble, "Ce n'est pas un métier". Il contribue fort à enrichir et actualiser "Les salons littéraires" de l'ami Berlol. Je vais certainement en causer vendredi en m'appesantissant sur "les cercles ouvriers de lecture" — à relire, un autre vieux compagnon, Noë Richter sur "lecture populaire et lecture ouvrière".
09:20 Publié dans les diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 05 novembre 2006
blogues et littérature ?
À la question d'un magazine : "Peut-on approximativement dénombrer le nombre de blogs d’écrivains en France ?"
il répondra :
« Quantitativement, la question n’a pas grand sens, parce qu’émergent via Internet des usages qui déplacent le statut même de l’écrivain. Des sites Internet qui ne sont pas littéraires questionnent l’écriture, l’ouvrent....
La question plutôt devrait être : comment veiller ensemble à ce que ce soit un véritable espace critique, un véritable espace d’expérimentation et création ? »
À lire sans modération dès maintenant avant que ça ne paraisse dans le dit magazine.
C'est de... François BON, dans son tiers livre !
Ça me comble amplement pour ce soir.
21:00 Publié dans Les blogues | Lien permanent | Commentaires (4)
mercredi, 01 novembre 2006
« Sauvons-nous ! Nous-mêmes ! » ou la lecture et le monde du travail
Je suis invité à intervenir dans un Colloque sur Lecture/ Monde du Travail, les 9 et 10 novembre 2006, au Centre de Culture Populaire de Saint-Nazaire.
Je trouve que l'idée de ce colloque est plutôt bonne, dans un temps où tout ce qui concerne livres et lectures me parait se niveler, se dissoudre dans les béates consommations de papier et d'écran ou, à l'autre extrême, dans les sempiternelles déplorations sur la lecture qui baisse et l'illettrisme qui progresse....
Mais je ne tiens pas à faire d'exposé, plutôt l'apport d'un témoignage d'un modeste praticien..., fils d'un ouvrier métallurgiste des Chantiers de la Loire, devenu lettré — grâce à des "bons Pères" qui n'ont point laissé de son enfance, "un cadavre décomposé" (cf. Onfray sur France Cul, hier) — et au-delà, conseiller d'Éducation populaire !
J'ai toujours deux utopies qui m'animent :
• la bibliothèque comme lieu de formation de la lectrice et du lecteur
• la bibliothèque comme lieu de la prise de parole et comme lieu d'écriture de la lectrice et du lecteur.
Tout cela prenant racine dans l'histoire toujours en tension Éducation ouvrière><Éducation populaire.
Je crois (!) encore que cette confrontation n'est pas ringarde.
Peut-être simplement (!) me faudrait-il une mise à jour de la notion de classe ouvrière en 2006 ? Peut-être faut-il, désormais parler de la classe des "invisibles" sur laquelle écrit Stéphane Beaud*, un sociologue nantais qui est interviewé dans le dernier numéro du Nouvel Obs ?
Ce colloque devrait servir à rappeler
. les histoires de la culture ouvrière et les ouvertures que laisse entrevoir la Toile,
. qu'il existe toujours un réseau lettré et un réseau de masse,
. que la Bibliothèque véhicule prioritairement la culture lettrée (alors que je pense aussi par mes humbles observations que la culture de masse s'insinue avec une habileté mercantile dans ses catalogues et rayons),
. que les cultures minoritaires — et l'ouvrière — sont tout autant, sinon plus renvoyées à l'obscurité du "troisième rayon" (comme on dit le "second rayon"),
. qu’il serait intéressant de faire, à nouveau, le point sur les représentations de la lecture en milieu populaire,
. qu'il importe de mettre en valeur les deux ou trois vrais écrivains de ces jours : entre autres, Gérard Mordillat, l’ami François Bon, qui font entendre dans leurs écrits les trop rares échos du monde du travail— sont-ils des "post-modernes", ces deux-là ?
