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lundi, 27 février 2006

de l'influence de la géographie sur le penser

Pour détendre "ma" langue des fractures mentales d'Artaud, retour au Bonheur fou de Giono, par lecture nocturne :

À faucher les prés, fendre le bois et égorger les carpes qu'on pêchait de temps en temps à l'épuisette dans un grand vivier, il pouvait se consacrer entièrement à ses idées. Or, dans ce désert rocailleux et sylvestre, la moindre idée était exquise.

dimanche, 26 février 2006

"La maladie de la mort"

Cet après-midi, j'ai écouté Gérard Desarthe lisant La maladie de la mort de Duras.
Il ne faut jamais dire "Fontaine, je ne boirai point de ton eau ! "
Le 3 mars 1996, j'étais au mouillage en rade de Houat quand la radio annonça la mort de l'écrivaine : je feuilletais son bouquin Écrire. Il y était question de la mort d'une mouche.

Oui. C'est ça, cette mort de la mouche, c'est devenu ce déplacement de la littérature. On écrit sans le savoir. On écrit à regarder une mouche mourir. On a le droit de le faire.


Vais-je me mettre à lire - à tenter de lire une fois encore - Marguerite Duras ?

samedi, 25 février 2006

« Philosophe, oui ! Démagogue, non ! »

Décidément “mes” philosophes se font étriller.
Après Marcel Conche, l'autre semaine, “mis en bouteille” avec ses si pour son Journal étrange, voilà que l’hédoniste aux lunettes fines se fait admonesté par le philosophe du Monde !
Onfray sort sa contre-philosophie, celle qu’il prêche depuis quatre ans en sa chaire de l’Université populaire de Caen et Roger-Pol Droit l’admoneste.

Je puis paraître et méchant et ingrat ; j’ai suivi ses cours, ceux de Onfray, par l’entremise généreuse des étés de France Cul, j’ai importé, via la Toile, leurs synopsis. J’y pris beaucoup d’intérêt et tant appris sur des pensers qui nous étaient occultés.

Je n’ai point encore feuilleté les deux tomes de sa Contre-histoire de la Philosophie, mais il est vraisemblable qu’il a repris les dits cours.
C’est bien dans ses chemins ; j’ose dire que depuis l’Art de jouir, il ne fait qu’étirer à travers de superbes titres - ceux de son journal par exemple, le Désir d’être un volcan, les Vertus de la foudre, l’Archipel des comètes, la Lueur des orages désirés (à paraître) -2 500 ans de philosophie hédoniste.
Pourquoi pas ? Bis repetita placent ! Et j’en ai profité.

Une erreur d’appréciation vacharde de Roger-Pol Droit, toutefois : “Le matérialiste est (sans doute) étudié depuis des décennies, à la Sorbonne et ailleurs”, il n’est guère sorti des cabinets lettrés. Onfray a certes été instrumentalisé, de son plein gré, par les médias - l’anecdote du secrétaire de la Libre Pensée, à la sortie du Traité d'athéologie, est savoureuse : “... un rabbin, un curé, un imam et... Onfray !” - à manichéens, manichéen et demi ! - il a descendu ce penser hédoniste dans la rue.

Reste à souhaiter pour nous, lecteurs de Onfray, qu’il calme ses passions athées, qu’il règle ailleurs qu’en philosophie, ses problèmes d’adolescence avec les pères salésiens, qu’il vérifie ses sources et s’exerce à la prudence - eh, oui ! - mais qu’il continue à développer la théorie des anecdotes de Hégel, ces “sagas miniatures” qui concentrent et ramassent la philosophie et qu'il nous livre à nouveau quelques beaux textes, tel “Esthétique du pôle Nord”.

Cette accalmie sera-t-elle possible ?
Il ne faut pas oublier qu’un de ses premiers livres est titré “Cynismes, portrait du philosophe en chien”.
L’Hédoniste peut devenir un Chien.

Démagogie, non ! Philosophie, oui !

vendredi, 24 février 2006

nordet, amitié et justice

Mardi, à la pointe de Trévignon, le vent avait déjà viré Nordet.
L'océan, jusqu'aux Glénan, était à peine ridé. Mais l'alternance des grains et des embellies répandait sur la baie de Concarneau la belle lumière des fronts froids.
Cinquante ans de silence, de parcours pour le moins dissemblables et, le soir, l'amitié si chaleureuse était au rendez-vous !

