mercredi, 13 mai 2009
une remontée fluviale et Pierre Michon
La flemme d'aller en mer dans les successions des grains !
On remonte la Vilaine de Foleux jusqu'à Redon, en lisant Pierre Michon.
Imaginez ceci encore : quoique limousin vous avez vingt ans et la beauté d'un dieu, et dans les bras la vigueur qui vous a permis de respirer jour après jour dans des nuées de moustiques la carpe mûre et n'en pas mourir, comme sont morts la moitié de vos congénères, tombés d'une échelle, étouffés dans la boue, secoués par les fièvres, pas plus que vous n'êtes mort petit, à trois ans dans le puits, à huit ans sous la charrette, à quinze d'un couteau, comme sont morts vos dix frères et sœurs.
Sentez votre vigueur, votre beauté, votre chance d'une certaine façon.
Car ceci se passe : la belle dame privée d'homme longtemps vous regarde avec, dans le regard, l'aveu qu'elle a dans ses jupes l'émotion que vous avez dans vos braies. Mais soudain elle regarde ailleurs et ne vous regardera plus, parce que la loi est de fer et que le Père universel veille, et parce que Dieu est un chien.
18:46 Publié dans les lectures, les marines | Lien permanent | Commentaires (1)
la nichée s'est envolée
Floués, les chats ! Ce matin, ils passaient sous le nichoir sans s'arrêter.
Nulle cavatine d'oisillons affamés. Hier, toute cette fébrilité des branches du bouleau aux arbustes du jardin, c'était donc l'envol !
Oiseau jamais intercepté
Ton étoile m'est douce au cœur
Ma route tire sur sa raie
L'air s'en détourne et l'homme y meurt.
René Char
Entre trente-trois morceaux, I
11:36 Publié dans Char à nos côtés, les diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 12 mai 2009
je veille sur un nid de mésanges
Car les chats, et ils sont plus nombreux dans le voisinage, sont à l'affût.
La mésange qui annonça à René Char la mort de Pablo Picasso.
À sept reprises ce 8 avril, une toute bête mésange solliciteuse a heurté du bec le carreau de la fenêtre, me faisant filer de l'attention matinale à l'alerte de midi. Une nouvelle tantôt ? À quatre heures, je l'appris. Le terrible œil avait cessé d'être solaire pour se rapprocher plus encore de nous.
Picasso sous les vents étésiens,
in Fenêtres dormantes et porte sur le toit.
Je ne dis pas que la mésange est un oiseau du malheur.
14:21 Publié dans Char à nos côtés, les diverses, les lectures | Lien permanent | Commentaires (1)
samedi, 09 mai 2009
8 mai 1945
Aller de commémoration en commémoration, d'année en année ? Est-ce bien nécessaire ? Les uns exigent la repentance, les autres, à qui elle est demandée, se taisent. Et alors ?
Alors je me contente seulement de renvoyer, avec un jour de retard, et ce n'est pas un acte manqué, mes visiteuses et visiteurs à ma note de l'an 2005 sur ce 8 mai.
Je n'ai point épuisé ma mémoire, mais je ne veux pas corroder mes mots par un usage commémoratif trop fréquent.
Ami(e)s, un clique sur la date en rouge suffira donc pour ce 8 mai 2009.
09:08 Publié dans les civiques, Les graves | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 01 mai 2009
un premier mai, du muguet et pourquoi pas Lorca
J'étais bien décidé à rejoindre, ce matin, les cortèges de manifestants. Tout en ignorant sous quelle bannière — souvent entre deux bannières ! — j'allais défiler. Et puis ma bonne vieille fainéantise des 1er Mais de naguère m'a fait me lever pour cueillir du muguet — il a plus de cinquante ans et il me fut donné par la mère Guérin, ma si gentille voisine qui s'en est allée.
Et puis donc, je me suis recouché, ayant toujours pensé qu'il me fallait pratiquer la paresse pour fêter le Travail.
Mais j'ai eu l'heur d'aller visiter le blogue de celui que je nomme discrètement "mon infréquentable" — désormais, la discrétion n'est plus de mise — et j'y ai lu une fort belle charge sur les lecteurs ; mais allusion était faite d'un désaccord qu'il aurait eu avec un autre blogueur à propos de Lorca.
