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samedi, 31 décembre 2005

Un bel et large horizon pour 2006 *

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Aux compagnes, aux compagnons, aux amis rencontrés en 2005.
Aux visiteuses et visiteurs de ce blogue !


*Élogio del Horizonte
d'Eduardo Chillida
Sculpture qui domine le promontoire de Santa Catalina, à Gijon, en Asturies.

jeudi, 29 décembre 2005

Visite chez Louïse

De mes rives bretonnes, je m'en vas, pour quelques jours, rendre visite à Dame Louïse Labé en sa bonne ville de Lyon.


En ces lieux où l'on voit tranquillement la Saône
se laisser entraîner entre les bras du Rhône
et où le mouvement du courant est si lent
qu'elle entre dans son lit sans trop savoir comment



Je me prends à rêver d'une rencontre, en avril 1553, entre Louïze et Joachim du Bellay en chemin vers Rome.

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Sans doute ne faudrait-il jamais oublier la parole d'Alexandre à Ptolémée, sur les crêtes glacées de l'Indu Kush ?

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« Les femmes ramènent toujours les hommes à leur patrie ! »

mercredi, 28 décembre 2005

« Le soleil noir de la mélancolie »

Pat m'a rapporté "mon" Nerval édité en Pléiade.
J'y retrouve, enserrés dans les pages, trois feuillets qui m'inclinent tout autant que ma récente lecture d'Aurélia à une douce mélancolie.

Une amie, plus que très chère à qui j’avais prêté ce livre, acheté à Ancenis en août 1961, a laissé deux notes manuscrites dont j’ignore l’ordre, je commencerai donc par la plus brève :


Et mon regard
errant sur les filles du feu
qui naguère, m’enchantèrent
balaie un Pompéi italique

Angélique, Sylvie, Isis, Émilie...
les filles du feu s’égrènent
leur i est la constante
du feu qui anime,celui qui s’embrase et les embrase.
Trouble ancien des étoffes froissées,
de l’effeuillage chaste et sensuel
de la “fée des légendes éternellement jeune !...”


Le troisième feuillet est tapé à la machine ; je reconnais les caractères de ma vieille Olympia que je trimbalai de Côte d'Ivoire en Algérie ; elle me fut volée rue Ben M'hidi, un samedi après-midi de mars 1967 alors qu'à la Cinémathèque, je devais suivre un cycle "Kurosawa". Alger était alors la capitale africaine du cinéma !
Six ans auparavant, sur les conseils de JC, mon cousin quasiment frère, j'avais plongé dans Cendrars ; je sortais du merdier de la guerre et j'allais cependant retourner en Algérie pour y vivre l'amour. Cet été 61, je louai un gîte dans les gorges du Tarn et tout un juillet, entre deux randonnées sur le Causse Méjean pour me rincer des djebels, je me suis enivré du formidable Blaise : Moravagine, Bourlinguer, L'homme foudroyé, L'or, à goulées, à nuits blanches !

Dans Gênes, sous-titré L’épine d’Ispahan, le plus long récit (170 p.) de BOURLINGUER, Cendrars vient de citer en son entier la sixième Chimère, Artémis, illustrant son deuxième péché capital, la Luxure (fornicatio) ; il renvoie par un astérique à la note 9.

« 09. Cher Gérard de Nerval, homme des foules, noctambule, argotier, rêveur impénitent, amant neurasthénique des petits théâtres de la capitale et des grandes nécropoles d’Orient, architecte du temple de Salomon, traducteur du Faust, secrétaire intime de la reine de Saba, druide et eubage, tendre vagabond de l’Ile-de-France, dernier des Valois, enfant de Paris, bouche d’or, tu t’es pendu dans une bouche d’égout après avoir projeté au ciel de la poésie, devant lequel ton ombre se balance et ne cesse de grandir entre Notre-Dame et Saint-Merry, les Chimères de feu qui parcourent ce carré du ciel en tous sens comme six comètes échevelées et consternantes. En faisant appel à l’Esprit nouveau, tu as troublé pour toujours la sensibilité moderne : l’homme d’aujourd’hui ne pourra plus vivre sans cette angoisse :

L’aigle a déjà passé, l’esprit nouveau m’appelle...
(Horus, str. III, v. 9.)


Qu’il me soit permis de citer encore une strophe qui, avec d’autres vers épars dans les Chimères, est une des clefs secrètes du présent récit :

Dans la nuit du tombeau, toi qui m’as consolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie
La fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé
Et la treille où le pampre à la rose s’allie.

(El Desdichado, str. II, v. 5 à 8.)

Bourlinguer
Gênes

(Notes pour le lecteur inconnu, pp. 267-268.) »


Cendrars me renvoya à mes lectures adolescentes de Nerval.
J'ignorais que, dans les années qui allaient suivre, les Chimères me seraient incantations pour tenter de lire l'indéchiffrable énigme de l'Aimée morte !

Ce soir, j'ai bien envie de reprendre mes "Cendrars" !
Et pour de longues et lentes, très lentes relectures !

mardi, 27 décembre 2005

Peer to peer, mieux encore, bord à bord

C'est très tonique de s'éveiller un lendemain de Noël avec les accents de belle colère d'un homme qui se révolte contre les légistes qui nous veulent entraver nos navigations, nos échanges, nos circulations de pensées et d'outils libres. C'était, hier, sur...France Cul, Yann Moulier-Boutang s'entretenant avec nos journalistes familiers.
Je ne pouvais qu'apprécier fort cette extension marine du bord-à-bord à nos emprûnts de bibliothèque-à-bibliothèque*.
Je ne pouvais m'empêcher de rouvrir le petit bouquin des Mille.et.une.nuits de novembre 2000, PRÊTER(un livre) n'est pas VOLER (l'auteur) et de rêver que François Bon et Michel Onfray, co-auteurs, devraient, à nouveau, avec l'audience qu'ils ont et...méritent, remettre le feu et faire parler les écrans !