Bref, c'est ce que j'aimerais parfois entendre dans ce colloque et ce dont je causerai puisque "on" me tend une perche.
Je ne suis pas dupe — je ne pense pas l'avoir jamais été — des aliénations culturelles des syndicats qui ont toujours redouté les questionnements que posaient certains de leurs intellectuels — je pense aux courants de syndicalisme d'action directe avec Fernand Pelloutier et Marcel Martinet. La devise de la Librairie du Travail de Marcel Hasfeld était :
Sauvons-nous, nous mêmes !
Post-scriptum :
• Fernand Pelloutier et les origines du syndicalisme d'action directe par Jacques Julliard, au Seuil, 1971.
• La culture prolétarienne par Marcel Martinet, aux Éditions Agone .
• La librairie du Travail par Marie-Christine Bardouillet, Maspéro, 1977.
• La France invisible, *ouvrage collectif, La Découverte, 2006
• Daewo, François Bon, Fayard, 2004, en Livre de poche, 2006.
• Les Vivants et les Morts, Gérard Mordillat, Calmann-Lévy, 2005.
Sans oublier, de Michel Ragon,
• Histoire de la littérature ouvrière, aux Éditions Ouvrières, 1953, devenues récemment éditions de l'Atelier,
réécrite sous un titre nouveau, plus soixante-huitard,
• Histoire de la littérature prolétarienne de langue française, chez Albin-Michel, 1974, puis au Livre de Poche, 2006.
13:35 Publié dans les civiques, les lectures | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 30 octobre 2006
je n'aime guère...
Je n’aime guère ces grandes “araignées d’eau” qui font route sur la Guadeloupe. J’ai un penchant pour les monocoques, les gros et les moins gros.
Cependant la plus grande estime pour tous ces marins : les fous de vitesse et les amateurs de lenteur.
La Route du Rhum 2002 a trop vite été rangée aux profits et pertes. Cette fois, ils sont partis dans un temps de demoiselle.
Que cette météo les accompagne jusqu’aux alizés !
Je suivrai, malgré tout, parmi les “araignées d’eau”, celle de Thomas Coville, parce qu’il a dit avoir emporté à son bord, comme lecture, Saint-John Perse.
Mêler les grandes houles et les vastes versets procurent en bouche une ivresse aussi certaine que les accélérations dans les surfs.
Lecture d’Albucius, pour la rencontre du 8 novembre avec Pascal Quignard . Mais comme une déception, après Carus et les Tablettes de buis d’Apronenia Avitia,, l'ouvrage sent un peu trop le procédé d’érudit et il est loin d’avoir la minceur incisive des Tablettes et de certains des premiers Petits traités.
Je n’ose parler de ma énième tentative de lecture de l’étude qu'il propose de l’œuvre de Michel Deguy en 1975, chez Seghers. Les yeux m’en tombent. Entre Tel Quel et Critique, les proses critiques de cette décennie oscillaient entre jargon et ésotérisme structural...
J'échappe au naufrage par la vertu d'un long chapitre d’Actes que cite Quignard sur Sappho et sa “sonorité éolienne”.
Maison toujours en rénovation ; “librairie” quasi inaccessible, malgré l'échelle de meunier.
Sans doute serait-il bon d’être en mer ?
Noémie et Célia sont agitation bruissante et souriante quand, au jardin, les dahlias jouent au “dernier dahlia dans un jardin perdu” de Cadou.
15:45 Publié dans les lectures, les marines, quelquefois Quignard | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 26 octobre 2006
Chroniques portuaires de Nantes XXVII
1646. — LE PORT DE NANTES EN 1646.
La « Description de la Ville de Nantes , où l'on fait voir ses commodités et ses avantages pour le commerce, par un habitant de cette ville », datée de 1646, décrit ainsi le port de Nantes :
« ..... Le Canal de la rivière de Loire, qu'on appelle communément la Fosse, à cause peut-être d'un beau quai élevé sur le long de ce canal vers le septentrion, qui d'un côté ayant les eaux coulantes de ce fleuve, de l'autre des maisons pour la plupart superbement bâties, et s'étendant jusques à plus qu'un quart de lieue, forme le lieu le plus agréable à la vue, et des plus commode au commerce de mer qui se puisse voir...
