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vendredi, 13 juillet 2007

sur un poignet sectionné

Centenaire Char


Le Tour de France — sera-t-il moins "pourri" que les années précédentes ? — me ramène à Char. L'étape d'Autun ne peut que me pousser à ouvrir à nouveau La Nuit talismanique, à lire avec une plus grande lenteur Relief et louange, tout en regardant avec ardeur cette mince carte d'un bas-relief où s'étend dans un verger Ève, Ève d'Autun.
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Du lustre illuminé de l'hôtel d'Anthéor où nous
coudoyaient d'autres résidents qui ignoraient
notre alliance ancienne, la souffrance ne fondit
pas sur elle, la frêle silhouette au rire trop
fervent, surgie de son linceul de l'Epte pour
emplir l'écran rêveur de mon sommeil, mais sur
moi, amnésique des terres réchauffées. Le jamais obtenu,
puisque nul ne ressuscite, avait ici un
regard de jeune femme, des mains offertes et
s'exprimait en paroles sans rides.

Le passage de la révélation à la joie me précipita
sur le rivage du réveil parmi les vagues de
la réalité accourue ; elles me recouvrirent de leurs sables bouillonnants.
C'est ainsi que le caducée
de la mémoire me fut rendu. Je m'attachai une
nouvelle fois à la vision du second des trois
Mages de Bourgogne dont j'avais tout un été
admiré la fine inspiration. Il risquait un œil
vers le Septentrion au moment de recevoir sa
créance imprécise. À faible distance, Ève d'Autun,
le poignet sectionné, ferait retour à son cœur
souterrain, laissant aux sauvagines son jardin
saccagé. Ève suivante, aux cheveux récemment
rafraîchis et peignés, n'unirait qu'à un modeleur
décevant sa vie blessée, sa gaieté future.

Relief et louange

L'onirisme du premier paragraphe ne peut qu'émouvoir celui qui retrouve dans le sommeil les gestes d'une amante disparue." Le jamais obtenu" me bouleverse dans son irréversible déchirure.
Et pourtant cette joie au matin pour "un regard" et des "paroles sans rides".
L'obscur du second paragraphe laisse remonter des bribes qui me ramènent aux textes "serpentaires" : "le caducée de la mémoire", et cette main au poignet sectionné qui cueille la pomme conduisent au quatrième Fascinant : le Serpent (note du 24 février).
L'Ève suivante porte-t-elle la joie imméritée ?

Je crois qu'en août, je passerais volontiers par Autun pour caresser le poignet de cette Ève et rencontrer le second des trois Mages de Bourgogne.

mercredi, 11 juillet 2007

de amicitia III

Centenaire René Char

122. — ALBERT CAMUS À RENÉ CHAR
[Paris] vendredi 18 mai 1956

Cher René,

Je viens de relire La bibliothèque est en feu. Vous n'avez jamais mieux ajusté l'un à l'autre une certaine liberté et un cerain malheur. Ceux qui sont, jour après jour, affrontés à la « bouillie de fer » s'appuient sur vous, écoutent votre voix comme la leur. C'est vrai. Avant de vous connaître, je me passais de la poésie. Rien de ce qui paraissait ne me concernait. Depuis dix ans au contraire, j'ai en moi une place vide, un creux, que je ne remplis qu'en vous lisant, mais alors jusqu'au bord.
Qu'allons-nous devenir est une question qui n'a pas de sens. Nous sommes devenus. Je le sais en vous lisant. Nous avons seulement à fructifier, de nos propres fruits, quoique dans l'hiver. La question est seulement de savoir ce que la vie, ou du moins ce qu'il y a en elle d'adorable, va devenir.
Cela seul suffit à faire souffrir. Mais si nous sommes malheureux, du moins nous ne sommes pas privés de vérité. Cela, je ne le saurais pas tout seul. Simplement, je le sais avec vous.
Très affectueusement.
A.C.