La nuit dernière, toujours sur ma radio préférée - je devrais modifier ma "tagline" (phrase de description du blogue) en substituant à l'actuelle, "un lecteur en son jardin", une du genre "un auditeur en cours de nuits" - était rediffusée une "Radio libre", RIMBAUD, Poste restante de Jean Daive, en date du 17 juin 2000 ; c'était à 1 h 30 et mon intérêt ne m'a point donné courage de me lever pour enclencher le magnétophone.
Dommage, car l'émission ne figure pas dans les archives de France Cul qui ne débutent qu'en l'an 2002.
Je rêve toujours de cette grande salle blanche où se dérouleraient en toiles géantes mon anthologie rimbaldienne, rêve évoqué dans ma note du 22 mars 2005.

Rimbaud, mon premier bouquin en Pléïade et l'un de mes derniers "textes" du XX° siécle finissant ! **

* Je préfèrerais,dans ma vénération "montaignienne", librairie-à-librairie.
** Rien que ça ! Mais comme on dit en pays gallo en laissant en suspens le dicton "quand on ne reçoit des compliments que de soi et de son curé ....!"

Post-scriptum
:
Mon goût pour les images, dont je ne parle guère ici, fut, la nuit de Noël, fort comblé avec quatre dvd - non piratés !!! - Troie, Alexandre, Hero et le Secret des poignards volants, les quatre Cd d'Alfred Deller, - mes fils, Er et Pat, connaissant mes passions coupables - et le dernier Yann Arthus-Bertrand, ALGÉRIE, offert par Nicléane.
J'ai parfois quelques réticences avec le systématique du photographe, mais revivre ainsi de nombreux paysages arpentés, admirés, vécus passionnément, gomme pour quelques heures le sentiment des opérations éditoriales douteuses de La Martinière que le succès de l'auteur a sans doute contribué à renforcer.
Et belle flamme des chandelles de Noël, la tendresse émerveillée de Noémie et de Célia !

vendredi, 23 décembre 2005

à demi rêvé...

Tout m'était expliqué par ce souvenir à demi rêvé. Cet amour vague et sans espoir, conçu pour une femme de théâtre, qui tous les soirs me prenait à l'heure du spectacle, pour ne me quitter qu'à l'heure du sommeil, avait son germe dans le souvenir d'Adrienne, fleur de la nuit éclose à la pâle clarté de la lune, fantôme rose et blond glissant sur l'herbe verte à demi baignée de blanches vapeurs. - La ressemblance d'une figure oubliée depuis des années se dessinait désormais avec une netteté singulière; c'était un crayon estompé par le temps qui se faisait peinture, comme ces vieux croquis de maîtres admirés dans un musée, dont on retrouve ailleurs l'original éblouissant.
Gérard de Nerval
Sylvie, III, Résolution


ßelle et forte évocation de Gérard, la semaine durant sur France Cul :
La nuit sera noire et blanche ou Le dernier voyage de Gérard de Nerval par Caroline Gutman

En cette veille de Noël, un penchant nostalgique à réouvrir les Filles du feu. Il demeure pour moi, dans ses audaces aux marges de la folie, le plus actuel de nos Romantiques.

...Un air très vieux, languissant et funèbre...

jeudi, 22 décembre 2005

Jamais trop tard

Ce n'est pas trop dans les coutumes, la signature des pétitions ! Je me réveille peut-être un peu tard.
Mais légiférer, légiférer, légiférer ! Prenons le temps de penser avant d'édicter !
Il y a des lieux sur la Toile où des propositions AUTRES qu'une loi "liberticide" de plus s'élaborent !
Et puis nous ne sommes qu'un clin d'œil dans l'histoire de l'homo sapiens.
Alors !

À visiter et à lire :
• un premier site
• un second site.

Et la pétition à signer :
petition anti-DADVSI

mercredi, 21 décembre 2005

En vrac


« Le badinage est la manière élégante, plaisante et joyeuse de traiter avec légèreté les sujets les plus graves et les plus sérieux …… il a partie liée avec la mélancolie. »

C’était hier matin, Christine Goémé présentant l’éloge du savoir qui retransmet les cours de Michael Edwards sur Le génie de la poésie anglaise

Il y fut aussi question de Jean de La Fontaine ; Edwards est à me faire aimer celui qu’un de mes vieux professeurs de classe de seconde avait échoué à faire.
J’ai pris le chemin de retour vers le "bonhomme" en lisant quelques-unes de ses fables à Célia et Noémie ; le sentiment géographique m’est un ressort puissant pour relire des auteurs délaissés, à l’été 2004, nous fîmes étape au château de Boscherville, près de Bourgtheroulde : La Fontaine y aurait résidé, lors ses tournées de maître des Eaux & Forêts, pour de galantes nuits, c’est du moins ce que narre l’hôte du lieu.
medium_boscherville.jpg

Aurais-je dormi dans une des chambres que fréquenta Jean le paresseux ? Ce n’est point déplaisant d’y songer !
J’ai réouvert quelques pages des fables et des Contes.

Soeur Jeanne ayant fait un poupon,
Jeûnait, vivait en sainte fille.
Toujours était en oraison.
Et toujours ses soeurs à la grille.
Un jour donc l'abbesse leur dit;
Vivez comme soeur Jeanne vit;
Fuyez le monde et sa séquelle
Toutes reprirent à l'instant:
Nous serons aussi sages qu'elle
Quand nous en aurons fait autant.

Guère sérieux à l’approche de Noël et d’une certaine vierge qui enfanta : je deviens sacrilège !

