lundi, 05 décembre 2005
Andalousie atlantique - partie I
Quand les vents de galerne se déchaînent à ne pas mettre l'étrave d'un voilier dans le sas de sortie de l'écluse d'Arzal, il vaut mieux réouvrir les vieux livres de bord qui s'entassent, an après an, dans une encoignure de la "librairie" et rêver.
Andalousie Atlantique
Novembre-Décembre 2001
à Chipiona
Et le samedi 10, en l’absence de bulletin météo pour cause de fax en panne à la “capitaneira”, le baro étant remonté à 1017, le ciel étant clair et le vent léger, le cœur plus léger encore, les A. larguent les amarres de Mazagon pour Chipiona !
Parce que Chipiona sur la rive gauche de l’estuaire du Guadalquivir, c’est la “porte” pour Séville. Et Séville, n’est-ce pas, Lorca, c’est......
Le vent de nord a soufflé comme la veille à 30, 35 nœuds, rafales à 40, 45 ! Bon, nous étions vent portant et Dac’hlmat vêtu d’une toile réduite à l’avant nous a entraîné vers Chipiona entre 7 et 8 nœuds ; nous sommes entrés vent arrière entre les brise-lames, ce n’était guère large, 25, 30 mètres ; à 8 nœuds, “faut viser juste” ; ils étaient trois à nous attendre sur le ponton d’accueil pris bout au vent - ce jour-là, il n’y a pas eu besoin de “battre en arrière” pour arrêter le bateau ! Trois hommes vêtus de combinaisons orange ; plus tard nous apprîmes que c'était les professionnels de la société de sauvetage.
Nous l’aurons méritée la beauté sévillane !
Deux jours de repos dans la petite cité balnéaire. Et comme souvent dans les ports ibériques, un joli “paseo maritimo”, quasi désert, car la bise fait se calfeutrer les gens dans leurs “sweet home” aux beaux azulejos ; il n’y a que quelques fanatiques de surf et de planche à voile pour affronter les vents. C’est aussi la première fois que nous verrons l’adresse de ces drôles de planchistes qui se font tirer par un cerf-volant, les “fly-surfers”, m’a dit Er .
à Séville
Chaude, l’Andalousie, en cet automne 2001 ?
À 22 heures, les rues de Séville seront vides et les bars bondés, il est vrai ! Le guide du Routard nous conseillait un petit hôtel à patio, pas cher... mais le Routard s’adresse aux voyageurs de l’été, et guère aux “jubilatos” qui évitent les déferlantes touristiques, il ignore toute notion de chauffage... Nous avons sorti de l’armoire le stock de couvertures après avoir vainement marché tard dans le soir à la recherche du peuple sévillan nocturne... Parfois, les Sévillans se couchent aussi “avec les poules” !
Ne refroidissons point trop le panorama : doux et ensoleillés furent les jardins de l’Alcazar, arpentés à pas lents.
Comment, dans les rets de l’écriture, prendre Séville après l’immensité de Lisbonne ?
Les ruelles, les loggias et l’aperçu des patios au travers des fers forgés, allégés par la floraison végétale et les céramiques !
Les artères du commerce arpentées par une foule paisible !
Les appétissants bars à tapas ! Les suspensions de jambons, séchant à l’air libre au-dessus des comptoirs et des étals, les “serrano” des cochons roses et les “iberico” des porcs noirs !
Les églises et les chapelles - à croire que chaque rue possède la sienne, les cierges qui brûlent devant les icônes des saintes et saints, femmes et hommes, de tous âges, en prière à toutes heures du jour et cette fascinante statuaire de Vierges et de Christs, drapée dans les brocarts et les velours, aux visages de poupées surréalistes, suintant les larmes et le sang ! On devine ce que peut être le soulèvement extatique de la Semaine Sainte quand sortent de leurs sanctuaires ces ineffables saintetés ; je n’avais jusqu’alors que les “saétas” déchirantes de la trompette de Miles Davis pour imaginer cet ébranlement populaire de la foi.
Laissons donc les ruelles, les patios, les tapas, les jambons et les Saints.
Séville, c’est ce que déjà nous avions pressenti en visitant la forteresse maure de Silvès en Algarve, l’entrée dans la civilisation arabo-andalouse.
Comment faut-il en écrire et faut-il se perdre dans les nuances lexicales de l’art mauresque... morisque... mozarabe... mudéjar, s’achevant dans les termes burlesques du plateresque et du churrigueresque...?
À Silrvès, nous avions visité, implantée au beau milieu de la forteresse, une vraie tente de nomade saharien qui présentait tout un travail de recherche iconographique sur cette ville qui fut sans
Quand doute entre le VIIIe et Xe siècle la capitale de l’Algarve des Umayyades. De longues fresques à l’encre de trois à quatre mètres de long, au dessin minutieux, qui retraçaient la complexité déjà très moderne de l’organisation de cette cité et de son environnement rural - ce qui devait représenter un grand pas en avant après une occupation wisigoth sans doute plus rustique.
