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jeudi, 20 novembre 2008

Les Négriers - Introduction à « Corsaires et Marins Nantais »

négriers.jpgLES NÉGRIERS

Il faut bien l'avouer,— quelque pénible qu'en puisse être l'aveu,— c'est dans la Traite des Nègres, dans le Commerce du bois d'ébène, que Nantes a trouvé la source première de sa prospérité, a développé son esprit d'entreprise et d'initiative, et a puisé sa fortune et celle de ses habitants.

Nous n'avons nullement l'intention de défendre ce trafic, pas plus d'ailleurs que celle de l'attaquer ; la défense en est impossible, quant à l'attaque, elle a été trop copieusement faite pour que l'on puisse lui fournir des armes nouvelles. Nous dirons donc simplement que la Traite des Nègres était légale ; pratiquée par toutes les nations possédant des colonies ; réglementée par les Ordonnances et les Édits ; et, bien plus, ouvertement encouragée par les Rois, qui tantôt accordaient une prime par tête de nègre débarqué aux colonies (arrêt du 27 septembre 1720), et tantôt envoyaient aux Traitants des témoignages non équivoques de leur satisfaction : « Sa Majesté, — voyons-nous dans une Déclaration Royale en date du 11 octobre 1722 et relative au commerce des Nègres, — a vu avec satisfaction les efforts que les négociants de la Ville de Nantes ont fait pour étendre ce commerce autant qu'il était possible...»

L'origine de la Traite des Nègres est des plus simples. Les colonies nouvelles d'Amérique manquaient de bras ; d'autre part, les Blancs ne pouvaient encore supporter leur climat débilitant ; toutes les puissances se tournèrent alors vers l'Afrique, où l'on savait qu'un grand nombre de nègres étaient vendus ou mis à mort à la suite des batailles incessantes que se livraient ces peuplades sauvages.

Puisqu'il existait déjà un marché de nègres, les gouvernements européens songèrent tous à s'y approvisionner de travailleurs ; bien plus, et c'est ce qui explique pourquoi la Traite fut acceptée par tous, les philosophes et les moralistes du temps la déclarèrent bonne et humaine, parce qu'elle arrachait les nègres à la mort, ou du moins substituait un esclavage acceptable à un esclavage épouvantable.
À ces idées s'ajouta celle du prosélytisme religieux ; les nations catholiques y virent un moyen d'arracher à l'erreur une multitude d'êtres humains, et cette préoccupation est constante dans les Ordonnances des Rois, qui prescrivent le baptême pour tous les esclaves importés aux colonies.

Sans doute, l'on ne tarda pas à comprendre toute la fausseté et l'inanité de ces sophismes. La source première de la Traite : les nègres déjà esclaves, les prisonniers de guerre et les condamnés à mort manquèrent bientôt complètement, et c'est alors que les traitants, ou du moins leurs fournisseurs, les petits Rois Africains, organisèrent de véritables chasses à l'homme, des razzias de plus en plus fréquentes, dans lesquelles des villages entiers ; hommes, femmes et enfants, étaient arrachés à la liberté, conduits en troupeaux humains jusque sur les côtes, et parqués pêle-mêle, en attendant qu'un navire d'Europe vienne les emporter à destination des Antilles. Mais, à ce moment, la Traite était tellement entrée dans les mœurs qu'il était impossible de la supprimer ; l'intérêt général des États, l'intérêt particulier des traitants et des armateurs étouffèrent le cri de la conscience, et l'horrible et inhumain commerce du bois d'ébène fut définitivement admis et pratiqué par toutes les nations européennes,

En France, la Traite ne fut réglementée qu'en 1664, lors des Édits royaux suscités par Colbert. Elle fut tantôt monopolisée, c'est-à-dire exclusivement permise à certaines grandes Compagnies de Commerce ; et tantôt libre, c'est-à-dire abandonnée à tous les particuliers sous le contrôle de l'État.

Nantes fut, sans contredit, de tous les ports de France et du monde, celui qui se livra le plus activement à ce commerce. Ce fut Nantes qui défendit le plus énergiquement la Traite chaque fois qu'elle fut menacée ; Nantes qui réclama toujours la liberté de la Traite lorsqu'elle fut monopolisée ; Nantes à qui les rois et les ministres s'adressèrent toujours avant d'en modifier les règlements, prenant rarement une décision avant d'avoir consulté ses députés ; Nantes, enfin, qui refusa le plus longtemps de se soumettre à la suppression de la Traite, et qui posséda peut-être les derniers Négriers.

Cette triste supériorité de Nantes sur les autres ports du royaume s'explique d'ailleurs très aisément. De tous les ports de France, Nantes était de beaucoup celui qui trafiquait le plus avec nos possessions d'Amérique, et qui y avait engagé les plus gros capitaux. II était donc naturel à nos navires, alimentant déjà les Antilles de denrées et de produits manufacturés, de les alimenter également de cette autre marchandise, le bois d'ébène ; comme il était naturel à nos armateurs, souffrant du manque de bras, de songer les premiers à fournir de nègres leurs plantations de cannes à sucre, source la plus importante de leur commerce et de leur richesse,

Les Négriers nantais accomplissaient ce que l'on appelait des voyages circuiteux. Partant de Nantes avec une cargaison de cotonnades voyantes, fusils, perles et poteries fabriquées spécialement pour ce commerce, ils l'échangeaient sur les côtes d'Afrique contre une cargaison de nègres, la transportaient aux Antilles, et en revenaient avec une troisième cargaison, composée le plus souvent de balles de sucre. Ces marchandises ne payaient que la moitié des droits d'entrée dans tous les ports de France, de telle sorte que les armateurs, pour pouvoir soutenir la concurrence, se voyaient forcés, s'ils commerçaient avec les Antilles, de se livrer à la Traite ainsi favorisée par le Pouvoir royal.

Pendant plus d'un demi-siècle, les Négriers nantais débarquèrent annuellement aux colonies de dix à douze mille nègres en moyenne ; et les bénéfices que les armateurs retiraient de ce commerce oscillaient entre 30 et 40 millions. L'unité de nègre, la pièce d'Inde, comme on disait alors, c'est-à-dire un noir de 15 à 30 ans, sain, robuste, bien fait, et qui a toutes ses dents, valait de 600 à 1.000 francs, suivant la provenance, les besoins des colonies et l'époque.

Au commerce du bois d'ébène, les Nantais empruntèrent cet esprit d'initiative, ce goût des aventures qu'ils développèrent ensuite dans la guerre de Course, Souhaitons que ces ressorts d'énergie, appliqués à de plus louables entreprises que la Traite, permettent à Nantes de reprendre le rang qu'elle occupait jadis parmi les ports de France et du monde.

Note du scanneur
Des extraits de cette rubrique et des notes concernant l'esclavage et la traite furent déjà publiés, les 9 et 11 mai 2006, puis le 12 avril 2007 pour la commémoration de l'abolition de l'esclavage. Des commentaires fort pertinents furent ajoutés par Alain et patbdm (accéder à leurs blogues en cliquant dans la rubrique de droite" Les fréquantations")

jeudi, 13 novembre 2008

Les Armateurs — introduction à « Corsaires & Marins Nantais »

armateurs.jpgLES ARMATEURS

Si l'aumône généreuse est un signe de richesse pour ceux qui la dispensent, les armateurs et négociants de Nantes furent de bonne heure favorisés des dons de la fortune.

Dès le VIe siècle, en effet, nous les voyons « jeter à l'envi leur argent » à saint Germain de Paris, lors de son passage à Nantes, « pour le distribuer aux pauvres » (1) et nous ajouterons, à l'honneur de nos armateurs, qu'ils surent conserver ces traditions de générosité, et que toutes les institutions charitables de notre ville les ont comptés parmi leurs fondateurs ou leurs donateurs les plus désintéressés.