..... II est vraisemblable que la ville de Nantes porte ce nom et le navire pour son blason, pour dénoter la première et plus ordinaire proffession de ses peuples, qui a été de naviguer et exercer le commerce de mer ; et comme dans la langue latine on emploie souvent l'adjectif nantes pour signifier un navire qui vogue sur mer, comme même le poëte Virgile l'y emploie, il est probable que ce nom de Nantes a été imposé à cette contrée du pays, pour ce que le premier et le plus ordinaire exercice de ses peuples a été de naviguer et exercer le trafic sur les eaux....
... Aussi, qui considérera la situation de la ville de Nantes avouera facilement qu'elle a des commodités non pareilles pour exercer le commerce, tant au dedans que hors du royaume. Elle est placée non loin du grand Océan qui, par un flux et reflux quotidien envoie ses eaux jusques dans les fossés de ses murs, semblant se venir offrir au service de ses habitants, et les convier à bien user de cette commodité pour la navigation..... »
Cette description de la Ville de Nantes, constitue le Chapitre X de l'Ouvrage : « Le Commerce honorable, ou Considérations politiques contenant les motifs de nécessité, d'honneur, et de profit, qui se trouvent à former des compagnies de personnes de toutes conditions pour l'entretien du négoce de mer en France. Composé par un habitant de la ville de Nantes ». (Jean Éon, en religion Mathias de Saint-Jean, carme) (1).
COMPAGNIE DE COMMERCE ET DE NAVIGATION.
Par Lettres-patentes du 30 janvier 1646, Louis XIV autorisait le Maire et les Échevins de Nantes à créer une Compagnie de Commerce extérieur et de Navigation, Dans ces mêmes Lettres, il conviait les nobles à en faire partie ; et, en effet, depuis les Lettres-patentes du même Roi datant de 1645, les nobles et gens de Robe pouvaient, sans aucunement déroger, se livrer au commerce de mer (2).
1651. — BOURSE DES MARCHANDS.
La Bourse des Marchands était terminée depuis plusieurs années déjà, et cependant les commerçants négligeaient de s'y réunir ; aussi la ville l'afferma-t-elle en 1651 à des particuliers, pour la somme de 175 livres, à la seule condition de ne pas y vendre de vin. Du jour où ils en furent privés, les commerçants sentirent toute l'utilité de la Bourse ; ils rachetèrent en conséquence le bail, et prirent, à partir de cette année, l'habitude de s'y réunir (3).
____________________________________________________________________
(1) DUGAST-MATIFEUX, Nantes ancien et le pays Nantais, p. 166.
(2) Archives de la Chambre de Commerce de Nantes.
(3) MEURET, Annales de Nantes, t. II p. 210.
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mercredi, 25 octobre 2006
sur la Kahéna
Ce qui fait défaut dans La Kahina de Gisèle Halimi*, c'est l'art de muscler les paysages et de revêtir les héros de leurs lumières, leurs ciels, leur roches, terres et sables.
Mon vieux compagnon Er Klasker fut très abrupt : « Bof ! Elle ne parle même pas des Aurès ! »
Il ne suffit point d'énumérer une toponymie, une nomenclature géologique, climatique et végétale pour écrire un "ieu".
C'est la force des chroniques de Giono, cette imprégnation des pays sur les personnages.
Il faudra donc, à cet extraordinaire mythe de la Kahéna, la venue d'un(e) "Giono" maghrébin(e) !
Kateb Yacine** s'était sans doute mis en chemin :
Cueillie ou respirée
Elle vidait sur nous
Son cœur de rose noire inhabitée
Et nous étions cloués à son orgueil candide
Tandis qu'elle s'envolait par pétale,
Neige flétrie et volcanique,
Centre modeste accumulant l'outrage,
Exposée de soi-même à toutes les rechutes
Dilapidée aux quatre vents.
