jeudi, 26 novembre 2009
persister à contredire la mort
Nuit du 25 au 26 novembre 1964.
D'Annaba, j'atterris à Orly. Pluie glacée sur la ville. Je ne sais quelle navette jusqu'à Montparnasse... je ne sais même plus quelle ligne de métro pour l'hôpital Tenon.
Hors ce lancinant et incongru message publicitaire éclair dans la pénombre entre les stations de métro : DUBO DUBON DUBONNET...DUBO DUBON DUBONNET...DUBO DUBON DUBONNET, dans la trépidation cadencée des roues.
Marche rageuse sous la pluie pour, dans l'antichambre de la morgue, me heurter à ces deux hommes hébétés de sommeil : « Vous ne pouvez la voir à cette heure. Attendez le jour. »
Au petit matin de ce jourd'hui, dans L'éloge du savoir, à propos de son Journal de deuil, Antoine Compagnon cite cette réticence pudique de Roland Barthes :
« Je ne veux pas en parler par peur de faire de la littérature – ou sans être sûr que c’en ne sera pas – bien qu’en fait la littérature s’origine dans ces vérités ».
Saura-t-il avant sa propre disparition que seuls les mots, arrachés dans la mémoire, contredisent la mort
Ainsi le « revenir », quoi qu'on fasse, s'inscrit à la suite du devenir ; le souvenir lui-même, loin d'être un avenir renversé, survient dans le cours du devenir : le rappel n'est-il pas un événement de notre présent ? Le souvenir, en ce sens, est encore un « survenir ». Revenir, en ce sens, est encore une manière d'advenir. Car le passé advient, même quand il revient ! Oui, le temps est toujours à l'endroit, même quand on s'imagine le parcourir à l'envers ; toujours dirigé vers l'avant, même quand on croit remonter vers l'arrière.
Vladimir Jankélévtich
La mort, p. 292
23:55 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 24 novembre 2009
continuer de creuser l'énigme
Cet après-midi du 24 novembre 1964, un atroce papier bleu déposé sur la table de travail, qui, déchiré, déplié, quelques secondes efface le monde !
..........................................
Dans la mort que je contredis.
René Char
Montagne déchirée
La sieste blanche, in Les Matinaux
18:21 Publié dans Les nocturnes | Lien permanent | Commentaires (1)
dimanche, 22 novembre 2009
une musique parfois...
...encore dans les flottements légers du sommeil et la tiédeur de la couette, dans les écouteurs du petit mp3, "tes boucles d'oreille musicales" dit ma voisine.
Une mélodie bien connue, des trilles suspendues dans les aigües, qui s'allongent, se répètent, et puis comme un sentiment que la cadence se rallonge indéfiniment, la mélodie se désaccorde, les trilles reviennent soutenues par des roulements aux timbales, inhabituels . La mélodie toujours insoutenable de beauté qui semble s'égarer dans un labyrinthe dont le violon ne souhaite point la sortie.
Inouï, si le mot n'est pas aporie en écrivant de musique.
À pleurer parfois — chez l'écoutant, se rapprochent des jours qui chaque annnée, si lointains et trop proches, s'obscurcissent d'une ombre bien-aimée.
Une écoute si neuve ! Ne suis qu'un piètre mélomane, dans les limites de l'illetrisme musicale.
À réécouter : c'est disponible sur France Mu pendant tout ce dimanche et, pendant trente jours, écoutable "à la carte"en cliquant sur le lien marqué au rouge et en patientant quelques minutes... ou quelques secondes, le temps de dérouler en accéléré le journal et la présentaiton de l'émission.
Réécoutez, vous-dis-je !
09:52 Publié dans Les musiques | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 20 novembre 2009
il y a deux-cent-cinquante ans aux Cardinaux
17:35 Publié dans les autres... arts, les marines | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 19 novembre 2009
on appelle ça tricher
En football, quand un joueur du champ touche volontairement de la main le ballon, il triche. Non ?
