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jeudi, 02 octobre 2008

Chronique portuaire de Nantes CI

Voici donc l'antépénultième chronique. Plus de corsaires, plus de négriers, encore moins de pirates et la Voile réduit ses toiles. Je laisse place à l'épilogue écrit par notre chroniqueur :

Avec la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, nous arrêtons ces « Annales de la Marine Nantaise », non pas certes que cette marine disparaisse précisément en 1830, mais simplement parce qu'à cette date correspond une phase nouvelle de son histoire.
Et, en effet, tandis que la fin des corsaires et des négriers vient enlever à ces pages tout leur intérêt anecdotique, — le seul que nous ayons eu en vue, — la vapeur, sortie de la période des tâtonnements et des essais, s'apprête à révolutionner le commerce maritime et son instrument obligé : le navire.
Paul LEGRAND


Du Commencement du XIXe Siècle à 1830

1824. — L'INVENTEUR DU BATEAU ZOOLIQUE MÉDAILLÉ.

Vers la fin de 1824, le jury central de l'Exposition des produits de l'industrie française, organisée à Paris, décernait une médaille de bronze à l'inventeur nantais Guilbaud, pour son bateau zoolique, mu par des chevaux sur plan incliné.
Le bateau zoolique avait exécuté de nombreuses expériences sur la Seine, entre le Pont-Neuf et les Invalides et, de l’avis de tous les spectateurs, le procède adopté par Guilbaud semblait des plus pratiques ; ayant une vitesse peu inférieure à celle des vapeurs, et d'autre part, présentant sur ces derniers l'avantage d'une économie considérable de construction et d'exploitation.
Le bateau zoolique mis en service sur l'Erdre continuait d'ailleurs toujours ses voyages de Nantes à Nort, et organisait fréquemment des excursions supplémentaires en plus de ses départs réguliers.
Le même jury décernait également une médaille de bronze au constructeur nantais Bertrand-Fourmand pour les modèles de câbles en fer qu'il présentait, et qui, dans son esprit, devaient être substitués aux câbles de chanvre encore exclusivement employés dans la marine militaire (1).


1825. — PREMIER VOYAGE DE NANTES A PARIS ACCOMPLI PAR MER PAR UN VAPEUR NANTAIS.
LE “PARISIEN” - LE “COURRIER” - LA “PARISIENNE”.

C'était un tout petit vapeur que celui qui, le 28 mai 1825, quittait Nantes pour se rendre à Paris, et effectuer le long et périlleux voyage autour de la Bretagne, sur ces côtes semées de tant de récifs tristement célèbres et hérissées de caps toujours entourés de tempêtes.
II s'appelait le Parisien, étant destiné au service fluvial de la Seine ; avait une longueur d'à peine quatre-vingt trois pieds, de tête en tête ; et calait tout simplement deux pieds, ce qui était bien minime, en vérité, pour un vapeur devant travers de si dangereux parages. Il avait été construit sur les chantiers nantais ; mais sa machine, une modeste petite machine à basse pression de douze chevaux, venait d'Angleterre et avait été construite à Liverpool. Quant à son équipage, il était à l'avenant, et se composait : « d'un ancien capitaine au cabotage, d'un marinier de la Loire, d'un mécanicien peu capable, de deux chauffeurs, d'un ancien soldat dont on fit un cuisinier, d'un passager, du constructeur du bateau, de son fils et de son gendre ; tous, excepté le patron, sans aucune habitude de la mer ».

