mardi, 31 janvier 2006
Une lettre au "Hussard" (4)
Voilà où nous entraîne la pratique des blogues. Je n'envisageai qu'une note de lecture aux trois temps d'une valse. L'ouverture, l'apogée, le final - pour demain, celui-là ! Elle sera donc à cinq temps, "le temps de faire un tour du côté de l'amour".
Au quatrième temps, c'est d'amour maternel qu'il s'agit. Le Hussard est un beau bâtard et sa mère une sacrée gaillarde, duchesse et intrigante.
Aussi madrée que le conteur de l'histoire qui nous agence là un truculent "flash-back" - nous savons la passion que Giono eut pour le cinéma.
Je n'en livre qu'un paragraphe dédié à un lecteur attentif de ce blogue et qui fut, bien malgré lui, à l'origine de ma vocation de "pronetaire" : un "parrain"* dont le premier commentaire fut d'aimablement me faire remarquer une méchante coquille sur le nom d'Emmanuel Lévinas.
À Berlol, donc :
« Et maintenant, parlons de choses sérieuses. J'ai peur que tu ne fasses pas de folies. Cela n'empêche ni la gravité, ni la mélancolie, ni la solitude : ces trois gourmandises de ton caractère. Tu peux être grave et fou, qui empêche ? Tu peux être tout ce que tu veux et fou en surplus, mais il faut être fou, mon enfant.
Regarde autour de toi le monde sans cesse grandissant de gens qui se prennent au sérieux. Outre qu'ils se donnent un ridicule irrémédiable devant les esprits semblables au mien, ils se font une vie dangereusement constipée. Ils sont exactement comme si, à la fois, ils se bourraient de tripes qui relâchent et de nèfles du Japon qui resserrent. Ils gonflent, gonflent, puis ils éclatent et çà sent mauvais pour tout le monde. Je n'ai pas trouvé d'image meilleure que celle-là. D'ailleurs, elle me plaît beaucoup. Il faudrait même y employer trois ou quatre mots de dialecte de façon à la rendre plus ordurière que ce qu'elle est en piémontais. Toi qui connais mon éloignement naturel pour tout ce qui est grossier, cette recherche te montre bien tout le danger que courent les gens qui se prennent au sérieux devant le jugement des esprits originaux. Ne sois jamais une mauvaise odeur pour tout un royaume, mon enfant. Promène-toi comme un jasmin au milieu de tous.
« Et, à ce sujet, Dieu est-il ton ami ? Fais-tu l'amour ? Je le demande chaque soir dans mes prières.
*À parrain, marraine : une des premières blogueuses de France qui a parfois un parfum d'ardente duchesse, promise au bûcher. Je pense que Giono l'eût mise dans ses notes de personnages. Pour adultes éclairés : Aurora. Je ne renie point mes généalogies !
J'avoue un "autre parrain", surgi, lui, dans mon jardin d'écran, pour une histoire de "galets du Lot". Il est bien connu du premier. Dieux, que de liens dans ce "pronetariat" !
Il ne me déplaît point de reprendre pour toutes mes lectrices et tous mes lecteurs les "prières" de la Duchesse ; je ne puis m'empêcher de joindre un "X" au nom de dieu, sachant que ce n'est que la règle de ponctuation qui m'y fit mettre une majuscule.
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lundi, 30 janvier 2006
continuant le “Hussard sur le toit” (3)
Pour fêter la naissance de Mozart, j’aurais pu me référer à Giono, qui dans les années soixante avoue à Claudine Chonez que “tous les soirs, sur son pick-up, il met quelque disque de Mozart qui, depuis sa quinzième année continue de le bouleverser”.
Il n’y a nulle provocation à avoir, hier, mentionné René Char. Les deux écrivains eurent longtemps des relations peu amènes : quand dans les années 30, l’un, Giono, l’aîné, refusait un texte pour une revue que Char, le cadet, sollicitait, ce dernier n’hésitait pas à placer une “bombinette” en janvier 43 devant le Paraïs, la maison du “pacifiste” qui exaspérait le maquisard*.
Char et beaucoup parmi nous, avons-nous jamais mesuré ce que le Giono de vingt ans vécut en 14/18 : les cadavres et la cruauté du Hussard renvoient à celle et ceux du Grand Troupeau. - Je n’oublie pas, pour ma part, au petit matin d’un jour de mars 60 la découverte des dix cadavres piégés sur les pentes du Zaccar.
Giono signera en 1966 la protestation de René Char contre la base de fusées nucléaires du plateau d’Albion.
Pour le lecteur et son entière liberté de choix, demeure l'intérêt pour deux des grands “inventeurs” de la langue française : l’un et l’autre ont souvent fait « recule(r) la frontière de ce qui peut être dit et communiqué, c’est-à-dire partagé, c’est-à-dire socialisé. » (Georges Mounin)
Il pensa à cette jeune femme qui se desséchait dans l’entrebâille d’une porte, à une dizaine de mètres au-dessous de lui. Dommage qu’elle ait été précisément parmi ces plus malades. La mort avait taillé une déesse en pierre bleue dans une belle jeune femme, qui avait été apparemment opulente et laiteuse, à en juger par son extraordinaire chevelure. Il se demanda ce que les plus roués cagots de la liberté auraient fait à sa place quand il avait eu besoin, lui, de tout son romanesque pour ne pas crier quand les reflets de la bougie s’étaient mis à haleter dans cette chevelure d’or ?