J'avoue attendre cyniquement la protestation suffoquée du sieur Raoult : le tricheur est bien le capitaine d'une équipe nationale qui représentera ce pays où je suis né (avouerais-je que ça m'est insuffisant pour m'identifier "nationalement" ?). Saurai-je un jour la somme de mes identités ?
Je suis du côté d'Héraclite, le Flux changeant, contre Parménide, l'Être absolu.
Lire quelques fétus de philosophie à propos de l'identité, la patrie, la nation et tutti quanti dans Libé de ce jour.
D'ailleurs, je m'en fous : l'Algérie est, elle, qualifiée. Mais ce n'est pas pour cela que contre la "francité", je revendiquerais "arabité" ou "berbérité".
16:01 Publié dans dans les pas d'Héraclite, les civiques, les diverses | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 16 novembre 2009
bref retour à la "liste"
La "liste", ça va, ça vient.
Chez les uns, litanies pour rogations, chez d'autres, classifications pour manuels d'entomologie, inventaires avant disparition, chez d'autres, après Rabelais, Borgès, référence est fait à Roubaud ou aux déclinaisons de Chevillard — pourquoi pas ! — je n'avais point pensé à la déclinaison comme liste.
À lire dans le tiers livre.
Avec comme un arrière-goût des exercices de style de Raymond Queneau.
18:36 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 12 novembre 2009
à propos de la dixième lauréate du "Goncourt"
Si les lettrés continuent ainsi de contester ses courtisans, le monsieur de passage à l'Élysée se refusera définitivement la lecture des bonnes romancières françaises.
Il a sans doute déjà pris sa décision.
12:55 Publié dans les civiques, les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 09 novembre 2009
lâchement, je me défausse
Je ne suis pour rien, si ce n'est mon exigence de gratuité, dans ce "truc de ventre plat" qui chapeaute en clignotant mes notes depuis un mois, avec un fort mauvais goût.
Je ne m'en souciais guère, ayant installé Adblock Plus qui filtre à la demande les publicités que j'estime fâcheuses. Mais encore faut-il naviguer avec FireFox.
Pour celles et ceux qui utilisent ce très bon navigateur qui renvoie aux "pilotes des vaisseaux perses du roi Darius", Internet Explorer, je conseille d'installer cet Adblock Plus, un module gratuit trouvable sur le site de FireFox.
J'attendais, aspirant enfin à une plus grande autonomie, une formation SPIP et DotClear qui devait se dérouler ces jours-ci aux Chantiers. Reportée en mars 2010, m'a-t-on annoncé ce matin !
Rage légère, je dois supporter ce "truc" et les avatars à venir* dont Hautetfort, mon gentil hébergeur depuis cinq ans, me gratifie pour mon refus de payer.
Liberté en mars 2010 !
* Le nouvel avatar est arrivé : c'est "CamSympa". Et moi qui ne suis même pas sur FacedeBouc....
18:21 Publié dans Les blogues, Web | Lien permanent | Commentaires (2)
« vertige de la liste » les dernières listes
En octobre 1990, lors de la Fureur de lire, je fus invité à lire du "fantastique qui était le thème proposé, cette année-là. Je choisis, avec un soupçon de provocation, de lire "du" Borgès :
J'y lus donc
Le miroir d'encre
l'Argument ornithologique
Le Disque
Le dialogue sur un dialogue
le Désert
Les deux rois et les deux labyrinthes
La Rose
et l'Écriture du dieu.
En troc, je reçus des mains de FV, jeune adjointe à la Culture de ma petite cité, HAZANOUT, un disque de Chants liturgiques juifs. Le premier chant était une lecture en araméen du Zohar. Je lui dédie cette note que j'espère fort borgésienne.
Si un auteur a cédé dans des pages nombreuses au vertige de la liste — index, nomenclatures, classifications, descriptions, — c'est bien Jorge Luis Borgès.