Studieuse préparation de la note sur Antonin Artaud et le bouquin de Ceorges Charbonnier.

Ce matin dans Le Monde, une contribution du philosophe Yves Michaud au débat sur le contrôle et les limites de la justice ; il s'appuie sur le Montesquieu de l'esprit des lois :

« ...le judiciaire doit être naturellement indépendant et probe, non partisan, connu et autorisé. Autant de qualités qui nécessitent le contrôle des citoyens - (je souligne). Montesquieu est encore plus explicite en recommandant que la puissance de juger, "qui peut détruire chaque citoyen par ses volontés particulières", ne soit pas donnée à un Sénat permanent mais "exercée par des personnes tirées du corps du peuple, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert" (De l'esprit des lois, XI-6) ».

Il y a quelque chose de Grec, là-dedans !
Et j'ai toujours ma petite idée d'un contrôle "ouvrier", exercé à tous les échelons des instances élues et des institutions administratives, par quelques citoyen(ne)s - de trois à cinq - tiré(e)s au sort pour une durée limitée.

lundi, 20 février 2006

petits bonheurs et grand vent

Je suis entré dans la lecture et la recherche autour d’Antonin Artaud, pour une note à venir sur le bouquin "Poètes d'aujourd'hui". Quête grave au delà - en decà - de toute littérature.
Hier, l’annonce d’une semaine “Duras” m’a ramené à ce qu’on appelait “le nouveau roman”. J’ai avoué mes ennuis aux longues lectures d’endurance dans Claude Simon ; j’ai omis de nommer certains plaisirs chez Robbe-Grillet ; mais faut-il encore que le feuilletage s’inscrive dans la brièveté - le mince “Instantanés” fut ainsi longtemps mon livre d’élection.
Pour dégourdir mes sensualités littéraires - les miennes, j’insiste - j’ai toujours en sous main, depuis la récente projection du film tiré du Hussard sur le toit, mes “giono” ignorés.
Le Bonheur fou me comble.
À preuve : un certain Bondino dit Brutus-à-la-rose qui en dix-sept pages, les premières du roman, a galopé et navigué de Novare et Gênes à Marseille, La Rochelle, dans le Marais poitevin et Royan pour se retrouver à Londres : le lecteur cavale de litote en litote pour “s’évâiller”* dans une hyperbole bien gouleyante :

Il forcissait. Il avait toujours été très gourmand de viandes. Le gigot de mouton, quoique bouilli à l'anglaise, faisait ses délices, avec le bœuf saignant. « Je suis de grosse vie », disait-il. Il s'étonnait d'avoir pu subsister jadis d'anchois écrasés dans l'huile et de pain frotté d'ail.
La polenta même n'était dans son souvenir que comme une chose vaporeuse et légère et qui ne tenait pas au corps. Son corps bourré de viandes était désormais tenu. Il éprouvait des joies surhumaines à voir les tranches de bœuf cru sur les grils, à en humer l'odeur; il en buvait les jus à la cuillère. Il mastiquait solidement, tournait sept fois sa langue dans sa bouche et sept fois sept fois...
...Il fit également connaissance avec l'eau glacée. C'était une jouissance suprême. Il finissait tous ses repas par une grande consommation de biscuits dits « Champagne » trempés dans de l'eau glacée.

Le bonheur fou


Pour prolonger le bonheur, je n’ai plus qu’à réouvrir la chronique de la belle et monstrueuse :
Ennemonde prenait sa deuxième écuelle de bœuf en daube, buvait son litre, mais ne mangeait pas tout son pain. EIle aimait par-dessus tout cette sauce lourde, mordorée, de lard fondu et d'huile vierge. Elle prenait chaque fois la précaution d'emporter de chez elle une cuillère à soupe cachée dans son corsage, et à table elle la sortait pour boire la sauce comme du bouillon. Ses gencives dures comme du fer mâchaient très bien la viande archicuite. Enfin c'était bombance ! Doublement : le ventre plein..., elle s'abandonnait à un vertige semblable à celui qui l'enivrait sur la route. Elle se voyait en train de scandaliser cette bourgade cafarde. Elle n'allait plus se frotter à des ciels, à des hauteurs, à des couchants, à des aurores, mais à des hommes sentant le bouc.

