jeudi, 31 août 2006
Chronique portuaire de Nantes XX
Au XVIe Siècle
1575.— PIRATERIES DES GALÈRES ROYALES.
Les galères royales, en dépit de leur mission de protéger les navires marchands, ne se gênaient pas parfois pour agir en véritables pirates, rançonnant et pillant ceux ausquels elles devaient au contraire aide et assistance.
C'est ainsi qu'en 1575, tandis que les pirates protestants de la Rochelle interceptaient tout commerce entre Nantes et la mer, les galères royales du Baron de la Garde, au lieu de leur donner la chasse, joignaient leur piraterie à celle de ces forbans; et sous le prétexte qu'elles ne recevaient plus le salaire auquel elles avaient droit, rançonnaient les navires de commerce qu'elles pouvaient atteindre (1).
1582. — GALÈRES ROYALES ARRÊTÉES COMME PIRATES.
Le 26 septembre 1582, la Ville se plaignit au sieur de la Hunaudaye, Lieutenant- général pour le Roi en Bretagne, de ce que deux galères de la station de Nantes croisaient incessamment à l'entrée de la Loire, troublant le commerce, pillant et rançonnant les navires entrant et sortant. La plainte ayant été portée au Roi, il donna l'ordre au Duc de Retz, Lieutenant-général des galères, d'amener à Nantes les deux galères pirates et d'arrêter leurs capitaines Paul et Emile Artivitis.
La Ville fit aussitôt équiper une galère royale, commandée par le capitaine Charles, auquel elle donna 200 écus d'or pour frais d'armement. La galère royale sortit et ne tarda pas à s'emparer des deux pirates (2).
LE PORT DE NANTES EN 1582.
D'Argentré décrit ainsi Nantes dans son Histoire de Bretagne : « Elle sied sur la rivière de Loyre et sert de boulevart contre toutes les saillies et incursions hors du Royaume...
Elle est riche, belle, forte et pleine d'apports et négociations d'Espaigne, d'Angleterre, d'Hirlande, de Flandres, des Allemagnes et des Terres-Neuves... » (3).
1583. — DÉPLACEMENT DU CHANTIER DES GALÈRES.
En 1583, le chantier des galères et vaisseaux, situé jusqu'alors au Port-au-Vin, fut transféré sur la grève de l'Ile-Gloriette, et le Port-au-Vin aménagé pour le chargement et le déchargement des navires (4).
Le bras de Loire situé en face le Port-au-Vin (place du Commerce), de même que celui longeant la pointe de l'Ile Gloriette étaient loin d'ailleurs d'être aussi resserrés qu'ils le sont actuellement ; ce qui explique la situation en ce lieu des chantiers des galères et vaisseaux. D'une part, en effet, les quais actuels ont été construits sur des atterrissements postérieurs à cette époque ; et, d'autre part, l'Ile Feydeau n'existant pas encore, les deux bras du fleuve qui l'enserrent maintenant n'en faisaient alors qu'un seul, avec peut-être au milieu une étroite bande de sable, qui, accrue successivement par de nouveaux apports et plantée de saules, d'où son nom de grève de la Saulzaye, ne fut aménagée qu'au XVIII'" siècle.
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(1) MEURET, Annales de Nantes, t. II, p. 70.
LESCADIEU et LAURANT, Histoire de Nantes, t, I, p. 277.
(2) TRAVERS, Histoire de Bretagne, t. II, p. 511.
(3) D'ARGENTRÉ, Histoire de Bretagne, chap. X.
(4) LE BEUF, Du Commerce de Nantes, p. 50.
MEURET, Annales de Nantes, t. II, p. 82.
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dimanche, 27 août 2006
Houat ou l'Angélus* du matin
Er Ryoc'h dans l'Est.
La grève de Tréac'h Gouret dans l'Ouest — y débouche Lann er Hoet, petit val de l'île, où se retira en ermitage Gweltas (Gildas), le moine gallois qui avait fondé l'abbaye de Rhuys où, six siècles plus tard, Abélard vint cacher son émasculation. —
Quasi déserte !
Qui paraît quasi déserte.
Henri Thomas** y vécut, dit-on, entre 1982 et 1986. Je l'ai peut-être croisé, ces années-là, vers le Béniguet. Vint-il, lui enfant de paysans vosgiens, y vivre les ultimes nostalgies de ses pérégrinations maritimes ?