Tirée d'une encyclopédie chinoise — sur le témoignage d'un sinologue réel — cette classification zoologique :
« Les animaux se divisent en
a) appartenant à l'Empereur,
b) embaumés,
c) apprivoisés,
d) cochons de lait,
e) sirènes,
f) fabuleux,
g) chiens en liberté,
h) inclus dans la présente classification,
i) qui se démènent comme des fous,
j) innombrables,
k) dessinés avec un très fin pinceau de poils de chameau,
l) et cætera,
m) qui viennent juste de casser la cruche,
n) qui vus de loin paraissent des mouches ».
Vingt auparavant, dans Histoire de l'Infamie, Borgès prêtait au jeune empereur Kia King cette proclamation destinée à mettre en garde la population contre les méfaits des pirates :
Des hommes infortunés et nocifs,
des hommes qui piétinent le pain,
des hommes qui font la sourde oreille au cri du percepteur et de l'orphelin,
des hommes dont le linge de corps porte l'image du phénix et du dragon,
des hommes qui mettent en doute la véracité des livres imprimés,
des hommes qui laissent leurs larmes couler en regardant le nord — compromettent le bonheur de nos fleuves et l'antique confiance de nos mers.
Plus loin, dans Histoire de l'Éternité, il nous livre le catalogue, en cinq pages, des métaphores — les Kenningar — que les Islandais employaient dans leurs poèmes ; j'en citerai trois :
La mer
Toit de la baleine
Terre du cygne
Chemin des voiles
Champ du viking
Prairie de la mouette
Chaîne des îles
Le sang
Ruisseau des loups
Marée du massacre
Rosée de la mort
Sueur de la guerre
Bière des corbeaux
Eau de l'épée
Vague de l'épée
La mort
Arbre des corbeaux
Avoine des aigles
Blé des loups
Borgès alléguera souvent sa timidité devant la création pure, avouant ses écrits comme "les jeux irresponsables d'un timide qui n'a pas eu le courage d'écrire des contes et qui s'est diverti à falsifier ou altérer — parfois sans excuses esthétiques — les histoires des autres".
La liste lui fut un de ces jeux qu'en bibliothécaire à l'érudition folle, il pratiqua tour à tour, dans une déraison souriante — la classification zoologique, ci-dessus — ou grave — l'énumération qui suit, extraite du Miroir d'encre :
Cet homme mort que je déteste eut dans la main tout ce que les hommes morts ont vu et tout ce que voient ceux qui vivent :
les cités, les climats et les royaumes qui divisent la terre, les trésors cachés dans son centre, les navires qui traversent les mers, les engins qui servent pour la guerre, la musique et la chirurgie, les femmes pleines de grâce, les étoiles fixes et les planètes, les couleurs employées par les Infidèles pour peindre leurs abominables tableaux, les minéraux et les plantes avec les vertus et secrets qu'ils renferment, les anges d'argent qui se nourrissent de louer et de justifier le Seigneur, la distribution des prix dans les écoles, les statues d'oiseaux et de monarques qui sont au cœur des pyramides, l'ombre projetée par le taureau qui soutient la terre et par le poisson qui est sous le taureau, les déserts de Dieu le Miséricordieux.
Ailleurs, René Char écrivait :
Certains jours, il ne faut pas craindre de nommer les choses impossibles à décrire.
Pauvreté et privilège,
in Recherche de la base et du sommet.
Sans doute est-ce là, pour l'ordre ou pour le chaos, pour l'oubli ou pour la mémoire, la force de la LISTE !
12:10 Publié dans Borgès alors ?, Les listes, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 08 novembre 2009
ajout à la liste V
La Prière mise en musique par Brassens est une de deux Prières écrites par Francis Jammes. J'ai publié la seconde Prière pour aller au Paradis avec les ânes dans ma note du 12 avril 2005.
La mélodie de La prière est identique à celle d 'Il n'y a pas d'amour heureux, le poème d'Aragon.
Lequel fut le premier texte mis en musique ?