Appartenant à de vieilles familles nobles, ou annoblis par les Rois pour les services qu'ils rendaient au pays, les armateurs de Nantes, — les Marchands à la Fosse, comme on les appelait alors, — actifs, entreprenants, à l'affut de toutes les aventures et de toutes les découvertes, peuplèrent les mers de hardis marins, et nos colonies lointaines d'infatigables pionniers. Partout on trouvait des Nantais ; les grandes maisons d'armement de notre ville possédaient des comptoirs sur tous les points de notre immense empire colonial d'alors ; les armateurs y envoyaient leurs fils ; et même ne craignaient pas d'y passer de longues années, emmenant avec eux toute leur famille de l'autre côté des mers.

De retour à Nantes, ils faisaient construire ces superbes demeures de la Fosse ou de l'île Feydeau, bien plus palais que maisons, et qui, après avoir fait l'admiration de tous les voyageurs pendant près de deux siècles, sont encore dignes de figurer au nombre des édifices les plus remarquables de notre ville.

D'ailleurs, les Marchands à la Fosse n'étaient pas simplement de paisibles commerçants ; et dans un temps où la marine militaire de l'État, encore très faible et mal organisée, faisait un constant appel à la marine de commerce et à l'initiative privée, les armateurs de Nantes prirent rapidement une place glorieuse parmi ces auxiliaires volontaires de nos escadres,

Souvent, en effet, nous verrons les Rois accorder aux navires nantais les prérogatives des navires de guerre de l'État ; leur permettre d'arborer au grand mât la flamme distinctive des unités d’escadre, et conférer à leurs capitaines le grade de capitaine de frégate ou de corvette. Très souvent aussi, nous pourrions dire à chaque guerre de notre histoire, ces mêmes Rois, confiants dans le courage de nos corsaires, invitaient les Marchands à la Fosse à armer en Course, et leur délivraient des lettres de marque pour les autoriser à armer leurs navires en guerre et à courir sus aux Anglais.

(1) A. DE LA BORDERIE, Histoire de Bretagne, t. 1, p. 535.,

jeudi, 06 novembre 2008

Les chantiers de construction navale — introduction à "Corsaires et Marins Nantais"


lettrine2001.jpgLES CHANTIERS DE CONSTRUCTIONS NAVALES


Dans la Description de la Ville de Nantes... par un des habitants de cette Ville imprimée en 1646, on peut lire cette phrase :

« ... Aussi sçavons-nous que de tous tems on y a bâti très grand nombre de vaisseaux, et les plus beaux de la France. »
Dès l'occupation Romaine, en effet, l'embouchure de la Loire possédait des chantiers de constructions navales ; et nous savons, par les Commentaires, que César donna l'ordre à son lieutenant Crassus d'y construire des galères, lui recommandant de choisir des formes fines et élancées, afin d'éviter plus sûrement les bancs de sable : Naves longuas œdificari in flumine Ligeri. II semble difficile, toutefois, de placer à Nantes ces chantiers de constructions, si l'on observe que les galères ordonnées par César étaient destinées à combattre la flotte des Venètes, et que les Namnètes étaient alors les alliés de cette vaillante peuplade. Aussi serait-il plus vraisemblable de les supposer sur une rive favorable aux Romains, par exemple à Ratiatium, déjà occupé par leurs cohortes.

Jusque vers la fin du XVIe siècle, les chantiers de constructions navales nantais furent situés au Port-au-Vin (place du Commerce). Transférés en 1583 sur le quai de l'Ile-Gloriette, ils se trouvaient en 1738 à l'embouchure de la Chézine, comme en témoigne l’Arrest du Conseil d'Etat du Roy en date du 18 juillet 1738, relatif à la construction des vaisseaux à la Chézine. Ces chantiers étant devenus insuffisants, les constructeurs en établirent un autre au pied des carrières de Miseri, et l'Apollon (1), le premier navire construit sur ces nouvelles cales, y fut lancé en 1745, Enfin, en 1780, les derniers chantiers de la Chézine furent transférés à la Piperie, en Chantenay. Notons également que, tant que Paimbœuf servit d'avant-port à Nantes, les constructeurs nantais y établirent des chantiers, et qu'un grand nombre de navires de guerre et de commerce y furent mis à l'eau. On pourrait en dire autant de Vertou et de Basse-Indre, où nos constructeurs possédaient également des cales et des chantiers.

Les navires construits à Nantes avaient une réputation justement méritée de vitesse et de bon marché. Une lettre de la Cour, adressée le 1er janvier 1786 à l'Administration de la Marine à Nantes, nous marque, en effet, que les navires construits dans cette ville coûtaient un tiers moins cher que ceux construits en Angleterre ; il est vrai, par contre, qu'ils ne duraient en moyenne que de douze à quinze ans, tandis que ceux de nos rivaux fournissaient une carrière d'à peu près vingt-et-un ans.

En 1793, le ministre Monge, auquel le commerce nantais s'était adressé pour demander qu'il soit construit à Nantes trente bâtiments de guerre, répondait, à la date du 22 février, qu'il pensait en effet :
« que pour augmenter nos forces navales, la rivière de Nantes offrait des avantages trop réels pour les négliger. J'ai donne ordre en conséquence, — ajoutait-il, — d'y construire des frégates et des corvettes, et il va être incessamment envoyé des plans sur lesquels on opérera. »

De fait, durant la Révolution et l'Empire, les chantiers nantais firent preuve d'une activité intense ; et, d'après un état nominatif de l'Administration de la Marine, nous constatons que de 1797 à 1846, les frères Crucy construisirent, à eux seuls, cinquante-sept bâtiments pour le compte de l'Etat, dont dix vaisseaux de 74; quatorze frégates; cinq corvettes ; deux flûtes et douze bricks ; et radoubèrent 382 bâtiments de toute espèce.

A l'avènement de Louis XVIII cependant, les chantiers de Nantes, en ce qui concerne la marine militaire du moins, avaient été supprimés ; « il semble inutile, — écrivait le ministre, — de conserver à Nantes un chantier de navires ». À ce moment, quatre bâtiments destinés à la marine militaire étaient en construction ; deux bricks : le Huron et le Silène, qui furent lancés peu après, et deux frégates : l'Armide et l'Astrée, qui furent démontées et transportées dans un port de guerre pour y être achevées.

Parmi les navires les plus célèbres sortis des chantiers nantais, nous signalerons rapidement :

Les deux grandes carraques de 1.000 tonneaux chacune, construites en 1496 par ordre de Charles VIII.

Le vaisseau la Nonpareille, construit sous François Ier, et appelle ainsi « pour sa démesurée grandeur ».

Les vaisseaux le Grand-Henry et le Grand-Carraquen, « les plus grands qu'on n'ait point vus en nostre Océan », construits sous Henri II.

L'Apollon, lancé en 1745 aux chantiers de Miséri.

Le navire La Rosière d'Artois, lancé en 1777 aux chantiers de la Chézine, en présence du Comte d'Artois, depuis roi de France sous le nom de Charles X.

La corvette la Jacobine, lancée à Basse-Indre en 1794.

La frégate la Loire, donnée à la République par le commerce nantais, et lancée en 1796.

La frégate la Méduse, mise à l'eau à Paimbœuf, en juin 1810, et dont tout le monde connaît la fin tragique.

Les frégates l'Aréthuse et le Rubis, lancées en 1812 ; l'Étoile et la Sultane, en 1813.

Le Fils-de-France, lancé en 1818, et dont le duc d'Angoulême, grand amiral de France, avait posé la quille l'année précédente.

L'Arche-d'Alliance, lancée en 1845.

La frégate blindée le Castelfidardo, construite en 1862 pour le compte du gouvernement italien.

Les frégates la Belle-Poule, l'Andromaque, la Créole, l'Heureuse, la Chiffonne, la Renommée, la Flèche, la Curieuse, la Pallas, la Minerve, la Néréide, la Gloire, etc., construites à différentes époques, et qui fournirent des carrières brillantes dans nos Annales maritimes.

