Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

dimanche, 19 mars 2006

célébrer un grand Passeur

dédiée à Kheira, à Djanet !
Que sont-elles devenues, ces femmes de grande liberté,
dans la tourmente de ces vingt dernières années ?



Pour commémorer - on commémore beaucoup quand la barbe blanchit - le 19 mars 1962, la confluence des dates avec l'anniversaire de la mort d’Ibn-Khaldûn, il y a 600 ans, m’est apparut comme un sacré signe ; le voisinage du texte sur le Désert pour accompagner la dépouille de Claude n'en est que plus fortuit - qui paraît fortuit, glisserait Borgès - et renforce la tonalité maghrébine de cette note. Et quand, ce soir, au Beaulieu, on passe la Bataille d’Alger, le médiocre film de l'italien PonteCorvo... alors !
Eh, bien alors ! Je me suis replongé dans mon vieux bouquin de la Muqaddima, qui porte en ex-libris “Alger, Pâques 1966 ~ En attendant Kheira...” !

Toujours ce petit bonheur d’avoir naguère - jadis ! - glissé entre les pages du livre des feuillets : ceux-là combien précieux, puisqu’ils évoquent le labeur théâtral que je fis avec René Lafforgue* - où est-il, celui-là ? - autour d’Ibn-Khaldûn pour la fête de la Jeunesse de juillet 1966 au Grand Théâtre d’Alger. J’avais failli tenir le rôle de Pierre le Cruel, roi de Castille, je me bornais à la régie “son”. Dommage, car lors de son séjour, le Castillan était accompagné de sa maîtresse, Maria de Padilla ; dans notre évocation, le rôle était tenu par Djanet, une jeune actrice du Théâtre National Algérien ; elle était sur scène, j’étais derrière ma console ; nous ne fûmes point indifférents, l'autre à l'un. Elle était belle ! Ça ne dura qu’un seul été !

Oserai-je écrire que j’ai retrouvé Ibn-Khaldûn lors de notre périple ibérique de 2001/2002 ? Au cours de la visite de l’Alcazar de Séville et de ses jardins, en novembre 2002, son ombre est revenue :


...Ou peut-être, un siècle plus tard, avez-vous croisé Ibn Khaldûn venu à la cour de Pierre le Cruel en ambassadeur de l’émir de Béjaia : vous l’avez questionné sur son étonnante démarche d’un voyageur qui s’intéresse avec tant d’insistance aux groupes humains et à leur organisation sociale ; plus tard, les lettrés diront qu’avec sa Muqaddima, il fut le premier à jeter les jalons de la sociologie !

Coule la fontaine !



J’avais déjà mis mes pas dans les siens dans les années 60, dans une Algérie enfin libre et pour quelque temps encore heureuse : à Tlemcem, Constantine, Bedjaïa, Batna, Biskra.
Sur certaines terrasses de Biskra ou de Baniane, je suis resté longuement rêveur devant la palmeraie qui s’étendait jusqu'aux confins du désert. Toujours il y eut des musiques : chaâbi constantinois, raïta guerrière, rebbäb nostalgique, musique douce andalouse, humble et rustique roseau du nomade.
Peut-être qu’entre deux ambassades, un enseignement, deux recrutements de mercenaires, une charge de caïdat, s’était-il retiré, là, pour méditer et construire son grand œuvre ?
Il l’élabora au cours d’un siècle obscur, tumultueux et un parcours de vie qui ne lui épargna aucune vicissitude. Rien de l’activité humaine ne lui sera étranger ; on le fait l’ancêtre de la sociologie ; il est bien au delà. Aurais-je brièvement l’audace d’évoquer un Pierre Bourdieu ? un Edgar Morin ?
Pas un mot plus haut qu’un autre, il observe, décrit, définit, classe, hiérarchise, compare, analyse ; il développe, il expose, il ne juge pas ; quand il pressent le désaccord qui se dessine, il écrit : « Nous réfuterons.» Quand il avance une preuve, il avoue que cette preuve “se fonde uniquement sur la difficulté de la chose et l’impuissance de l’esprit humain de tout comprendre”.