Qu'importe. Le poignant de cette musique s'accorde tant avec l'un et l'autre que je ne les ai jamais confondus. Sans doute l'interprétation très engagée de Brassens, dans l'une et dans l'autre chanson : le bougre savait être grave.
Dans ma recherche sur la Toile, je suis tombé par You Tube sur cette curieuse interprétation de La Prière.
Le suranné de certaines images n'atténue en rien l'émotion, à fortiori quand une ou deux gravures, plus que sulpisciennes, évoquent les murs d'une chambre de la petite enfance. Étonnante de mauvais goût, cette vidéo, mais la voix, à l'opposé de la rocaille savoureuse de Brassens, s'étend dans une plainte saisissante.
19:34 Publié dans Les listes, Les musiques, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 07 novembre 2009
« vertige de la liste » V, la pénultième
11:41 Publié dans Les listes, Les musiques, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 06 novembre 2009
« vertige de la liste » IV
à FB qui, à défaut des vertigineuses listes de son Rabelais quotidien,
mérite bien de se glisser dans le Cortège de Prévert.
Eh bien ! Oui ! un cortège peut bien s'énumérer.
Il doit bien en exister des centaines, de ces listes qui gèrent le protocole d'invités à un mariage, d'une première Communion ou d'une Confirmation, d'unités militaires participant au défilé du 14-juillet, des entrées dans la salle de l'Académie française, dans l'enceinte du Parlement, des inscriptions dans les Ordres de la Légion d'honneur ou du Mérite agricole et cætera.
Voici la liste d'un cortège qui remet à leur place tous ces gens avides d'être sur ces listes. Et l'homme qui énumère était un coutumier du fait. Relire la Tentative de description d’un dîner de têtes à Paris-France.
Il savait aussi lister dans la plus grande gravité — je pense à Étranges étrangers. Suivons le Cortège !
Un vieillard en or avec une montre en deuil
Une reine de peine avec un homme d’ Angleterre
Et des travailleurs de la paix avec des gardiens de la mer
Un hussard de la farce avec un dindon de la mort
Un serpent à café avec un moulin à lunettes
Un chasseur de cordes avec un danseur de têtes
Un maréchal d’écume avec une pipe en retraite
Un chiard en habit noir avec un gentleman au maillot
Un compositeur de potence avec un gibier de musique
Un ramasseur de conscience avec un directeur de mégots
Un repasseur de Coligny avec un amiral de ciseaux
Une petite sœur du Bengale avec un tigre de Saint-Vincent-de-Paul
Un professeur de porcelaine avec un raccommodeur de philosophie
Un contrôleur de la Table Ronde avec des chevaliers de la Compagnie du Gaz de Paris
Un canard à Sainte-Hélène avec un Napoléon à l’orange
Un conservateur de Samothrace avec une victoire de cimetière
Un remorqueur de famille nombreuse avec un père de haute mer
Un membre de la prostate avec une hypertrophie de l'Académie Française
Un gros cheval in partibus avec un grand évêque de cirque
Un contrôleur à la croix de bois avec un petit chanteur d’autobus
Un chirurgien terrible avec un enfant dentiste
Et le général des huîtres avec un ouvreur de Jésuites
Jacques Prévert
Cortège
Paroles, 1949
J'aurai bien lu ce cortège sur la tombe de Claude Lévy-Strauss qui s'est enfui de ces deux siècles qu'il disait n'aimer guère, ce vendredi de la semaine dernière. Il y a un ou deux versets qui eussent pu lui convenir.
15:06 Publié dans Les listes, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 05 novembre 2009
« Vertige de la liste » III
à Er Klasker, Augustinien qui disait ne comprendre goutte à Michaux,
l'homme de la "liste" précédente
C'est une lettre, une lettre comme en écrivaient ces humains du V° siècle de notre ère qui n'avaient ni Mac, ni PC, ni iPhone ou autre Blackberry, ni messagerie éléctronique. Plus de trente feuillets d'un parchemin qu'un cavalier va porter d'Hippone à Carthage.