L'aviso l'Épervier, commandé d'abord par le capitaine Halgan, plus tard vice-amiral ; puis par le lieutenant de vaisseau Jérôme Bonaparte.

Enfin, les corsaires le Duc-de-Bourgogne, le Saint-Adrien, la corvette Actéon, le brick l'Oiseau, le Vautour, le Duguay-Trouin, le Barbier-de-Séville, l'Eugénie et la Nouvelle-Eugénie, le Voltigeur, le Chéri, etc, en un mot, toute une flotte d'intrépides corsaires, spécialement construits pour la Course sur nos chantiers, et dont nous aurons maintes fois l'occasion de raconter les prouesses.

__________________________________________________

(1) Au cours de cette étude, tous les noms de navires nantais, construits ou armés à Nantes, ainsi que ceux commandés ou montés par des Nantais seront écrits en caractères gras, ceux qui luttèrent contre les navires nantais, furent amarinés par eux, ou, au contraire, les enlevèrent, seront indiqués en CAPITALES ; enfin, tous les autres navires que nous aurons à mentionner incidemment, français ou étrangers, seront désignés par des caractères italiques.

vendredi, 31 octobre 2008

Les Origines - introduction à "Marins et Corsaires Nantais"

origines.jpg

INTRODUCTION
LES ORIGINES

L'an de la création du monde 2888 — si l'on en croit la légende, — 308 ans avant la fondation de Rome et 1061 ans avant Jésus-Christ, Brutus de Troie, arrière-petit-fils d'Enée, errant à travers les Océans avec un petit groupe de Troyens, remonta l'estuaire d'un large fleuve, sur la côte des Celtes, et s'établit avec ses compagnons dans le lieu qui, plus tard, devint Nantes.

Quelle que lointaine que soit cette origine, elle n'a pas paru suffisante cependant pour satisfaire tous les vieux Chroniqueurs ; et pour un grand nombre de nos anciens historiens, Nantes aurait été fondée par Namnès, descendant de Japhet, fils de Noë, à une époque contemporaine de la Tour de Babel (1).

Si, écartant ces origines légendaires sur lesquelles il est inutile d'insister autrement qu'en les citant, nous recherchons la date de la fondation de Nantes, et l'histoire vraie de ses origines comme port de mer, nous sommes obligés d'avouer que nous ne savons rien de ce qu'était notre ville avant l'occupation romaine. Arguant de certaines pièces d'or antérieures à la venue de César, trouvées aux environs de la ville, et échafaudant sur ce léger indice une construction savamment édifiée, certains auteurs prétendent que la civilisation était déjà très florissante sur les rives de la Loire, et que, bien avant la conquête romaine, le port des Namnètes, l'un des plus anciens et des plus riches de la Gaule, jouissait d'une prospérité commerciale excessivement développée.

D'autres, au contraire, — et ceux-là sont plus près peut-être de la vérité, — ne voient dans ce très ancien Nantes, qu'un faible Oppidum gaulois ; une bourgade de peu d'importance, nullement maritime ni commerciale encore, et dont les habitants semblent avoir ignoré totalement l'usage du fleuve, si ce n'est pour y placer leurs primitifs engins dépêche.

De la conquête Romaine prend donc date, — historiquement du moins,— la naissance du port de Nantes ; et nous aurons l'occasion de constater qu'il devint, dès cet instant, l'un des plus prospères de nos côtes.

Depuis cette époque, il n'a pas cessé de se perfectionner et de s'accroître ; passant, il est vrai, par des alternatives de prospérité et de décadence profonde, et toujours en lutte avec le fleuve.

Lutte incessante du port qui veut de l'eau, et du fleuve qui ne lui apporte que du sable ; lutte incessante du tonnage des navires qui augmente et du tirant d'eau qui diminue ; lutte enfin qui a enregistré des défaites et des victoires pour les deux partis, mais qui, — Nantes peut en être sûre parce qu'elle le veut fermement, — prendra fin par le triomphe définitif du port sur ses deux ennemis qui l'assaillent et semblent vouloir le combler : le sable qui descend, et la vase qui monte.

Alternatives de défaites et de victoires, disons-nous, et il est intéressant de noter sur la carte de l'embouchure de ce fleuve rebelle, les phases les plus importantes du gigantesque combat. Au lendemain de l'occupation Romaine, le port de Nantes, le Portus Namnetum, envahi par les sables, est peu à peu abandonné pour son rival, le port des Pictons : Ratiatium (Rezé), où se transporte bientôt tout le commerce maritime. Au VIe siècle, les travaux de l'Evêque saint Félix dans le port y ramènent insensiblement les navires ; et Ratiatium abandonné perd toute son importance pour n'être plus qu'un simple hameau de pêcheurs. Puis, à un nouvel ensablement, correspond une nouvelle émigration des intérêts maritimes ; et, cette fois, c'est le village de Paimbœuf qui, devenu l'avant-port de Nantes, voit soudain ses quais neufs couverts de marchandises et sa rade de vaisseaux. Plus tard, des dragages et des digues ayant amélioré le chenal, les navires remontent de nouveau jusqu'à Nantes ; puis s'arrêtent à Saint-Nazaire, lors de la création en ce port d'un bassin à flot, pour remonter encore à Nantes dès l'ouverture du canal maritime, qui leur en permet l'accès.

Et de même qu'à chaque émigration du mouvement maritime, quittant momentanément Nantes, correspond toujours une tendance de plus en plus accusée à se rapprocher de l'embouchure : Rezé, Paimbœuf, et enfin Saint-Nazaire ; de même aussi, à chaque retour de la navigation à Nantes, après une absence plus ou moins longue, elle se fixe insensiblement de plus en plus bas sur le fleuve : le port de Richebourg, sous les Romains ; le Port- Maillard, au XIIIe siècle ; le Port-au-Vin (place du Commerce), au XVe siècle ; au XVIe, la Fosse, qui, depuis cette époque jusqu'à nos jours, n'a cessé de se prolonger vers l'Ouest ; hier, Chantenay ; et enfin, demain, Roche-Maurice et Basse-Indre.

______________________________________________
(1) ALAIN BOUCHARD, Bréviaire des Bretons, Feuillet III.


Note du scanneur

Si l'émigration du mouvement maritime s'est enfin stabilisé entre Donges et Saint-Nazaire — Port aux bois et Port aux sables demeurant fixés sur la rive gauche du fleuve, en aval de Nantes, entre l'ile de Cheviré et Port-Lavigne, de 1908 à 2008, il faut bien reconnaître qu'est toujours d'actualité "le sable qui descend et la vase qui monte", que Nantes n'a point triomphé, qu'elle serait même défaite, que le fleuve "sauvage" en son amont est menacé par le bouchon de vase de son estuaire et que s'ajoutent à ces avatars les dangers permanents de la pollution de la raffinerie de Donges et d'une navigation pétrolière, certes contrôlée, mais toujours menacée par d'éventuelles tempêtes ou... par la rupture inopinée d'amarres mal entretenues.

mardi, 28 octobre 2008

préface à « Marins & Corsaires Nantais »

PRÉFACE

Flumen laetificat civitatem.

Que de fois, descendant la Loire par une froide et brumeuse soirée de décembre ou une claire matinée de printemps, n'avons-nous pas songé aux origines de notre cité et rêvé de découvrir, dans la brume des lointains, comme dans le recul fabuleux des temps, la trirème phénicienne qui amenait vers le Condivicnum les géographes Pithéas ou Strabon, — ou les « chioules » agiles des Vikings envahisseurs ! Que de fois aussi, de l'esplanade de Sainte-Anne ou de l’avenue de Lusançay, ne nous sommes-nous pas pris à songer, en regardant le grand fleuve se perdre entre ses rives grasses, entraînant des barques indolentes ou des cargos pesamment chargés, aux caravelles des Croisés ou aux frégates des Corsaires qui, par bonne brise et favorable marée, appareillaient et prenaient leur vol vers la haute mer. Tout ce port qui se creusait sous nos yeux, plein d'une immense agitation, nous semblait une ruche féconde dont le passé indécis était énigmatique et tentateur comme un sphinx antique.