Les lecteurs savants rapprochent souvent Giono de Stendhal ; n’ayant guère lu ce dernier, je ne saurai donc confirmer, mais il est clair que l’Homère de l’Iliade est plus proche encore. Cruauté des combats singuliers et des corps cloués par les lances et traînés dans les poussières ensanglantées.
Angélo, encore à moitié endormi, essayait instinctivement d'apaiser sa faim en avalant une salive épaisse, quand il fut tout à fait réveillé par un cri si aigu qu'il laissa comme une trace blonde devant ses yeux. Le cri se répéta. Il venait manifestement d'un endroit sur la droite, à dix mètres environ où le rebord du toit s'arrêtait en bordure de ce qui devait être une place.
Angélo sauta le rebord de la galerie et s'avança sur les toits. Il était difficile et dangereux de marcher là-dessus avec des bottes, mais, en embrassant une cheminée, Angélo put se pencher sur le vide.
Il ne vit d'abord que des gens en tas. Ils semblaient piller quelque chose à la façon des poules sur du grain. Ils piétinaient et sautaient quand le cri jaillit encore plus aigu et plus blond de dessous leurs pieds. C'était un homme qu'on tuait en lui écrasant la tête à coups de talons. Il y avait beaucoup de femmes parmi les gens qui frappaient. Elles rugissaient une sorte de grondement sourd qui venait de la gorge et avait beaucoup de rapport avec la volupté. Elles ne se souciaient ni de leurs jupons qui volaient ni des cheveux qui leur coulaient sur la figure.
Enfin la chose sembla finie et on s'écarta de la victime. Elle ne bougeait plus, était étendue, les bras en croix, mais, par l'angle que ses cuisses et ses bras faisaient avec le corps, on pouvait voir qu'elle avait les membres rompus. Une jeune femme, assez bien vêtue, et même qui semblait sortir de quelque messe, car elle tenait un livre à la main, mais dépeignée, revint au cadavre et, d'un coup de pied, planta son talon pointu dans la tête du malheureux. Le talon resta coincé dans des os, elle perdit l'équilibre et tomba en appelant au secours. On la releva. Elle pleurait. On insulta le cadavre avec beaucoup de ridicule.
Il y avait là une vingtaine d'hommes et de femmes qui se retiraient vers la rue quand le groupe qu'ils faisaient s'égailla soudain comme une troupe d'oiseaux sous un coup de pierre. Un homme dont on s'était écarté resta seul. Il eut d'abord l'air hébété, puis il serra son ventre dans ses deux mains, puis il tomba, il se mit à s'arquer contre la terre et à la labourer de sa tête et de ses pieds.
Les autres couraient mais, avant de s'engouffrer dans la rue, une femme s'arrêta, s'appuya au mur, se mit à vomir avec une extraordinaire abondance ; enfin elle s'effondra en raclant les pierres avec son visage.
« Crève », dit Angélo les dents serrées. Il tremblait de la tête aux pieds. ses jambes se dérobaient sous lui, mais il ne perdait pas de vue cet homme et cette femme qui, à deux pas du cadavre mutilé, s'agitaient encore par soubresauts. Il ne voulait rien perdre de leur agonie abandonnée qui lui donnait un amer plaisir.
Mais il fut brusquement obligé de s'occuper de lui-même. Ses jambes avaient cessé de le porter. et même ses bras qui embrassaient toujours la cheminée commençaient à desserrer leur étreinte. Il sentait un grand froid dans sa nuque et le rebord du toit n'était qu'à trois pas de lui.
* dans "l'éclair au front, la vie de René Char" de Laurent Greilsamer, éditions Fayard, p.172.
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dimanche, 29 janvier 2006
Jusqu'en Chine
Les “Folles journées” sont l’occasion d’inviter, pour un jour ou deux, amis et proches.
Vendredi soir, après Purcell, Vivaldi, Bach et Haendel, j’ouvrais notre table avec un “tadjine” aux patates douces et fruits secs. L’exotisme culinaire qui n’est plus guère original, hors la délicate harmonie des épices - il faut avoir longuement et lentement voyager pour la jouer - délia les langues et parmi les huit convives à forte majorité d’ancien(ne)s pérégrin(e)s, deux, An et Lo se retrouvèrent avoir fréquenté les rivages de Chine aux temps fastueux et cruels de la Révolution culturelle entre 1972 et 1974.
Rien de commun avec la démarche de jeunes intellectuels “maoïstes” et français bien connus : tous deux y étaient pour gagner leur vie.
L’un, An, commandant un vraquier pour une compagnie chinoise, et cabotant de Macao à Shanghai, des ports du Vietnam-nord à ceux de La Corée du sud, l’autre, Lo, mon "petit" frère, plus sédentaire, installant - susceptible d’avoir installé, dirait-il - à Pékin les ordinateurs de la Banque populaire de Chine.
Il fut question de leurs voyages “accompagnés”, de multitudes à vélo, de processions de gardes-rouges, d’un commissaire-guide désespéré, en larmes parce que Lo qui avait “mitraillé” les palais de la Cité Interdite, s’était désintéressé totalement du Palais du Peuple - il “dut” y retourner, appareil photographique en bandoulière - de l’extraodinaire cuisine chinoise.
Leur seule divergence fut sur les compétences actuelles des Chinois : créateurs talentueux ou géniaux copieurs ?
Les "africain(e)s et "américains(e)s" autour de la table étaient tout ouïe !