L’artisan de l’exposition était à l’entrée de la tente ; c’était un portugais de petite taille, il nous dit avoir passé une enfance d’émigré en France, il s’appelait - je ne l’invente point - Borgès ...! Nous avons échangé des points de vue très proches sur la “conquête” arabe - je pensais à ce que j’avais appris de l’islamisation de l’Empire du Ghana, où la conquête fut plus affaire de tractations diplomatiques et commerciales entre princes Soninkés et Almoravides que de lances, de cimeterres et de heaumes à pointe...
C’était le premier lieu où, malgré l’affirmation tonitruante de la “Reconquista”, “empierrée” dans une massive statue de Sancho Ier, l’un des premiers rois du Portugal, dressée à quelques pas de la tente et entre les jambes duquel les touristes femelles de toutes origines se font portraiturer,- Nicléane a refusé - s’énonçait dans un édifice à priori guerrier, l’apport bénéfique du califat arabe à des contrées qui avaient vu, en deux mille ans, passer Phéniciens, Carthaginois, Romains, Vandales, Alains, Suèves et Wisigoths.
Ouf ! Bienvenue, les Maures! Et pour au moins sept siècles ! Même s’ils ne furent point d’une candide paix, parce que, aux Umayyades succédèrent les Abbassydes, chassés par les Almoravides, dégommés par les Almohades jusqu’à cette “veille où Grenade fut prise” - à relire Aragon et son merveilleux Fou d’Elsa !
Donc de Silvès à Séville - la phonétique aurait-elle donc rapproché les deux cités ? - les A., fortement aidés par la lecture d’un bouquin sur Averroès*, allèrent, frigorifiés au sortir du dédale ombreux des ruelles sévillanes, se camper, admiratifs, au pied de la Gilrada.
Après les tours et détours sous les voûtes de l’immense cathédrale, les capillas Mayor et autres Capilla Réal,
Salut, L’Alphonse X Le Sage ! Toi seul voulus avoir l’audace de faire cohabiter le Juif, le Chrétien et le Musulman ! Et si belles sont tes Cantigas!
les Sacristies, les chœurs, stalles et rétables d’or, sans oublier l’inénarrable tombeau de notre inévitable Christophe Colomb qui serait enterré aussi à Saint-Domingue. Non seulement, de son vivant, il fut mégalo, mais son cadavre jouit du don d’ubiquité ! Aux quatre coins (air connu) quatre chevaliers aux gueules sinistres qui seraient les quatre grands royaumes d’Espagne ; l’un des quatre tient un aviron... Godilla-t-il à longueur d’océan pour ramener d’Amérique l’or et les pillages de son capitaine ?
Donc, les A. sont au pied de la rampe de la célèbre Giralda. J’écris bien rampe et non pas escalier ; c’est tellement plus simple une rampe, même si elle nécessite un certain effort cardio-vasculaire. Que n’a-t-on continué d’équiper nos altiers édifices de ce mode de montée ?
Quand elle était minaret, le muezzin ne devait point, en son sommet, arriver essoufflé. Les Chrétiens l’ont affublée à son extrême pointe du “Triomphe de la Foi”, une... girouette qui tourne à tous vents - Qu’en pensa la Papauté d’alors ?
La beauté de Séville nous donne rendez-vous là-haut : de la plazza de Toros à l’Alcazar qui sera notre découverte du lendemain, des barrio de Triana, de Santa-Cruz et de la Macarena au parc Maria-Luisa et au prado San Sebastian. Le Guadalquivir serpente dans la richesse de la plaine andalouse sous la lumière automnale plus froide sans doute que celle de l’intense été.
Au pied de la tour, la cour des Orangers, autre vestige de la mosquée almohade, quadrillée de rigoles où les pieux musulmans faisaient leurs ablutions. Assis sur les bancs de céramique qui entourent la cour, nous les imaginons, à croupetons, puisant l’eau au creux de leurs mains, enturbannés, dés-enturbanés, ré-enturbanés, se relevant dans l’envol des gandoura soyeuses et multicolores, répondant à l’appel de l’imam.
Ce sont souvenirs de nos séjours, jadis et naguère, qui affleurent à notre mémoire ; difficile de ne pas évoquer les mosquées algériennes de Sidi-Barkat et de Sidi-Okba, celles, sahéliennes, de Kounghani et de Baalu !
*URVOY, Dominique - Averroès, les ambitions d’un intellectuel musulman, Flammarion, Coll. Champs, janvier 2001.
(Tout n’y est pas d’une très grande lisibilité, mais on ressent bien les tensions que peuvent vivre encore aujourd’hui les intellectuels musulmans qui veulent faire avancer la pensée de l’Islam). Et c’est dans une collection de poche !
04:10 Publié dans les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
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