Sur la science et l’Islam

Lorsque la communauté musulmane étendit son empire et absorba d'autres nations, les sciences des Anciens furent effacés par la révélation prophétique et le Livre. L'inculture était alors la marque distinctive de cette communauté. Mais ensuite la souveraineté, la puissance et les services forcés des peuples vaincus la façonnèrent (aux usages) de la civilisation sédentaire et adoucirent ses mœurs. Dès lors l'enseignement des sciences religieuses, qui s'était fait chez les musulmans par la voie de la transmission orale, devint un art et le progrès de leurs connaissances amena la composition d'une foule d'ouvrages et de recueils. Mus par le désir de connaître les sciences des autres peuples, ils les intégrèrent à leur savoir en les traduisant et en les adaptant à la forme de leurs propres spéculations.


Sur la pensée et la faim


Il faut savoir que la faim est de toute manière plus favorable au corps qu'une surabondance d'aliments, pourvu qu'on puisse s'habituer à l'abstinence ou à réduire son alimentation. La faim agit favorablement sur le corps et l'esprit : elle entretient la santé de l'un et éclaircit l'autre ainsi que nous l’avons dit.
On peut en juger par l'effet que les aliments produisent sur le corps. Nous avons observé que si des hommes adoptent pour nourriture la chair de très gros animaux, leurs descendants prennent les qualités de ces animaux. La chose est évidente si l'on compare les Bédouins aux citadins.



Je ne savais plus qui dédaigneusement laissa brûler la bibliothèque d’Alexandrie, arguant que si le savoir de la Bibliothèque était contre le Coran, il fallait la détruire et que si ce savoir était déjà dans le Coran, ce dernier suffisait et que point n’était besoin de la bibliothèque, qu’il convenait donc de la brûler.

Sur l’incendie de la Bibliothèque d’Alexandrie

Les sciences intellectuelles acquirent une très grande importance chez les Perses, et leur culture y fut très répandue, ce qui tenait à la grandeur de leur empire et à sa vaste étendue. On rapporte que les Grecs les apprirent des Perses à l'époque où Alexandre tua Darius et se rendit maître de l'empire des Achéménides. Alexandre s'empara alors de leurs livres et (s'appropria la connaissance) de leurs sciences. Nous savons cependant que les musulmans, lors de la conquête de la Perse, trouvèrent dans ce pays une quantité innombrable de livres et de recueils scientifiques, et que (leur général) Sa'd ibn Abi Waqqaç demanda par écrit au Khalife Umar ibn al-Khatib s'il lui serait permis de les distribuer aux croyants avec le reste du butin. Umar lui répondit en ces termes : « Jette-les à l'eau ; s'ils renferment ce qui peut guider vers la vérité, nous tenons de Dieu ce qui nous y guide encore mieux ; s'ils renferment des tromperies, nous en serons débarrassés, grâce à Dieu ! ». On jeta donc les livres à l'eau ou dans le feu, et dès lors les sciences des Perses disparurent au point qu'il ne nous en est rien parvenu.



Je ne sais comment mon passé algérien va me rattraper ce soir avec “La bataille d’Alger”, ce dont je suis sûr, c’est que, depuis deux jours, de m’être replonger dans les pages de la Muqaddima, m’a joyeusement réconcilié avec la pensée d'un très grand Maghrébin.
Cet homme est toujours un PASSEUR entre nos rives.

Post-scriptum :
• Les extraits de la Muqaddima présentés par Georges Labica et traduits par Jamel-Eddine Bencheikh ont été édités en 1965, par Hachette, pour le Centre Pédagogique Maghrébin.
• Un premier tome des Œuvres d’Ibn Khaldûn, Le Livres des exemples, traduit et présenta par Abdesselam Cheddadi, a été publié par Gallimard, en Pléiade, en décembre 2002.
• Dans l'encyclopédie collective de la Toile, Wikipédia, une biographie qui semble juste.

* Oui ! Qu'est-il devenu, ce vieux compagnon ? Instructeur national "théâtre" à la Fédération nationale des Maisons des jeunes et de la culture, à l'époque où nous travaillions sur Ibn Khaldûn, il mettait en scène pour Paris - mais quelle salle de théâtre ? - Noces de sang de F.G. Lorca

Les commentaires sont fermés.