Les conversations pérégrines s’achevèrent sur le transport de pélerins à destination de la Mecque que An réalisa pour une compagnie marocaine : seuls “Infidèles”, son second, son chef-mécanicien et lui dissimulèrent leur whisky dans les extincteurs de leurs cabines.
Je lus quelques lignes du “Petit Livre Rouge” que Lo m’avait offert à son retour : il est serré sur un petit rayon entre le Livre du Thé, les Chambres d’Aragon et Vingt poèmes et une chanson désespérée de Neruda* :
« Il y a beaucoup de choses qu’on n’apprend pas dans les livres seuls, il faut les apprendre près des producteurs - des ouvriers, des paysans pauvres et des paysans moyens de la couche inférieure, et à l’école, auprès des élèves, auprès de ceux qu’on enseigne. À mon avis, la plupart de nos intellectuels veulent apprendre. Notre tâche est de les y aider de bonne grâce et de manière appropriée, sur la base de leur libre consentement, et non de les faire étudier par la contrainte. »**
N’y aurait-il point là quelque vérités pour nos jours du XXIe siècle ?
De nombreux passages de ce petit livre, édité en 71, parfaitement relié, sans fautes d’orthographe, sans erreurs typographiques initient à la pensée des contraires : à longueur de pages, la pensée de Mao s’apparente à celle d’un Héraclite bégayant !
La soirée s’acheva sur une excellente tarte de Ja et sur les musiques de Purcell et Bach !
* Voisinage dû aux seules contraintes du format 13x9. Juré !
** Qu’en pensent, aujourd’hui, les intellectuels du groupe TEL QUEL ?
Post-scriptum :
Mon goût pour les épopées et les westerns m’inclinent à garder toujours un penchant pour la Longue Marche ! On a ses faiblesses !
10:10 Publié dans les voyages | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 28 janvier 2006
Quand naît Mozart
À Nantes, ce sont certes les "Folles Journées".
Ce fut d'ailleurs la première "La Folle Journée Mozart" en février 1995. J'y étais ! J'avais débuté l'après-midi par le Concerto pour violon K 218 et achevé la soirée par le Quintette pour clarinette K 581 qui me fait si souvent monter les larmes aux yeux.
Aujourd'hui, il neige sur Nantes et c'est une belle harmonie des Nations. Beaucoup de gens doivent songer à Mozart !
.........................................................................................
Sur la longueur de ses deux lèvres, en terre commune, soudain l'allégro, défi de ce rebut sacré, perce et reflue vers les vivants, vers la totalité des hommes et des femmes en deuil de patrie intérieure qui, errant pour n'être pas semblables, vont à travers Mozart s'éprouver en secret.
— Bien-aimée, lorsque tu rêves à haute voix, et d'aventure prononces mon nom, tendre vainqueur de nos frayeurs conjuguées, de mon décri solitaire, la nuit est claire à traverser.
René Char
Débris mortels et Mozart
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vendredi, 27 janvier 2006
relire le Hussard (2)
« Le Hussard est une histoire qui commence au pas d'un cheval et marche ensuite au galop. » Ce sont les propres paroles de Giono présentant son œuvre radiodiffusée en 1953.
Nous sommes donc fort éloignés de la fébrilité du film de Rappeneau en son commencement, fébrilité qui se prolongera dans le personnage joué par Olivier Martinez. Alors qu’Angélo, c’est alacrité et flegme ; pourrait-on écrire légèreté et force, naïveté et dureté !
Quand il commence sa quête, il chevauche pour l’amitié, pour la révolution - mieux, pour libérer sa terre de l’oppression. Il monte dans l’horreur des collines, des bosquets, des villages ; il philosophera à propos de liberté et de pouvoir ; il parvient au comble de la terreur, de la cruauté dans les ruelles de Manosque.
Il grimpera sur les toits. Cinquante page durant, il observera l’ignoble d’une société apeurée, abandonnée à la répulsion ; il voisinera avec la beauté de la mort "dans l'explosion d'une puanteur sucrée".
Il parviendra à l’apogée de son errance - paradoxalement en descendant des escaliers, dans une demi-obscurité :
Il se réveilla. Il faisait nuit.
« En route, se dit-il. Maintenant il faut vraiment quelque chose à se mettre sous la dent. » Les profondeurs, vues du petit escalier devant la porte du grenier, étaient terriblement obscures. Angélo enflamma sa mèche d'amadou. Il souffla sur la braise, vit le haut de la rampe dans la lueur rose et il commença à descendre lentement en habituant peu à peu ses pieds au rythme des marches.
Il arriva sur un autre palier. Cela semblait être celui d'un troisième étage, à en juger par l'écho de la cage d'escalier où le moindre glissement avait son ombre. Il souffla sur sa braise. Comme il le supposait l'espace autour de lui était très vaste. Ici, trois portes mais fermées toutes les trois. Trop tard pour forcer les serrures. Il verrait demain. Il fallait descendre plus bas. Ses pieds reconnurent des marches de marbre.
Deuxième étage : trois portes également fermées; mais c'étaient incontestablement des portes de chambres :les panneaux étaient historiés de rondes bosses et de motifs
de sculpture à carquois et à rubans. Ces gens étaient sûrement partis. Les carquois et les rubans n'étaient pas les attributs de gens qui laissent leurs cadavres s'empiler
dans des tombereaux. Il y avait même de grandes chances pour qu'ils aient ratissé ou plutôt fait ratisser la cuisine jusque dans les plus petits recoins des placards. Il fallait-
lait voir plus bas. Peut-être même jusque dans la cave.