Aujourd'hui, cette lacune n'existe plus. Un des rédacteurs du « Pays d'Arvor », condensant ses patientes et méthodiques recherches dans une substantielle brochure, vient de résumer tous les travaux des polygraphes qui se sont occupés de notre passé maritime.

Cette compilation n'a pas la prétention d'être complète ; semblable entreprise ne serait réalisable qu'en de volumineux in-folios. Elle est néanmoins suffisante pour permettre aux curieux de se faire une vue d'ensemble, pleine cependant de document suggestifs et de savoureux détails.

Ce travail vient à son heure; pour nos hôtes comme pour nos concitoyens, il restera un mémorial captivant de la « Grande Semaine Maritime Française» de 1908 dans l'estuaire de la Loire. Aussi le « Pays d'Arvor » n'a-t-il rien négligé pour faire de cette édition à la fois un manuel de vulgarisation et une luxueuse plaquette de bibliophile.

Nous avons lieu de penser que la faveur du public Nantais ratifiera le jugement élogieux et les encouragements par lesquels la Société Académique, la Société Archéologique, la Société de Géographie commerciale de Nantes et de la Loire-Inférieure, et la Ligue Maritime française, ont voulu reconnaître le mérite de ce consciencieux travail et de cette louable initiative.


René de LAUNAY,
Secrétaire de Rédaction du PAYS D'ARVOR.


Nantes, le 1er août 1908.


RAPPEL

Préface à
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

Pages scannées par grapheus tis

lundi, 27 octobre 2008

Marins & Corsaires Nantais (suite des chroniques portuaires)

Le 21 avril 2006, j'expliquai le pourquoi de ma démarche quand j'entrepris de scanner le bouquin de Paul Legrand, j'avais commencé le 1er avril et délaissé préface et introduction ignorant alors dans quelle tâche je m'aventurais et si j'allais la mener à son terme.
Eh bien ! Nous y voici au terme et cette brochure centenaire a trouvé quelque lectorat.
Je dois donc à ce fidèle lectorat marin de revenir aux premières pages de MARINS & CORSAIRES NANTAIS et de publier particulièrement la longue introduction et le paratexte (page de titre, dédicace, préface) qui explicitent le projet de Paul Legrand et souligne la modestie de son propos.
Je ne reprends point mes commentaires sur première de couverture et page de titre ; il suffit de les donner à lire :
pagecouv002.jpg pagetitre002.jpg
L'argument de vente et de vulgarisation explique sans doute le passage du très sévère titre "Annales de la Marine Nantaise" qui fait plus référence au patronage des Société Académique, Société Archéologique et Société de Géographie de Nantes et de la Loire-Inférieure et à la dimension historique reconnue avec la haute approbation de la LIGUE MARITIME FRANÇAISE, passage donc à la première de couverture, destinée à accrocher le chaland nantais.
La modeste mais sympathique revue "Le Pays d'Arvor" était sans aucun doute en quête de reconnaissance, mais aussi à la recherche de quelques espèces sonnantes et trébuchante.
La préface du secrétaire de rédaction du Pays d'Arvor souligne l'effort de la revue pour faire de cette publication "à la fois un manuel de vulgarisation et une luxueuse plaquette de bibliophile".
L'ouvrage est dédié

A M. Charles-Ed. SIMON
Vice-président de la section de Nantes
de la
Ligue Maritime Française

Demain, je publie la préface.
culdelampe001.jpg


Post-scriptum — qui a cependant quelque chose à voir avec ce qui précède — :
Ces chroniques portuaires ne sont pas loin d'être de vieilles cousines de ce qui se passe sur le VendéeGlobe aux Sables d'Olonne. Peut-être y-a-t-il un peu plus d'argent en jeu ? Quoique ?

jeudi, 23 octobre 2008

Chronique portuaire CIV

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830
La dernière chronique
1829. — ARMATEURS ET NAVIRES NANTAIS.

À la fin du règne de Charles X, le commerce maritime nantais entrait dans une ère de prospérité. Nantes comptait alors 111 maisons d'armement, et possédait 184 long-courriers, jaugeant ensemble 37.950 tx.
La plus importante de ces maisons d'armement, la maison Vve Th. Dobrée, comptait quatre navires jaugeant ensemble 1.829 tx. ; elle possédait le plus fort navire du port, le Cap-Horn, d'un tonnage de 717 tx.
Venaient ensuite les maisons : B. Dufou, 6 navires, 1.803 tx. ; Soubzmain, 4 navires, 1.197 tx. ; Th. Carmichaël, 6 navires, 1.110 tx. ; J.-B. Couy. 6 navires, 939 tx., etc.

La construction navale figurait parmi les industries nantaises les plus florissantes ; elle comptait quatorze chantiers à l'Ile-Gloriette, à la Chézine, à la Piperie et à Chantenay (1).

(1) F. LIBAUDIÈRE, Histoire de Nantes sous le règne de Louis-Philippe, p, 9.

-=oOo=-


Avec la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, nous arrêtons ces « Annales de la Marine Nantaise », non pas certes que cette marine disparaisse précisément en 1830, mais simplement parce qu'à cette date correspond une phase nouvelle de son histoire.

Et, en effet, tandis que la fin des corsaires et des négriers vient enlever à ces pages tout leur intérêt anecdotique, — le seul que nous ayons eu en vue, — la vapeur, sortie de la période des tâtonnements et des essais, s'apprête à révolutionner le commerce maritime et son instrument obligé : le navire.

Sans doute, il eut été extrêmement intéressant d'étudier la transformation radicale de notre port pendant le XIXe siècle, en même temps que le développement considérable de notre commerce et de nos industries maritimes. Mais cette étude, purement économique d'ailleurs, outre qu'elle eût dépassé le cadre forcément restreint de cet ouvrage, et le cadre encore plus restreint de notre compétence, ne rentrait nullement dans le plan que nous nous étions proposés : esquisser à grands traits l'histoire anecdotique de nos navires et de leurs capitaines.

Tel a été notre but unique; et quelque incomplet que puisse être cet ouvrage, nous nous estimerions satisfaits si cette faible contribution à notre histoire locale fût de nature à faire connaître et apprécier davantage les héros dont les faits d'armes remplissent ces pages.

Qu'il nous soit permis, en terminant, de remercier ici tous ceux qui nous ont aidés de leurs conseils et de leur science en facilitant nos recherches; et d'exprimer notre profonde gratitude aux Sociétés Savantes de Nantes et à la Ligue Maritime Française, qui ont bien voulu accorder leur patronage à cette initiative du " Pays d'Arvor ", dont nous n'avons été que le très imparfait interprète.

Paul LEGRAND.
Nantes, le 1er août 1908.



RAPPEL

Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

Pages scannées par grapheus tis

jeudi, 16 octobre 2008

chronique portuaire de Nantes CIII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830



1828.
— LA DUCHESSE DU BERRY À NANTES.

Durant le séjour à Nantes, en juin 1828, de la Duchesse de Berry, que le vapeur la Ville-de-Nantes avait été chercher à Saint-Florent, escorté d'un grand nombre de barques pavoisées, le yacht de la marine royale, la Girafe, splendidement aménagé pour la circonstance, fut mis à sa disposition.
Le lundi 30, elle s'y embarquait, et, accompagnée de toute une flotille enguirlandée et pavoisée, elle se rendait à la Dennerie, chez le comte Humbert de Sesmaisons, où elle assista à une fête champêtre et à l'embrasement du château de Barbe-Bleue; puis à la Trémissinière, chez le baron de Charette, où Madame et les autorités restèrent à diner.
À minuit seulement, la Girafe et la flotille accostaient à la chaussée de Barbin, trop tard pour que la Duchesse put assister à la représentation de gala organisée au théâtre en son honneur (1).