Ennemonde et autres caractères


Deux ou trois jours d’écran silencieux, le temps d’aller humer dans l’amitié le coup de vent à la pointe de Trévignon, au pays de Xavier Grall, l’homme qui écrivait :
Je ferai l’éloge de la pluie sur mes toits, dans les abers... Je ferai l’éloge de la pluie, de sa liberté, de son opiniâtreté. Pluies féales, pluies bretonnes, pluies libertines.

*S’évâiller : se répandre, s’étaler en dialecte gallo du pays nantais

dimanche, 19 février 2006

De tout et de rien

La belle dépression atlantique est toujours là, même bien centrée sur notre pointe bretonne et elle nous déverse une bonne eau dans les grains et la douceur.

il y a quelques absents sur les blogues fréquentés : Bourdaily a quitté la Toile, le temps de déménager et de réemménager, je l’espère ; ses chroniques sont toujours consultables.
Berlol voyage, il ne devrait point tarder à être sur les bords de Loire. Plus haut en amont de François Bon, lui-même en amont de votre serviteur.
J’espère que ce dernier ne s’est point offusqué d’être renvoyé, dans ma note de vendredi, au rang des modernes, tels Giono et Cadou, qu’il faut bien de temps à autre délaisser pour relire les ancêtres anonymes.

Al s’est enfin décidé à bloguer ; je vais osciller entre ses “pixiphotos “ et les manipulations alchimiques de Cœur de Ptah.

M’en allant commenter chez Er-Klasker, je me suis fais prendre en faute par un certain “all-zebest” : j’en suis toujours à mes regrettables confusions entre infinitifs et participes passés. Mais la faute fut bonne occasion de rencontre !
Et “all-zebest” va sans doute s’ajouter aux journaux fréquentés.

Ainsi, il y a quinze jours, ma vivacité pour le livre d’Alain Frontier que présentait Florence Trocmé dans Poézibao fut suivie d’un échange de chaleureux courriels avec cet auteur, poète, helléniste et grammairien - il est tout cela avec grande simplicité. Il ne blogue point, mais gère quelques sites.

Voilà la Toile et ses lacs qui se tissent.

Les “durassien(e)s” de la sphère “berlolienne” seront à la fête ces quinze jours à venir. France Cul honore la dame entre le 26 février et le 5 mars pour le dixième anniversaire de sa mort. J’écouterai ; sans trop d’espoir d’y glaner un ticket d’entrée.

La semaine passé, c’était Claude Simon ! Il est vrai qu’il y a de beaux... paragraphes. Il est vrai que La route de Flandres me fut une belle aventure après quelques échecs qui ne furent résolus qu’après avoir trouvé la stratégie de contournement de l’ennui : je lus les 50 premières pages, les 50 pages du milieu du livre et les 50 dernières pages.
Je repris à la première ligne et allai d’un long trait jusqu’à la dernière. En une nuit et un jour.
Il est vrai que, depuis, je n’ai pu rééditer la performance ; à La bataille de Pharsale, mes yeux s'enfuirent ; je suis allé à “sauts et gambades” au Jardin des Plantes et, malgré les Divertissements proposés, La leçon de choses me fit bâiller. La charge de Reichshoffen restera une comptine pour faire sauter mes arrières petits-enfants sur mes genoux !

Que faire du “Clémenceau” ? Faut-il se poser la question ? Il n’a pas encore passé le canal de Mozambique, ni arrondi le Cap Bonne-Espérance.
On peut même se poser la question fatidique : franchira-t-il l’Équateur ?
Il y a longtemps que le ridicule ne tue plus !

samedi, 18 février 2006

Jean ROUSSELOT

Rousselot. Nantes, septembre 1960.
Ai-je depuis ce mois lointain jamais réouvert ce livre ?
J’ai eu une dette envers cet homme et je lui dois bien cette note sur ce blogue incertain qui se baguenaude de poètes en philosophes, d’épopées en élégies, de romans en journaux, de faits divers en marées. Il est celui qui m’a établi en poésie contemporaine, celle de ma jeunesse dans les années 50 finissantes.

J’achète le livre l’année de sa parution. C’est le n°71. Il est signé par André Marissel, lui-même poète et critique littéraire ; c’est la coutume dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.