A partir d'ici il y avait un tapis dans l'escalier. Quelque chose passa entre les jambes d' Angélo. Ce devait être le chat. Il y avait vingt-trois marches entre le grenier et le troisième; vingt-trois entre le troisième et le second. Angélo était sur la vingt et unième marche, entre le second et le premier quand, en face de lui, une brusque raie d'or encadra une porte qui s'ouvrit.
C'était une très jeune femme.
Elle tenait un chandelier à trois branches à la hauteur d'un petit visage en fer de lance encadré de lourds cheveux bruns.
« Je suis un gentilhomme », dit bêtement Angélo.
Il y eut un tout petit instant de silence et elle dit :
« Je crois que c'est exactement ce qu'il fallait dire. »
Elle tremblait si peu que les trois flammes de son chandelier étaient raides comme des pointes de fourche.
« C'est vrai, dit Angélo.
- Le plus curieux est qu'en effet cela semble vrai, dit-elle.
Il se tient près de la beauté, et l'amour naît.
Il sera toujours temps de reprendre le chemin de l'amitié et de la révolution !
Post-scriptum : ces quelques lignes ont été lues et écrites dans l'allégresse des Folles Journées de Nantes : Purcell, Vivaldi, Bach, Haendel, Soler, Couperin et Rameau rassemblés en l'Harmonie des Nations !
17:25 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (3)
mercredi, 25 janvier 2006
Relire le Hussard sur le toit (1)
L'aube surprit Angélo béat et muet mais réveillé. La hauteur de la colline l'avait préservé du peu de rosée qui tombe dans ces pays en été. Il bouchonna son cheval avec une poignée de bruyère et roula son portemanteau.
Les oiseaux s'éveillaient dans le vallon où il descendit.
Il ne faisait pas frais même dans les profondeurs encore couvertes des ténèbres de la nuit. Le ciel était entièrement éclairé d'élancements de lumière grise. Enfin, le soleil rouge, tout écrasé dans de longues herbes de nuages sombres émergea des forêts. .
Malgré la chaleur déjà étouffante, Angélo avait très soif de quelque chose de chaud. Comme il débouchait, dans la vallée intermédiaire qui séparait les collines où il avait passé la nuit d'un massif plus haut et plus sauvage, étendu à deux ou trois lieues devant lui et sur lequel les premiers rayons du soleil faisaient luire le bronze de hautes chênaies, il vit une petite métairie au bord de la route et, dans le pré, une femme en jupon rouge qui ramassait le linge qu'elle avait étendu au serein.
Il s'approcha. Elle avait les épaules et les bras nus...
Mais pourquoi donc Rappeneau inaugure-t-il le film par une "jamesbonderie" oscillant entre un "de cape et d'épée" et un "espionnage et services secrets" ?
Ce sobre prélude qui nomme le héros, le paysage et la lumière ne suffit-il point à l'ouverture de l'immense opéra d'horreur et de beauté ?
Il est difficile de ne pas évoquer aussi un autre prélude pour une tragédie tout aussi violente et sombre ; il y a cinquante ans, c'eût été sacrilège d'oser tel rapprochement.
Pourtant :
À première vue, Oran est, en effet, une ville ordinaire et rien de plus qu'une préfecture française de la côte algérienne.
La cité elle-même, on doit l'avouer, est laide. D'aspect tranquille, il faut quelque temps pour apercevoir, ce qui la rend différente de tant d'autres villes commerçantes, sous toutes les latitudes. Comment faire imaginer par exemple, une ville sans pigeons, sans arbres et sans jardins, où l'on ne rencontre ni battements d'ailes, ni froissements de feuilles, un lieu neutre pour tout dire ? Le changement des saisons ne s'y lit que dans le ciel. Le printemps s'annonce seulement par la qualité de l'air ou par les corbeilles de fleurs que de petits vendeurs ramènent des banlieues ; c'est un printemps qu'on vend sur les marchés. Pendant l'été, le soleil incendie les maisons trop sèches et couvre les murs d'une cendre grise; on ne peut plus vivre alors que dans l’ombre des volets clos. En automne, c’est, au contraire, un déluge de boue. Les beaux jours viennent seulement en hiver.
En 1947, Camus écrit la Peste.
En 1951, reprenant une ébauche écrite entre 1945 et 1947 - Giono avoue une première rédaction en 1934 - il publie le Hussard sur le toit.
Peste et choléra.
Les camps d'extermination nazis et le "goulag" stalinien ?
De part et d'autre d'une mer aux lumières blanches et sèches quand midi est à l'heure de la mort, dans l'immédiate après-guerre, deux hommes explorent les arcanes de la violence, du désespoir.
Y aura-t-il quelques rais de bonheur ?
17:40 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 23 janvier 2006
Une fin de semaine ordinaire
Soirée amicale chez Is. et Jl. à Basse-Indre, cette mince arête granitique qui borde la rive nord de la Loire. Anté-pasti et festival de pâtes longues aux poissons : lotte et rougets.
Rencontre avec JC. Br, un peintre qui par de minuscules calligraphies trace et construit des voyages et des villes.
Nous avions pris le bac à Indret ; durant l’attente de la traversée, remontée nocturne d’un cargo. Nous nous regardons, Nicléane et moi, toujours émus par ces petits événements marins qui sécrètent une douce et quasi secrète nostalgie : repousser le quai du pied !
