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jeudi, 12 avril 2007

introduction aux traites négrières

J'ouvre une assez longue incise dans les Chroniques portuaires de Nantes.
Paul Legrand, dans son ouvrage doublement titré Marins et Corsaires nantais en couverture et Annales de la Marine Nantaise en page de titre, consacre une longue introduction à quatre aspects de l'activité portuaire : Les chantiers de constructions navales, les Armateurs, les Corsaires, les Négriers.
Dans la publication des chroniques portuaires, nous arrivons dans la période de la Traite négrière en pleine expansion. Or Legrand, chronologiquement, ne mentionne celle-ci qu'en abordant l'année 1738 ; il est évident qu'elle a commencé beaucoup plutôt ; cependant il aborde l'activité dans son introduction. Son approche pourra nous paraître élémentaire, tenant plus du constat que de l'analyse. Soyons indulgents, nous sommes en 1908 !
Pétré-Grenouilleau viendra plus tard et, par les Anneaux de la Mémoire, Nantes sera, en 1992, le premier port européen à reconnaître sa trop grande participation à l'horreur.
Revoir ma note du 9 mai 2006
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LES NÉGRIERS


Il faut bien l'avouer,— quelque pénible qu'en puisse être l'aveu,— c'est dans la Traite des Nègres, dans le Commerce du bois d'ébène, que Nantes a trouvé la source première de sa prospérité, a développé son esprit d'entreprise et d'initiative, et a puisé sa fortune et celle de ses habitants.

Nous n'avons nullement l'intention de défendre ce trafic, pas plus d'ailleurs que celle de l'attaquer ; la défense en est impossible, quant à l'attaque, elle a été trop copieusement faite pour que l'on puisse lui fournir des armes nouvelles. Nous dirons donc simplement que la Traite des Nègres était légale ; pratiquée par toutes les nations possédant des colonies ; réglementée par les Ordonnances et les Édits ; et, bien plus, ouvertement encouragée par les Rois, qui tantôt accordaient une prime par tête de nègre débarqué aux colonies (arrêt du 27 septembre 1720), et tantôt envoyaient aux Traitants des témoignages non équivoques de leur satisfaction : « Sa Majesté, — voyons-nous dans une Déclaration Royale en date du 11 octobre 1722 et relative au commerce des Nègres, — a vu avec satisfaction les efforts que les négociants de la Ville de Nantes ont fait pour étendre ce commerce autant qu'il était possible...»

L'origine de la Traite des Nègres est des plus simples. Les colonies nouvelles d'Amérique manquaient de bras ; d'autre part, les Blancs ne pouvaient encore supporter leur climat débilitant ; toutes les puissances se tournèrent alors vers l'Afrique, où l'on savait qu'un grand nombre de nègres étaient vendus ou mis à mort à la suite des batailles incessantes que se livraient ces peuplades sauvages.

Puisqu'il existait déjà un marché de nègres, les gouvernements européens songèrent tous à s'y approvisionner de travailleurs ; bien plus, et c'est ce qui explique pourquoi la Traite fut acceptée par tous, les philosophes et les moralistes du temps la déclarèrent bonne et humaine, parce qu'elle arrachait les nègres à la mort, ou du moins substituait un esclavage acceptable à un esclavage épouvantable.
À ces idées s'ajouta celle du prosélytisme religieux ; les nations catholiques y virent un moyen d'arracher à l'erreur une multitude d'êtres humains, et cette préoccupation est constante dans les Ordonnances des Rois, qui prescrivent le baptême pour tous les esclaves importés aux colonies.

Sans doute, l'on ne tarda pas à comprendre toute la fausseté et l'inanité de ces sophismes. La source première de la Traite : les nègres déjà esclaves, les prisonniers de guerre et les condamnés à mort manquèrent bientôt complètement, et c'est alors que les traitants, ou du moins leurs fournisseurs, les petits Rois Africains, organisèrent de véritables chasses à l'homme, des razzias de plus en plus fréquentes, dans lesquelles des villages entiers ; hommes, femmes et enfants, étaient arrachés à la liberté, conduits en troupeaux humains jusque sur les côtes, et parqués pêle-mêle, en attendant qu'un navire d'Europe vienne les emporter à destination des Antilles. Mais, à ce moment, la Traite était tellement entrée dans les mœurs qu'il était impossible de la supprimer ; l'intérêt général des États, l'intérêt particulier des traitants et des armateurs étouffèrent le cri de la conscience, et l'horrible et inhumain commerce du bois d'ébène fut définitivement admis et pratiqué par toutes les nations européennes,

En France, la Traite ne fut réglementée qu'en 1664, lors des Édits royaux suscités par Colbert. Elle fut tantôt monopolisée, c'est-à-dire exclusivement permise à certaines grandes Compagnies de Commerce ; et tantôt libre, c'est-à-dire abandonnée à tous les particuliers sous le contrôle de l'État.