Ce matin, France Cul me fout en rogne. La dame Thérèse Delpech sévit encore, invitée par Demorand ; elle fait un tabac avec son bouquin “L’ensauvagement, le retour de la barbarie au XXI° siècle” primé par le Fémina/essai.
Mais quel péremptoire dans le ton ! Le non référendaire à l’Europe lui a déplu, ça se sentait ; son dépit laissait même transpirer que nos gouvernants auraient pu - dû- faire l’économie de cette procédure démocratique ; j’avais bien envie de la renvoyer à Platon et à ses finassements aristocratiques d’ancien catcheur qui méprisait le peuple.
Elle eût dû, faisant sa toilette pour venir à la Maison de la radio, écouter la reprise de l’émission “À voix nue” ; elle eût reçu une belle leçon d’humilité de l’historien Éric Hobsbawn. C’était peut-être un peu tôt pour madame.
Bref ! Je suis remonté pour toute la journée.

Le solstice d’hiver approche, le 23, je pense : le Soleil de midi sera à son plus bas et Orion , accompagné de Sirius, culminera dans le Sud au mitan de la nuit.

samedi, 17 décembre 2005

En quête de...

Sous le signe de l'oiseau d'Athéna




Après une matinée froide aux pressoirs de la Pierre-Anne dans le parfum des pommes sures, un après-midi d'errance sur l'Internet en quête de blogues, listes, courriels et autres sites, qui, des Pays de la Loire - région bâtarde aux confins flous de Bretagne, Maine, Anjou et Poitou - tisseraient une Toile d'écritures, de poèmes, de romans et d'essais, niant les jougs des éditeurs, des académies et sociétés de gens de lettres, pour les lectures ardentes des nomades internautes.

En clair, je cherche qui, à l'instar du Tumulte, du Désordre, des Poétiques, de Bourdaily on the web, de Litor, en ateliers ou en solitude, écrit et publie par douleur ou par bonheur des écrans qui s'adressent à tous les insomniaques amants de la langue.

Paradoxalement, c'est pour un possible dossier de papier à paraître en 2006 dans Encres de Loire* - revue d'une région certes bâtarde, mais qu'irrigue un si grand fleuve, que les Encres peuvent s'effacer... en Ancres et beaux Écrans !
Ça peut sembler aporie que de ramener au hameau des bribes de mots qui ont essaimé dans l'univers du village planétaire.
Sachant qu'il y a toujours quelque danger d'officialiser ce que Berlol nomme si justement anonym@t et bénévol@t*** !

Si vous rédigez, fréquentez, écrivez, lisez de tels écrans sis en "303"**, mentionnez-les dans mes commentaires ou envoyez-les par courriel.
Je vous en saurai gré !

* Encres de Loire, revue trimestrielle gratuite du livre en Pays de la Loire.
** Additionnez Loire-Atlantique, Vendée, Maine-&-Loire, Mayenne et Sarthe, voyez le résultat ! Parfois une belle revue.
*** Les salons littéraires sont dans l'Internet, Patrick Rebollar, coll. Écritures électroniques, PUF, avril 2002. À LIRE !

L’homme, quand se ferment ses paupières, pour lui seul allume ses flambeaux.
Héraclite

jeudi, 15 décembre 2005

Soleils ondes pures et ombres

Michael Edwards dans Éloge du savoir, à propos du génie de la poésie anglaise, me réveille vers 6 h 30 ; il parle de la fable du loup et de l'agneau, écrite par Ésope le Grec, puis par Phèdre le Latin, enfin par La Fontaine le Français ; et sa voix, à la diction parfaite mâtinée d'un si léger accent britannique, colore de douceur le vers de La Fontaine :

Dans le courant d'une onde pure.

Agréable réveil qui me renvoie à la soirée malouine de samedi quand j'ai dit - j'ai commencé ma lecture par ce sonnet - Abraham de Vermeil*

Un jour mon beau soleil mirait sa tresse blonde
Aux rais du grand soleil qui n'a point son pareil :
Le grand soleil aussi mirait son teint vermeil
Au rai de mon soleil que nul rai ne seconde.

Mon soleil au soleil était soleil et onde :
Le grand soleil était son onde et son soleil ;
Le soleil se disait le soleil non pareil :
Mon soleil se disait le seul soleil au monde.


Mettez-vous ces deux quatrains en bouche : onde est certainement un des mots les plus suaves de notre langue et quand il s'accote aux "eil" des soleils, aux "ai" des imparfaits des verbes, sa belle ombre s'étend sur votre réveil et paradoxalement vous éclaire la grisaille du jour qui s'annonce. Nous ne serions point dans le proche de l'hiver, j'oserais hasarder le moment de sieste estivale quand, sous un arbre bienveillant, jolie brise et feuillage s'allient pour des tendres éclats sur le visage

Hier au soir, nous étions dans d'autres ombres plus sombres, les ombres de la mort : dans À voix nue, Hervé Guibert disait simplement ceci qui ne peut que bouleverser celles et ceux qui écrivent :
...Mon journal s'éteint...


* Abraham de Vermeil (1555-1620 ?), gentilhomme calviniste, compagnon d'Henri de Navarre.

• À noter, cet après-midi sur France Cul, à 14 h, François Bon s'entretient dans Affinités électives avec Francesca Isidori, autre voix séduisante et sensuelle de la radio, .
À 17 h, encore pour deux soirées, Hervé Guibert !

mardi, 13 décembre 2005

Pallier une loi ou pallier à une loi ?

Dans ma précédente note où je jouais* l’érudit typographe à propos de l’&, le grammairien apprenti que je demeure fut pris en flagrant délit d’incorrection par mon cher neveu Y. que je chargeai naguère de surveiller ce blogue. Aussi féru de grammaire que sa bien-aimée mère, une des plus ferventes puristes que je connaisse, il n’a pas manqué de relever l’emploi incorrect du verbe “pallier” suivi d’un complément d’objet indirect. Je suis toujours piqué au vif, mais je ne cherche point de justification à mes ignorances. Cependant, j’ai consulté le plus beau roman de la langue française que je connaisse : le Grevisse. Voici :

Pallier s’emploie traditionnellement avec un objet direct :
(exemples cités de Chateaubriand, Gide, Duhamel, Beauvoir.)

la construction °pallier à, due à l’analogie de parer à, remédier à, cherche à s’introduire, mais l’opposition des grammairiens (et celle de l’Acad. mise en garde du 5 nov. 1964) freine sa diffusion dans la langue écrite :
(exemples cités de Gide à nouveau, Camus, H. Bazin, F. Marceau, M. Foucault, Dhôtel, A. Sarrazin.)