Le matin même, après l’écoute de Répliques, décision prise d’abandonner Finkielkraut, quels que soient ses invités ; pour moi, ce matin-là, avec ses allusions aux valeurs qui ne se transmettraient que par les seules lignées d’”héritiers” - il égratigne au passage Bourdieu tout en n’étant d’ailleurs pas fichu de se souvenir du nom de Passeron ! - il outrepasse les limites de ma patiente tolérance qui m’avaient jusqu’à ce matin fait écouter son émission. Car nous avons besoin de nous “étriller” le penser !
Monsieur ! Les paysans et les ouvriers transmettaient AUSSI à leurs “héritiers” des valeurs tout aussi démocratiques - plus même - que celles des intellectuels, bourgeois ou nobles.
Monsieur, lisez donc - sans doute, vous ne les lûtes point, il ne suffit pas de bien lire Péguy - Fernand Pelloutier, Marcel Martinet, Michel Ragon et autres Hoggart (pour élargir à une Europe proche).
Ce qui m’ennuie, c’est que la nouvelle technique du “podcasting” n’autorise point une réécoute immédiate de l’émission ; il semble qu’il faut attendre plusieurs jours avant que l’émission souhaitée ne soit chargée le logiciel de chargement - ITunes en ce qui me concerne.Je n'ai donc pu vérifier l'exacte teneur des propos de notre philosophe sur la transmission des valeurs. Bref, ça écorcha les oreilles du descendant de laboureurs ! "Z'avaient de la culture, ces gens-là, Môssieu !"
Dimanche sur Mezzo, les Noces de Figaro : nullité de la mise en scène, des décors et autres costumes.
Mais les voix de Kiri Te Kanawa, Ileana Cotrubas et Frédérica von Stade... !
Et le Figaro de Knut Skram est le double d’un Mozart qui s’y entendait pour se venger des coups de pied au cul et faire danser les fats du pouvoir !
Il me faudra écrire à propos du Hussard sur le toit, le film de Rappeneau, mais surtout, surtout le roman de Giono. J'y reviendrai !
Cet après-midi, “humain et inhumain” aux Chantiers et ce soir à Mauves chez les Th., flûtes douces du XVIIIe siècle et poètes baroques du XVIIe : je dois réviser Abraham de Vermeil, Jean Auvray, Théophile de Viau, Honorat Bueil de Racan, Antoine Girard de Saint-Amand, François Tristan l’Hermite et Vincent Voiture.
Volutes, outrances, arabesques, préciosités, soumission et insoumission au nouveau pouvoir qui prétend gérer la langue : c'est ces rapports aux académies, grammairiens et autres lexicographes qui me fascinent et me font les proposer à l'audition indulgente de mes amis.
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vendredi, 20 janvier 2006
Quand les gens du peuple parlent...
...aux gens du peuple !
"Outreau" est effectivement à suivre : je crois que ce direct "non codifié" effraie les bonnes âmes de certains lettrés effarés que le peuple voit et entende le peuple.
François Jost, théoricien de l’image et professeur à la Sorbonne nouvelle Paris-III, dans le Libé d’hier, "gêné par cette retransmission (qui) repose sur l’idéologie de la transparence", la chronique de Alain Gérard Slama sur France Cul, ce matin, qui n’accepterait qu'une retransmission limitée "à des moments codifiés” montrent bien l’effarement lettré d’une classe intellectuelle.
Écouter attentivement sans interrompre, sans presser, sans effets de caméra, - merci, mesdames, messieurs les représentant(e)s du peuple, merci messieurs les cameramen - les treize innocents-acquittés, j’ai une attention plus particulière pour David Brunet, Thierry Dausque, Daniel Legrand fils et la sœur de François Mourmand - c’était écouter pour une des toutes premières fois, la parole hésitante, hachée, brusquement précipitée par l’émotion, s’excusant modestement des entorses au bien parler, mais avançant avec ténacité dans la douleur, dans la protestation, dans l’explication, dans la pensée.
Qu’auraient transmis “les moments codifiés” souhaités par Slama ?
Rassurer sur cette crainte de la “justice populaire” ?
Qu’entend-on par “justice populaire” ? Que conçoit-on dans “idéologie de la transparence” ?
J’eusse aimé en apprendre un peu plus sur ces notions.
Après tout, qu’importe ? Messieurs Jost et Slama énoncent bien le lieu d’où ils parlent.
La culture du pauvre* était là, hors des thèses, des mémoires et des rapports, hors des sciences humaines, dans une vraie linguistique du parler quotidien.
* Des "banlieues" à la commission parlementaire, il y a quelque intérêt à relire :
Richard Hoggart, la culture du pauvre, coll. le sens commun, aux éditions de Minuit, 1970.
Mais lire est-il suffisant ? Peut-être faut-il avoir vécu - ou au moins côtoyé - la pauvreté ?
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jeudi, 19 janvier 2006
Démocratie et émotion (suite)
Montebourg, député PS, bien connu pour son sale caractère - il est loin d'avoir tort - serait bien capable de refroidir toute émotion démocratique éprouvée à suivre en direct les travaux de la commission parlementaire sur l'affaire d'Outreaux.
Je renvoie à la lecture de son intervention dans la rubrique "Rebonds" du Libé de ce jour.
Sous-jacente à l'ensemble de sa critique, il y a la décision ou non du huis-clos.