Et me voilà, repartant sous la couette avec mon tome II des Poésies de Lorca, moi qui pensais attaquer la page 16 des Onze de Pierre Michon.
J'y ai lu — relu à voix basse — le Divan du Tamarit, songeant mélancolique
Te voir nue, c'est se rappeler la Terre,
la Terre lisse et vierge de chevaux,
la Terre sans aucun jonc, forme pure,
fermée à l'avenir : confins d'argent.
Te voir nue, c'est comprendre l'anxiété
de la pluie cherchant la fragile tige,
la fièvre de la mer au visage immense
sans trouver l'éclat de sa joue.
Le sang sonnera à travers les lits
et viendra tenant son fer fulgurant,
mais toi tu ne sauras pas où se cachent
le cœur de crapaud ou la violette.
Ton ventre est une lutte de racines,
tes lèvres sont une aube sans contour.
Sous les roses tièdes de ton lit
gémissent les morts, attendant leur tour.
Casida de la Femme couchée
Le Divan du Tamarit
Je suis un indéracinable adepte du "nostos" grec. Manière de me confronter à l'aporie "célébrer le travail sous la couette".
Le "petit Nicolas", ses gouvernants, ses banquiers et la grippe porcine sont à la fois trop proches et si lointains !
Revenons aux Casidas de Federico et laissons avec sympathie les Travailleurs défiler.
À quelques dames donc et à Constantin C.
10:30 Publié dans Les blogues, les lectures, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
lundi, 27 avril 2009
"coma", page au hasard
« Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre. »
Pierre Guyotat
Coma, 2006.
En écoutant Patrice Chéreau sur France Cul.
Celui-ci lira Coma, mercredi à venir, sur la même antenne.
08:31 Publié dans les lectures, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 26 avril 2009
butinantes algériennes
Il faut éviter les énumérations d'écrivains quand l'un d'eux vous entraîne dans l'évocation d'un pan de littérature qui s'est dispersé au fil des ans sur les rayons selon l'ordre "logique" qui présidait alors à aux passions et intérêts plus ou moins marqués du lecteur.
Ainsi, la rencontre de Boualem Sansal — nous nous nous sommes quittés dans une si chaleureuse accolade, il m'a même laissé son adresse de courriel — me fait parcourir mes horizons algériens ; je ne sais plus où retrouver Feraoun, et le cherchant, je tombe sur le mince dos de dérisions et Vertige de Sénac
Jean Grosjean Dominique Aury me sortent des textes de
James Sacré.
Dans la grisaille un poète ose péter. Comme un saint
tibétain* rote dans le poème.
Mais sa ruche — depuis Char — rien aimé de plus
vaste — fabuleuse contrée d'une syllabe à l'autre !
Abeille du néant — mais pour quel miel aussi ! —
Denis Roche.
* Le "fou" de Dug en particulier, pour qui le mot "chie" est sacré.
Jean Sénac
Miel(c)
dérison et Vertiges, Actes Sud, 1983
Encore toujours à la recherche de Feraoun, une identique couverture marron clair, mais elle est de Maspéro, c'est un autre grand secoueur de la langue française, Nabile Farès.
: IV
les arrestations furent nombreuses. Tout comme avant 1962, les gens disparaissaient, après une convocation, pendant trois quatre mois, pour ressurgir ensuite, de l'autre côté de la grande ville, au pays sud.
Et les gens se taisaient, car personne n'y comprenait plus rien, sauf ceux qui, une nouvelle fois, prenaient le chemin des émigrés.
J'eus si peur, là, au fond du rire et du désarroi.
J'eus si peur que mon âme et ma force, ce courage
d'être que l'on nomme vivre, se sont affaissées.
J'eus si peur.
Terrible lieu de notre dire : je vis contre la misère
du dire, ou sa haine, ou sa blessure. Certains disent
que le sage préfère taire la parole du jour.
Le sage ? ou, le traître : ou le jaloux, celui qui garde pour lui le silence du jour.
C'est pourquoi, j'ai enfoui le carnet. Celui écrit
en français, par l'enfant mort, de la balle au front.
Mon âme est devenue vieille, d'un coup, comme
une feuille accrochée aux branches du figuier.