...............................................................
Nous ne sommes pas de ceux
Qui adoraient la Pierre Noire.
Notre idole est cette femme sauvage.
Elle a quitté le sanctuaire,
Déchiré le rideau
Et dispersé les prêtres.
* Gisèle HALIMI, La Kahina, Plon, 2006.
** Kateb Yacine, Parce que c'est une femme, des femmes, Antoinette Fouque, 2004.
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lundi, 23 octobre 2006
Layla-Al-Qadr ou la nuit du Destin
Pour saluer mes ami(e)s musulman(e)s qui, cette nuit, aiguisent leur regard pour percevoir le mince arrondi lunaire : je passai, plus de quinze ans durant, à la fois solidaire et distant, de longues veilles attentives, en leur compagnie chaleureuse. En ces temps d'imprécations, je veux témoigner de la douceur de cet Islam.
Les derniers jours du Ramadam furent passés à Yaféra ; à une certaine fébrilité dans les rues du village s'annonçait la préparation de la Korité. Mais quelle en serait la date ? La nouvelle lune était prévue, par les calculs astronomiques pour la nuit du 1er mars au 2 mars, nuit encore totalement obscure. Mais, en Islam, ce qui compte avant toute certitude scientifique, fut-elle tirée des tables astronomiques, c'est l'œil du croyant qui, le premier, verra apparaître – mais où, dans le ciel saharien ? – la première lueur du mince croissant. En Égypte ? Au Niger ? Plus au nord, dans le Maghreb ? Chez le voisin malien ?
L'écoute de tous les transistors de Yaféra est attentive.
Cette nuit-là, Gabriel, l'Archange, révéla pour la première fois à Mohamed, la parole divine. Cette nuit-là, nuit fondatrice de la foi musulmane dans tous les pays d'Islam, cette nuit-là est une longue nuit de prière : la communauté entière se rassemble dans et alentours de la mosquée. Au cœur de la nuit et jusqu'à l'aube, la psalmodie s'élève, humble et grave, plus riche que mille suppliques.
La célébration de la nuit du Destin, Layla-Al-Qadr, fut décidée par les anciens pour le 28 février. Ibrahima m'y invita. Je pris place tout au fond de la mosquée, au-delà du groupe des femmes.
Quand s'acheva la nuit, au sortir de la mosquée, beaucoup de gens vinrent m'étreindre les mains à l'africaine, la main gauche saississant l'avant-bras de la personne que l'on salue.
Le lendemain, dans la matinée, la radio sénégalaise nous apprenait que les gens de Yaféra avaient jeûné une journée de plus : la nuit du Destin étant le 27. La rupture du jeûne qui devait se fêter le soir, se fit à l'annonce même de la nouvelle, dans les rires et les plaisanteries à l'égard des anciens qui, une fois c'est excusable, n'avaient pas eu la vue très perçante.
Tard dans la nuit, tam-tam et danses : les danseuses soninkés, coiffées comme des reines, vinrent me toucher la main, façon de dédier à l'étranger la danse à venir. Au matin, c'était la Korité. Le pays entier bruissait du rire des enfants engoncés dans leurs vêtements neufs et chamarrés.
La nuit du destin à Yaféra - Février 1995
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dimanche, 22 octobre 2006
« le livre, »
sur la RadioWeb de France Cul, Les chemins de la connaissance, Pascal Quignard et Michel Melot
sur cet "objet sans essence" (Quignard)
sur nous, lectrices et lecteurs : "On peut séparer les représentations des lecteurs en deux : les lecteurs vertueux et les lecteurs pervertis."(Melot).
À écouter avec nos livres tout alentour.
La voix que j’avais entendue venant du ciel
me parle de nouveau derrière moi et dit:
« Va-t’en, prends le volume ouvert dans la main du messager debout sur la mer et sur la terre. »
Je m’en vais vers le messager. Je lui dis de me donner le petit volume.
