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mardi, 06 décembre 2005

Andalousie atlantique - Partie II

Décembre 2001
encore à Séville


Le lendemain, dès l’entrée dans l’Alcazar, à petits pas émerveillés, de patios en chambres, d’alcôves en salons.
Jeux des arcs et des colonnes dans l’enfilade des patios. Des plafonds aux sols : coupoles et caissons ornés des uns, céramiques et tomettes des autres. Frises et plinthes, stucs blancs ou polychromes, entrelacs abstraits, oiseaux, écritures, végétaux. S’emmêlent en l’œil, les arts successifs qui érigèrent cet Alcazar : le Mauresque, le Mudéjar, le Médiéval, le Renaissance...
Pourtant nulle discorde : une lente succession au fil des pas. Parfois, le besoin de vous asseoir et de ne lire qu’un entrelacs d’acanthes et de paons, de laisser votre esprit se glisser dans les volutes d’une écriture coufique, de fermer les yeux et de n’entendre que l’eau jaillie de la fontaine au cœur du patio où vous vous êtes arrêté...

.......Vous venez de rencontrer Abû-l-Walid Muhammad ben Ahmad Ibn Rushd dit “Averroès”. Peut-être vous êtes-vous entretenu avec lui de son dernier Grand Commentaire sur le Traité de l’âme d’Aristote à moins que vous ne l’ayez questionné sur ses critiques dans son Dévoilement des méthodes des preuves dans lequel il prend à partie vos amis soufis qui ont toute votre admiration... Ou peut-être, un siècle plus tard, avez-vous croisé Ibn Khaldûn venu à la cour de Pierre le Cruel en ambassadeur de l’émir de Béjaia : vous l’avez questionné sur son étonnante démarche d’un voyageur qui s’intéresse avec tant d’insistance aux groupes humains et à leur organisation sociale ; plus tard, les lettrés diront qu’avec sa Muqqadima, il fut le premier à jeter les jalons de la sociologie !
Coule la fontaine !

Vous sortez du rêve : une volée bruyante d’écoliers envahissant le patio... une escouade de “jubilatos” aux gutturaux accents teutons... une volubilité andalouse trop sonore... ont troublé le chuchotis de la fontaine !

En quittant le palais pour hanter les jardins qui seront la poursuite ensoleillée et tout autant émerveillée de notre visite, nous découvrirons l’envolée souterraine des voûtes de croisées d’ogives gothiques de ce qui fut, sous les Almohades, le Jardin du Croisement et qui devint les Bains de Doña Maria de Padilla, l’amante de Pierre le Cruel.

Et dans le jardin de la Grotte, une stèle récente, hommage de Séville à son Roi-poète, Almutamid Ibn Abbad, mort le 7 septembre 1091, mois de Rachab en l’an 384 de l’Égire. Il célébra aussi les recoins amoureux de la citadelle de Silvès.

Faudra-t-il évoquer les jardins ? Dommage que l’intervention des jardiniers qui binèrent et sarclèrent aux cours des siècles a modifié la première ordonnance des Almohades. Mais les nommer est tout aussi poétique que les arpenter : le jardin de la Danse, le jardin de la Galère, le jardin des Fleurs, le jardin du Prince, le jardin des Dames, le jardin du Labyrinthe, le verger de l’Alcôve, la porte du Privilège, le jardin des Poètes, le jardin du Chanvre peigné, le jardin des Cédratiers...
Vous quittez, plus rêveurs encore.
Que seront donc et Cordoue et Grenade ?

La bise vous enserre dans les rues de Séville et Nicléane décide d’un tour de calèche : une heure dans le parc Maria Luisa et sur la plazza d’España ; nous passons en revue les pavillons rococco de l’Exposition universelle de 1929 et tombons sur une “manif” d’étudiants sur laquelle flotte une marée de drapeaux rouges que ponctuent quelques flammes noires ; ô mânes d’André Breton dans Arcane 17 quand il évoque les grèves de 1936 !

Nous croyions à une manifestation contre la guerre en Afghanistan, ils ne réclamaient qu’une augmentation de leurs bourses ! Mais quelle habileté de la part des cochers sévillans et de leurs chevaux, se glissant sans peine dans la turbulence de la circulation automobile. C’est fort agréable sur certaines places de Séville d’oublier l’odeur des pots d’échappement et de humer le parfum du crottin !