A-t-il écrit avant le commencement des travaux, donc avant la levée du huis-clos ? A-t-il suivi les entretiens d'hier avec les acquitté(e)-victimes ? Ce jour avec les avocats ?
Qui, désormais, peut mesurer l'impact de cette diffusion - il ne s'agit plus d'un simple huis-clos levé ? Si, comme le laisse entendre Montebourg, la majorité au pouvoir tente de manipuler les procès d'Outreau, en emberlificotant même l'opposition, pour déstabiliser un appareil judiciaire qui lui déplait, il sera difficile, aux uns, aux autres, de passer outre devant notre opinion de citoyen(ne)s.
"Notre jeune Turc" est, lui-même, vice-président de la commmission des Lois. Que n'a-t-il plus tôt livré son point de vue ?
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mercredi, 18 janvier 2006
émotion et démocratie
Depuis ce matin, sur la Chaîne Parlementaire*, des heures d’émotion avec les acquitté(e)s-victimes de l’affaire d’Outreau et les parlementaires de la commission d’enquête.
Entretiens non seulement publics, mais aussi télédiffusés.
Face à la “violence judiciaire”, un grand et lumineux geste populaire !
Face à la bêtise et à l’outrance médiatique, un déni démocratique !
Curieux silence de la presse régionale sur cette diffusion officielle, qui n’a peut-être été décidée qu'hier et en hâte. Je ne l’ai apprise que ce matin sur l’incontournable France Cul.
Les acteurs de l’appareil judiciaire - tous - auront du mal à se défiler.
Abolition de l’INQUISITION ?
Pour rejoindre notre humble questionnement de la note précedente,
la parole rendue à l’espace public !
* La Chaîne parlementaire & Public Sénat sur TPS, canal 51
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mardi, 17 janvier 2006
Violence et "philia"
Donc, hier après-midi, aux "Chantiers", dans un salle du second étage, autour de Baz., lent et paisible débat sur la violence à partir d’un texte d’Éric Weil :
« La raison est une possibilité de l’homme... Mais ce n’est qu’une possibilité, ce n’est pas une nécessité, et c’est la possibilité d’un être qui possède au moins une autre possibilité. Nous savons que cette autre possibilité est la violence.
Violence de l’homme qui n’accepte pas le discours de tel autre homme et qui cherche le contentement en luttant pour son propre discours qu’il veut unique non seulement pour lui, mais pour tout le monde et qu’il tente de rendre réellement unique par la suppression de tous ceux qui tiennent d’autres discours.
Violence de l’homme qui s’affirme dans son être tel qu’il est pour lui-même, qui ne veut s’exprimer tel qu’il se sent, dans un langage qui lui permette de se comprendre, de s’exprimer, de se saisir, mais langage qui ne s’expose pas à la contradiction et contre lequel nulle contradiction n’est imaginable...
Violence, bien que violence subie, mais violence encore, et violence reconnue comme l’essentiel de la vie, que celle qui ne vient pas de l’homme, mais qui lui arrive d’une nature, d’un être supérieur ou suprême...
Violence, enfin, au fond de l’existence de celui, qui travaillant, cherchant, se dominant, ne pense pas pouvoir se débarasser du donné en tant que tel et qui, acceptant son sort de force mineure en face d’une force immense, sans emphase, sans pathos, s’affirme dans des succès temporaires, passagers, vains et qu’il connaît comme tels. »
Violence des totalitarismes.
Violence des individualismes.
Violence des tragiques.
Violence des stoïques.
Débat feutré, certes, avec quelque pessimisme dans ce tour d'horizon des violences qui nous enserrent, comme "une interminable défaite"* ! Où les Lumières ?
Face à la violence, quoi ?
La prise de parole dans l’espace public, - c'est l'ami Ét. qui, tout simplement, énonce ce faire qui fut et est encore notre engagement dans l'Éducation populaire - un retour à la Philia grecque dont J.P. Vernant me paraît avoir cerné la meilleure définition :
« Pour les Grecs, la philia est un des éléments qui fondent la cité. Elle tisse un lien entre le privé et le public, par lequel entre soi et l'autre « quelque chose » circule, « quelque chose » qui, tout en laissant chacun singulier, forge une communauté homogène. L'amitié, c'est mettre en commun. Par conséquent, il n'y a pas d'amitié sans égalité... On ne peut avoir d'amitié que pour quelqu'un qui est d'une certaine façon son semblable : un Grec envers un Grec, un citoyen envers un citoyen... Et pour les Grecs, il ne s'agissait pas seulement de vivre ensemble, mais de bien vivre ensemble. »
Échange et contre-échange du Logos !
Retour à Éric Weill :
« C'est la discussion qui libère l'homme de sa particularité, qui le mène vers lui-même, vers la vertu et le Bien : il ne peut pas être lui-même sans être vertueux. Dès qu'il est raisonnable, il n'est plus rien d'autre que membre de la communauté, que citoyen, c'est-à-dire vertueux. »
Où ? Quelles sont nos “niches” pour vivre ainsi l’échange ?
* Baz. a lu un dialogue entre Rieux et Tarrou dans la Peste d'Albert Camus.Violence du stoïque.
16:35 Publié dans les civiques | Lien permanent | Commentaires (2)
lundi, 16 janvier 2006
Toujours dans les aléas
Je dois avoir certainement des lectrices et lecteurs réguliers qui ne sont guère causants, je les comprends : mes minimes errances ne prêtent point au commentaire ; ainsi, je ne commente guère mes blogues fréquentés et les lis pourtant avec quelque avidité.