VAPEURS NANTAIS EN 1828 - LE "PARISIEN" ET LA "PARISIENNE".

Le Breton du 1er mai 1828 et des jours suivants, annonçait la mise en vente des « deux bateaux à vapeur le Parisien et la Parisienne, faisant antérieurement le service de Paris à Saint-Cloud. Ces deux bateaux — mentionnait l'avis, — ont chacun une machine de la force de 12 chevaux, deux chambres parfaitement ornées, et tout le matériel nécessaire à leur service ».

Le 13 juin 1828, le même journal avisait ses lecteurs que MM. Gaillard et Cie, propriétaires de ces vapeurs, se proposaient de les consacrer à un service régulier entre Nantes, Paimbœuf et Saint-Nazaire, en même temps qu'à des excursions au Croisic, à Pomic, à Belle-Ile et à Lorient, ainsi qu'à « la remorque des navires ». Leur solidité et sûreté, — ajoutait-il, — sont « garanties par le voyage qu'ils ont fait par mer », et ils sont décorés avec tout le goût et le luxe que le service de la Seine exigeait (2).

On se rappelle en effet que ces deux vapeurs, construits à Nantes en 1825 et 1826 et destinés à la navigation de la Seine, s'étaient rendus par mer de Nantes à Paris, non sans de multiples incidents et péripéties.
Indépendamment de ces deux bateaux, et des vapeurs américains de la compagnie fondée par Fenwick en 1822, plusieurs compagnies de navigation se formèrent en 1828 :
• les Riverains du bas de la Loire, fondés par Cossin et Leray ;
• les Riverains du haut de la Loire, fondés par Cuissard, Mesnard et Métois ;
• la Compagnie de navigation accélérée sur la Loire et ses affluents, fondée par Arnous-Rivière et Dufort ;
• enfin sur l'Erdre, le Riverain de l'Erdre, de Guichard fils et Cie, en concurrence avec un yacht de Gâche et Guibert.
À la fin de 1828, Nantes possédait en tout quinze vapeurs en activité (3).

(1) F. LIBAUDIÈRE, Précis des événements qui se sont passés à Nantes, du 11 juillet 1815 au 4 août 1830 (Annales de la Société Académique), Année 1905, p. 76.
Le Breton, n° des 23, 24 et 30 juin 1828.
(2) Le Breton, n° des 1er mai et 13 juin 1828.
(3) Le Breton, n° des 10 août, 29 et 30 septembre, et 7 novembre 1828.
Annales de la Société Académique, Année 1838, p. 90.
F. LIBAUDIÈRE, Histoire de Nantes sous le règne de Louis-Philippe, p. 12

jeudi, 09 octobre 2008

chronique portuaire de Nantes CII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830


1825.— LES "DAMES DE LA HALLE" ET LES NAUFRAGÉS.

En octobre 1825, le navire le Seineur, armateur J.-B. Couy, rentrait à Nantes avec soixante-cinq matelots naufragés qu'il avait rencontrés en mer et arrachés à la mort. Le capitaine Prevel, qui commandait le navire nantais, les avait accueillis à son bord ; les avait nourri pendant dix-sept jours sur ses propres vivres, chacun diminuant joyeusement sa ration pour venir en aide à ces malheureux ; et les ramenait sains et saufs à Nantes.
Leur première pensée, — c'étaient des Bretons, —fut de se rendre au pied des autels ; et le spectacle était magnifique de voir ces soixante-cinq naufragés dans leur costume déchiré et souillé d'eau de mer, s'agenouiller sur les dalles de l'église où ils entendirent la messe au milieu d'une assistance considérable.
Pendant la cérémonie, les « Dames de la Halle, ces femmes qui ne sont étrangères à aucun acte d'humanité » — se plaisait à reconnaître le Journal, — prirent l'initiative d'une collecte parmi la foule qui stationnait en dehors de l'église.
Le résultat dépassa leurs espérances ; aussi, lorsque les naufragés sortirent de l'église, elles les prirent tous par le bras, et, « sans autre discours que les « larmes qui coulaient de leurs yeux, » continuèrent dans tous les quartiers de la ville la collecte commencée.
Pendant que les commerçants, réunis à la Bourse, organisaient de leur côté une souscription pour ces malheureux, les « Dames de la Halle », plus pratiques, songeaient avant tout au nécessaire, et réclamaient pour leurs protégés de chauds et solides habits ; ce ne fut pas en vain ; « des boutiques, des balcons, les nippes pleuvaient sur elles..., et ces malheureux naufragés, tout-à-l'heure presque nus et transis de froid, se trouvèrent dans un clin d'œil couverts et à l'abri des injures du temps ».
Restait à les habiller, les « Dames de la Halle » s'en chargèrent, mais le Journal ne nous dit point comment elles s'y prirent en présence de tant de monde, ni ne nous décrit « l'heureux artifice dont elles s'avisèrent pour satisfaire à la fois à la pudeur et à la nécessité ». (1).

1826. — VAPEURS NANTAIS EN 1826.

D'après une enquête faite par la Société académique sur la demande du Préfet, Nantes possédait, en 1826, cinq bateaux à vapeur seulement munis de machines de 12 à 15 chevaux, toutes de construction anglaise (2). Ils appartenaient tous à la Société fondée en 1822 par le consul américain Fenwick
__________________________________________________________________

(1) Journal de Nantes et de la Loire Inférieure, n° du 28 octobre 1825.
(2) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 3 janvier 1826.

vendredi, 03 octobre 2008

Les cinq Pen Duick

Elles* ne sont pas quatre, mais cinq, les belles "mésanges à tête noire", dans la lumière crue d'un front froid.

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* Les voiliers se déclinaient naguère au féminin.

jeudi, 02 octobre 2008

Chronique portuaire de Nantes CI

Voici donc l'antépénultième chronique. Plus de corsaires, plus de négriers, encore moins de pirates et la Voile réduit ses toiles. Je laisse place à l'épilogue écrit par notre chroniqueur :

Avec la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, nous arrêtons ces « Annales de la Marine Nantaise », non pas certes que cette marine disparaisse précisément en 1830, mais simplement parce qu'à cette date correspond une phase nouvelle de son histoire.
Et, en effet, tandis que la fin des corsaires et des négriers vient enlever à ces pages tout leur intérêt anecdotique, — le seul que nous ayons eu en vue, — la vapeur, sortie de la période des tâtonnements et des essais, s'apprête à révolutionner le commerce maritime et son instrument obligé : le navire.
Paul LEGRAND


Du Commencement du XIXe Siècle à 1830

1824. — L'INVENTEUR DU BATEAU ZOOLIQUE MÉDAILLÉ.

Vers la fin de 1824, le jury central de l'Exposition des produits de l'industrie française, organisée à Paris, décernait une médaille de bronze à l'inventeur nantais Guilbaud, pour son bateau zoolique, mu par des chevaux sur plan incliné.
Le bateau zoolique avait exécuté de nombreuses expériences sur la Seine, entre le Pont-Neuf et les Invalides et, de l’avis de tous les spectateurs, le procède adopté par Guilbaud semblait des plus pratiques ; ayant une vitesse peu inférieure à celle des vapeurs, et d'autre part, présentant sur ces derniers l'avantage d'une économie considérable de construction et d'exploitation.
Le bateau zoolique mis en service sur l'Erdre continuait d'ailleurs toujours ses voyages de Nantes à Nort, et organisait fréquemment des excursions supplémentaires en plus de ses départs réguliers.
Le même jury décernait également une médaille de bronze au constructeur nantais Bertrand-Fourmand pour les modèles de câbles en fer qu'il présentait, et qui, dans son esprit, devaient être substitués aux câbles de chanvre encore exclusivement employés dans la marine militaire (1).