Une biobibliographie traditionnelle , comme on en écrivait dans les années 50/60.
Rousselot, auteur fécond, a déjà publié une trentaine d’opuscules poétiques, six romans, des contes, des nouvelles, des vies romancées, cinq essais dans les “Poètes d’aujourd’hui” ( Milosz, Corbière, Reverdy, Poe, Fombeure), son “Panorama critique des nouveaux Poètes français”, plus, plus et... plus...
Quelques jours après sa mort - récente - le journal Le Monde en date du 28 mai 2004 lui consacra une rubrique “Jean Rousselot, poète et résistant” et mentionne entre 150 et 200 ouvrages signés, tous genres confondus.
Je retrouverai le critique quand j'aborderai le n° 25 sur Pierre Reverdy.
Né à Poitiers, enfance et adolescence difficiles, très difficiles, tôt orphelin, il doit interrompre ses études par manque d’argent et rentre en sanatorium ; il sait ce que signifie “cracher le sang”.
Je renvoie le lecteur à la revue Paroles de l'Alliance française qui publie un très long article pour la mort du poète :
« Ce furent des années très pauvres, je dirais même misérables. J’ai connu la réalité la plus sordide et la plus humble et j’en ai été marqué pour la vie ! Cela justifie mon attachement aux gens qui travaillent durement et à tous ceux qui souffrent. Je ne peux me séparer de ces réalités-là. »

Dans les années 70, il se présentait ainsi à Guy Chambelland :
« Jean Rousselot, 55 ans, 83 kilos, fils d’ouvrier resté fidèle à sa classe, qui ne peut pas supporter ce monde, ou plutôt la façon dont on le manigance. »

Curieusement, dans les quelques écrits que j’ai pu lire sur Rousselot, on tait avec une fausse pudeur sa réelle carrière de fonctionnaire : écrit abruptement, ne pourrait-on donc pas être flic et poète à la fois ?
On parle prudemment d’une carrière d’employé de préfecture : il fut commissaire de police à Poitiers, Vendôme, Orléans ; même à la Libération, sans doute pour services rendus en Résistance, chef de cabinet du directeur de la Sûreté nationale. Avec de telles responsabilités et tout ce qu’il écrivait, il ne dut guère manier la matraque. Il démissionna en 1946.
Jusqu’à son terme, il fut homme d’écriture.

Il avait participé à l’École de Rochefort, qui ne fut point une école mais une réunion de copains en poésie avec Béalu, Cadou, Bérimont, Manoll.
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Il écrivit "à hauteur d’homme". Écriture sombre, anxieuse qui sut s’attendrir sous le regard des femmes.
Je ne proposerai que quatre textes d’une lecture trop tardive pour m’aventurer plus avant dans la connaissance d’un homme aux activités énormes qu’il mena avec “la force et la ténacité de ses parents et grands-parents ouvriers et paysans”.


Nous sommes perdus dans les averses, chiens boueux que l'on a chassés, de porte en porte. Mais nous avons gardé le goût du pain et du vin, et nos mains tremblent de désir, nos mains qui pendent comme des drapeaux. Nous sommes perdus mais on nous attend, dans quelque hutte de terre, avec le pain et le vin sur la table.
Nous sommes perdus
Le sang du ciel, 1944




0n entassa les morts sur des fardiers qui suaient encore le vin et, quand baissa le jour, le cortège s'ébranla vers le sud, au pas lent des gros percherons de pierre grise.
Les cadavres étaient nus; les lanciers de l' escorte, les teneurs de guides étaient nus; les chevaux étaient nus. Et nue la terre sous les pieds. les sabots et les roues, nue la terre qui tendait vers le soleil déclinant le filet de ses ornières noirâtres.
Il n'y avait personne sur la terre.
Il n'y avait rien sur la terre.
Les percherons de pierre grise s' arrêtèrent d' eux-mêmes sur la crête. Un grand effondrement se produisit alors dans le ciel dont les quartiers saigneux roulèrent mollement derrière l'horizon.
Les lanières de cuir s' abattirent sur les cadavres. Vainement.
Les lances des soldats, les lances des ornières s' enfoncèrent dans les chairs inertes. Vainement.
Il fallut débarder les morts.
Il fallut les jeter au vent.

Les morts
La mansarde, 1946





Je t'ai peu à peu dévêtue
De cette peau de rêves
De ces baisers cousus
Et soudain nue tu m'apparus
Plus rien de moi n'était à toi
Et tu t'enfonçais loin de moi
Mais ce que j' avais su te prendre
Et qui peut-être était le meilleur de moi-même
Me collait aux doigts comme un fard
Dont je ne savais que faire
Tourné vers les beaux seins que j' aime.