Depuis hier soir, je pensais écrire sur la violence, thème qui anime les réflexions de notre petit groupe aux “Chantiers”. Je voulais dans la continuité évoquer à nouveau la “philia”. Je vais le faire, d’ailleurs.
Et puis, et puis, me voilà rattrapé par ces petits aléas mi-ennuyeux, mi-amusants qui parsèment les courriels, les sites et les blogues. Depuis quelques jours un certain “comte”, - toujours quelque réticence avant les "de" au sang bleu, comportement un peu bête d'un descendant de laboureurs - et puis ce matin “...pour l’amour de Mozart” m’attire une invite pour le moins franche...
Ça fait plus d’un an que telles interventions ne m’étaient point advenues.
J’avais “dieu” dont j’avais balayé la “crotte”.
Il y eut la “Gourmande”, qui ne me demandait pas de venir la voir, son invite était plus nuancée pour ma naïveté d’alors que celle - l’invite - de la dénommée “Ulla”. J’étais tombé sur un beau cul et sur des textes érotiques (?) , pornographiques (?).
"Ulla", c’est du site dûment tarifé ; donc, j’efface !
Si ce n’est que passager...! Au cas où... jai gardé une note sur “Spams et blogues”. La barrière semble moins aisée à mettre en place que pour le tri sélectif des courriels.
Mais quand même, qu’est-ce que la passion pour Mozart peut susciter ?
Je sais bien que c’était un franc et vigoureux coquin.
Au moment où j'écris cette note, le très savoureux Claude Gaignebet commente la langue des injures et autres grossièretés. Doux mélange de langue savante et de langue populaire !
Alors ? Quid de la propreté du cul bourgeois et du cul paysan ?
23:55 Publié dans Les blogues | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 14 janvier 2006
...pour l'amour de Mozart
J'ai décidé d'ouvrir le Mystérieux Mozart de Philippe Sollers ; j'ai toujours entretenu un capricieux rapport avec cet homme.
Entre livres qui me tombèrent des mains et dévoration nocturnes !
Cet après-midi, je ré-entre en Mozart par Sollers - il a du goût ! - me guidera dans mes écoutes.
Déjà, la Sonate n°8 et la cantate Die Maurerfreude - la joie du Maçon.
Je pense à Cœur de Ptah.
Après avoir cité des extraits du texte de la cantate, Sollers commente :
Il s'agit de chanter et de se réjouir, de sorte que la jubilation résonne et "pénètre jusque dans les salles les plus intimes du temple jusqu'aux nuages". La nature est un temple où de vivants piliers prouvent que les couleurs, les métaux, les parfums et les sons se répondent.
Il est dit que Mozart écrivit la sonate n°8 au chevet de sa mère agonisante. Je ne suis qu'un modeste mélomane du ressenti. Je viens d'écouter ; ce sont vingt minutes de vigueur.
Ce sacré Mozart, il m'a toujours "réparé" !
19:15 Publié dans Les musiques, Sollers d'autres fois | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 13 janvier 2006
Quand de drôles de vœux sont exaucés !
Prépare-toi, Grapheus-tis, les côtes bretonnes seront encore polluées,
Bourdaily-on-the-web était de sombre humeur le 2 janvier quand il prophétisait à ses compagnons de blogues préférés de désagréables incidents .
Juste, JCB !
"grapheus tis", premier touché !
Mercredi 7 janvier, deux butaniers entrent en collision dans l'estuaire de la Loire. Ça, il faut déjà le faire !. "Pas grave, pas grave" déclarait un "préfectoral" quelconque " Quelques tonnes de fioul à l'eau ! Nous allons bouché les étiers et vous pomper cela en moins de temps qu'il faut pour le dire !"
Cause, mon pauvre homme ! Ce sera plus long que le dire et par la brèche de quatre mètres de diamètre, sous la ligne de flottaison d'un des cargos, se sont déversées 30, 40, 50 tonnes de fioul dans l'estuaire.
Rien à voir avec l'Amoco, l'Érika, le Prestige. Peut-être, mais c'est la localisation qui fait problème ; zone restreinte à forts courants de marée, avec vasières, roselières, des abris de milliers d'oiseaux sédentaires ou migrateurs.
Huit jours que la "chose" se répand, s'étale, se coule ! Les combinaisons immaculées, vite maculées, s'agitent à nouveau dans le paysage.
Merci, Cassandre !
Ah, si ! ce fioul, il est "pernicieux" !
16:00 Publié dans Les blogues | Lien permanent | Commentaires (1)
jeudi, 12 janvier 2006
Aléas de projets
Il y a un an, à quelques jours près, j’avais décidé de tenir une rubrique sur la poésie de naguère, que présentait une collection “Poètes d’aujourd’hui”. Le chantier de Poézibao, ouvert par Florence Trocmé, m’avait donné cette idée.
J’ai cinquante-deux livres de ces éditions Seghers qui, entre 1944 et 1990, donnèrent le goût du poème à travers plus de 300 titres, à de nombreux lecteurs.