Les nervures de la parole, sous les racines de
l'amandier.
Le feu brûle encore aujourd'hui, malgré les pensées incrédules.
L'incantation demeure, car le pays a soif, soif.
C'est pourquoi j'ai enfoui le carnet, et ouvert mon amour vers ceux qui accompagnent la parole d’exil et du malheur.
Nabile Farès,
L'exil et le désarroi
Voix, François Maspéro, 1976.
Nabile Farès pressent, dans des prémisses qui ne laissaient aucun doute, la catastrophe intérieure que que va dénoncer, démonter, Boualem Sansal.
J'aurais bien aimé donner à lire le chapitre VII — trop long pour une lecture de blogue — de Mémoire de l'Absent, quand le Récitant se lève pour dire le vrai sur la KAHÉNA :
Telle est la place du Récitant.
La Kahéna est insaisissable ; et la parole doit mordre
le silence pour découvrir le Récitant. Celui dont le pouvoir
ne se limite pas à ce monde. Mais qui déploie.
Mais qui brasse. Mais qui anime. Mais qui ouvre tue
manœuvre produit invente jette les paroles du monde.
C'est ainsi.
Le Récitant n'est tenu d'aucune restriction en sa
parole ; car il est le Récitant.
Œuvre. Louanges. Ou Délires.
Tel est l'espace du Récitant. Qui confond la prudence.
Le siècle. Le faux discours. Celui qui ménage les portes
gauches du désir. Le tremblement des lèvres.
Ou la course neuve du dire.
Celui qui œuvre contre les disparitions de ce monde.
Qui lève la parole Mère dans le chaud d'être ou de mort.
Qui intensifie le regard et noue les fibres des lointains
temps.
Ici le jour doit toucher l'ombre comme une herbe
par temps de vivre
dire ?
Nabile Farès,
Mémoire de l'Absent, livre II
Seuil, 1974
09:07 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 24 avril 2009
Boualem Sansal ou l'écriture du courage
J'ai rencontré Boualem Sansal, hier au soir, au Lieu Unique, dans le cadre des EuroMéditerranéennes.
Je n'ai pu empêcher l'émotion de me nouer la gorge et les larmes d'inonder les yeux. Ses écrits depuis 1999 percent les pénombres sanglantes et le borné du fanatisme. L'espoir épuisé reprend racines en entendant cet homme qui avoue modestement, paisiblement que la violence qui le menace chaque jour est « encore gérable ».
Cinquante ans après Kateb Yacine, il se lève pour affirmer le passé, le présent et le futur du Berbère, homme aux carrefours des cultures, des races, des envahisseurs, des occupants, des métissages, en ce pays appelé jadis Numidie et qui est le Maghreb.
Sur l'autre rive, soyons heureux d'avoir de tels manieurs de langue française : Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Nabile Farès, Rachid Mimouni. Et je n'oublie point les aïeux : Feraoun, Dib, Mammeri, Sénac.
Il y a longtemps, trop longtemps on va dire, que nous ne nous sommes pas parlé. Comment mesurer le temps écoulé si personne ne bouge, si rien ne vient, si rien ne va ? Constater l'arrêt est un progrès, cela implique cette chose banale et fantastique que quelque part, quelqu'un, un jour, vous, moi, un autre, a dû s'entendre dire : « Dieu, où en sommes-nous après tant d'années livrées au silence ? » ou simplement : « Que se passe-t-il en ces lieux ? » Terribles questions. Des hommes sont morts sans savoir, et d'innombrables enfants arrachés à la vie avant d'apprendre à marcher, et des villes entières, qui furent belles et enivrantes, ont été atrocement défigurées. Le nom même de notre pays, Algérie, est devenu, par le fait de notre silence, synonyme de terreur et de dérision et nos enfants le fuient comme on quitte un bateau en détresse. Et combien de touristes l'évitent à toutes jambes ! La beauté de nos paysages et notre hospitalité légendaire ne font pas le poids devant les mises en garde des chancelleries et les alarmes insoutenables des médias et des ONG.
Nous voilà seuls, à tourner en rond, ressassant d'antiques lamentations.