Nantes fut, sans contredit, de tous les ports de France et du monde, celui qui se livra le plus activement à ce commerce. Ce fut Nantes qui défendit le plus énergiquement la Traite chaque fois qu'elle fut menacée ; Nantes qui réclama toujours la liberté de la Traite lorsqu'elle fut monopolisée ; Nantes à qui les rois et les ministres s'adressèrent toujours avant d'en modifier les règlements, prenant rarement une décision avant d'avoir consulté ses députés ; Nantes, enfin, qui refusa le plus longtemps de se soumettre à la suppression de la Traite, et qui posséda peut-être les derniers Négriers.

Cette triste supériorité de Nantes sur les autres ports du royaume s'explique d'ailleurs très aisément. De tous les ports de France, Nantes était de beaucoup celui qui trafiquait le plus avec nos possessions d'Amérique, et qui y avait engagé les plus gros capitaux. II était donc naturel à nos navires, alimentant déjà les Antilles de denrées et de produits manufacturés, de les alimenter également de cette autre marchandise, le bois d'ébène ; comme il était naturel à nos armateurs, souffrant du manque de bras, de songer les premiers à fournir de nègres leurs plantations de cannes à sucre, source la plus importante de leur commerce et de leur richesse,

Les Négriers nantais accomplissaient ce que l'on appelait des voyages circuiteux. Partant de Nantes avec une cargaison de cotonnades voyantes, fusils, perles et poteries fabriquées spécialement pour ce commerce, ils l'échangeaient sur les côtes d'Afrique contre une cargaison de nègres, la transportaient aux Antilles, et en revenaient avec une troisième cargaison, composée le plus souvent de balles de sucre. Ces marchandises ne payaient que la moitié des droits d'entrée dans tous les ports de France, de telle sorte que les armateurs, pour pouvoir soutenir la concurrence, se voyaient forcés, s'ils commerçaient avec les Antilles, de se livrer à la Traite ainsi favorisée par le Pouvoir royal.

Pendant plus d'un demi-siècle, les Négriers nantais débarquèrent annuellement aux colonies de dix à douze mille nègres en moyenne ; et les bénéfices que les armateurs retiraient de ce commerce oscillaient entre 30 et 40 millions. L'unité de nègre, la pièce d'Inde, comme on disait alors, c'est-à-dire un noir de 15 à 30 ans, sain, robuste, bien fait, et qui a toutes ses dents, valait de 600 à 1.000 francs, suivant la provenance, les besoins des colonies et l'époque.

Au commerce du bois d'ébène, les Nantais empruntèrent cet esprit d'initiative, ce goût des aventures qu'ils développèrent ensuite dans la guerre de Course, Souhaitons que ces ressorts d'énergie, appliqués à de plus louables entreprises que la Traite, permettent à Nantes de reprendre le rang qu'elle occupait jadis parmi les ports de France et du monde.

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Pour clôre cette incise, il faut signaler la parution récente d'un gros, beau bouquin sur l'histoire des étrangers à Nantes, ouvrage collectif de trente auteurs, Alain Croix en assurant la coordination et responsabilité scientifique.


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Voir sur le site des éditions des Presses Universitaires de Rennes

Commentaires

Nantes et Bordeaux furent de grandes villes de la traite des noirs. Elles l'ont reconnues en particulier pour Nantes avec l'exposition "les anneaux de la mémoire". Cela ne doit pas nous faire oublier que les plus grands esclavagistes en Afrique furent les africains eux-mêmes et, en second rang, les pays arabes. Les pays africains se taisent (à ma connaissance) sur leurs traites internes quand aux pays musulmans, il semblerait que ce soit leur faire insulte que de leur en parler ! Le bel ouvrage de l'historien français Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, "traites négrières, aux éditions folio histoire remet assez bien les choses en place. Cet ouvrage a suscité la colère imbécile ( et des procès, heureusement perdus) de militants nationalistes des antilles !

Écrit par : alain | vendredi, 13 avril 2007

Alain, il me semble qu'un historien béninois tente avec beaucoup de courage de briser le tabou.

Écrit par : grapheus tis | dimanche, 15 avril 2007

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec les termes "esprit d'initiative et goût des aventures" pour qualifier les nantais d'alors. Les négociants nantais sont avant tout des commerçants motivés par un retour rapide sur investissement, la "mise-hors". La prudence nantaise est devenue proverbiale au XVIIIe, et si la ville devient alors le premier port du royaume, elle le doit plus à l'esprit de spéculation de ses "fortunes" qu'à ses quelques corsaires. Cette activité ne passionne pas autant les nantais que les malouins plus aventureux, le gain est certes rapide mais beaucoup trop dangereux ! Quant à la traite, aux gains rapides en temps de paix, elle est abandonnée, dès que l'anglais pointe son nez, pour le commerce en droiture vers les Antilles, bien à l'abri des convois transatlantiques. Nantes est une ville de "boutiquiers" et c'est malheureusement en grande partie l'appât du gain facile qui a causé l'essort du commerce triangulaire.

Écrit par : patbdm | mercredi, 16 mai 2007

Dont acte, Patbdm. Votre analyse précise demanière critique et juste la chronique de Paul Legrand.

Écrit par : grapheus tis | jeudi, 17 mai 2007

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