Parti de Nantes à midi, il n'arriva qu'à sept heures du soir à Saint-Nazaire, et prit la mer le lendemain 29 mai, à trois heures du matin. À onze heures, en face d'Hœdic, il faisait la rencontre d'un banc de sardines qui émerveillait considérablement le novice équipage ; puis, à quatre heures, il passait devant Belle-Ile, et comme la mer commençait à grossir et que des vagues de plus en plus pressées et de plus en plus hautes assaillaient, le pauvre petit vapeur se mit à danser follement, et bien au-delà, certes, de tout ce qu'il avait pu imaginer de plus terrible.Tantôt il piquait de l'avant, le nez dans une lame et son gouvernail affolé battant l'air, tantôt il se couchait sur le flanc, l'un de ses volumineux tambours s'enfonçant sous la vague qui menaçait à chaque instant de l’emporter, tandis que son autre roue tournait désespérément dans le vide. Bref, au bout de quelques milles de cette navigation mouvementée, tout l'équipage, sauf le capitaine, était en proie au mal de mer, et jusqu'au mécanicien et aux deux chauffeurs « dont les vomissements bruyants trahissaient l'état de détresse ». Incapable de continuer plus longtemps ce voyage, son malheureux capitaine courant perpétuellement de la barre à la chambre des machines pour alimenter les fourneaux, le Parisien mettait le cap sur Lorient pour y passer la nuit, et fort heureusement, au moment où il cherchait à tâtons le chenal, les fusées volantes du feu d'artifice qu'on tirait à Lorient pour le couronnement « de S.M. Charles X, qui se faisait sacrer ce jour même à Reims, lui servirent de phare et lui permirent de s'ancrer, à onze heures du soir, en face de Port-Louis ».

Le lendemain, à quatre heures, il repartait, bien que la mer fût encore très houleuse ; doublait la pointe du Raz à huit heures et demie, et, rencontrant une barque de pêche, la hélait pour lui demander sa route ; mais le pêcheur qui la montait, « épouvanté à l'aspect, nouveau pour lui, d'un bâtiment marchant sans voiles ni rames et exhalant une épaisse fumée », se hâta de s'enfuir à pleine voile, laissant le malheureux petit vapeur à son triste sort. Fort triste, en vérité ; il ne connaissait plus sa route ; son équipage était rendu de mal de mer ; son combustible commençait à manquer ; et de tous côtés de grandes taches pâles d'écume et de sinistres bouillonnements lui décelaient la présence d'écueils. Aussi mit-il son pavillon en berne, portant son propre deuil, le pauvre petit navire, et s'apprêtant à chaque instant à disparaître au milieu des rochers aigus et des tourbillons sauvages des mers bretonnes.

Le salut lui vint sous la forme d'une barque montée par huit douaniers qui, le prenant pour un fraudeur anglais, s'étaient lancés depuis l'aube à sa poursuite. Le capitaine les héla avec un grand soulagement, et leur expliqua qu'il venait de Nantes et qu'il se rendait à Paris, « ce qu'on prit pour une plaisanterie ». Enfin, l'un des douaniers consentit à servir de pilote au petit vapeur, et, le soir venu, le Parisien s'ancrait à l'île de Batz. où il avait été chercher un asile contre la tempête.

À trois heures du matin il en repartait, faisant route sur « Grenezey » ; mais le douanier-pilote, effrayé de l'état de la mer et des gémissements lamentables du petit vapeur, craquant lugubrement à chaque secousse, mit la barre sur la baie de Perros, où le Parisien entra, entouré d'une nuée de barques de pêcheurs « attirés par l'intention de porter secours, la fumée leur faisant croire qu'il s'agissait d'un navire en feu », mais attirés aussi « par l'espoir de se livrer au pillage » des épaves du soi-disant navire incendié.

À peine arrivé, le vapeur nantais recevait la visite des douaniers, visite qu'il attribua d'ailleurs « plutôt au désir de voir un bâtiment d'un genre tout-à-fait inconnu dans ces parages, qu'au soupçon et à l'austérité de leurs devoirs ».

Le 4, à dix heures, le Parisien appareillait pour Saint-Malo, au milieu de « la fougue vraiment effrayante des marées de la Manche, accrue par un vent violent », et, à huit heures du soir, il mouillait en rade de Saint-Servan. À peine y était-il entré, qu'une « épaisse colonne de fumée annonçait dans le lointain, du côté de la Rance, l'arrivée du Courrier. Ce vapeur, construit à Nantes sur les mêmes chantiers que le Parisien, avait été vendu à une Société de Saint-Malo pour faire le service entre cette ville, Dinan et Jersey ; il était parti de Nantes deux jours avant le Parisien, et revenait de Dinan après avoir effectué le premier voyage de son service.
Les deux Nantais se saluèrent, leurs pavillons et fanions arborés, à grands carillons de leurs cloches et acclamations de leurs équipages.