Mais peut-être aussi avons-nous cessé de nous parler parce que personne n'écoutait l'autre. La rumeur galopante, l'ivresse du vide, le bourdonnement lancinant de nos rues, l'imposante étroitesse de nos grands esprits, les flonflons, les prêches, les harangues, les crises, les terrorismes, les détournements et les famines qui ont décimé plus que l'économie ne l'autorisait, les pénuries qui ont occupé nos vies si courtes, les corvées d'eau, les deuils, les queues devant les juges, le regard hypnotisant des surveillants ont leur part d'explication dans notre aphonie, c'est vrai. Combien excusables sommes-nous de ne pas savoir parler et courir à la fois ! Pense-t-on à tirer des plans sur la comète lorsqu'on est assailli par le malheur au quotidien et que la grande affaire, la véritable urgence, la ruse de chaque instant,consiste à échapper à la mort, à tromper le bourreau, à se garder des catastrophes, à contourner les plantons, à gagner du temps tout simplement.
...............................................................................................................................................................................................................
Une autre fois, nous parlerons des héros qui ont conduit notre résistance séculaire contre les envahisseurs : les rois Juba et Jugurtha tués par les Romains, la reine Kahena tuée par les Arabes, l'émir Abd el Kader chassé par les Français, mort en exil, Ben M'Hidi exécuté par le général français Aussaresses, Abane Ramdane, le chef de la révolution algérienne, assassiné par les patrons du FLN, etc
Poste restante : Alger
Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes.
Je n'ai lu que Le serment des Barbares, Harraga et son Petit éloge de la mémoire.
Il est publié en Folio, il habite Boumerdès, l'ancien Rocher-Noir, refuge de l'administration gaulliste dans les dernières années de l'Algérie "française", puis du Gouvernement provisoire entre mars et juin 1962. Les derniers livres de Boualem Sansal sont interdits, ils circulent sous le manteau.
A-t-on encore besoin du bon vieux samizdat des années soviétiques pour répandre son œuvre ?
La Toile ? Elle peut servir ! Non ?
Nous allons en parler ce soir. Avec lui.
16:02 Publié dans les civiques, les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 21 avril 2009
temps et espace immobiles
Vendredi dernier, vent de sud-sud-suroît modéré, un petit clapot désagréable et le flot sur le nez. Ciel laiteux.
Malgré la vague d'étrave, malgré le sillage à la poupe, cette sensation que plus rien ne s'écoule : les amers de Pénerf, immobiles, le temps même suspendu !
Figés sur l'eau.
Au près serré, les marins le savent, l'impatience du quai n'est point de mise. Mais quand même cette suspension irréelle ?
Les amarres de Dac'hlmat avaient été larguées dans la beauté de Foleux, notre petit port à la campagne.
Brume et toiles d'araignées printanières.
Aller en mer est toujours un bonheur.
18:28 Publié dans les marines | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 16 avril 2009
demain, en mer ?
M'en vas en mer.
Demain, l'estuaire du petit fleuve de mes aïeux et vers les Iles. L'aventure (!) commence entre Kervoyal et Pénestin. Sans souci de piraterie.
Mais quelle aventure ? Est-ce un mot que nos générations ont pu vivre ?
Je ne le pense point. Que nous nous imposions des défis, prenions des risques, que nous nous levions pour affronter d'autres horizons, soit ! Mais l'aventure ?
Il y a dix ans, nous étions dans les délices d'Acapulco après 50 jours de Pacifique. Le lendemain, nous levions l'ancre pour caboter le long des côtes d'Amérique Centrale jusqu'au canal de Panama. Mes deux coéquipiers parlaient entre eux deux de "challenge" ; moi, je me contentai d'avoir été heureux, cinquante matins, cinquante journées, cinquante nuits dans cette immensité. Ce fut beau, c'était bon ! Aucune aventure !
J'avoue ne pas avoir bien saisi le sens de la question que FB posait dans son billet du 11 de ce mois :
« En quoi cela doit-il nous alerter dans notre usage au quotidien de l’écriture blog, ce qu’elle reconstruit intérieurement du monde, qui la sépare du monde ? »
Une référence encore à cet homme qui écrivait sur ses lointains intérieurs. A-t-il écrit une fois le mot « aventure » ?
Avalez les rivets, le croiseur se désagrège et l’eau retrouve sa tranquillité.Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous
Les pirates n'y ont point encore songé !