Hist. — Emprunté au bas lat. palliare « couvrir d’un manteau, d’un pallium », puis « cacher ». En fr., le verbe a d’abord eu ce dernier sens (que représentent encore certains des ex. donnés ci-dessus), puis en médecine, il a signifié « guérir en apparence » ; de là le sens élargi « remédier à » et les analogies qui menacent la construction traditionnelle.
Grevisse
Le bon usage
p. 402, § 280 a 9°


Merveilleux Grevisse !

Merci à Y. pour avoir provoqué cette rubrique. Le partisan convaincu que je fus de la “Méthode globale” a bien failli déconsidérer à jamais des pratiques pédagogiques désormais interdites par de Robien.
Au fait, j’aimerais bien savoir par le truchement de quelles méthodes la lecture fut enseignée à ces messieurs du Parlement : l’interrogation s’élargissant jusqu’aux abords de la présidence de la République.
Car oui ou non, ont-ils été capables de bien lire ce que dit de la colonisation certaine loi scélérate votée et promulguée ?

* Jouer valse aussi de l'objet direct à l'objet indirect. Grevisse, § 291 b.

vendredi, 09 décembre 2005

Et la perluette alors ? Oui la & !

Décidément, est-ce l’influence des questionnements d’hier sur l’@, la typographie, les annotations ; mais ce matin, l’esprit se fixe sur des problèmes voisins.
D’abord : deux liaisons “mal t’à propos” sur France Cul ; ça doit arriver chaque jour ; je n’y fus sensible que ce matin :
à 7h35, quatre-z-années dans une revue de presse par une journaliste ; à 7h40, l’un des premiers-r-outils par un metteur en scène et comédien (normal, ces gens-là sont sensibles à l’ar-ti-cu-la-ti-on de tou-tes-les-syl-la-bes).
Et moi, demain, en lisant mes Baroques, sur combien de liaisons achopperai-je ?

Oreilles écorchées pour le restant de la matinée, j’allume ma “live box” - ne pourrait-on traduire “coffret de vie” - ou “carton” pourquoi pas ?
Et je prends conscience que France Télécom s’est approprié l’&.
Normal non, pour une institution qui voulut relier ! Oui mais, que va devenir le droit de propriété de tous les scripteurs sur ce signe typographique ? En ces temps où la propriété intellectuelle "privatisée" se répand sur tout, toutes et tous - mon nom, ma maison, mon paysage, mes arbres, mon surnom, mes mots, mes images - on peut s’inquiéter ! Non ?
Les ennuis qui harcèlent ces jours (lire son blogue du 3 décembre), “le Désordre” inclinent à nous “armer” de libertaires licences.

Fichue esperluette qui n’était qu’une banale ligature mérovingienne écrite PERLUETTE, le “es” ne s’ajoutant plus tard que pour les besoins de rimes ou d’euphonie ! Lire mon dico préféré.
J’aime beaucoup l’&, ne fut-ce que parce qu’un jour le directeur d’un service culturel de collectivité a failli me censurer un écrit parce que, volontairement je saisissais “&” et non “et” !

Le Monde des Livres* de ce vendredi n’est pas un “bon” numéro ; ma bourse étant plate les “beaux” livres ne me font que rêver.
Pourtant des titres et des thèmes

Joyce Mansour, une étrange demoiselle,
de Marie-Laure Missir
Playboy d’Helmut Newton
Algérie de Yann Artyhus-Bertrand
La chambre de Joë Bousquet, de Pierre Cabane
Incidences... Pierre Boulez, de Philippe Gontier.


Pour clore, une rogne : tout autant contre monsieur le ministre de l’Éducation que contre monsieur le secrétaire général du syndicat XYZ, à propos de la méthode globale en apprentissage de la lecture. Aussi ignares l’un que l’autre : l’un décrétant son “abandon une fois pour toutes”, l’autre assurant qu’elle a été “abandonnée depuis belle lurette”.
Mais comme elle n’a jamais été mise en œuvre ! Ou par si peu !
Les orthophonistes et autres formateurs d’adultes ont encore de beaux jours devant eux pour pallier (remédier aux) les carences de nos bonnes vieilles méthodes d’alphabétisation et pour enfin apprendre à lire aux adultes de demain !
“Amateurisme inquiétant” assure un président de fédération de parents d’élèves. Ignorance crasse, oui ! Du ministre et du syndicaliste.

J’aurais souhaité parler de Robbe-Grillet ; ses petites esclandres si peu académiques ont l’alerte et le piquant de certains de ses films.
En matière de publication, il fait du “Quignard” en plus restreint : trois livres quand même, en moins d’un mois.
J’y reviendrai. Plus que dans Duras, j’y trouvai des saveurs encore inconnues et fort décapantes.
Il refuse le port de l’Habit vert, il retarde le discours de réception. Pourquoi accepta-t-il la légion d’honneur ?

* J'ai encore raté le Libé-Livres !

jeudi, 08 décembre 2005

Arobase ? Vous avez dit @ ?

@ l’arobase ?
Le caractère à l’origine mystérieuse. Un site, entre autres, CLEVE, lui consacre quelques écrans.
En novembre, L’Histoire dans son numéro sur l’Écriture depuis 5000 ans lui consacre un encart. Abréviation ? Unité de mesure ? Expression typographique ?
Après celui des machines à écrire, il a conquis le clavier de nos ordinateurs.

Je cherchais, pour mes petits travaux de Grec ancien, les Moralia de Plutarque. Les hasards - est-ce hasard ? - m'envoient des moralia aux apophthegmes. Me voilà dans le Lycosthènes. Je viens de me “relier” avec un vieil ami d’adolescence qui “inventa” aux Puces de Saint-Sernin de Toulouse, il y a quelques années, un exemplaire du Lycosthènes, recueil d’apophthegmes* du XVIe siècle annoté, aux marges, de la main d’un mystérieux lecteur.

