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dimanche, 13 mai 2007

quand le jardinier sarcle son poème

Char centenaire

pour Maguitte, Gasconne retirée aux confins du Pays Pourlet


Quand l'homme qui s'est approprié les aphorismes héraclitéens* se meut en fabuliste, on se dit que Char aurait pu être aussi un La Fontaine provençal.

N’égraine pas le tournesol,
Tes cyprès auraient de la peine,
Chardonneret, reprends ton vol
Et reviens à ton nid de laine.

Tu n’es pas un caillou du ciel
Pour que le vent te tienne quitte,
Oiseau rural ; l’arc-en-ciel
S’unifie dans la marguerite.

L’homme fusille, cache-toi ;
Le tournesol est son complice.
Seules les herbes sont pour toi,
Les herbes des champs qui se plissent.

Le serpent ne te connaît pas,
Et la sauterelle est bougonne ;
La taupe, elle, n’y voit pas ;
Le papillon ne hait personne.

Il est midi, chardonneret.
Le séneçon est là qui brille.
Attarde-toi, va, sans danger :
L’homme est rentré dans sa famille !

L’écho de ce pays est sûr.
J’observe, je suis bon prophète ;
Je vois tout de mon petit mur,
Même tituber la chouette.

Qui, mieux qu’un lézard amoureux,
Peut dire les secrets terrestres ?
O léger gentil roi des cieux,
Que n’as-tu ton nid dans ma pierre !

Complainte du lézard amoureux
les Matinaux.


On retrouve le jardinier, un "jardinier transcendental", qui éclaircit, sarcle, bine. À preuve, en lisant ce poème dans le hors-série récent que Télérama** consacre à Char, pp.76-77, ma mémoire de lecteur assidu se met à claudiquer :

à la strophe III
Quand l'homme gronde, cache-toi ;
Le tournesol est son complice...


à la strophe IV
...La taupe, elle, n'y voit pas ;
Là, tu n'as à craindre personne.


à la strophe V
...Le séneçon est là qui brille ;
Préfère-le aux noirs cyprès
À la semence des charmilles
.

à la strophe VI
Les chats de ce pays sont sûrs
Écoute,
je suis bon prophète ;
Je vois tout de mon petit mur...


à la strophe finale
Ô léger gentil roi des cieux,
Le tournesol n'est plus ton maître.


Il me semble qu'il s'agit d'une version antérieure, sous forme d'épreuve, que s'est proposé d'illustrer Miro pour une édition italienne (?)
Dans la version définitive, la strophe II a été ajoutée, les V et VI inversées. La tâche du jardinier a donné force à la fable et corrigé les écarts de rythme. Je regrette peut-être l'effacement des chats, mais l'innocent papillon me console dans cet aujourd'hui de "vainqueurs".

C'est quasi la rigueur aphoristique qui resurgit en un rythme octosyllabique ; le jardinier esquisse un pas de gavotte —deux fois quatre temps, à la mode de Bretagne — et n'oublie point que l'harmonie des contraires, basse continue des écrits de Char, — un petit reptile amoureux d'un petit oiseau — provoque la beauté.

* Dans La Sorgue et autres poèmes, madame Char et monsieur Veyne estiment que le terme "aphorisme" est impropre et trompeur. J'ose renvoyer Paul Veyne, professeur au Collège de France, aux définitions du terme grec "aphorismos" que propose "le Bailly", qui n'est peut-être plus le dictionnaire grec de référence ; mais c'est le mien !

** Télérama ? Hélas ? N'est-ce pas, Dame du Tout à fait décousu ! Pas de regards neufs, sinon Jérôme Prieur, Pascal Charvet ; la mise en page et l'iconographie et l'ensemble des textes offrent un beau portail d'entrée pour une première approche.

Commentaires

Promenade littéraire, cette semaine, du côté du Thor. Sous le ciel d'un bleu dur d'émail, les champs de coquelicots paraissent plus rouges et les cyprès plus noirs. Nous sommes là dans les vraies marges du poème... Foin des notes infrapaginales et désespérément prosaïques de M. Veyne ! ...

Écrit par : C.C. | dimanche, 13 mai 2007

Merci, Constantin, pour le franc coloriage du poème.

Écrit par : grapheus tis | lundi, 14 mai 2007

Les commentaires sont fermés.