Post-scriptum : Ah, si ! Je me suis offert, en poche..., le Bob Dylan de François Bon, car quoi qu'en médisent "certaines" chipies, je m'en fus parfois au-delà des Beatles
19:11 Publié dans les marines, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 14 avril 2009
mon blogue et moi
Mendiant, mais gouverneur d’une gamelle.
Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous
23:55 Publié dans Les blogues, Web, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 12 avril 2009
Les Pâques à New York
à FV, dans la violence de l'Absence,
mais qui sans doute ne viendra pas lire ce blogue.
Un soir d'avril, après avoir erré dans les rues d'un New-York sous la neige, un gars affamé se met à sa table et écrit " jusqu'au petit jour..., d'un trait avec trois ratures et c'est tout" ce qui va suivre.
Dans cette langue française-là, deux types l'ont précédé, quelques quarante ans avant, Rimbaud et Lautréamont.
Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera
Et rigor lentescat ille quem dedit nativitas
Ut superni membra Regis miti tendas stipite...
Fortunat, Pange lingua.
Fléchis tes branches, arbre géant, relâche un peu la tension des viscères,
Et que ta rigueur naturelle s'alentisse,
N'écartèle pas si rudement les membres du Roi supérieur...
Rémy de Gourmont, Le Latin Mystique.
Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion
Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.
Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or
Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.
À l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.
Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.
À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour
Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.
Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet
Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Éternel.
Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.
Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;
Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.
Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.
Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.
Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.
Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,
D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.
Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.
....................................................................
....................................................................
Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les hospices.
D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.
Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.
Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.
C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.
..................................................................
..................................................................
Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.
Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.
Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.
La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.
Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.
Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.
Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...
Ma chambre est nue comme un tombeau ...
Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre ...
Mon lit est froid comme un cercueil ...
Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents ...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle ...
Cent mille toupies tournoient devant mes yeux ...
Non, cent mille femmes ... Non, cent mille violoncelles ...
Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses ...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées ...
Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.
Salut CENDRARS !
Pour lire le poème en son entier. Et il le faut ! Dommage que soient oubliés les exergues de Fortunat et de Rémy de Gourmont. Ce diable de Blaise crevait peut-être de faim, mais il fréquentait les salles des bibliothèques newyorkaises.
14:36 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (3)
samedi, 11 avril 2009
s'appliquer des "Tranches de savoir"
À la suite de mes deux notes précédentes, je m'appliquerais bien volontiers ces trois petites "Tranches de savoir" du Compagnon Michaux.
Celui-là, avec sa vertu, il branle ses vices.
Qui a rejeté son démon nous importune avec ses anges.
Se plaire sur le toit, c’est peut-être à cause de la cave.
08:35 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 10 avril 2009
je n'ai pas tué
...Tamloul, c’est moins grandiose, on ne gravit pas de crêtes nocturnes comme des félins, on ne dévale pas dans les oueds comme des gamins au petit matin.
On demeure une heure, deux heures, tapis dans l’ajout de nuit que donne le mur de branches et de pisé du gourbi. Tu attends, tu écoutes, tu écoutes intensément, tu sens le copain à portée de ta main, tu ne vois pas son visage charbonné au bouchon brûlé, mais de temps à autre, vos deux mains se rejoignent rassurantes, tièdes, presque tendres.
Au moindre bruit lointain, proche, le geste s’affermit, les visages se rapprochent. Murmures pour s’assurer de la réalité ou de l’hallucination. Les corps, seuls, en bougeant appuyés au mur, ont fait crisser le bois. De l’autre côté, ce bruit léger a-t-il été entendu ? Ils l’espérent. En tout cas, quand ils “décrocheront”, ils ne prendront plus aucune précaution. Que les fells sachent qu’ils étaient là ! Et peut-être aussi ailleurs !
Ils ont maintenu la pression deux mois durant, il a suffi de deux escarmouches. La première, à peine quinze jours après la désastreuse embuscade où fut tué Slama, Jaqez était avec El-Ahmra, un jeune appelé algérien de ceux qu'on appelait FSNA, Français de souche nord-africaine !
La lune en son premier quartier se couchait. Les fells sont venus du sud-ouest, par le petit thalweg qui aboutit à hauteur de la placette.