Refaire la nuit, 1943



..............................................................................
Federico, la terre a bu ton sang de violette
Et de vin noir,
Et cela fait une tache ronde
Au pied d'un mur d'Andalousie
Une tache ronde comme la lune entière
- Gâteau de blé rouleau de chanvre -
Qui roulait dans ta chambre petite
Et déchirée!
Ronde comme le ventre blanc de Lolita
Dont nul n' étanchera la blessure,
Ronde comme la bille de diamant fauve
De ta prunelle,
Ronde comme la ronde des filles et des garçons
Ronde comme une médaille...
- Non, plutôt ronde comme
Une monnaie,
Une pauvre monnaie de bronze
Que chacun a dans sa poche,
La fille et le mendiant,
Le guitariste et le marchand.
Une monnaie de quatre sous à ton effigie,
A ton effigie qui regarde en face,
Car tu es mort de face
Federico!
esquisse pour un tombeau
de Federico Garcia Lorca
(6 février 1947)



À vous lectrice et lecteur de poursuivre !

Sur la Toile :
• dans l'Humanité du 14 avril 1990
• dans le magazine "Actualité Poitou-Charentes" n°53.
• Quelques textes.

vendredi, 17 février 2006

@nonym@t, auteur et justice

Entre deux épopées - l’Anabase et la Chanson de Roland - trois heures de vacance sur les quais et dans les rues de ma ville.

Il y a longtemps que je n’étais pas entré dans une salle d’Assises. Vieille habitude prise depuis le temps quand je passais enfant devant l’ancien palais de justice et que j’étais révolté- je le suis encore - quand je voyais passer un homme menotté entre deux gendarmes. Dès que mon statut de citoyen - avoir vingt-et-un ans - m’a autorisé à entrer dans un prétoire, j’ai usé de ce droit pour aller voir et entendre comment siègeait la Justice, souvent aveugle et surtout hautaine et si sûre de son droit.
Je n’ai aucune indulgence pour les salauds, j’aurais même quelque conviction intime, non avouée à ce jour, pour le talion...
Mais cette morgue justicière me fait dresser le poil.

Hier jeudi, on y jugeait un pauvre mec, violeur “assoiffé de tendresse”, plaidera son avocat - ce qui est fort plausible. Cependant, deux jeunes femmes violentées aux aurores : il devait y avoir des pulsions de prédateur, chez ce tendre ! Douze ans, c’est toujours trop ou trop peu !
Je suis resté assis quand la “Cour” est sortie du prétoire. Ça m’emmerde cette révérence pour les gens de Robe.
Je me sens toujours blessé quand il est ordonné au prévenu, même coupable avéré, de se lever pour qu’il parle ou entende, ultime humiliation du pécheur qu’on ne met plus à genoux, certes.
Donc je laisse mon cul rivé au banc inconfortable dont Jean Nouvelle a doté son “juste” et noir palais de justice. La vision du “menotté” de mon enfance, sans doute.
Dans les temples, je demeure désormais assis aussi pour la proclamation de la parole de dieu.
Je ne hausse mon cul que pour les dames et l’amitié !

Chez Hebken, repas de galettes, un vrai avec deux paires au beurre et une grande bolée de lait ribot.

Entre deux grains - dans le front froid d’une belle et bien large dépression atlantique, c’est si rare en cet hiver - retour aux Chantiers pour “Les grands textes du Moyen-Âge”.
C’est moins pour la gymnastique des mots et du dictionnaire - le grec ancien amplement me suffit - que pour éclairer et des connaissances confuses sur cette ère et le comment du glissement de l’anonymat des scripteurs et autres copistes à la naissance de l’AUTEUR - j’eusse préféré une fausse couche - que je me suis inscrit à cet atelier.
Le retour à l’@nonym@t sur la Toile me semble se dessiner à l’horizon de nos écrans et ça me plaît.
« Nous ne faisons que nous entregloser. », écrit l’ami Montaigne dont il est indirectement fait mention dans le Libé d’hier et le Nouvel Obs d’aujourd’hui, à propos du dernier bouquin de Marcel Conche, “Avec des « si ». Journal étrange”*.
Des nuances certaines entre Garcin, laudateur, et Lançon, plus acerbe sur les non-engagements du vieux philosophe.
Conche que j’avais découvert par Comte-Sponville m’a ouvert de beaux sentiers dans Héraclite et chez Montaigne. Il rejoint Giono dans le pacifisme, dit garder quelque sympathie pour l’union soviétique et refuse le nazisme de Heidegger. Comme Char, qui lui, par contre,
m’assure sur le parfois nécessaire engagement politique et violent.