Il me dit: « Prends et dévore ceci. Il rendra ton ventre amer,
mais dans ta bouche, il sera doux comme du miel. »
Je prends le petit volume de la main du messager et je le dévore.
Il est dans ma bouche comme du miel, doux.
Mais quand je l’ai mangé, mon ventre devient amer.
Découvrement de Iohanân, X, 8-10
(l'Apocalypse de Jean)
traduit par Chouraqui
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samedi, 21 octobre 2006
l'automne de Samain ? pourquoi pas ?
Appel téléphonique au beau milieu de l'après-midi.
Une dame de BouguenaisBouquine :
« J'essaie de me souvenir du poème d'Albert Samain sur l'Automne, mais il me manque des bribes de vers et de strophes. Vous avez bien l'Internet, vous ? »
Me voilà en quête de l'automne. Il y a des tas d'automnes sur la Toile. Et plus encore de poètes qui écrirent l'automne !
SAMAIN, le symboliste qui fréquenta les Hirsutes et les Hydropathes, évanescent, précieux, suranné — poncifs et clichés à foison — mon mauvais goût d'adolescent, mais dans l'étude tiède quand déboulaient, le soir, les premières dépressions d'automne, ce n'était pas si mal.
Des traces de rêves ! Et des rêves qui se sont réalisés en chairs, en terres, en mers, en ciels ! En d'autres mots.
Décidément, je ne renie rien de ces langueurs adolescentes.
Le vent tourbillonnant, qui rabat les volets,
Là-bas tord la forêt comme une chevelure.
Des troncs entrechoqués monte un puissant murmure
Pareil au bruit des mers, rouleuses de galets.
L'Automne qui descend les collines voilées
Fait, sous ses pas profonds, tressaillir notre coeur ;
Et voici que s'afflige avec plus de ferveur
Le tendre désespoir des roses envolées.
Le vol des guêpes d'or qui vibrait sans repos
S'est tu ; le pêne grince à la grille rouillée ;
La tonnelle grelotte et la terre est mouillée,
Et le linge blanc claque, éperdu, dans l'enclos.
Le jardin nu sourit comme une face aimée
Qui vous dit longuement adieu, quand la mort vient ;
Seul, le son d'une enclume ou l'aboiement d'un chien
Monte, mélancolique, à la vitre fermée.
Suscitant des pensers d'immortelle et de buis,
La cloche sonne, grave, au coeur de la paroisse ;
Et la lumière, avec un long frisson d'angoisse,
Ecoute au fond du ciel venir des longues nuits...
Les longues nuits demain remplaceront, lugubres,
Les limpides matins, les matins frais et fous,
Pleins de papillons blancs chavirant dans les choux
Et de voix sonnant clair dans les brises salubres.
Qu'importe, la maison, sans se plaindre de toi,
T'accueille avec son lierre et ses nids d'hirondelle,
Et, fêtant le retour du prodigue près d'elle,
Fait sortir la fumée à longs flots bleus du toit.
Lorsque la vie éclate et ruisselle et flamboie,
Ivre du vin trop fort de la terre, et laissant
Pendre ses cheveux lourds sur la coupe du sang,
L'âme impure est pareille à la fille de joie.
Mais les corbeaux au ciel s'assemblent par milliers,
Et déjà, reniant sa folie orageuse,
L'âme pousse un soupir joyeux de voyageuse
Qui retrouve, en rentrant, ses meubles familiers.
L'étendard de l'été pend noirci sur sa hampe.
Remonte dans ta chambre, accroche ton manteau ;
Et que ton rêve, ainsi qu'une rose dans l'eau,
S'entr'ouvre au doux soleil intime de la lampe.
Dans l'horloge pensive, au timbre avertisseur,
Mystérieusement bat le coeur du Silence.
La Solitude au seuil étend sa vigilance,
Et baise, en se penchant, ton front comme une soeur.