Le 6 juin, à quatre heures du matin, le Parisien quittait Saint-Malo pour se diriger sur Le Havre où il s'amarrait à onze heures et demie du soir. Le Parisien y fit sensation ; « des bateaux destinés à transporter les voyageurs, le vapeur nantais était, en effet, le premier qu'on y eut vu appartenant à des Français » ; aussi, l'enthousiasme fut-il très grand et manifesté « d'une manière très énergique », quand on vit le petit vapeur, « dans le trajet de trois lieues qui sépare Le Havre de Honfleur, devancer d'un tiers du chemin la Duchesse-de-Berri, paquebot appartenant au consul américain ».

D'ailleurs, depuis qu'il était en eau douce, oii tout an moins saumâtre, le Parisien semblait tout ragaillardi ; il filait à toute allure, battant l'eau calme de la rivière de ses larges palettes, et déroulant derrière lui une longue volute de fumée capricieuse. « À cette époque, les bateaux à vapeur étaient rares sur cette partie de la Seine ; cette navigation avait encore tout le charme de la nouveauté », aussi « la foule se portait-elle sur la rive ; partout éclatait la curiosité, la satisfaction », excitée par « les décorations brillantes... et la forme svelte et gracieuse » du vapeur nantais, qui, tout petit au milieu de l'immensité de la mer, et tout frêle en présence des éléments déchaînés, prenait les proportions d'un majestueux et solide paquebot entre les deux rives du fleuve où l'eau coulait très calme, à peine ridée par le vent.

Dans la nuit du 9 au 10, le Parisien passait le pont de Rouen, et repartait le 10, dès l'aube. La navigation était loin, d'ailleurs, d'être très rapide, ni très facile, car la Seine était alors encombrée de moulins, d'écluses et de pêcheries ; et, comparant cette rivière à la leur, les Nantais constataient que « tandis que sur l'une on évite avec soin de gêner la circulation, sur l'autre on croirait qu'on a pris plaisir à multiplier les obstacles,.... et, sans ces entraves, on pourrait, — ajoutaient-ils, — remonter du Havre à Paris en douze jours, au moyen de bateaux accélérés, semblables à ceux dont on se sert sur la Loire, employant tour à tour la voile et des chevaux, et en six jours, à l'aide de remorqueurs à vapeur d'une construction légère. »

Après de longues stations aux ponts et aux écluses, aidés par des chevaux dans les passages difficiles, les Nantais, qui avaient eu l'idée heureuse de prononcer « le nom d'une personne de la famille royale qu'on voit souvent parcourir ces bords », afin de faire supposer que leur navire lui était destiné et activer un peu, par ce moyen, la lenteur des éclusiers, entraient majestueusement à Paris, le dimanche 12 juin, et, passant le Pont-Royal au bruit strident de leur sifflet, s'amarraient à trois heures de l'après-midi « près des bains Vigier ».

Après quelques jours de station au Pont-Royal, pour reposer le petit vapeur des fatigues de son long voyage, et satisfaire la curiosité des Parisiens, « les actionnaires ayant décidé qu'on placerait le bateau sur la Haute-Seine, pour faire le service de Paris à Melun, on le mit en mouvement. » Au passage du Pont-Neuf, une barque, s'étant approchée trop près, fut emportée par le courant sous les roues du vapeur et chavirée ; des deux hommes qui la montaient, un seul parvint à se sauver à la nage et fut recueilli au pied du Louvre, l'autre disparut ; au pont Notre-Dame et au Pont-au-Change, le vapeur fut incapable de remonter seul le courant et dut être halé de la berge par des chevaux ; enfin, ces obstacles surmontés, le Parisien fut amarré en dehors de Paris, et le lendemain, à sept heures et demie, il partait pour Melun d'où il revenait le soir même et rentrait à neuf heures à Paris.

Toutefois, après neuf voyages, « les actionnaires, découragés par des contrariétés de tout genre, par l'énormité des droits réunis, et par des passages où il fallait attendre son tour, se décidèrent à vendre le bateau. » II fut acheté par un particulier qui le mit en société, et en commanda de suite un second au même constructeur nantais ; et l'année suivante, la Parisienne quittait Nantes et faisait route vers Paris où elle arriva, après un voyage tout aussi long et tout aussi mouvementé que celui du Parisien (2).

(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 5 novembre 1824.
(2) Le Lycée Armoricain, 10° volume, 1827, pp. 223 et s.

RAPPEL

Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

Pages scannées par grapheus tis

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