Réf. : Albert, Camus, René Char, Correspondance 1946-1959, Gallimard, mai 2007.

dimanche, 01 juillet 2007

de amicitia II


« Chance... que l’amitié ait pris entre nous cette force qui enjambe l’absence... »
Camus à Char, janvier 1954


En feuilletant parallèlement et par hasard, chez Co et Jo, un chaleureux livre d'amitié, Le marin à l'ancre, quand, épistolairement (!) Bernard Giraudeau fait "voyager" Roland, son copain en fauteuil. La sensualité y est belle, plus populaire certes, mais
« Ré n'est pas Nuku Hiva. »
C'est certain, mais moi qui, comme vous, Bernard Giraudeau, ai abordé les deux îles, je ne suis pas sûr que, dans l'instant où l'une et l'autre nous sont apparues sur l'horizon, il n'y ait pas eu la même émotion. Comme ce soir encore quand la mémoire les fait à nouveau surgir pour des partages amicaux.
Je lis avec bonheur et Giraudeau et Camus.

samedi, 30 juin 2007

de amicitia

Centenaire Char


«... l'envie d'écrire des poèmes ne s'accomplit que dans la mesure précise où ils sont pensés et sentis à travers de très rares compagnons.»


«... C'est une lettre silencieuse que j'aurais aimé vous écrire, comme la planche de Parménide dont parle Nietzsche, celles-là sont seules pleines de ce qui convient. »


René Char à Albert Camus

vendredi, 01 juin 2007

commencer le mois par les mots

Char centenaire


Comme les larmes montent aux yeux, puis naissent et se pressent, les mots font de même. Nous devons seulement les empêcher de s’écraser comme les larmes, ou de refouler au plus profond.
Un lit en premier les accueille : les mots rayonnent. Un poème va bientôt se former, il pourra, par les nuits étoilées, courir le monde, ou consoler les yeux rougis. Mais pas renoncer.

Le Bâton de rosier, X


Quand les larmes font écrire, pour continuer de vivre.

dimanche, 27 mai 2007

allumer des éclats

Char centenaire


pour me dégourdir le mental, l'Esprit-Saint m'ayant oublié par fort coup de vent de 8 à 9 Beaufort,
puisé en vrac dans les éclats d'un jeune surréaliste :


Tu es pour la feuille hypnotisée dans l'espace
À l'approche de l'invisible serpent
Ô ma diaphane digitale !
...................................

Seuls aux fenêtres des fleuves
Les grands visages éclairés
Rêvent qu'il ny a rien de périssable.
..................................

La rose violente
Des amants nuls et transcendants.
..................................

Le sang est à quai. À chaque époque ses lesteurs.
..................................

Arcade sourcilière almée de l'amoureuse.


au hasard dans
Le Mateau sans maître

vendredi, 25 mai 2007

des mots, encore des mots

Char centenaire

Dans les textes de Char, les traces sur les “mots” sont relativement tardives : il faut atteindre La Parole en archipel pour rencontrer les premiers questionnements.
Questionnements déjà en tension : accueil et soupçon et ce, dès le surgissement des traces :

On ne peut commencer un poème sans une parcelle d’erreur sur soi et sur le monde sans une paille d’innocence aux premiers mots.
Dans le poème, chaque mot ou presque doit être employé dans son sens originel. Certains, se détachant, deviennent plurivalents. Il en est d’amnésiques. La constellation du Solitaire est tendue.

La Bibliothèque est en feu,
La parole en archipel.


Rejet que l’usage quotidien imprime :

N’incitez pas les mots à faire une politique de masse.
Faire du chemin avec...,
Fenêtres dormantes et porte sur le toit.


Le poète qui versifie en marchant bouscule de son talon frangé d’écume des centaines de mots à ce coup inutiles...
Victor Brauner,
II. Alliés substantiels
Recherche de la base et du sommet.


Ô mots trop apathiques, ou si lâchement liés ! Osselets qui accourez dans la main du tricheur bien séant, je vous dénonce.
L’âge cassant,
Recherche de la base et du sommet


D’où l’incitation à être vigilant sur les sens, d’où l’incitation au travail :
Les jours de pluie, nettoie ton fusil. (Entretenir l’arme, la chose, le mot ? Savoir distinguer la liberté du mensonge, le feu du feu criminel.)
À une sérénité crispée,
Recherche de la base et du sommet


Ô la nouveauté du souffle de celui qui voit une étincelle solitaire pénétrer dans la rainure du jour ! Il faut réapprendre à frapper le silex à l’aube, s’opposer aux flots des mots.
Seuls les mots, les mots aimants, matériels, vengeurs, redevenus silex, leur vibration clouée aux volets des maisons.

Lombes,
Aromates chasseurs



Quand j’ai commencé ces quelques notes sur les mots, avais-je lu ? avais-je oublié l’intervention de Georges Mounin dans Europe (janvier-février 1988) sur Char et le langage, élargissant le thème à la relation langage/poésie, à partir de la préface de Jean Roudaut dans la Pléiade et faisant une référence appuyée à l’entretien de France Huser et René Char, Sous ma casquette amarante ?