Le matin de notre retour à Dac’hlmat, visite à notre voisin d’hôtel (!), le Musée des Beaux-Arts avec des Zurbaran et des Murillo immenses et beaux. Dommage que Murillo sacrifia trop aux poncifs du XVIIe avec sa multitude d’angelots joufflus et fessus, voletant alentour de Dieu, de la Vierge et de ses Saints.
Cette visite avait été précédée d’un savoureux “petit-déjeuner” dans un bar voisin avec un trio de québécois, une et des, qui fréquentaient le second étage de notre hôtel ; nous parlâmes de Bretagne, de leurs origines saintongeaise et périgourdine, du “bois”, de la jubilation d’être des “jubilatos” et des plumes des Hurons desquels descendait la maman de l’un d’entre eux... Belle bouffée de francophonie en Andalousie !

retour à Chipiona

À Chipiona, nous vivons notre dernière soirée autour d’un pot-au-feu avec Ja et Ro, l’équipage d’Athénaïs, un Bavaria de 38 pieds ; ils passent l’hiver ici avant d’appareiller au printemps pour les Baléares et la Tunisie. Nos sillages se recroiseront peut-être ; nous envions l’espace de leur voilier ; déjà s’insinue en nous l’idée que, pour un hiver dans un port d’Andalousie, qu’elle soit atlantique ou méditerranéenne, quand les températures extérieures s’affichent en baisse sensible, notre bien-aimé Dac’hlmat est un tantinet restreint quant à l’espace de vie. Nous n’avons guère écrit de notre vie quotidienne à bord, mais rien que d’évoquer le “transbahutage”, chaque soir, des sacs de la couchette-avant sur une des couchettes du carré, les courbatures surgissent. Et nous ne sommes que deux à bord !

Vers Cadix

Le 17 novembre, la météo andalouse prévoyant un vent “de composante” Sud, force 3, mer calme, nous estimons les conditions plutôt favorables et craignons même d’être obligés à la risée “diesel”.
À peine arrondi le brise-lames, le vent est Sud-est, 5 à 6 et la mer agitée. Et le Sud-est, c’est du 135/140°, droit sur notre route. À tirer des bords donc, au près serré, dans un clapot assez dur. Si Dac’hlmat n’est pas d’un très grand confort pour la vie quotidienne, il excelle, par contre, dans cet astreignant exercice du “près serré”. Le barreur râlera tout au long des six heures de route contre les prévisions ineptes des météorologues andalous, mais nous laisserons loin derrière nous un ketch espagnol qui eut quelque temps des prétentions à nous remonter...

Cadix ? La Belle, n’est-ce pas ! Mais ce fut une jolie Britannique qui nous accueillit au ponton de Puerto America ; elle convoyait un voilier de 36 pieds de Grèce au Portugal, quand elle a été prise, à la sortie de Gilbratar dans le coup de vent qui nous a secoué entre Mazagòn et Chipiona, mais elle, c’est du 50 nœuds de vent qu’elle s’est récolté. Moteur en panne, batteries à plat, barre bloquée, elle a lancé un “mayday”, le message ultime de détresse et les sauveteurs de Cadix sont allés la chercher à trente milles au large de Barbate.

C’est d’ailleurs la tempête d’est qui souffle ces derniers jours dans le voisinage du détroit, parce qu’une dépression maghrébine se heurte à l’anticyclone qui se maintient sur l’Europe. Nous avions décidé de quitter Cadix, mardi 20 novembre, pour attendre à Barbate la bonne “fenêtre météo”qui nous permettrait de passer allègrement ce fichu détroit. Les prévisions ne sont guère optimistes : dans le détroit et ses approches, c’est encore de l’est à force 8 ou 9. Ici, à Cadix, à 60 milles, c’est du 7 à 8 !

Alors, basta ! Entre les froidures - exceptionnelles, nous répète-t-on - les tempêtes du détroit et nos “vieux os”, nous venons de décider un petit “break” hivernal. Dac’hlmat va être sorti à Puerto Rota, au nord de la baie de Cadix.
Nous allons passer la Noël à la Basse Bouguinière et nous reviendrons pour vivre la Semaine Sainte à Jerez, passer une soirée “Flamenco”, visiter les “bodegas” de Jerez et de SanLucar de Barrameda, y déguster le manzanilla, le fino et l’amontillado, assister à une corrida (!), franchir le détroit et continuer le périple.

Nous profitons encore quelques jours des beautés gadésiennes : Nicléane hante les beaux parcs de la ville ; elle photographie, dessine, peint et se régale des "chocolate-con-churros".
Nous écrivons. Nous avons “découvert” le bonheur du lien par l’Internet. Entre conversation téléphonique, trop opérationnelle, et antique correspondance, trop lente : une avancée qui privilégie l’immédiateté de la communication et la distance de l’écriture !
Écrire et savoir que, quasiment, dans l’instant vous pouvez être lu : vieille utopie d’une littérature conviviale, hors des réseaux lettrés et mercantiles ! Nous ne rêvons plus !

De Cadix qui est sans doute une de ces villes
où, à peine débarqués,
vous avez désir d’habiter.
Voici une Île-ville !
La ville océane !


À Puerto-America, décembre 2001

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