1825. — PREMIER VOYAGE DE NANTES A PARIS ACCOMPLI PAR MER PAR UN VAPEUR NANTAIS.
LE “PARISIEN” - LE “COURRIER” - LA “PARISIENNE”.

C'était un tout petit vapeur que celui qui, le 28 mai 1825, quittait Nantes pour se rendre à Paris, et effectuer le long et périlleux voyage autour de la Bretagne, sur ces côtes semées de tant de récifs tristement célèbres et hérissées de caps toujours entourés de tempêtes.
II s'appelait le Parisien, étant destiné au service fluvial de la Seine ; avait une longueur d'à peine quatre-vingt trois pieds, de tête en tête ; et calait tout simplement deux pieds, ce qui était bien minime, en vérité, pour un vapeur devant travers de si dangereux parages. Il avait été construit sur les chantiers nantais ; mais sa machine, une modeste petite machine à basse pression de douze chevaux, venait d'Angleterre et avait été construite à Liverpool. Quant à son équipage, il était à l'avenant, et se composait : « d'un ancien capitaine au cabotage, d'un marinier de la Loire, d'un mécanicien peu capable, de deux chauffeurs, d'un ancien soldat dont on fit un cuisinier, d'un passager, du constructeur du bateau, de son fils et de son gendre ; tous, excepté le patron, sans aucune habitude de la mer ».

Parti de Nantes à midi, il n'arriva qu'à sept heures du soir à Saint-Nazaire, et prit la mer le lendemain 29 mai, à trois heures du matin. À onze heures, en face d'Hœdic, il faisait la rencontre d'un banc de sardines qui émerveillait considérablement le novice équipage ; puis, à quatre heures, il passait devant Belle-Ile, et comme la mer commençait à grossir et que des vagues de plus en plus pressées et de plus en plus hautes assaillaient, le pauvre petit vapeur se mit à danser follement, et bien au-delà, certes, de tout ce qu'il avait pu imaginer de plus terrible.Tantôt il piquait de l'avant, le nez dans une lame et son gouvernail affolé battant l'air, tantôt il se couchait sur le flanc, l'un de ses volumineux tambours s'enfonçant sous la vague qui menaçait à chaque instant de l’emporter, tandis que son autre roue tournait désespérément dans le vide. Bref, au bout de quelques milles de cette navigation mouvementée, tout l'équipage, sauf le capitaine, était en proie au mal de mer, et jusqu'au mécanicien et aux deux chauffeurs « dont les vomissements bruyants trahissaient l'état de détresse ». Incapable de continuer plus longtemps ce voyage, son malheureux capitaine courant perpétuellement de la barre à la chambre des machines pour alimenter les fourneaux, le Parisien mettait le cap sur Lorient pour y passer la nuit, et fort heureusement, au moment où il cherchait à tâtons le chenal, les fusées volantes du feu d'artifice qu'on tirait à Lorient pour le couronnement « de S.M. Charles X, qui se faisait sacrer ce jour même à Reims, lui servirent de phare et lui permirent de s'ancrer, à onze heures du soir, en face de Port-Louis ».

Le lendemain, à quatre heures, il repartait, bien que la mer fût encore très houleuse ; doublait la pointe du Raz à huit heures et demie, et, rencontrant une barque de pêche, la hélait pour lui demander sa route ; mais le pêcheur qui la montait, « épouvanté à l'aspect, nouveau pour lui, d'un bâtiment marchant sans voiles ni rames et exhalant une épaisse fumée », se hâta de s'enfuir à pleine voile, laissant le malheureux petit vapeur à son triste sort. Fort triste, en vérité ; il ne connaissait plus sa route ; son équipage était rendu de mal de mer ; son combustible commençait à manquer ; et de tous côtés de grandes taches pâles d'écume et de sinistres bouillonnements lui décelaient la présence d'écueils. Aussi mit-il son pavillon en berne, portant son propre deuil, le pauvre petit navire, et s'apprêtant à chaque instant à disparaître au milieu des rochers aigus et des tourbillons sauvages des mers bretonnes.

Le salut lui vint sous la forme d'une barque montée par huit douaniers qui, le prenant pour un fraudeur anglais, s'étaient lancés depuis l'aube à sa poursuite. Le capitaine les héla avec un grand soulagement, et leur expliqua qu'il venait de Nantes et qu'il se rendait à Paris, « ce qu'on prit pour une plaisanterie ». Enfin, l'un des douaniers consentit à servir de pilote au petit vapeur, et, le soir venu, le Parisien s'ancrait à l'île de Batz. où il avait été chercher un asile contre la tempête.

À trois heures du matin il en repartait, faisant route sur « Grenezey » ; mais le douanier-pilote, effrayé de l'état de la mer et des gémissements lamentables du petit vapeur, craquant lugubrement à chaque secousse, mit la barre sur la baie de Perros, où le Parisien entra, entouré d'une nuée de barques de pêcheurs « attirés par l'intention de porter secours, la fumée leur faisant croire qu'il s'agissait d'un navire en feu », mais attirés aussi « par l'espoir de se livrer au pillage » des épaves du soi-disant navire incendié.

À peine arrivé, le vapeur nantais recevait la visite des douaniers, visite qu'il attribua d'ailleurs « plutôt au désir de voir un bâtiment d'un genre tout-à-fait inconnu dans ces parages, qu'au soupçon et à l'austérité de leurs devoirs ».

Le 4, à dix heures, le Parisien appareillait pour Saint-Malo, au milieu de « la fougue vraiment effrayante des marées de la Manche, accrue par un vent violent », et, à huit heures du soir, il mouillait en rade de Saint-Servan. À peine y était-il entré, qu'une « épaisse colonne de fumée annonçait dans le lointain, du côté de la Rance, l'arrivée du Courrier. Ce vapeur, construit à Nantes sur les mêmes chantiers que le Parisien, avait été vendu à une Société de Saint-Malo pour faire le service entre cette ville, Dinan et Jersey ; il était parti de Nantes deux jours avant le Parisien, et revenait de Dinan après avoir effectué le premier voyage de son service.
Les deux Nantais se saluèrent, leurs pavillons et fanions arborés, à grands carillons de leurs cloches et acclamations de leurs équipages.

Le 6 juin, à quatre heures du matin, le Parisien quittait Saint-Malo pour se diriger sur Le Havre où il s'amarrait à onze heures et demie du soir. Le Parisien y fit sensation ; « des bateaux destinés à transporter les voyageurs, le vapeur nantais était, en effet, le premier qu'on y eut vu appartenant à des Français » ; aussi, l'enthousiasme fut-il très grand et manifesté « d'une manière très énergique », quand on vit le petit vapeur, « dans le trajet de trois lieues qui sépare Le Havre de Honfleur, devancer d'un tiers du chemin la Duchesse-de-Berri, paquebot appartenant au consul américain ».

D'ailleurs, depuis qu'il était en eau douce, oii tout an moins saumâtre, le Parisien semblait tout ragaillardi ; il filait à toute allure, battant l'eau calme de la rivière de ses larges palettes, et déroulant derrière lui une longue volute de fumée capricieuse. « À cette époque, les bateaux à vapeur étaient rares sur cette partie de la Seine ; cette navigation avait encore tout le charme de la nouveauté », aussi « la foule se portait-elle sur la rive ; partout éclatait la curiosité, la satisfaction », excitée par « les décorations brillantes... et la forme svelte et gracieuse » du vapeur nantais, qui, tout petit au milieu de l'immensité de la mer, et tout frêle en présence des éléments déchaînés, prenait les proportions d'un majestueux et solide paquebot entre les deux rives du fleuve où l'eau coulait très calme, à peine ridée par le vent.

