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samedi, 18 février 2006

Jean ROUSSELOT

Rousselot. Nantes, septembre 1960.
Ai-je depuis ce mois lointain jamais réouvert ce livre ?
J’ai eu une dette envers cet homme et je lui dois bien cette note sur ce blogue incertain qui se baguenaude de poètes en philosophes, d’épopées en élégies, de romans en journaux, de faits divers en marées. Il est celui qui m’a établi en poésie contemporaine, celle de ma jeunesse dans les années 50 finissantes.

J’achète le livre l’année de sa parution. C’est le n°71. Il est signé par André Marissel, lui-même poète et critique littéraire ; c’est la coutume dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.


Une biobibliographie traditionnelle , comme on en écrivait dans les années 50/60.
Rousselot, auteur fécond, a déjà publié une trentaine d’opuscules poétiques, six romans, des contes, des nouvelles, des vies romancées, cinq essais dans les “Poètes d’aujourd’hui” ( Milosz, Corbière, Reverdy, Poe, Fombeure), son “Panorama critique des nouveaux Poètes français”, plus, plus et... plus...
Quelques jours après sa mort - récente - le journal Le Monde en date du 28 mai 2004 lui consacra une rubrique “Jean Rousselot, poète et résistant” et mentionne entre 150 et 200 ouvrages signés, tous genres confondus.
Je retrouverai le critique quand j'aborderai le n° 25 sur Pierre Reverdy.
Né à Poitiers, enfance et adolescence difficiles, très difficiles, tôt orphelin, il doit interrompre ses études par manque d’argent et rentre en sanatorium ; il sait ce que signifie “cracher le sang”.
Je renvoie le lecteur à la revue Paroles de l'Alliance française qui publie un très long article pour la mort du poète :
« Ce furent des années très pauvres, je dirais même misérables. J’ai connu la réalité la plus sordide et la plus humble et j’en ai été marqué pour la vie ! Cela justifie mon attachement aux gens qui travaillent durement et à tous ceux qui souffrent. Je ne peux me séparer de ces réalités-là. »

Dans les années 70, il se présentait ainsi à Guy Chambelland :
« Jean Rousselot, 55 ans, 83 kilos, fils d’ouvrier resté fidèle à sa classe, qui ne peut pas supporter ce monde, ou plutôt la façon dont on le manigance. »

Curieusement, dans les quelques écrits que j’ai pu lire sur Rousselot, on tait avec une fausse pudeur sa réelle carrière de fonctionnaire : écrit abruptement, ne pourrait-on donc pas être flic et poète à la fois ?
On parle prudemment d’une carrière d’employé de préfecture : il fut commissaire de police à Poitiers, Vendôme, Orléans ; même à la Libération, sans doute pour services rendus en Résistance, chef de cabinet du directeur de la Sûreté nationale. Avec de telles responsabilités et tout ce qu’il écrivait, il ne dut guère manier la matraque. Il démissionna en 1946.
Jusqu’à son terme, il fut homme d’écriture.

Il avait participé à l’École de Rochefort, qui ne fut point une école mais une réunion de copains en poésie avec Béalu, Cadou, Bérimont, Manoll.
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Il écrivit "à hauteur d’homme". Écriture sombre, anxieuse qui sut s’attendrir sous le regard des femmes.
Je ne proposerai que quatre textes d’une lecture trop tardive pour m’aventurer plus avant dans la connaissance d’un homme aux activités énormes qu’il mena avec “la force et la ténacité de ses parents et grands-parents ouvriers et paysans”.