Augustin écrit à son ami le diacre carthaginois, le bien nommé Quodvultdeux, "Ce que Dieu veut" :
Bien des fois, cher et saint Quodvultdeus, tu m'as instamment prié d'écrire, sur les hérésies, un livre propre à intéresser ceux qui veulent ne point tomber dans les erreurs opposées à la foi chrétienne et capables de séduire les âmes par leur faux air de christianisme. Sois-en sûr, je n'avais pas attendu jusqu'à ce jour pour y penser : depuis longtemps j'aurais entrepris cette tâche, si, après mûr examen, la difficulté et la grandeur d'un tel ouvrage ne m'avaient paru dépasser mes forces ; mais comme tu m'as, plus que personne, pressé de m'en charger, j'ai pris en considération ton nom aussi bien que tes instances, et je me suis dit : Je me mettrai à l'oeuvre...
Lorsque le Seigneur fut monté au ciel, on vit paraître :
1. Les Simoniens. 2. Les Ménandriens. 3. Les Saturniens. 4. Les Basilidiens. 5. Les Nicolaïtes. 6. Les Gnostiques. 7. Les Carpocratiens. 8. Les Cérinthiens, ou Mérinthiens. 9. Les Nazaréens. 10. Les Ebioniens. 11. Les Valentiniens. 12. Les Sécondiens. 13. Les Ptoléméens. 14. Les Marciens. 15. Les Colorbasiens. 16. Les Héracléonites. 17. Les Ophites. 18. Les Caïanites. 19. Les Séthianiens. 20. Les Archontices. 21. Les Cerdoniens. 22. Les Marcionites. 23. Les Apellites. 24. Les Sévériens. 25. Les Tatiens, ou Encratites. 26. Les Cataphryges. 27. Les Pépuziens, ou Quintiliens. 28. Les Artotyrites. 28. Les Tessarescédécatites. 30. Les Alogiens. 31. Les Adamiens. 32. Les Elcéséens et les Sampséens. 33. Les Théodotiens. 34. Les Melchisédéciens. 35. Les Bardésanites. 36. Les Noétiens. 37. Les Valésiens. 38. Les Cathares, ou Novatiens. 39. Les Angéliciens. 40. Les Apostoliciens. 41. Les Sabelliens, ou Patripassiens. 42. Les Origéniens. 43. Les seconds Origéniens. 44. Les Pauliniens. 45. Les Photiniens. 46. Les Manichéens. 47. Les Hiéracites. 48. Les Méléciens. 49. Les Ariens. 50. Les Vadiens, ou Anthropomorphites. 51. Les Semi-Ariens. 52. Les Macédoniens. 53. Les Aériens. 54. Les Aétiens, ou Eunomiens. 55. Les Apollinaristes. 56. Les Antidicomarites. 57. Les Massaliens, ou Euthites. 58. Les Métangismonites. 59. Les Séleuciens, ou Hermiens. 60. Les Proclianites. 61. Les Patriciens. 62. Les Ascites. 63. Les Passalorynchites. 64. Les Aquariens. 65. Les Coluthiens. 66. Les Floriniens. 67. Les dissidents sur l’état du monde. 68. Les va nu-pieds. 69. Les Donatistes, ou Donatiens. 70. Les Priscillianites. 71. Ceux ne mangeant point avec les hommes. 72. Les Rhétoriens. 73. Ceux prétendant que la divinité est passible. 74. Les hérétiques pensant que dieu est triforme. 75. Les hérétiques disant l’eau coéternelle à Dieu. 76. Les hérétiques niant que l’âme soit à l’image de Dieu. 77. Les hérétiques pensant que les mondes sont innombrables. 78. Les hérétiques croyant que les âmes se changent en démons et en animaux de toute sorte. 79. Ceux croyant que tous les habitants de l’enfer ont été délivrés par la descente du Christ en ce lieu. 80. Ceux qui soutiennent que la génération divine du Christ a eu lieu dans le temps. 81. Les Lucifériens. 82. Les Jovinianites. 83. Les Arabiques. 84. Les Helvidiens. 85. Les Paterniens, ou Vénustiens. 86. Les Tertullianites. 87. Les Abéloïtes. 88. Les Pélagiens, ou Célestiens.