La collection vacilla au gré des reprises éditoriales et des responsables de la collection entre 1990 et ce jour. Le dernier que je possède est de janvier 2005, consacré à Jean Grosjean, présenté par Jean-Luc Maxence dans un nouveau format plus traditionnel, mais il s’inscrit dans le projet éditorial de Pierre Seghers : un texte de présentation proposé à un autre poète ou écrivain ou critique ou professeur (peu, très peu !), un choix de textes et une iconographie. Peut-être cette dernière s’est-elle quelque peu rétrécie ! Dommage ! Grosjean est mon cinquante-troisième titre, mais je n’en suis pas encore à lui.
Car mon projet de présentation hebdomadaire, respectant l’ordre d’acquisition des bouquins, chaque mardi, s’est très vite étiré en une parution mensuelle. J’ai dû décevoir quelques lectrices et lecteurs. Ce fut une première année chaotique, au gré des croisières, des lectures autres et... de l’intérêt soutenu ou pas, tout au long de ces cinquante années, pour tel ou tel poète. Surtout de l’intérêt ou du désintérêt.
Car autant les notes à propos de Cadou, Char, Michaux, Rimbaud, Du Bellay, fréquentations quasi constantes, furent rédigées en joyeux labeur, autant Villon, Éssénine, Supervielle, et même Jammes ne s’en laissèrent point conter dans l'écriture de leur note. Non seulement, il me fallut reprendre, sinon lire pour la première fois, l’essai de présentation, mais prolonger ma lecture des poèmes et les souvent re et relire ; tel est l’anarchique comportement du lecteur.
Les Seghers furent d’abord achetés parce qu’ils me donnaient l’accès au texte d'un poète, accès que je ne savais emprunter à travers les arcanes de l’édition française. Jusqu’aux années 60, j’étais si ignare de son fonctionnement que jamais je n’aurais oser entrer chez un librairie et de lui demander : « Je veux de Robert Ganzo, son recueil de poèmes, Lespugue, qui a paru en 1947, à la NRF. »
Pourquoi Ganzo, allez-vous demander ? Eh bien, parce que je ne l’ai jamais encore demandé, que cela fait cinquante ans que je marche avec ce texte qui me tord et le cœur et les reins :
...Et chante aussi que tu m’es due
comme mes yeux, mes désarrois,
et tes cinq doigts d’ocre aux parois
de la roche où ta voix s’est tue.
Le silence t’a dévêtu
— chemin d’un seul geste frayé —
et mon orgueil émerveillé
tourne autour d’une femme nue.
Première et fauve quiétude
où je bois tes frissons secrets
pour connaître la saveur rude
des océans et des forêts
qui t’ont faite, toi, provisoire,
île de chair, caresse d’aile,
toi, ma compagne, que je mêle
au jour continu de l’ivoire.
Ton torse lentement se cambre
et ton destin s’est accompli.
Tu seras aux veilleuses d’ambre
de notre asile enseveli,
vivante après nos corps épars,
comme une présence enfermée,
quand nous aurons rendu nos parts
de brise, d’onde et de fumée.
Lespugue
Ainsi, il existe encore des poètes jamais lus ou si peu comme Ganzo, et il y a ceux que Seghers permit d’approcher mais dont la lecture ne se prolongea guère, hors quelques circonstances professionnelles.
Je ne me souviens plus qui a écrit que la fréquentation trop quotidienne de certains poètes vous empêchent l’accès à d’autres ; car nous sommes là dans l’alchimie émotionnelle des mots, de “nos” mots, dans l’épaisseur affective de la langue, de “notre” langue.
Quand, ici, il y a la résonance et la cadence, pourquoi là, le silence et le vide ?
Je n’ai pas refusé, même si furent privilégiés le ressenti et l’émotion, l’accès par la compréhension, par la connaissance, par l’approche linguistique, poèmes ou romans d’ailleurs ; et ainsi il y eut de belles et heureuses découvertes, je pense à Ponge, à Robbe-Grillet. Il n’en demeure pas moins que le texte vital, celui qui nourrit la vie, fut découvert et élu par éclair.
Voilà que je m’égare !
Mais est-ce si sûr ?
L’errance m’est bonne en ce journal : quand j’ouvre l’écran de ce blogue, j’ai projet d’écrire ceci et me voilà écrivant cela....
Aujourd’hui, je souhaitais ouvrir le dossier “Jean Rousselot”, parce que c’est bien à l’instar de Supervielle ou Essénine, un poète dont, première lecture faite, je n’ai plus rouvert les livres. Son appartenance - notion à nuancer - à l’École de Rochefort, qui dans un premier mouvement, me l’avait fait choisir, m’a certainement écarté de ses textes, parce que, de cette École, c’est Cadou d’abord, puis Bérimont plus tard, qui me fascineront ; Manoll, Béalu, Bouhier, Rousselot me seront toujours dans un en-deça du poème.
Paradoxalement, c’est à l’œuvre de vulgarisation de cet homme que je dois et mes découvertes postérieures à Cadou, Char et Michaux, et mes bonheurs futurs encore à ouvrir - Ganzo par exemple - parce qu’il publia, j’en ai déjà parlé - mais deux fois répétées, les choses plaisent - ce Panorama critique des nouveaux Poètes Français en 1952.
Rousselot arrive dans les notes de ce blogues ; il peut être encore entendu, aujourd’hui :
On n’a pas le droit de crier,
De cracher rouge, de saigner :
Tout est trop propre et, dans les chambres,
On cache les agonisants
Qui pourraient salir le pavé :
Pas de balayeur pour les gens
Mais une trappe dérobée
Dans un coin de la conscience...
(Il n’y a pas d’exil)
12:15 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)