Dans la nuit du 9 au 10, le Parisien passait le pont de Rouen, et repartait le 10, dès l'aube. La navigation était loin, d'ailleurs, d'être très rapide, ni très facile, car la Seine était alors encombrée de moulins, d'écluses et de pêcheries ; et, comparant cette rivière à la leur, les Nantais constataient que « tandis que sur l'une on évite avec soin de gêner la circulation, sur l'autre on croirait qu'on a pris plaisir à multiplier les obstacles,.... et, sans ces entraves, on pourrait, — ajoutaient-ils, — remonter du Havre à Paris en douze jours, au moyen de bateaux accélérés, semblables à ceux dont on se sert sur la Loire, employant tour à tour la voile et des chevaux, et en six jours, à l'aide de remorqueurs à vapeur d'une construction légère. »

Après de longues stations aux ponts et aux écluses, aidés par des chevaux dans les passages difficiles, les Nantais, qui avaient eu l'idée heureuse de prononcer « le nom d'une personne de la famille royale qu'on voit souvent parcourir ces bords », afin de faire supposer que leur navire lui était destiné et activer un peu, par ce moyen, la lenteur des éclusiers, entraient majestueusement à Paris, le dimanche 12 juin, et, passant le Pont-Royal au bruit strident de leur sifflet, s'amarraient à trois heures de l'après-midi « près des bains Vigier ».

Après quelques jours de station au Pont-Royal, pour reposer le petit vapeur des fatigues de son long voyage, et satisfaire la curiosité des Parisiens, « les actionnaires ayant décidé qu'on placerait le bateau sur la Haute-Seine, pour faire le service de Paris à Melun, on le mit en mouvement. » Au passage du Pont-Neuf, une barque, s'étant approchée trop près, fut emportée par le courant sous les roues du vapeur et chavirée ; des deux hommes qui la montaient, un seul parvint à se sauver à la nage et fut recueilli au pied du Louvre, l'autre disparut ; au pont Notre-Dame et au Pont-au-Change, le vapeur fut incapable de remonter seul le courant et dut être halé de la berge par des chevaux ; enfin, ces obstacles surmontés, le Parisien fut amarré en dehors de Paris, et le lendemain, à sept heures et demie, il partait pour Melun d'où il revenait le soir même et rentrait à neuf heures à Paris.

Toutefois, après neuf voyages, « les actionnaires, découragés par des contrariétés de tout genre, par l'énormité des droits réunis, et par des passages où il fallait attendre son tour, se décidèrent à vendre le bateau. » II fut acheté par un particulier qui le mit en société, et en commanda de suite un second au même constructeur nantais ; et l'année suivante, la Parisienne quittait Nantes et faisait route vers Paris où elle arriva, après un voyage tout aussi long et tout aussi mouvementé que celui du Parisien (2).

(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 5 novembre 1824.
(2) Le Lycée Armoricain, 10° volume, 1827, pp. 223 et s.

RAPPEL

Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

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jeudi, 26 juin 2008

Chronique portuaire de Nantes C

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830


1823. — VAPEURS NANTAIS EN 1823.

Au début de la belle saison les vapeurs la Loire et la Maine, les deux premiers vapeurs construits à Nantes, partant de la cale du Port-Maillard et remontant jusqu'à Angers, et le vapeur le Courrier, desservant Paimbœuf et Saint-Nazaire, reprirent leur service. En réponse à certains bruits qui couraient dans le public, les directeurs firent publier dans le Journal qu'aucun d'eux n'était Anglais ou Américain, ainsi que leurs adversaires le prétendaient.
Une société rivale s'était en effet fondée sous le nom d' « Entreprise Française », et ses vapeurs , l'Angevin et le Nantais, partant de la cale de la Poissonnerie, desservaient également la Haute-Loire et Angers.
La première société fut incapable de soutenir la concurrence ; et dans les premiers jours d'août ses trois vapeurs étaient mis en vente et cessaient leur service. Tous ces vapeurs étaient munis de « bons restaurateurs » et ne manquaient pas d'un très grand confort (1).


LES DERNIERS NÉGRIERS : LA "PETITE BETZY", LA “VIGILANTE" & L’ ”AGOBAR”.

Le 5 mars 1823, le tribunal correctionnel de Nantes prononçait la confiscation de deux navires nantais : la Petite-Betzy, capitaine P***, armateur M. Julien D"', et la Vigilante, capitaine B***, armateur M. M*** , pour contravention à la loi prohibitive de la Traite des Noirs.
Ces deux navires chargés, le premier de 218 et le second de 345 nègres et négresses, avaient été surpris dans la rivière de Calaar, près de Boni, par les embarcations armées de la frégate anglaise I'IPHIGÉNIE et de la corvette de même nationalité le MIRMYDON,
Après un combat d'une demi-heure, pendant lequel un grand nombre de nègres furent tués ou dévorés par les requins, tandis qu'ils tentaient de gagner la côte à la nage, le lieutenant Mildmay, commandant les chaloupes anglaises, parvint à s'emparer des deux Nantais qui furent conduits en Angleterre et de là en France où ils furent condamnés et confisqués (2).

En dépit de l'étroite surveillance des Anglais qui, avant de se constituer les gendarmes de la Traite, avaient assuré l'avenir de leurs colonies par une importation formidable de noirs, et avaient organisé pour la conservation de leurs esclaves de véritables « haras » de nègres, — le mot fut maintes fois employé, comme la chose, — un certain nombre de négriers nantais continuaient encore au début du XIXe siècle leur hideux trafic.

Quelques mois, en effet, après la capture de la Petite-Betzy et de la Vigilante, un autre négrier nantais, l'Agobar, capitaine M***, était également saisi et sa confiscation prononcée par la cour spéciale d'appel de la Guyane Française (3).

Toutefois, les derniers négriers que Nantes pouvait encore posséder, ainsi d'ailleurs que Bordeaux, La Rochelle et le Havre, disparurent peu après cette date. L'on peut affirmer, semble-t-il, qu'en 1830, la Traite des Noirs était définitivement abolie, en fait comme en droit.


(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° des 11 avril, 29 avril et 2 août 1823.
(2) VATTIER d'AMBROYSE, Le Littoral de la France. Côtes Vendéennes, pp. 409 et suiv.
(3) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 1er juillet 1824.


RAPPEL

Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

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Commentaires du “scanneur” :

Pudique, notre bon chroniqueur ; sans doute, se doit-il, encore en 1908, de ménager quelques familles d’armateurs et de capitaines nantais.
D’où, les *** suivant les initiales des noms propres !

jeudi, 19 juin 2008

Chronique portuaire de Nantes XCIX

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830



1822. — LE BATEAU ZOOLIQUE.

Malgré l'apparition de services réguliers de vapeurs, le bateau zoolique, toujours mu par ses chevaux, n'en continuait pas moins son service de Nantes à Nort.
Le 15 septembre 1822, en effet, le propriétaire-inventeur de ce bizarre attelage nautique, auquel on avait reproché d'avoir négligé de se porter au secours d'un noyé, malgré ses cris, répondait par la voie du Journal, qu'il n'avait pu les entendre, en raison du tapage de ses passagers, qui « s'avisèrent, suivant une pitoyable manie trop fréquemment pratiquée sur la rivière d'Erdre, de proférer des paroles grossièrement injurieuses, qui pourtant n'avaient aucune direction connue », et — ajoutait-il, — lorsqu'il avait pu faire cesser leurs « vociférations », il n'avait plus entendu aucun appel.
En homme éminemment pratique, d'ailleurs, le sieur Guilbaud, inventeur du bateau zoolique, ajoutait : « Je profiterai de cette occasion pour faire connaître que le bateau zoolique continue à faire avec exactitude le trajet de Barbin à Nort comme par le passé » (1).


VAPEUR À RAMES ET MOTEUR SANS PISTON.