Ce dernier utilise l’arobase. Certes, ça ne renseigne point sur les origines, mais voici découverte une utilisation originale de notre petit signe familier.
Il faut aller lire le maître d’œuvre de ce chantier du Lycosthènes qui va bien au-delà de la recherche sur un signe typographique.

Presque systématiquement le scripteur use d'un bel @, arobase, correspondant toujours au français autr comme on peut le constater dans les exemples qui suivent, que nous zoomons en raison de la petitesse de l'écriture. Pour rappel : les marges font environ deux centimètres.
medium_arobase_2.jpg
*mesmes les theatres et eschafaux ou ils iouoient leurs farces et comedies ils les ornoient de peïntures tapisseries et autres paremens riches Val max. 64 (lyc.168 de comoedia libertate)
ÉTIENNE ITHURRIA


Mon vieux copain d'adolescence avec qui je partageais les poètes symbolistes et décadents de la fin du XIXe - nous étions déjà "à côté" et nous lisions Moréas, Ghil, Lafforgue, Henri de Régnier, Anna de Noailles... - est un bel et grand érudit. Je lui dois bien un vrai poème symboliste bien décadent :

Il est une heure exquise à l'approche des soirs,
Quand le ciel est empli de processions roses
Qui s'en vont effeuillant des âmes et des roses
Et balançant dans l'air des parfums d'encensoirs.

Alors tout s'avivant sous les lueurs décrues
Du couchant dont s'éteint peu à peu la rougeur,
Un charme se révèle aux yeux las du songeur :
Le charme des vieux murs au fond des vieilles rues.
.........................................................................
Oh ! les vieux quais dormants dans le soir solennel,
Sentant passer soudain sur leurs faces de pierre
Les baisers et l'adieu glacé de la rivière
Qui s'en va tout là-bas sous les ponts en tunnel.

Oh ! Les canaux bleuis à l'heure où l'on allume
Les lanternes, canaux regardés des amants
Qui devant l'eau qui passe échangent des serments
En entendant gémir des cloches dans la brume.

Tout agonise et tout se tait : on n'entend plus
Qu'un très mélancolique air de flûte qui pleure,
Seul, dans quelque invisible et noirâtre demeure
Où le joueur s'accoude aux châssis vermoulus !

Et l'on devine au loin le musicien sombre,
Pauvre, morne, qui joue au bord croulant des toits ;
La tristesse du soir a passé dans ses doigts,
Et dans sa flûte à trous il fait chanter de l'ombre.

Georges Rodenbach,(1855-1898),
Vieux Quais



Mais qui est donc le lecteur qui annota le Lycosthènes ?
À lire donc sur lyscosthènes.org

* APOPHTEGME, subst. masc. : Parole, sentence mémorable de personnages de l'Antiquité. Les apophtegmes des Sages, les apophtegmes de Caton.

mercredi, 07 décembre 2005

Petite histoire de c...ls

Soirée de samedi prochain à Saint-Malo, plus précisément à Saint-Servan - les Gallos s’y reconnaîtront en ces citadines litanies.
Joc et Pie joueront sur leurs flûtes douces Monsieur Naudet, Telemann, entre autres musiciens du XVIIIe siècle.
Je les précéderai... d’un siècle en lisant quelques poètes baroques du XVIIe.

En écho à un poème de Raymond Federman publié sur Poézibao à la mi-novembre

le musée des culs imaginaires
(traduction Christian Prigent)

Quand on pense aux millions et aux millions de gens
qui ont rêvé devant la Joconde,
on peut imaginer leur sourire si Léonard avait peint
son cul plutôt que son visage.
De tous temps, le cul a fasciné les artistes et,
dans leurs tentatives pour saisir les délices de sa forme
éternellement changeante,
ils nous ont donné une stupéfiante
collection de culs. Par exemple :.....

- suit une longue énumération de plus de trente vers sur les beaux culs que flattèrent les peintres -, en écho donc, et en hommage aux belles et à leurs peintres, je lirai un très doux poème de Vincent Voiture, titré malicieusement

À une dame dont la jupe fut retroussée
en versant
dans un carrosse à la campagne


À découvrir, si l’on peut écrire ainsi. La dernière strophe est :
Philis, cachez bien ses appas :
Les mortels ne dureraient pas,
Si ses beautés étaient sans voiles.
Les dieux qui règnent au dessus nous,
Assis là-haut sur les étoiles,
Ont un moins beau siège que vous.




Note-bene
: Dans l’ordre de belle apparition ; un Rubenscul, un Gauguincul, un Dalicul et le cul de Cléopâtre, celle du musée des Beaux-Arts de Nantes !

mardi, 06 décembre 2005

Andalousie atlantique - Partie II

Décembre 2001
encore à Séville


Le lendemain, dès l’entrée dans l’Alcazar, à petits pas émerveillés, de patios en chambres, d’alcôves en salons.
Jeux des arcs et des colonnes dans l’enfilade des patios. Des plafonds aux sols : coupoles et caissons ornés des uns, céramiques et tomettes des autres. Frises et plinthes, stucs blancs ou polychromes, entrelacs abstraits, oiseaux, écritures, végétaux. S’emmêlent en l’œil, les arts successifs qui érigèrent cet Alcazar : le Mauresque, le Mudéjar, le Médiéval, le Renaissance...
Pourtant nulle discorde : une lente succession au fil des pas. Parfois, le besoin de vous asseoir et de ne lire qu’un entrelacs d’acanthes et de paons, de laisser votre esprit se glisser dans les volutes d’une écriture coufique, de fermer les yeux et de n’entendre que l’eau jaillie de la fontaine au cœur du patio où vous vous êtes arrêté...