C’est El-Ahmra qui a eu le pressentiment d’un mouvement au débouché du thalweg. Les deux mains qui se cherchent, visage contre visage : « Lieutenant, là-bas, en haut du petit oued. » Le repli de terrain a étouffé tout bruit suspect, ils sont six en file indienne, ils s’arrêtent, reprennent leur progression, s’arrêtent, ils sont maintenant à découvert sur le glacis qui précède les barbelés à cent mètres, ils s’avancent courbés, le premier à dix mètres devant les autres. Arrêts plus fréquents. Silhouettes plus sombres sur le sombre de la crête de Rhardous qui se profile sous le ciel clair d’étoiles.
« El ! Quand le premier s’engagera sous les barbelés, on vise aux jambes. Aux jambes, El ! » La main d’El-Ahmra étreint la sienne. Leurs armes ne sont pas encore sorties de l’ombre du mur. À cinquante mètres, la première ombre se couche. « Aux jambes, El, aux jambes ! » La Mat d’El-Ahmra crache des étincelles au sol, puis, il lâche tout son chargeur plus haut. Fuite éperdue, ça gueule chez les cinq fells debout, ils tentent de riposter en tirant des rafales désordonnées.
El-Ahmra et Jaqez eux, sont déjà planqués au sol à dix mètres de l’endroit où El-Ahmra a déclenché le tir. L’éclaireur couché s’est relevé plus vite que son ombre, il court derrière ses copains, ils vont s’enfoncer dans le repli nocturne du thalweg. Jaqez ajuste sa carabine US, il a le doigt sur la queue de détente : « Tire, Lieutenant ! » Il tire posément deux mètres en avant de la première ombre qui fuit, il voit l’étincelle de l’impact sur les caillasses. Calmement les dix balles de son chargeur. Jamais agréables des balles qui font mouche entre les jambes.
« Lieutenant, pourquoi tu as tiré à terre ? »
Parce que, El ! Mais il ne le lui avouera point ... Parce que la gueule éclatée du premier “fell”... l’abattage du petit berger Hocine... le ventre ouvert de Slama. Merde, non. Assez, assez de tout ce sang ! Il prend l’épaule de El-Ahmra, « Et, toi, El, hein, tu as tiré dedans ou en l’air ? » Il croit deviner un sourire sur le visage du jeune algérien
Extrait d'une chronique de ces années de merde et de feu que tant d'entre nous vécurent entre 1954 et 1962 ; elles verront ou ne verront pas le jour ?
Je voudrais ajouter que si je n'ai pas tué, c'est que j'avais dans ma cantine de bidasse, un texte immense de six pages qui narre d'autres années plus infernales encore : c'est le « J'ai tué » de Blaise Cendrars.
À lire !
17:25 Publié dans les civiques, Les graves | Lien permanent | Commentaires (4)
à fleur de peau
Depuis plus d'un mois, il y avait à l'Espace Cosmopolis, qui jouxte le Théâtre Graslin, une exposition sur le Rwanda avec des œuvres très fortes de Bruce Clarke ; ce plasticien sud-africain part de fragments déchirés, de papiers divers, de journaux, d’affiches, qu'il travaille, triture, imprègne de couleurs les traces photographiques et les typo. « Mots et couleurs, mots et images s’intègrent alors et se recomposent sur la toile.»
De plus en plus, il m'arrive d'avoir l'émotion à fleur de peau : les insomnies ou l'adolescence du « grand âge » ?
... Par exemple, le moment de l'après-midi d'hier, quand, encerclé(e)s par ces tableaux de Clarke, l'amie que j'accompagne dans la visite de cette exposition, évoque les violeurs comme les tueurs.
Je n'ai pas tué, jamais violé.
Face à la VIOLENCE, le dégoût est incoercible.
Et pourtant je sais parfois ne pas être et tendre et doux !
Mais face à ces images et par les mots de cette amie, renvoyé à ces quelques moments trop réels où il fallut opposer à l'horrible qui pouvait ou allait survenir, la fermeté paisible — je ne suis ni courageux, ni encore moins héroïque; simplement il le fallait ! — l'émotion m'a poigné.
La main de l'amie sur mon bras m'a relié, je n'étais plus seul dans mes larmes !
16:52 Publié dans les autres... arts, les civiques, Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)