J'épargne à mes lectrices et lecteurs, les quatre-vingt-huit réfutations qui suivent cette "vraie" liste. La lettre est lisible sur le site de ces bons moines bénédictins de l'Abbaye de Saint-Benoît de Port-Valais.*
En voilà qui n'ont point attendu l'offre de Google pour scanner leur bibliothéque.
Un vrai travail de Bénédictin !
* À moins que vous ne la consultiez dans la bibliothèque de mon vieux compagnon Er Klasker, "le fouineur" en breton qui possède les œuvres complètes de Augustin d'Hippone, dans la même édition que celle de nos précieux Bénédictins..
18:49 Publié dans Les antiques, Les listes, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 04 novembre 2009
« vertige de la liste » II
à MJ, pour nos ateliers de naguère
Quand l'invective s'éructant dans des onomatopées qui dans la désespérance vont glisser dans la langue — on aurait pu attendre l'inverse — est-on encore dans la "liste" ?
Oui, si la liste est énumération, et quelle énumération !
Dans l'énumération révoltée d'un monde qui révulse jusqu'à effacer celui qui pousse jusqu'à l'exténuation un tel cri.
Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux,
Les banquises perdant du sang,
Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,,
L'Acropole, les casernes changées en choux,
Les regards en chauves-souris, ou bien barbelés, en boîte à clous,
De nouvelles mains en raz de marée,
D'autres vertèbres faites de moulins à vent,
Le jus de la joie se changeant en brûlure,
Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps les mieux unis en duels au sabre,
Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage,
Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux,soit en durs cailloux,
Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant en forêts de perroquets et de marteaux-pilons,
Quand l'Épouvantable-Implacable se débondant enfin,
Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou,
Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver à s'échapper,
Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule,croissant en délicatesse,
De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour qui recule comme la panique...
Oh! Malheur! Malheur!
Oh! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal, petites vies punctiformes ;
Plus jamais.
Oh! Vide!
Oh! Espace! Espace non stratifié... Oh! Espace, Espace!
Henri Michaux
L’Avenir in Mes Propriétés, 1929
Note-bene : cette "liste" fut déjà publiée en février 2005 dans une note sur le livre de René Bertelé" Henri Michaux", paru chez Seghers, dans la collection "Poètes d'aujourd'hui".
18:08 Publié dans Les listes, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (1)
mardi, 03 novembre 2009
« Vertige de la liste » ? Voici mon premier vertige
à Nicléane, pour la soirée du 4 août 1971
Éveil relativement matinal : dans les écouteurs, c'est Antoine Compagnon qui tente de désemmêler les transcendances alambiquées de la littérature selon Maurice Blanchot ! Demain, il abordera Montaigne et Stendhal. Ça ira sans doute mieux. Décidément Blanchot me sera un impénétrable.
L'heure qui suit pourrait être de la même eau s'il ne s'agissait que de feuilletter L'œuvre ouverte, Lector in fabula ou Les limites de l'interprétation ; car il n'est pas triste non plus le bonhomme Umberto Eco quand il théorise sur le Texte.
Quoique quelques chapitres de ces trois bouquins évoqués sont fort éclairants sur mes modestes comportements de lecteur : Le lecteur modèle, par exemple. Et puis, il a fort bien vulgarisé le tout dans les quatre-vingt-dix pages de sa mince mais savoureuse Apostille au nom de la Rose.
Ce matin, il est donc, après Compagnon et Blanchot, le suivant. Invité sur France Cul pour ses « listes », ou plutôt son Vertige de la liste et ce qu'il met en listes au Louvre. Pourquoi, diable, s'est-il rasé la barbe ?
À chacun ses « listes » donc !