.......Vous venez de rencontrer Abû-l-Walid Muhammad ben Ahmad Ibn Rushd dit “Averroès”. Peut-être vous êtes-vous entretenu avec lui de son dernier Grand Commentaire sur le Traité de l’âme d’Aristote à moins que vous ne l’ayez questionné sur ses critiques dans son Dévoilement des méthodes des preuves dans lequel il prend à partie vos amis soufis qui ont toute votre admiration... Ou peut-être, un siècle plus tard, avez-vous croisé Ibn Khaldûn venu à la cour de Pierre le Cruel en ambassadeur de l’émir de Béjaia : vous l’avez questionné sur son étonnante démarche d’un voyageur qui s’intéresse avec tant d’insistance aux groupes humains et à leur organisation sociale ; plus tard, les lettrés diront qu’avec sa Muqqadima, il fut le premier à jeter les jalons de la sociologie !
Coule la fontaine !

Vous sortez du rêve : une volée bruyante d’écoliers envahissant le patio... une escouade de “jubilatos” aux gutturaux accents teutons... une volubilité andalouse trop sonore... ont troublé le chuchotis de la fontaine !

En quittant le palais pour hanter les jardins qui seront la poursuite ensoleillée et tout autant émerveillée de notre visite, nous découvrirons l’envolée souterraine des voûtes de croisées d’ogives gothiques de ce qui fut, sous les Almohades, le Jardin du Croisement et qui devint les Bains de Doña Maria de Padilla, l’amante de Pierre le Cruel.

Et dans le jardin de la Grotte, une stèle récente, hommage de Séville à son Roi-poète, Almutamid Ibn Abbad, mort le 7 septembre 1091, mois de Rachab en l’an 384 de l’Égire. Il célébra aussi les recoins amoureux de la citadelle de Silvès.

Faudra-t-il évoquer les jardins ? Dommage que l’intervention des jardiniers qui binèrent et sarclèrent aux cours des siècles a modifié la première ordonnance des Almohades. Mais les nommer est tout aussi poétique que les arpenter : le jardin de la Danse, le jardin de la Galère, le jardin des Fleurs, le jardin du Prince, le jardin des Dames, le jardin du Labyrinthe, le verger de l’Alcôve, la porte du Privilège, le jardin des Poètes, le jardin du Chanvre peigné, le jardin des Cédratiers...
Vous quittez, plus rêveurs encore.
Que seront donc et Cordoue et Grenade ?

La bise vous enserre dans les rues de Séville et Nicléane décide d’un tour de calèche : une heure dans le parc Maria Luisa et sur la plazza d’España ; nous passons en revue les pavillons rococco de l’Exposition universelle de 1929 et tombons sur une “manif” d’étudiants sur laquelle flotte une marée de drapeaux rouges que ponctuent quelques flammes noires ; ô mânes d’André Breton dans Arcane 17 quand il évoque les grèves de 1936 !

Nous croyions à une manifestation contre la guerre en Afghanistan, ils ne réclamaient qu’une augmentation de leurs bourses ! Mais quelle habileté de la part des cochers sévillans et de leurs chevaux, se glissant sans peine dans la turbulence de la circulation automobile. C’est fort agréable sur certaines places de Séville d’oublier l’odeur des pots d’échappement et de humer le parfum du crottin !

Le matin de notre retour à Dac’hlmat, visite à notre voisin d’hôtel (!), le Musée des Beaux-Arts avec des Zurbaran et des Murillo immenses et beaux. Dommage que Murillo sacrifia trop aux poncifs du XVIIe avec sa multitude d’angelots joufflus et fessus, voletant alentour de Dieu, de la Vierge et de ses Saints.
Cette visite avait été précédée d’un savoureux “petit-déjeuner” dans un bar voisin avec un trio de québécois, une et des, qui fréquentaient le second étage de notre hôtel ; nous parlâmes de Bretagne, de leurs origines saintongeaise et périgourdine, du “bois”, de la jubilation d’être des “jubilatos” et des plumes des Hurons desquels descendait la maman de l’un d’entre eux... Belle bouffée de francophonie en Andalousie !

retour à Chipiona

À Chipiona, nous vivons notre dernière soirée autour d’un pot-au-feu avec Ja et Ro, l’équipage d’Athénaïs, un Bavaria de 38 pieds ; ils passent l’hiver ici avant d’appareiller au printemps pour les Baléares et la Tunisie. Nos sillages se recroiseront peut-être ; nous envions l’espace de leur voilier ; déjà s’insinue en nous l’idée que, pour un hiver dans un port d’Andalousie, qu’elle soit atlantique ou méditerranéenne, quand les températures extérieures s’affichent en baisse sensible, notre bien-aimé Dac’hlmat est un tantinet restreint quant à l’espace de vie. Nous n’avons guère écrit de notre vie quotidienne à bord, mais rien que d’évoquer le “transbahutage”, chaque soir, des sacs de la couchette-avant sur une des couchettes du carré, les courbatures surgissent. Et nous ne sommes que deux à bord !

Vers Cadix

Le 17 novembre, la météo andalouse prévoyant un vent “de composante” Sud, force 3, mer calme, nous estimons les conditions plutôt favorables et craignons même d’être obligés à la risée “diesel”.
À peine arrondi le brise-lames, le vent est Sud-est, 5 à 6 et la mer agitée. Et le Sud-est, c’est du 135/140°, droit sur notre route. À tirer des bords donc, au près serré, dans un clapot assez dur. Si Dac’hlmat n’est pas d’un très grand confort pour la vie quotidienne, il excelle, par contre, dans cet astreignant exercice du “près serré”. Le barreur râlera tout au long des six heures de route contre les prévisions ineptes des météorologues andalous, mais nous laisserons loin derrière nous un ketch espagnol qui eut quelque temps des prétentions à nous remonter...

Cadix ? La Belle, n’est-ce pas ! Mais ce fut une jolie Britannique qui nous accueillit au ponton de Puerto America ; elle convoyait un voilier de 36 pieds de Grèce au Portugal, quand elle a été prise, à la sortie de Gilbratar dans le coup de vent qui nous a secoué entre Mazagòn et Chipiona, mais elle, c’est du 50 nœuds de vent qu’elle s’est récolté. Moteur en panne, batteries à plat, barre bloquée, elle a lancé un “mayday”, le message ultime de détresse et les sauveteurs de Cadix sont allés la chercher à trente milles au large de Barbate.