Char, un “linguiste”, mais d’atelier. Un poète, quoi !
les mots... redevenus silex.

samedi, 19 mai 2007

la librairie telle qu’en elle-même

Char centenaire

note adressée à JCB, en espérant qu'il lui reste encore une boite de chocolats

A Bordeaux, à l'angle des rues Porte-Dijeaux et Vital-Carles, Mollat est toujours Mollat.
J’avais entre les mains la Correspondance Camus-Char que, déjà, je voyais sur une table Le père Diogène de Ryner. Mais j’étais là pour Char.
Je m’évite une “montée” à Paris : j’ai mis dans mon panier le catalogue de l'exposition Char à la BNF. Toutes les toiles exposées n’y sont pas et je manquerai la contemplation de certaines peintures — il y a belle lurette que j’ai composé mon Musée imaginaire en collectionnant les cartes postales, plus tard les livres, souvent offerts — ; cependant, je regretterai les "Nicolas de Stael" et les "Vieira Da Silva".

Je retiendrai une photographie très poignante de Giacometti dessinant le visage de Braque mort : le profil émacié du sculpteur laissant deviner une tendresse attentive.
Je n’oublie pas son dessin évoqué dans ma note du 28 février sur le serpent et la femme ; il me faut encore écrire une ou deux notes sur les mots dans les textes de Char — près de vingt occurences —avant de revenir au Serpent, le troisième Fascinant, que je lis toujours comme le contre-sens du mythe adamique — vous savez, cette histoire de la Genèse (III,1-24) où il est question d’une pomme, d’une femme, d’un serpent, d’un homme, de la connaissance, du bien et du mal, tous ces êtres sans majuscules !

J’ai glissé dans le panier, juste avant de passer à la caisse, Poèmes en archipel, anthologie de textes de René Char (en Folio, pas en Poésie/Gallimard) ; à Nantes, je l’avais plusieurs fois feuilleté et chaque fois reposé sur la table ; je n’aime guère, hors les miennes ou celles de très proches, les anthologies. Celle-ci, introduite par Pascal Charvet, est fencore ortement dominée par madame Char et Paul Veyne et annonce clairement son projet pédagogique “pour le grand public et particulièrement pour le public scolaire”. Et pourquoi pas ?
Ne sais trop qu’en penser ? Brève introduction au poème, précédée d’une introduction au recueil, en fausse page, de belles illustrations que l’on retrouve dans tous les bouquins sur Char : ça peut aider. Le choix ne cède pas à la facilité. Madame Char et monsieur Veyne acceptent à nouveau l’aphorisme.
Mais réduire les Dentelles de Montmirail à quatre d’entre eux m’évoque plus une amputation qu’une anthologie.
Quelle aurait été mon entrée dans Char avec un tel livre, il y a cinquante ans ? Je ne regrette pas le lyrisme obscur du bouquin de Pierre Berger ; il en rajoutait, mais n’atténuait point l’éclat du logos.

Ce logos de Char qui serait fichu de me faire à nouveau pratiquer la vertu théologale de l’espérance.
Mais non !

Revenir de tout l’avenir au présent et le garnir de son espoir même jamais réalisé.

lettre de Char à Camus du 4 octobre 47

mardi, 15 mai 2007

Dans la luzerne...

Char centenaire


Écrit sur
Dans la luzerne de ta voix tournois d’oiseaux chassent soucis de sécheresse.

Afin qu’il n’y soit rien changé, 3
Seuls demeurent

in Fureur et mystère.



Soucis de sécheresse

Un soir de désert une aridité de ronces au feu de la gorge je garde mémoire d’un visage nomade ses yeux brûlent
le lendemain accédant au haut-plateau l’horizon ardent des chaumes l’air crisse de soleil au midi effarant

Hamada de Tinrhert, Sahara oriental



Tournois d’oiseaux

Un soudain bruit de vent spirale piaillante et gaie aussitôt entendue et déjà si lointaine revient bientôt cette trombe duveteuse qui agite le ciel d'orage obscurci aile immense de plaisir en l’air palpitant frais

Baie de Cadix, Andalousie atlantique




Dans la luzerne de ta voix

Coupé à large faulx dans le matin d’été ce fourrage humidité tiède d’abondance sensuelle À rouler de désir dans cette charretée de provende odorante comme parole de FEMME

Pré-gras du Pont-Ligneau, rive de Sèvre

dimanche, 13 mai 2007

quand le jardinier sarcle son poème

Char centenaire

pour Maguitte, Gasconne retirée aux confins du Pays Pourlet


Quand l'homme qui s'est approprié les aphorismes héraclitéens* se meut en fabuliste, on se dit que Char aurait pu être aussi un La Fontaine provençal.