Il m'est difficile de larguer une enfance religieuse et mes premières listes furent les litanies :
Litanies de tous les saints
Litanies de la Vierge
Litanies du Sacré-Cœur
et leurs lancinants répons, inlassablement répétés par la foule des fidèles, soit, dans l'ordre et selon la contrée, en français, en latin et en breton :
Priez pour nous
Ora pro nobis
Pedet aveit-omb.
Litanies, répertoires, dénombrements, énumérations, classements, inventaires, catalogues. L'ivresse de leur profération fut sans doute d'abord dans l'ordre de l'oralité. Homère le donne à entendre.
οὐδ᾽ εἴ μοι δέκα μὲν γλῶσσαι, δέκα δὲ στόματ᾽ εἶεν,
φωνὴ δ᾽ ἄρρηκτος, χάλκεον δέ μοι ἦτορ ἐνείη
aurais-je et dix langues, et dix bouches,
et une infatigable voix, et des poumons d'airain.
Listes closes, listes ouvertes qui faussement s'achèvent sur des points de suspension ou mieux sur un « et cætera », mais alors sans les points de suspension qui seraient une erreur typographique.
Une note de blogue pourra difficilement rendre lisibles les six pages de l'Iliade en son Chant II, 490, célébrant la flotte grecque qui mouilla sous Illion. Entendons les vaisseaux noirs, les vaisseaux creux, les vaisseaux aux joues fardées de rouge.
Laissons aussi les cent jeux de Gargantua et ses cinquante façons de se torcher le cul.
Il est vrai que je n'ai lu intégralement que les quatre-vingt dernières pages de l'Ulysse de Joyce. J'aurai donc raté jusqu'à ce jour les inventaires et autres énumration qui meublent les cent pages précédentes.
Et encore Prévert et Borgès dans les chaos et les ruptures.
Ce soir, je livre ma première « liste ». Blason du corps plus que nu, elle est litanique, elle est amoureuse, elle est incantatoire, elle vibre de toutes les sensualités minérales, végétales, animales.
Ce sont mille langues, mille bouches au cœur de mille nuits qui seules peuvent la proférer, la murmurer.
Ma femme à la chevelure de feu de bois
Aux pensées d'éclairs de chaleur
A la taille de sablier
Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre
Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur
Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche
A la langue d'ambre et de verre frottés
Ma femme à la langue d'hostie poignardée
A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux
A la langue de pierre incroyable
Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant
Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle
Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre
Et de buée aux vitres
Ma femme aux épaules de champagne
Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace
Ma femme aux poignets d'allumettes
Ma femme aux doigts de hasard et d'as de coeur
Aux doigts de foin coupé
Ma femme aux aisselles de martre et de fênes
De nuit de la Saint-Jean
De troène et de nid de scalares
Aux bras d'écume de mer et d'écluse
Et de mélange du blé et du moulin
Ma femme aux jambes de fusée
Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir
Ma femme aux mollets de moelle de sureau
Ma femme aux pieds d'initiales
Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent
Ma femme au cou d'orge imperlé
Ma femme à la gorge de Val d'or
De rendez-vous dans le lit même du torrent
Aux seins de nuit
Ma femme aux seins de taupinière marine
Ma femme aux seins de creuset du rubis
Aux seins de spectre de la rose sous la rosée
Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours
Au ventre de griffe géante
Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical
Au dos de vif-argent
Au dos de lumière
A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée
Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire
Ma femme aux hanches de nacelle
Aux hanches de lustre et de pennes de flèche
Et de tiges de plumes de paon blanc
De balance insensible
Ma femme aux fesses de grès et d'amiante
Ma femme aux fesses de dos de cygne
Ma femme aux fesses de printemps
Au sexe de glaïeul
Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque
Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens
Ma femme au sexe de miroir
Ma femme aux yeux pleins de larmes
Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée
Ma femme aux yeux de savane
Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison
Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache
Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu.
André Breton
L'union libre
Clair de terre (1931)
22:07 Publié dans Les antiques, Les listes, "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)