C’est d’ailleurs la tempête d’est qui souffle ces derniers jours dans le voisinage du détroit, parce qu’une dépression maghrébine se heurte à l’anticyclone qui se maintient sur l’Europe. Nous avions décidé de quitter Cadix, mardi 20 novembre, pour attendre à Barbate la bonne “fenêtre météo”qui nous permettrait de passer allègrement ce fichu détroit. Les prévisions ne sont guère optimistes : dans le détroit et ses approches, c’est encore de l’est à force 8 ou 9. Ici, à Cadix, à 60 milles, c’est du 7 à 8 !

Alors, basta ! Entre les froidures - exceptionnelles, nous répète-t-on - les tempêtes du détroit et nos “vieux os”, nous venons de décider un petit “break” hivernal. Dac’hlmat va être sorti à Puerto Rota, au nord de la baie de Cadix.
Nous allons passer la Noël à la Basse Bouguinière et nous reviendrons pour vivre la Semaine Sainte à Jerez, passer une soirée “Flamenco”, visiter les “bodegas” de Jerez et de SanLucar de Barrameda, y déguster le manzanilla, le fino et l’amontillado, assister à une corrida (!), franchir le détroit et continuer le périple.

Nous profitons encore quelques jours des beautés gadésiennes : Nicléane hante les beaux parcs de la ville ; elle photographie, dessine, peint et se régale des "chocolate-con-churros".
Nous écrivons. Nous avons “découvert” le bonheur du lien par l’Internet. Entre conversation téléphonique, trop opérationnelle, et antique correspondance, trop lente : une avancée qui privilégie l’immédiateté de la communication et la distance de l’écriture !
Écrire et savoir que, quasiment, dans l’instant vous pouvez être lu : vieille utopie d’une littérature conviviale, hors des réseaux lettrés et mercantiles ! Nous ne rêvons plus !

De Cadix qui est sans doute une de ces villes
où, à peine débarqués,
vous avez désir d’habiter.
Voici une Île-ville !
La ville océane !


À Puerto-America, décembre 2001

lundi, 05 décembre 2005

Andalousie atlantique - partie I

Quand les vents de galerne se déchaînent à ne pas mettre l'étrave d'un voilier dans le sas de sortie de l'écluse d'Arzal, il vaut mieux réouvrir les vieux livres de bord qui s'entassent, an après an, dans une encoignure de la "librairie" et rêver.


Andalousie Atlantique
Novembre-Décembre 2001


à Chipiona
Et le samedi 10, en l’absence de bulletin météo pour cause de fax en panne à la “capitaneira”, le baro étant remonté à 1017, le ciel étant clair et le vent léger, le cœur plus léger encore, les A. larguent les amarres de Mazagon pour Chipiona !
Parce que Chipiona sur la rive gauche de l’estuaire du Guadalquivir, c’est la “porte” pour Séville. Et Séville, n’est-ce pas, Lorca, c’est......

Le vent de nord a soufflé comme la veille à 30, 35 nœuds, rafales à 40, 45 ! Bon, nous étions vent portant et Dac’hlmat vêtu d’une toile réduite à l’avant nous a entraîné vers Chipiona entre 7 et 8 nœuds ; nous sommes entrés vent arrière entre les brise-lames, ce n’était guère large, 25, 30 mètres ; à 8 nœuds, “faut viser juste” ; ils étaient trois à nous attendre sur le ponton d’accueil pris bout au vent - ce jour-là, il n’y a pas eu besoin de “battre en arrière” pour arrêter le bateau ! Trois hommes vêtus de combinaisons orange ; plus tard nous apprîmes que c'était les professionnels de la société de sauvetage.
Nous l’aurons méritée la beauté sévillane !
Deux jours de repos dans la petite cité balnéaire. Et comme souvent dans les ports ibériques, un joli “paseo maritimo”, quasi désert, car la bise fait se calfeutrer les gens dans leurs “sweet home” aux beaux azulejos ; il n’y a que quelques fanatiques de surf et de planche à voile pour affronter les vents. C’est aussi la première fois que nous verrons l’adresse de ces drôles de planchistes qui se font tirer par un cerf-volant, les “fly-surfers”, m’a dit Er .

à Séville
Chaude, l’Andalousie, en cet automne 2001 ?
À 22 heures, les rues de Séville seront vides et les bars bondés, il est vrai ! Le guide du Routard nous conseillait un petit hôtel à patio, pas cher... mais le Routard s’adresse aux voyageurs de l’été, et guère aux “jubilatos” qui évitent les déferlantes touristiques, il ignore toute notion de chauffage... Nous avons sorti de l’armoire le stock de couvertures après avoir vainement marché tard dans le soir à la recherche du peuple sévillan nocturne... Parfois, les Sévillans se couchent aussi “avec les poules” !
Ne refroidissons point trop le panorama : doux et ensoleillés furent les jardins de l’Alcazar, arpentés à pas lents.

Comment, dans les rets de l’écriture, prendre Séville après l’immensité de Lisbonne ?
Les ruelles, les loggias et l’aperçu des patios au travers des fers forgés, allégés par la floraison végétale et les céramiques !
Les artères du commerce arpentées par une foule paisible !
Les appétissants bars à tapas ! Les suspensions de jambons, séchant à l’air libre au-dessus des comptoirs et des étals, les “serrano” des cochons roses et les “iberico” des porcs noirs !
Les églises et les chapelles - à croire que chaque rue possède la sienne, les cierges qui brûlent devant les icônes des saintes et saints, femmes et hommes, de tous âges, en prière à toutes heures du jour et cette fascinante statuaire de Vierges et de Christs, drapée dans les brocarts et les velours, aux visages de poupées surréalistes, suintant les larmes et le sang ! On devine ce que peut être le soulèvement extatique de la Semaine Sainte quand sortent de leurs sanctuaires ces ineffables saintetés ; je n’avais jusqu’alors que les “saétas” déchirantes de la trompette de Miles Davis pour imaginer cet ébranlement populaire de la foi.
Laissons donc les ruelles, les patios, les tapas, les jambons et les Saints.