Nous sommes perdus dans les averses, chiens boueux que l'on a chassés, de porte en porte. Mais nous avons gardé le goût du pain et du vin, et nos mains tremblent de désir, nos mains qui pendent comme des drapeaux. Nous sommes perdus mais on nous attend, dans quelque hutte de terre, avec le pain et le vin sur la table.
Nous sommes perdus
Le sang du ciel, 1944




0n entassa les morts sur des fardiers qui suaient encore le vin et, quand baissa le jour, le cortège s'ébranla vers le sud, au pas lent des gros percherons de pierre grise.
Les cadavres étaient nus; les lanciers de l' escorte, les teneurs de guides étaient nus; les chevaux étaient nus. Et nue la terre sous les pieds. les sabots et les roues, nue la terre qui tendait vers le soleil déclinant le filet de ses ornières noirâtres.
Il n'y avait personne sur la terre.
Il n'y avait rien sur la terre.
Les percherons de pierre grise s' arrêtèrent d' eux-mêmes sur la crête. Un grand effondrement se produisit alors dans le ciel dont les quartiers saigneux roulèrent mollement derrière l'horizon.
Les lanières de cuir s' abattirent sur les cadavres. Vainement.
Les lances des soldats, les lances des ornières s' enfoncèrent dans les chairs inertes. Vainement.
Il fallut débarder les morts.
Il fallut les jeter au vent.

Les morts
La mansarde, 1946





Je t'ai peu à peu dévêtue
De cette peau de rêves
De ces baisers cousus
Et soudain nue tu m'apparus
Plus rien de moi n'était à toi
Et tu t'enfonçais loin de moi
Mais ce que j' avais su te prendre
Et qui peut-être était le meilleur de moi-même
Me collait aux doigts comme un fard
Dont je ne savais que faire
Tourné vers les beaux seins que j' aime.

Refaire la nuit, 1943



..............................................................................
Federico, la terre a bu ton sang de violette
Et de vin noir,
Et cela fait une tache ronde
Au pied d'un mur d'Andalousie
Une tache ronde comme la lune entière
- Gâteau de blé rouleau de chanvre -
Qui roulait dans ta chambre petite
Et déchirée!
Ronde comme le ventre blanc de Lolita
Dont nul n' étanchera la blessure,
Ronde comme la bille de diamant fauve
De ta prunelle,
Ronde comme la ronde des filles et des garçons
Ronde comme une médaille...
- Non, plutôt ronde comme
Une monnaie,
Une pauvre monnaie de bronze
Que chacun a dans sa poche,
La fille et le mendiant,
Le guitariste et le marchand.
Une monnaie de quatre sous à ton effigie,
A ton effigie qui regarde en face,
Car tu es mort de face
Federico!
esquisse pour un tombeau
de Federico Garcia Lorca
(6 février 1947)



À vous lectrice et lecteur de poursuivre !

Sur la Toile :
• dans l'Humanité du 14 avril 1990
• dans le magazine "Actualité Poitou-Charentes" n°53.
• Quelques textes.

Commentaires

Merci pour cette présentation de Jean ROUSSELOT.
On le connaît pour ses poèmes graves et sensibles mais on le connaît moins pour ses poèmes légers. En voici un :

Une nouvelle fleur

Va-t'en tu m'embêtes
Dit le liseron
Au papillon perché sur la clochette

Liseron t'es bête
Dit le papillon
Vois plutôt comme mes couleurs
S'accordent bien à ta blancheur
A nous deux ne sommes-nous point
La merveille de ce jardin ?
Je me repose et tu y gagnes.

Le liseron dit oui et s'en trouve très bien
Venu pour l'arracher le jardinier l'épargne
Et s'en va le menteur
Se dire l'inventeur
D'une nouvelle fleur.

Écrit par : alain barré | samedi, 18 février 2006

Merci Alain pour cet ajout plus léger.
Je souligne à nouveau mes limites dans une connaissance plus approfondie de Rousselot. L'importance c'est de mettre sur le chemin, comme lui m'avait mis sur celui de la poésie contemporaine d'alors.
Les trois bouquins qui viennent - Artaud, Rilke, Reverdy - vont encore me poser davantage de problèmes ; ce ne sera qu'une approche émotionnelle très limitée !
Mais les bouquins sont là sur les étagères, si peu ouverts. Il est certain qu'écrivant sur ces auteurs, je témoigne plus de mon expérience parfois très limitée de lecteur.

Écrit par : grapheus tis | samedi, 18 février 2006

Très intéressant ! Comme quoi "l'ortograf" mène à tout ! Je r'viendrons !

Écrit par : all-zebest | dimanche, 19 février 2006

Les commentaires sont fermés.