N’égraine pas le tournesol,
Tes cyprès auraient de la peine,
Chardonneret, reprends ton vol
Et reviens à ton nid de laine.

Tu n’es pas un caillou du ciel
Pour que le vent te tienne quitte,
Oiseau rural ; l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite.

L’homme fusille, cache-toi ;
Le tournesol est son complice.
Seules les herbes sont pour toi,
Les herbes des champs qui se plissent.

Le serpent ne te connaît pas,
Et la sauterelle est bougonne ;
La taupe, elle, n’y voit pas ;
Le papillon ne hait personne.

Il est midi, chardonneret.
Le séneçon est là qui brille.
Attarde-toi, va, sans danger :
L’homme est rentré dans sa famille !

L’écho de ce pays est sûr.
J’observe, je suis bon prophète ;
Je vois tout de mon petit mur,
Même tituber la chouette.

Qui, mieux qu’un lézard amoureux,
Peut dire les secrets terrestres ?
O léger gentil roi des cieux,
Que n’as-tu ton nid dans ma pierre !

Complainte du lézard amoureux
les Matinaux.


On retrouve le jardinier, un "jardinier transcendental", qui éclaircit, sarcle, bine. À preuve, en lisant ce poème dans le hors-série récent que Télérama** consacre à Char, pp.76-77, ma mémoire de lecteur assidu se met à claudiquer :

à la strophe III
Quand l'homme gronde, cache-toi ;
Le tournesol est son complice...


à la strophe IV
...La taupe, elle, n'y voit pas ;
Là, tu n'as à craindre personne.


à la strophe V
...Le séneçon est là qui brille ;
Préfère-le aux noirs cyprès
À la semence des charmilles
.

à la strophe VI
Les chats de ce pays sont sûrs
Écoute,
je suis bon prophète ;
Je vois tout de mon petit mur...


à la strophe finale
Ô léger gentil roi des cieux,
Le tournesol n'est plus ton maître.


Il me semble qu'il s'agit d'une version antérieure, sous forme d'épreuve, que s'est proposé d'illustrer Miro pour une édition italienne (?)
Dans la version définitive, la strophe II a été ajoutée, les V et VI inversées. La tâche du jardinier a donné force à la fable et corrigé les écarts de rythme. Je regrette peut-être l'effacement des chats, mais l'innocent papillon me console dans cet aujourd'hui de "vainqueurs".

C'est quasi la rigueur aphoristique qui resurgit en un rythme octosyllabique ; le jardinier esquisse un pas de gavotte —deux fois quatre temps, à la mode de Bretagne — et n'oublie point que l'harmonie des contraires, basse continue des écrits de Char, — un petit reptile amoureux d'un petit oiseau — provoque la beauté.

* Dans La Sorgue et autres poèmes, madame Char et monsieur Veyne estiment que le terme "aphorisme" est impropre et trompeur. J'ose renvoyer Paul Veyne, professeur au Collège de France, aux définitions du terme grec "aphorismos" que propose "le Bailly", qui n'est peut-être plus le dictionnaire grec de référence ; mais c'est le mien !

** Télérama ? Hélas ? N'est-ce pas, Dame du Tout à fait décousu ! Pas de regards neufs, sinon Jérôme Prieur, Pascal Charvet ; la mise en page et l'iconographie et l'ensemble des textes offrent un beau portail d'entrée pour une première approche.

mercredi, 09 mai 2007

la suite du 6 mai 2007


Obéissez à vos porcs qui existent. Je me soumets à mes dieux qui n'existent pas.
Nous restons gens d'inclémence.


Contrevenir
La parole en archipel.

René Char

vendredi, 04 mai 2007

carénage et autres

On n'abat plus en carène ; je le fis naguère : on échouait le bateau sur une plage, d'un côté à marée basse, puis de l'autre à la marée suivante. Aujourdh'hui, on sort le voilier de l'eau et on le pose sur un ber.
Il est beau, Dac'hlmat sur son ber.
Donc carénage et ponçage, lessivage et lasurage : modestes chantiers tardivement entrepris dans un printemps précoce !