Séville, c’est ce que déjà nous avions pressenti en visitant la forteresse maure de Silvès en Algarve, l’entrée dans la civilisation arabo-andalouse.
Comment faut-il en écrire et faut-il se perdre dans les nuances lexicales de l’art mauresque... morisque... mozarabe... mudéjar, s’achevant dans les termes burlesques du plateresque et du churrigueresque...?
À Silrvès, nous avions visité, implantée au beau milieu de la forteresse, une vraie tente de nomade saharien qui présentait tout un travail de recherche iconographique sur cette ville qui fut sans
Quand doute entre le VIIIe et Xe siècle la capitale de l’Algarve des Umayyades. De longues fresques à l’encre de trois à quatre mètres de long, au dessin minutieux, qui retraçaient la complexité déjà très moderne de l’organisation de cette cité et de son environnement rural - ce qui devait représenter un grand pas en avant après une occupation wisigoth sans doute plus rustique.
L’artisan de l’exposition était à l’entrée de la tente ; c’était un portugais de petite taille, il nous dit avoir passé une enfance d’émigré en France, il s’appelait - je ne l’invente point - Borgès ...! Nous avons échangé des points de vue très proches sur la “conquête” arabe - je pensais à ce que j’avais appris de l’islamisation de l’Empire du Ghana, où la conquête fut plus affaire de tractations diplomatiques et commerciales entre princes Soninkés et Almoravides que de lances, de cimeterres et de heaumes à pointe...
C’était le premier lieu où, malgré l’affirmation tonitruante de la “Reconquista”, “empierrée” dans une massive statue de Sancho Ier, l’un des premiers rois du Portugal, dressée à quelques pas de la tente et entre les jambes duquel les touristes femelles de toutes origines se font portraiturer,- Nicléane a refusé - s’énonçait dans un édifice à priori guerrier, l’apport bénéfique du califat arabe à des contrées qui avaient vu, en deux mille ans, passer Phéniciens, Carthaginois, Romains, Vandales, Alains, Suèves et Wisigoths.
Ouf ! Bienvenue, les Maures! Et pour au moins sept siècles ! Même s’ils ne furent point d’une candide paix, parce que, aux Umayyades succédèrent les Abbassydes, chassés par les Almoravides, dégommés par les Almohades jusqu’à cette “veille où Grenade fut prise” - à relire Aragon et son merveilleux Fou d’Elsa !

Donc de Silvès à Séville - la phonétique aurait-elle donc rapproché les deux cités ? - les A., fortement aidés par la lecture d’un bouquin sur Averroès*, allèrent, frigorifiés au sortir du dédale ombreux des ruelles sévillanes, se camper, admiratifs, au pied de la Gilrada.
Après les tours et détours sous les voûtes de l’immense cathédrale, les capillas Mayor et autres Capilla Réal,

Salut, L’Alphonse X Le Sage ! Toi seul voulus avoir l’audace de faire cohabiter le Juif, le Chrétien et le Musulman ! Et si belles sont tes Cantigas!


les Sacristies, les chœurs, stalles et rétables d’or, sans oublier l’inénarrable tombeau de notre inévitable Christophe Colomb qui serait enterré aussi à Saint-Domingue. Non seulement, de son vivant, il fut mégalo, mais son cadavre jouit du don d’ubiquité ! Aux quatre coins (air connu) quatre chevaliers aux gueules sinistres qui seraient les quatre grands royaumes d’Espagne ; l’un des quatre tient un aviron... Godilla-t-il à longueur d’océan pour ramener d’Amérique l’or et les pillages de son capitaine ?

Donc, les A. sont au pied de la rampe de la célèbre Giralda. J’écris bien rampe et non pas escalier ; c’est tellement plus simple une rampe, même si elle nécessite un certain effort cardio-vasculaire. Que n’a-t-on continué d’équiper nos altiers édifices de ce mode de montée ?
Quand elle était minaret, le muezzin ne devait point, en son sommet, arriver essoufflé. Les Chrétiens l’ont affublée à son extrême pointe du “Triomphe de la Foi”, une... girouette qui tourne à tous vents - Qu’en pensa la Papauté d’alors ?

La beauté de Séville nous donne rendez-vous là-haut : de la plazza de Toros à l’Alcazar qui sera notre découverte du lendemain, des barrio de Triana, de Santa-Cruz et de la Macarena au parc Maria-Luisa et au prado San Sebastian. Le Guadalquivir serpente dans la richesse de la plaine andalouse sous la lumière automnale plus froide sans doute que celle de l’intense été.
Au pied de la tour, la cour des Orangers, autre vestige de la mosquée almohade, quadrillée de rigoles où les pieux musulmans faisaient leurs ablutions. Assis sur les bancs de céramique qui entourent la cour, nous les imaginons, à croupetons, puisant l’eau au creux de leurs mains, enturbannés, dés-enturbanés, ré-enturbanés, se relevant dans l’envol des gandoura soyeuses et multicolores, répondant à l’appel de l’imam.

Ce sont souvenirs de nos séjours, jadis et naguère, qui affleurent à notre mémoire ; difficile de ne pas évoquer les mosquées algériennes de Sidi-Barkat et de Sidi-Okba, celles, sahéliennes, de Kounghani et de Baalu !

*URVOY, Dominique - Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman, Flammarion, Coll. Champs, janvier 2001.
(Tout n’y est pas d’une très grande lisibilité, mais on ressent bien les tensions que peuvent vivre encore aujourd’hui les intellectuels musulmans qui veulent faire avancer la pensée de l’Islam). Et c’est dans une collection de poche !