* Marcel CONCHE, Avec des « si ». Journal étrange, PUF, 342 p.

mercredi, 15 février 2006

si vous ne connaissez pas la belle Cilicienne

Récit épique ?

Vait s'en Brandan vers le grant mer
U sout par Deu que dout entrer.
Une ne turnat vers sun parent:
En plus cher leur aler entent.
Alat tant quant terre dure;
Del sujurner ne prist cure.
Vint al roceit que li vilain
Or apelent le Sait Brandan.
Ici! s'estent durement luin
Sur l'occean si cume un gruign.
E suz le gruign aveit un port
Par unt la mer receit un gort,
Mais petiz ert e mult estreits;
Del derube veneit tut dreiz.
Altres, ço crei, avant cestui
Ne descendit aval cel pui.


Brandan se dirigea vers l'océan où Dieu lui
avait révélé qu'il devait s'embarquer.
Il ne se laissa pas détourner pour aller voir sa famille :
il s'était fixé un but plus précieux.
Il alla jusqu'au bord de la mer sans souci de repos.
Il arriva au rocher que les gens de la région
appellent encore le Saut de Brandan.
Il s'agit d'un roc qui s'avance très loin dans
l'océan tout comme un promontoire. Au pied
de ce promontoire se trouve un port à l'endroit
où un cours d'eau se jette dans la mer.
Ce cours d'eau, petit et très étroit,
débouchait directement de la paroi de la falaise.
Personne avant Brandan n'avait, je pense, fait cette descente.
Benedeit
Le voyage de Saint-Brandan


Ou plainte lyrique, davantage de saison :

J'aim mieux languir en estrange contrée
Et ma dolour complaindre et dolouser
Que près de vous, douée dame honnourée
Entre les liez, triste vie mener;

Car se loing souspir et plour,
On ne sara la cause de mon plour,
Mais on puet ci veoir legierement
Que je langui pour amer loyaument.

Guillaume de Machaut,
Ballade


Voilà donc la nouvelle aventure où je m’engage demain.
Jadis que lisait-on en notre trop sage jeunesse ?
Une vague chanson de Roland, revue et corrigée à la mode Hugo, des bribes trop assagies du Roman de Renart, un fabliau, une farce, une plainte de Rutebœuf et les pleurs de Charles d’Orléans.

Que de béances dans la formation du jeune lecteur !
La “barbe blanche” comble dans l’allégresse ! Il n’y a pas que Giono, Cadou ou François Bon ! Vains dieux !

Après le cours de Grec, où nous en apprenons de belles - savez-vous que Epyaxa, femme de Syennesis, roi de Cilicie a cocufié* son roi de mari avec Cyrus et, qui plus est, après avoir soustrait au trésor du pauvre cocu des sommes considérables pour que le roi des Perses payât quatre mois de solde à son armée où traînaient quelques mercenaires grecs dont un certain Xénophon, l’homme qui relate l’infortune royale et ne peut s’empêcher de rallonger l’histoire de cette passion entre la belle Cilicienne et le grand Perse en ajoutant une longue épopée appelée Anabase qui s’achève en une vaste et célèbre clameur : Thalassa ! Thalassa ! - donc, après le Grec, j’enchaîne pour douze fois deux heures avec la découverte des grands textes du Moyen-Âge. Ce devrait être un peu court
Il y aura, à l’instar du Grec, de fréquents feuilletages de dictionnaire : à chacun sa gymnastique mnésique, je préfère ce labeur au scrabble...!

Ah, si ! Epyaxa devait être très belle !

* Cette infortune arrive encore de nos jours à certains “vizirs” qui veulent être sultans à la place du sultan.

mardi, 14 février 2006

Lecture nocturne

Voici que le boîtier de ma vie s'ouvre sur les rouages de la honte
Et que tout mon passé dégringole soudain pauvre mur de bibliothèque
Livrant ses pages non coupées et nombre de dessins obscènes....