Certain(e)s ne pourront plus me taxer d'incivisme, je suis revenu sur ma décision "nihiliste" : je voterai par procuration.
Entre deux deux banalités, y'a pas le feu ! L'eau féminine est la moins trouble ! Mais elle me semble encore lointaine, cette VIe République.

Le blogue est donc remisé, quelques jours, dans la cabane du jardin, le blogueur redevenant vieux marin.

Et même, point de chroniques portuaires : ça en réjouira certaines, en attristera d'autres.
Ainsi vont les eaux des océans et des rivières.
Ce pourrait un aphorisme d'Héraclite. À moins qu'un Char...

Tenez, de Char, pour son centenaire :

Quand on a mission d'éveiller, on commence par faire sa toilette dans la rivière. Le premier enchantement comme le premier saisssement sont pour soi.

mercredi, 25 avril 2007

« Mais si les mots sont des bêches ? »

Char centenaire


Tiré du Poème pulvérisé, Suzerain que j’ai mentionné avant-hier était précédé d’un écrit autrement plus fondamental dans le rapport à la langue :

Quand s’ébranla le barrage de l’homme, aspiré par la faille géante de l’abandon du divin, des mots dans le lointain, des mots qui ne voulaient pas se perdre, tentèrent de résister à l’exorbitante poussée. Là se décida la dynastie de leur sens.
Seuil,
Le Poème pulvérisé
.


Dieu est mort ! Soit !
Mais Char pressent qu’il nous est important de garder de l’ancienne langue qui célébrait le sacré, la ferveur première des mots.
Ne fut-ce que pour nous tentions de maîtriser l’exorbitante poussée qui nous mène de notre appropriation du monde à la démence de sa destruction ?

Plus trivialement, dans un texte lu en 1946, à la Radiodiffusion française, il avait souligné la capacité de vie et de résistance des mots aux manœuvres de mort :

Des mots échangés tout bas au lendemain de 1940 s’enfouissaient dans la terre patiente et fertile de la révolte contre l’oppresseur et devenaient progressivement des hommes debout...
La liberté passe en trombe
I. Pauvreté et privilège
Recherche de la base et du sommet.


Quels mots ? Les miens ! Les vôtres !
À chacun d’entre nous de les tirer de nos lointains, de remonter à la dynastie du sens que nous faisons nôtre.

Entends le mot accomplir ce qu'il dit. Sens le mot être à son tour ce que tu es. Et son existence devient doublement la tienne.
La scie rêveuse,
Le nu perdu
.

dimanche, 22 avril 2007

le mot dans les écrits de Char et ...dans les nôtres

Char centenaire


Évoquer centenaire un poète que je fréquente depuis plus de cinquante ans offre quelques remises en question chez le “chasseur au carnier plat”. Par exemple, celle d’avoir été un lecteur trop hâtif, sautant d’image en image, d’aphorisme évident en aphorisme clair — qui me paraissait clair.

Je pense qu’il faut lire Char en marchant : les pulsations de ses textes sont les pulsations cardiaques d’un marcheur. J’ai trop couru.
À l’instar de Peter Handke — son témoignage dans le numéro d’Europe en janvier-février 1988, Nager dans la Sorgue – il eût fallu traduire. Traduire oblige au mot-à-mot.
Il n’y eut guère que les Feuillets d’Hypnos et la Lettera Amorosa pour échapper à mes “rapports” précipités, parce que l’un et l’autre, je me les suis mis “en bouche” pour l’Autre, les autres.
Et il y a, s’ajoutant à la cadence du marcheur, l’oralité, une oralité proférée. Avant même d’avoir écouté Char disant ses poèmes, je l’entendais déjà, je l’ai toujours “entendu”.

La lente attention est venue plus tard quand je m’interrogeais, enfin, sur mon propre comportement d’écrivant.
Plus tard ? Quand Char publia Chants de la Balandrane en 1977.
Il achevait le recueil par une sorte d’étude lexicographique, Le dos tourné, la Balandrane, démarche qu’il avait déjà inaugurée dans la Lettera amorosa avec la page finale sur l’iris, Sur le franc-bord.
Mais surtout, le quatrième texte Ma feuille vineuse allait décider d'un retour sur mes pratiques d’écriture et la première phrase sera, d’écrits en interventions, reprise comme un leitmotiv ; elle sera d’ailleurs l’exergue de ce blogue, un dimanche d’octobre 2004 :
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de cette flotte composée d’unités rétives, et le temps d’un grain son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés.


Plus de vingt occurences, depuis Suzerain dans Le Poème pulvérisé :
Il m’apprit à voler au-dessus de la nuit des mots, loin de l’hébétude des navires à l’ancre.