C'est le refuge élu, c'est la bonne demeure,
La cellule aux murs chauds, l'âtre au subtil loisir,
Où s'élabore, ainsi qu'un très rare élixir,
L'essence fine de la vie intérieure.
Là, tu peux déposer le masque et les fardeaux,
Loin de la foule et libre, enfin, des simagrées,
Afin que le parfum des choses préférées
Flotte, seul, pour ton coeur dans les plis des rideaux.
C'est la bonne saison, entre toutes féconde,
D'adorer tes vrais dieux, sans honte, à ta façon,
Et de descendre en toi jusqu'au divin frisson
De te découvrir jeune et vierge comme un monde !
Tout est calme ; le vent pleure au fond du couloir ;
Ton esprit a rompu ses chaînes imbéciles,
Et, nu, penché sur l'eau des heures immobiles,
Se mire au pur cristal de son propre miroir :
Et, près du feu qui meurt, ce sont des Grâces nues,
Des départs de vaisseaux haut voilés dans l'air vif,
L'âpre suc d'un baiser sensuel et pensif,
Et des soleils couchants sur des eaux inconnues...
Magny-les-Hameaux, octobre 1894
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vendredi, 20 octobre 2006
à propos de "La Frontière"
Avant-hier soir, au Lieu Unique, à propos de La Frontière, au cours d’un très clair exposé de Laurent Demanze, professeur de littérature contemporaine au collège Bayard de de Denain, il fut beaucoup question de la discontinuité du temps — mais déjà le Nouveau Roman, il y a cinquante ans ! —, des aspérités que Quignard insère dans son apparent classicisme, de son érudition — qui tant me fascine, c’est peut-être par sa faute si j’ai repris le Grec ancien — de son érudition, donc, qui autorise le retour de l’archaïque et du sordide dans une dialectique de la beauté et de l’avilissement.
Bref, la soirée fut plaisante, instructive et pour moi d’autant plus gratifiante que Laurent Demanze a rapproché en conclusion les deux moments de voyeurisme involontare que j’évoquais dans ma note du 2 octobre : celle qui urine - la scène du Roi du bois, de Pierre Michon — et celle qui excrète, dans La Frontière.
Un question demeure : la vision des azulejos du palais de la Fronteira sont-ils la cause de la fiction écrite par Quignard ? ou un drame bien réel fut-il illustré par les céramistes lusitaniens ?
J’aurais souhaité que soit abordé plus profondément — il ne fut que nommé — le fait éditorial qui lèverait sans doute le voile : l’édition originale de l’œuvre fut publiée par les Éditions Quetzal dans une traduction portugaise, “à Lisbonne au cours d’une grande fête donnée au Palais par la marquise et le marquis de la Fronteira, Mafalda et Fernando de Mascarenhas, le 19 mai 1992”.
Le bouquin parut en France un mois plus tard, en juin, publié par Chandeigne.
Alors simple mais brillante flagornerie d’écrivain, creusement de déchirures intimes, balançoire d’esthète entre images/texte ou texte/images ?
Serait, sans doute intéressant de questionner Quignard à ce sujet.
Mais qu’y gagnerait l’imaginaire du lecteur ?
Un dernier aphorisme du jeune professeur, qui commence de m’éclairer sur la notion du “post-moderne” :
À l’aède succède le scoliaste.
Depuis plus d’une semaine je me m’ébats — me débats — dans les concepts d’impureté, de réalisme lyrique, de spectralité, de minimalisme... (peinant sur un petit livre Le roman français aujourd'hui - transformations, perceptions, mythologies, chez Prétexte éditeur)
Le lecteur creuse ses venelles dans l’obscurité critique, avec son bon goût et, tout autant, ses mauvais goûts ; il y reconnaît parfois des traces anciennes qui resurgissent en bribes, en éclats, dans ces écrits nouveaux.