 

René Guy Cadou
Confession générale



Il est des jours ainsi, de ceux qu'on appelle des jours "sans".

dimanche, 12 février 2006

Bonne nuit, Monsieur Ipoustéguy

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« Ce que l'on devine dans l'ombre n'est rien d'autre que la chose vue au grand soleil ; bien que, dans le noir et sous la lune, cela n'ait pas le même goût : la salive en quête, le halo des odeurs évaporent et lavent ce qui appartient au corps, à ses rivages fluctuants dans l'espace.
La main, elle, perd sa route et la retrouve bientôt avec surprise comme un flâneur s'égare...
L'aspect des anatomies est mis en pénombre et semble se fondre dans un souffle d'air à sombre haleine, parmi des cheveux, des toisons frottés de phosphore. »

Ipoustéguy
dans le noir et sous la lune, 1981


Deux jours après Borowiczyk, le cinéaste, IPOUSTÉGUY, le sculpteur, s'en est allé. Il est des semaines comme ça, où la camarde rôde avec insistance dans les proximités mentales et familiales. Aux deux "célébrités" - mais combien les connaissaient vraiment ? - s'ajoutent la directrice d'école de mes enfants et un cousin, très "ancien combattant".
"Je suis, la mort n'est pas... etc !" dit Épicure.

Ipostéguy demeure.
En janvier pour inaugurer l'année, j'arpentais la diagonale merveilleuse de son triptyque en hommage à Louïse Labé, place Pradel, à Lyon. Je l'avais découvert à Paris en 1979.
Il sculptait, dessinait, écrivait.
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« Pour moi, les structures de l'écriture et de la sculpture sont les mêmes. Autour d'un noyau, cristallisation de l'œuvre, éclatent des formes incidentes qui cherchent à concerter avec le noyau, qui retournent au noyau.»


Il est puissance, sauvagerie, fraternité, érotisme ; il venait du peuple.
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Bonne nuit, Monsieur Ipoustéguy ! Et merci !

Post-scriptum :
Successivement Lunaire (1981), Val-de Grâce (1977) et Agonie de la Mère (1970/71)

jeudi, 09 février 2006

Le temps d'une marée

Walerian Borowczyk, le cinéaste sensuel des Contes immoraux, est mort lundi dernier ; je ne l’apprends que ce midi
Des quatre contes, je retiens La marée, tirée d’un bouquin de Pieyre de Mandiargues* et Erzébet Bathory, la comtesse sanglante, une Gilles de Retz femelle et hongroise.
La marée surtout, avec, et c’est peut-être dommage, un jeune homme qui va longtemps s’égosiller dans le cinéma français, un certain Fabrice....

....je revins, en attention du moins, car mes doigts ne l'avaient pas quitté, au beau corps de Julie, et j'accentuai mes caresses en accélérant le rythme. Simultanément je m'efforçai d'imaginer d'une façon plus intense la montée de la mer autour de notre couple, et au bout de quelques minutes je me trouvai à tel point confondu avec la substance élémentaire qu'il me semblait que la marée s'élevait en moi comme dans tout l'entourage ; je le dis à Julie, en quelques mots murmurés vite, et elle me fit signe que c'était pareil chez elle. Onze heures douze. Le vent était tombé, le bruit des vagues sur les brisants avait diminué, mais la tension était à son comble, et je sentais des jarrets à la nuque une sorte de bonheur en puissance que je croyais partager avec l'énormité des eaux attirées par la lune. Enfin, ce fut l'heure; je n'eus pas besoin de regarder ma montre car j'eus comme une connaissance intérieure du sommet, au moment de la mer étale, et alors je déversai mon bonheur dans la bouche de Julie.


*André Pieyre de Mandiargue, Mascarets, coll. Le Chemin, Gallimard, 1971

mercredi, 08 février 2006

de ci, de là... avec quelque gravité

Un bon vieux copain, hier plus de dix heures, lucide, sur la table d'opération : il lutte depuis dix ans face à la maladie de Parkinson : on va penser à lui lors de notre randonnée hebdomadaire du mercredi.
Dac'hlmat ! Tiens bon, JeJ, Briéron au grand cœur !

Je ne regarderai point (regarder ?) les travaux de la commission parlementaire du procès d'Outreau, cet après-midi. Le curé innocenté, Dominique Weill, a écrit dignement, il y a quelques jours, la raison de son absence ; je crois "entendre" le besoin qu'ont les autres victimes innocentées d'être silencieusement confrontées à l'un de leurs juges.
Mais ce n'est pas une pratique citoyenne que de participer à une curée médiatique !