Jusqu’à l’entretien de 1980, Sous ma casquette amarante, avec France Huser :

Les mots... Le malheur intérieur qui favorise la poésie n'a ni politesse ni majesté. C'est attiser un feu dans un endroit aride. On s'émerveille de la fumée, des taches bleues, des flammes vasculaires, de la liberté météorique. J'ai d'abord une représentation, avec mes cinq sens, des choses advenues. Voici les mots exactement comme si je participais à un bal. Bons voleurs ! Ils valsent, hésitent, fouettent l'air, déploient leurs facettes, et soudain j'arrive sur leur amande intérieure : leur amarre — c'est-à-dire le sens le plus propice à celui qu'exige le poème sur lequel je suis penché. Il y a le sens originel du mot, mais aussi ses attirances, ses répulsions, et cette logique de la poésie qui n'est jamais ni absente ni gangrenée.


Au sortir du maquis, Char pensera le mot en artisan, en fabricant, l’interrogeant, le caressant, le rudoyant, le repoussant, dans la colère, la rudesse, le doute, la tendresse, malgré lui — parfois — rejoignant le linguiste et tous ces êtres langagiers que nous sommes, vous et moi, dans cette incessante tension de la Parole et de la Langue.

notre parole
comme cri
larme
souffle
délire
rire
geste

de notre nécessité vitale

notre langue
comme cadres
règles
rigueurs

de nos nécessités sociales

harmonie de nos déchirures


Merci à Char de garder “force de mots jusqu’au bord des larmes”.
Nous allons continuer de remuer ce terreau.

vendredi, 13 avril 2007

outils de menuiserie : un lecteur au travail

Char centenaire


Lors du dernier atelier “Jalons pour une éthique”, fin mars, l'animateur propose Ricœur et son approche de l’aporie du Mal, illustré par le mythe adamique, Ève et Adam, le paradis terrestre, l’arbre de la connaissance du bien et du mal, la pomme et le serpent.
Le 11 avril, me procurant Paradisiaques de Quignard en poche, la première de couverture est une miniature extraite des très Riches Heures du Duc de Berry, représentant “Adam et Ève dans le jardin d’Éden”, miniature qu'il faudra confronter au fusain de Giacometti (notre du 28 février 2007)

Voici donc, insistant, le retour du Serpent, le maudit de la Genèse, le messager du Satan, antagonique au débonnaire serpent de René Char.

Mais je pense qu’avant de livrer ma lecture du serpent et la contre-lecture de l’histoire d’Adam et d’Ève, que propose Char, il me faut évoquer — ce qui eût dû être présenté quand j’ai inauguré cette évocation du Char centenaire — les outils que le poète conseille à son lecteur et son comportement face aux “mots”. Enfin, ce que, moi, je perçois et comprends comme outils et comportement.

Et d’abord la relation de lecture, les rapports écrit Char :

Salut, chasseur au carnier plat !
À toi, lecteur, d’établir les rapports.

Merci, chasseur au carnier plat !
À toi, rêveur, d’aplanir les rapports.

Moulin premier, 68


Suis-je, lecteur, un chasseur au carnier plat ?
C’est ce que souhaite le poète : rencontrer un lecteur, certes en chasse, mais qui inaugure un geste de lecture, allégé de toute connaissance ou expérience antérieures à leur rencontre, le carnier plat.
D’un geste volontaire, le lecteur choisit de lire, d’établir. Décision de lier les deux expériences.

Le poète remercie pour l’entrée du lecteur ; désormais, il le laisse libre à sa rêverie — rêveur de mots, écrit Bachelard du lecteur de poèmes — mais à une rêverie active, travailleuse, tout entière à la tâche de se confronter aux mots et aux images, à aplanir. Rencontre devenant au fil de la rêverie sans aspérités.

Rapports qui ne peuvent être que pluriels, impensables d’être ramenés à une singularité, à une univocité.

Établir et aplanir : l’établi et la plane, instruments de menuiserie, introduisent dans l’artisanat du poète.

Avant de retrouver le débonnaire serpent, il me faudra bien m’attarder, le moment d’une note ou deux, à cette confrontation aux mots qui surgit tout au long de l’œuvre d’un Char artisan.

Vint un soir où le cœur ne se reconnut plus dans les mots qu’il prononçait pour lui seul.
Le poète fait éclater les liens de ce qu’il touche. Il n’enseigne pas la fin des liens.

À faulx contente, 1972.