mercredi, 11 juillet 2007
de amicitia III
Centenaire René Char
122. — ALBERT CAMUS À RENÉ CHAR
[Paris] vendredi 18 mai 1956
Cher René,
Je viens de relire La bibliothèque est en feu. Vous n'avez jamais mieux ajusté l'un à l'autre une certaine liberté et un cerain malheur. Ceux qui sont, jour après jour, affrontés à la « bouillie de fer » s'appuient sur vous, écoutent votre voix comme la leur. C'est vrai. Avant de vous connaître, je me passais de la poésie. Rien de ce qui paraissait ne me concernait. Depuis dix ans au contraire, j'ai en moi une place vide, un creux, que je ne remplis qu'en vous lisant, mais alors jusqu'au bord.
Qu'allons-nous devenir est une question qui n'a pas de sens. Nous sommes devenus. Je le sais en vous lisant. Nous avons seulement à fructifier, de nos propres fruits, quoique dans l'hiver. La question est seulement de savoir ce que la vie, ou du moins ce qu'il y a en elle d'adorable, va devenir.
Cela seul suffit à faire souffrir. Mais si nous sommes malheureux, du moins nous ne sommes pas privés de vérité. Cela, je ne le saurais pas tout seul. Simplement, je le sais avec vous.
Très affectueusement.
A.C.
Réf. : Albert, Camus, René Char, Correspondance 1946-1959, Gallimard, mai 2007.
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