Les jeunes universitaires ont quelque brillance dans leur parler nouveau ; ça me ramène curieusement — avec un intérêt empreint de doute mais certain — à mes premières lectures du père Barthes ou du bonhomme Éco ; je n’y comprenais que dalle, mais “ça” finirait bien par se clarifier un jour...
Allons ! Aborder le “Jadis”, c’est manière de “poser un regard dessillé” sur le présent.
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jeudi, 19 octobre 2006
Chronique portuaire de Nantes XXVI
Au XVIIe Siècle
1637. — RÉCOMPENSE À DEUX CAPITAINES
Le Bureau de Ville fit présent, en 1637, de cent livres de poudre à canon aux capitaines Lefauche et Berthelot, du Pouliguen, qui avaient arrêté plusieurs des pirates espagnols croisant à l'embouchure de la Loire ; et les exhortait à continuer de courir sus à ces écumeurs de mer (1),
1641. — CONSTRUCTION DE LA PREMIÈRE BOURSE DES MARCHANDS.
Le 9 juin 1641, le Bureau de Ville décidait la construction d'une Bourse où les marchands pourraient se réunir. L'adjudication en fut faite le 24 juillet, au sieur Élie Brosset, pour la somme de 8.300 livres (2).
Cette première Bourse des Marchands était située dans la rue de la Fosse, et près le passage du Commerce ; on en voit encore quelques restes dans une cour.
1644. — LE PORT DE NANTES EN 1644.
Louis Coulon décrit ainsi Nantes dans son ouvrage :
« Rivières de France ou Description Géographique et Historique du cours et débordement des fleuves, rivières, fontaines, lacs et estangs qui arrosent les provinces de France. Première partie, comprenant celles qui se jettent dans la mer Océane » :
« Nantes est une ville forte de grand trafic, à cause de la commodité de son port sur la rivière du Loire, où la mer reflue jusques à ses murailles » (3).
1645. — LE COMMERCE DES HUILES DE BALEINE.
Nantes recevait à cette époque de grandes quantités d'huile de baleine ; et ce commerce donna lieu en 1645 à une contestation entre les commerçants de la ville et un sieur Rouxeau, directeur d'une Compagnie du Nord, se disant privilégiée pour la vente des huiles de baleine, de chien de mer, lard et fanons, etc..,..
Rouxeau, en vertu de ce soi-disant privilège, avait prétendu mettre l'embargo sur les cargaisons d'huiles d'un navire espagnol et d'un navire de Hambourg ; et cette prétention avait suscité une plainte des commerçants de la ville.
Le Parlement défendit à Rouxeau de plaider et aux commerçants de se défendre, de sorte que tout demeura comme précédemment (4).
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(1) VERGER, Archives curieuses de Nantes, t. I p. 392.
(2) GUÉPIN, Histoire de Nantes, p. 315.
(3) DUGAST-MATIFEUX, Nantes ancien et le pays Nantais, p. 153.
(4) VERGER, Archives curieuses de Nantes, t. I. p. 392.
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mardi, 17 octobre 2006
un massacre
De la "librairie" à la salle de séjour, le petit Mac, la livebox et quelques bouquins ont réussi leur migration.
Mais ce soir, je souhaiterais une note quasi silencieuse, parce qu'il y a quarante-cinq ans, le 17 octobre 1961, un certain Papon, préfet de police, donne carte blanche aux forces de l'ordre pour la plus odieuse "ratonnade" de France.
Ce soir-là, je suis à Alger dans l'amour fou avec ma Belle du Zaccar parmi les explosions de l'OAS, les contrôles militaires, le couvre-feu, les rafales soudaines au coin des rues, mon entrée, par elle, dans une semi-clandestinité et les mares de sang sur les trottoirs.
Nous ignorons tout de cette immonde soirée parisienne.
Là où nous sommes, Elle et moi, c'est l'atroce depuis sept ans — pour elle, surtout — et nous vivons dans l'insouciance de l'amour et de l'espoir !
18:05 Publié dans les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)