Ailleurs.
Commençant la lecture folle du Bonheur fou écrit par un chroniqueur fou :

«...capable de concevoir une action courageuse et de l'entreprendre, l'odeur d'un jasmin dépassant la crête d'un mur l'en détournait. »

dimanche, 05 février 2006

Dans les parages

Quand les prophètes se sont éloignés, quand les croyances ne sont plus que des belles effiloches de chants et de musiques - le chant des Laudes, ce matin, venant d’une abbaye cistercienne - quand aux tables de l’amitié certaines places se tiennent désertées, quand on s’avance vers le terme, il est bon d’entendre, à voix chuchotée, la philosophie.
Hier matin, en dépit de mes rognes et décisions précédentes, j’ai haussé le potentiomètre de France Cul : Finkielkraut avait invité deux philosophes pour tenter d’éclairer la question « Est-il encore possible d'apprendre à mourir ? », Françoise Dastur et Fabrice Hadjadj.

Au mitan de l’émission, voilà que surgit Giono à travers Mort d’un personnage que j’ai récemment ouvert. Finkielkraut de lire :


“Ce qui m’aida aussi, ce fut ce squelette sous parchemin : ces deux cotylédons d’os iliaques, ces cavités pelviennes dans lesquelles la peau s’enfonçait et dont il fallait que je nettoie le fond avec de petites houppes de coton, ce pubis rocheux, ce sexe ruiné sous des herbes blanches.“


Je prolongerai par quelques lignes :

“Je songeais aussi qu’il s’agissait d’un être d’une très grande qualité et qu’il n’y avait jamais eu de mensonge en elle. Sa longue ruée patiente vers celui qu’elle avait perdu était aussi naturelle et aussi inéluctable que sa violente ruée précipitée vers les matières de la terre au dernier moment. Sa passion se mettait en place dans la condition humaine.”


Je n’avais pas encore lu Mort d’un personnage ; je n’ai pas encore lu Le bonheur fou. Eh, oui ! il est des béances dans un parcours de lecteur.
Je ne regrette point cette approche tardive. Plus tôt, étais-je mûr pour une telle lecture ?

Quand Sarabande de Bergman nous atteint, on ne peut que regretter ce que le cinéaste eût fait de la geste du Hussard sur le toit.

vendredi, 03 février 2006

"Je vous salue, Marie !"

La presse énumère les précédents “blasphèmes” qui agitèrent les dieux, les croyants, les auteurs, les cinéastes, les dessinateurs.
Je n’oublie pas - les journalistes semblent avoir oublié - “Je vous salue Marie”, de Jean-Luc Godard.

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Quand, au printemps 1985, le film sortit à Nantes, au Katorza, avec MJ et JP,nous y entraînâmes quelques stagiaires : les ciné-clubs étaient encore une activité culturelle prisée.
Dans la file d’attente pour prendre les billets, je m’étais étonné de la présence de deux personnes plus qu’âgés, public assez surprenant à l’époque pour un cinéaste plutôt sulfureux.
Je ne compris, comme les amis qui m’accompagnaient, la tactique de ces deux personnes fort pacifiques au demeurant qu’à la première séquence du film : elles s’étaient introduites dans le seul but d’ouvrir les portes de sécurité à leurs comparses qui se tenaient à l'extérieur .
Nous fûmes bombardés de grenades lacrymogènes et de boules puantes.
Le directeur du cinéma voulut interrompre la projection et faire évacuer la salle.
Mouchoirs au nez et à la bouche, nous exigeâmes qu’on ne céda point à cette maigre violence et que se poursuive le film, après aération de la salle.
Le groupe d’intégristes nantais se maintint toute une semaine durant, rue Corneille, devant l’entrée du Katorza, ayant établi un sanctuaire marial de pleine rue où se dévidérent à longueur de projection du “Je vous salue, Marie”, des chapelets de repentance et d’imploration pour leur propre salut et celui des blasphémateurs, Godard , grand impécateuren tête, suivi de la cohorte des spectateurs impies, attirés par ce petit scandale, qui ne seraient sans doute jamais allé voir un “Godard”.

Post- scriptum : La Binoche était au générique ! Déjà !