Dès 1821, M. Testier avait présenté à la Société Académique un modèle de rames à charnière, que M. Fautrat appliqua de suite à un bateau qu'il fit construire, et pour lequel il prit un brevet d'invention (2).
En 1822, la Société Académique constatait que ce dernier, qui « travaille avec une louable persévérance au problème de la navigation de la Loire eu égard à son peu de profondeur », avait présenté un rapport extrêmement intéressant, dans lequel il exposait à la Société Académique deux de ses inventions récentes.
« L'une, — expliquait le Secrétaire de la Société, -—- a pour objet la substitution des rames à charnières, imitant le mouvement des palmipèdes, aux roues à aubes déjà connues », l'autre visait « un nouveau moteur dont l'eau, réduite en vapeur, serait le ressort, mais dont la construction, ne comportant point de piston, serait infiniment plus simple que celle de toutes les machines à vapeur construites jusqu'à présent (3).

(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 15 septembre 1822.
(2) Procès-verbal de la séance publique de la Société Académique, tenue le 3 septembre 1821, pp. 52-3.
(3) Procès-verbal de la séance publique de la Société Académique, tenue le 9 décembre 1822, pp. 57-9.


jeudi, 12 juin 2008

Chronique portuaire de Nantes XCVIII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830
...et en l'an 2008 !



1822. — " LA LOIRE " LE PREMIER VAPEUR CONSTRUIT À NANTES.

Le Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure du 25 mai 1822 publiait l'avis suivant :
« Le premier bateau à vapeur construit dans cette ville, dans le chantier de M. Guibert, et qui sera lancé très prochainement est, dit-on, destiné à la navigation de Nantes à Paimbœuf ».

Ce navire appelé la Loire, et construit pour le compte d'une société, dont MM. Strobel et Fenwick, consuls des États-Unis, l'un à Bordeaux, l'autre à Nantes, étaient les promoteurs, fut lancé le jeudi 6 iuin 1822, « en présence d'un immense concours d'habitants, répandus de toutes parts sur la Loire dans de petites embarcations, sur les îles voisines du chantier, et sur tous les quais de la Fosse

Après des essais très satisfaisants, auxquels assistèrent le Préfet et les autorités de la ville, la Loire fut livrée au public ; et MM. Strobel et Fenwick organisèrent, le 21 juin, un premier voyage dans la Basse-Loire.
« Ils y avaient réuni vendredi dernier, — rapportait le Journal, — une nombreuse et brillante société de dames pour faire la promenade de Nantes à la Basse-Indre. Nous y avons compté cent-cinquante-quatre personnes placées sur le pont par groupes sans symétrie, cependant toutes à l'aise, et laissant entre elles des intervalles suffisans pour une commode circulation. Le bateau présentait alors le coup-d'œil d'une grande corbeille de fleurs flottant au milieu des eaux.
Tout en remarquant l'heureuse disposition des appartements destinés au passagers, on saisissait sur la physionomie des assistans un sourire approbateur, donné à l'élégance des salons communs, et notamment à celui réservé pour les dames. On voyait que ce sourire exprimait quelque gratitude pour des canapés bien moelleux, pour des glaces répandues avec profusion, enfin pour mille petits actes de prévoyance, dont l'absence aurait peut-être passée inapperçue, mais dont la jouissance, une fois connue, sera désor mais une nécessité......
Tout le monde se plaira à rendre justice à MM. Strobel et Fenwick, en affirmant qu'aucun mouvement de progression n'est
plus doux que celui imprimé par leur machine à vapeur...... La secousse périodique des rameurs, l'impulsion intermittente du vent même sur les voiles seront désormais considérées comme des inconvéniens, quand on les comparera à l’égalité constante de la marche du nouveau bateau. Aucune dame n'a pu se plaindre un seul instant de la moindre incommodité.....
Promptitude, agrément et sécurité, voilà ce que nous offre le bateau la Loire. Il y a lieu d'espérer que ces motifs feront multiplier le nombre des voyageurs, condition nécessaire pour le maintien de l'entreprise ; il serait en vérité trop fâcheux que, faute d'être remplie, Nantes ne put conserver le précieux avantage que lui promet ce nouveau véhicule. »


Le 23 juin, la Loire, dont le confort était supérieur à celui de nos bateaux similaires modernes, qui n'ont ni profusion de glaces, ni salons pour les dames, entrait en service régulier de Nantes à Paimbœuf ; en même temps qu'elle accomplissait, de temps à autre, des voyages d'excursion dans la Haute-Loire et jusqu'à Angers.

En août 1822, le Journal annonçait que deux nouveaux vapeurs, plus grands que la Loire, étaient en construction au chantier Guibert, pour le compte de la même Société ; et qu'ils étaient destinés à faire le service régulier de Nantes à Angers. En septembre, un quatrième vapeur était commandé par MM. Strobel et Fenwick pour doubler la Loire, et l'on annonçait que cette Société se proposait d'en faire construire de nouveaux pour remonter la Loire au-delà d'Angers, tandis qu'une Société rivale en faisait construire trois autres aux chantiers de Paimbœuf.
Les constructeurs Trenchevent, Gaillard et Vince, suivirent bientôt l'exemple de Guibert ; et de nombreuses compagnies de navigation ne tardèrent pas à se fonder sur la Haute et Basse-Loire (1).
_______________________________________________________________________

(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° des 25 mai, 11 et 24 juin, 31 août,
28 septembre et 12 novembre 1822.
Annales de la Société Académique, Année 1898, p. 90



COMMENTAIRES de grapheus tis


Il est évident que notre cher Paul Legrand s'éloigne de plus en plus de son projet initial : recenser les chroniques des "polygraphes qui se sont occupés du passé maritime nantais" et plus particulièrement des marins et corsaires nantais.
Les navigations maritimes et fluviales, les constructions navales, les projets des armateurs, le comportement des marins et des voyageurs sont ébranlés par l'intrusion de la vapeur.
Toutes évolutions soulignées par Paul Legrand qui prennent, cent années après, l'allure d'une savoureuse contradiction. Et d'autant plus ces jours-ci quand la Loire "fluviale et maritime" connaît une animation rarement contemplée depuis cinquante ans.
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D'autre part la navigation sur un bateau du type "côtre sardinier à gréement aurique" nécessite du temps consacré à l'amitié marine, aux manœuvres véliques et quelques efforts physiques qui pertubent la publication des notes de ce blogue.
L'écrivailleur ne peut être, à la fois, sur l'eau et dans son jardin !

Nota-bene : Les photos ont été prises par Nicléane à bord du « Marche-Avec », sardinier concarnois, patron A. Hémon.

jeudi, 05 juin 2008

Chronique portuaire de Nantes XCVII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830


1822.
— LA SOCIÉTÉ ACADÉMIQUE ET LA NAVIGATION À VAPEUR.

Parmi les questions d'études figurant au concours de la Société Académique de Nantes pour l'année 1822, on relève en première ligne la suivante :
« Est-il possible d'appliquer à la navigation de la Loire jusqu'à Orléans l'invention des bateaux à vapeur, soit comme moyen de transport, soit comme remorqueurs ?... L'emploi des bateaux à vapeur offrirait-il de grands avantages, soit pour la célérité des transports, soit pour le moindre prix du fret ?
Leur établissement serait-il essentiellement nuisible au système actuel de navigation et à la formation des marins pour le service de l'Etat ?
Le prix, consistant en une médaille d'or, ne fut décerné qu'en 1823, au constructeur Trenchevent, non pour avoir répondu aux questions posées ; mais « pour avoir exécuté le premier (en mars 1823) à ses frais, risques et périls, sur le bateau à vapeur le Nantais un voyage dont la possibilité pouvait être mise en doute » (1).


(1) Annales de la Société Académique, Année 1838, p. 90.
Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 12 septembre 1820.


Note du scanneur :
Deux cents ans plus tard, ces jours-ci, pour les rencontres du Fleuve, certains d'entre nous recréent la navigation à voile à bord des gabarres, toues et autres fûtreaux ! Ce n'est pas le moindre paradoxe.

Note publiée à l'heure où, à Concarneau, le Marche-Avec largue les amarres pour le quai des Chantiers, sur le bras de la Madeleine.