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dimanche, 22 avril 2007

le mot dans les écrits de Char et ...dans les nôtres

Char centenaire


Évoquer centenaire un poète que je fréquente depuis plus de cinquante ans offre quelques remises en question chez le “chasseur au carnier plat”. Par exemple, celle d’avoir été un lecteur trop hâtif, sautant d’image en image, d’aphorisme évident en aphorisme clair — qui me paraissait clair.

Je pense qu’il faut lire Char en marchant : les pulsations de ses textes sont les pulsations cardiaques d’un marcheur. J’ai trop couru.
À l’instar de Peter Handke — son témoignage dans le numéro d’Europe en janvier-février 1988, Nager dans la Sorgue – il eût fallu traduire. Traduire oblige au mot-à-mot.
Il n’y eut guère que les Feuillets d’Hypnos et la Lettera Amorosa pour échapper à mes “rapports” précipités, parce que l’un et l’autre, je me les suis mis “en bouche” pour l’Autre, les autres.
Et il y a, s’ajoutant à la cadence du marcheur, l’oralité, une oralité proférée. Avant même d’avoir écouté Char disant ses poèmes, je l’entendais déjà, je l’ai toujours “entendu”.

La lente attention est venue plus tard quand je m’interrogeais, enfin, sur mon propre comportement d’écrivant.
Plus tard ? Quand Char publia Chants de la Balandrane en 1977.
Il achevait le recueil par une sorte d’étude lexicographique, Le dos tourné, la Balandrane, démarche qu’il avait déjà inaugurée dans la Lettera amorosa avec la page finale sur l’iris, Sur le franc-bord.
Mais surtout, le quatrième texte Ma feuille vineuse allait décider d'un retour sur mes pratiques d’écriture et la première phrase sera, d’écrits en interventions, reprise comme un leitmotiv ; elle sera d’ailleurs l’exergue de ce blogue, un dimanche d’octobre 2004 :
Les mots qui vont surgir savent de nous ce que nous ignorons d’eux. Un moment nous serons l’équipage de cette flotte composée d’unités rétives, et le temps d’un grain son amiral. Puis le large la reprendra, nous laissant à nos torrents limoneux et à nos barbelés givrés.


Plus de vingt occurences, depuis Suzerain dans Le Poème pulvérisé :
Il m’apprit à voler au-dessus de la nuit des mots, loin de l’hébétude des navires à l’ancre.


Jusqu’à l’entretien de 1980, Sous ma casquette amarante, avec France Huser :

Les mots... Le malheur intérieur qui favorise la poésie n'a ni politesse ni majesté. C'est attiser un feu dans un endroit aride. On s'émerveille de la fumée, des taches bleues, des flammes vasculaires, de la liberté météorique. J'ai d'abord une représentation, avec mes cinq sens, des choses advenues. Voici les mots exactement comme si je participais à un bal. Bons voleurs ! Ils valsent, hésitent, fouettent l'air, déploient leurs facettes, et soudain j'arrive sur leur amande intérieure : leur amarre — c'est-à-dire le sens le plus propice à celui qu'exige le poème sur lequel je suis penché. Il y a le sens originel du mot, mais aussi ses attirances, ses répulsions, et cette logique de la poésie qui n'est jamais ni absente ni gangrenée.


Au sortir du maquis, Char pensera le mot en artisan, en fabricant, l’interrogeant, le caressant, le rudoyant, le repoussant, dans la colère, la rudesse, le doute, la tendresse, malgré lui — parfois — rejoignant le linguiste et tous ces êtres langagiers que nous sommes, vous et moi, dans cette incessante tension de la Parole et de la Langue.

notre parole
comme cri
larme
souffle
délire
rire
geste

de notre nécessité vitale

notre langue
comme cadres
règles
rigueurs

de nos nécessités sociales

harmonie de nos déchirures


Merci à Char de garder “force de mots jusqu’au bord des larmes”.
Nous allons continuer de remuer ce terreau.

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