Je cherche et j'ai trouvé des poèmes au bord de la mer, comme on cherche des fragments de bois ou de pierre étonnamment travaillés et polis par les flots.
Ces poèmes résultent eux aussi du long travail, du long séjour de quelque chose dont l'origine, la nature première m'échappent (comme je ne saurais dire d'où viennent ce galet, ce poisson de bois lourd), dans un milieu laborieux qui est moi-même - conscience ou inconscient continuellement en mouvement.
..............................................
La longue forme confondue
Avec l'eau bleue qui la remue
Et le soleil multiplié;
Crinière humide sur le sable,
Jambes ouvertes au ciel pur,
Grande, enfantine, insaisissable,
Combien de jours aux blancs nuages,
Combien de nuits auront passé,
Et dans ses yeux quelles images?
Vais-je garder, inépuisé,
Le goût de sel de ces baisers
Sur tout son corps, après la nage ?
.............................................
Ainsi le nageur, la mer le soulève,
Et l’offre au soleil, et le resssaisit,
Il voit l’avenir, une immense grève,
Où se coucher nu dans l’après-midi.
.............................................
La mer est belle, mais le jeu des muscles lisses
Est plus beau, qui s'achève en sursaut de délice
Dans la noirceur mouvante où je suis le nageur
Jamais las de renaître et mourir sur ton cœur
Et fouler de baisers le golfe de tes cuisses
Comme après le naufrage on chérit son sauveur.
* Pour celles et ceux qui ignoreraient le rite catholique de l'Angélus, le site "Serviam". Très allergiques aux "choses pieuses" (!), s'abstenir. Les cloches tintent trois fois trois coups suivis d’une volée.
Ne retenons peut-être que la beauté certaine de ce rite dans le paysage sonore !
**Henri Thomas, Poésies, Poésie/Gallimard, 1970
• Deux sites :
- Esprits nomades
- Calou, l'Ivre de lecture
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jeudi, 24 août 2006
Chronique portuaire de Nantes XIX
Au XVIe Siècle
1573. — ARMEMENT DE LA " LUCRESSE ".
Par lettre du 5 Mai 1573, M. de Bouille, lieutenant général du roi en Bretagne, demandait à la ville de Nantes cinq vaisseaux pour se réunir à la flotte française destinée à chasser les Anglais de Belle-Ile.
Cet ordre portait : «Tault que ladite ville de Nantes fournisse à faire l'avance d'armer lesdits cinq navires d'artillerye et munitions, et autres choses nécessaires, fournir de vitailles pour ung moys ou six sepmaines, et de bons mariniers, harquebuziers au plus grant nombre qu'ilz pourront et le reste de ce qu'il sera requis de mettre d'arquebusiers davantaige, on les fournira estant icy ».
Après d'interminables pourparlers et atermoiements, la ville fut contrainte d'obéir à cet ordre et arma d'abord la Lucresse, de Nantes, que Nicolas Gérard et le sieur Lailler, « cappitaines et maistres après Dieu », promettent d'équiper : « en bon équipage et comme apartient à ung navire de guerre, pour faire service à Dieu, au Roy, et à ladicté Ville par le temps de seix sepmaines avec les aultres navires que fourniront à ladicté fin les dits sieurs, suyvant ledict voulloir et intention dudict sieur de Bouille.
Scavoir est que lesdits Gérard et Lailler mectront dans ledict navire jusques au numbre de soixante troys bons hommes mariniers, eulx comprins, et les maistres, contre-maistres, carsonnniers, maistres vallectz, canonniers, barbier, trompette et aultres mariniers jusques au nombre de soixante et troys, bien esquipez et garniz de harquebuses et aultres armes requises et nécessayres..... Item seix grosses pieczes de fonte montées sur roues, et quatre passe-vollans en bois (faux canons destinés à faire nombre parmi les autres).....
Item saeze aultres pieczes d'artillerye, quatre douzaines de picques et ce qui leur sera requis de pouidres à canon et de munition, avec boulletz de tous les calibres, mèches, potz et barils à feu, et aultres munitions de guerre.....
Et oultre feront faire iceulx Lailler et Gérard, à leurs despans, une enseigne de taffetas à six lez noir et blanc, qu'est la livrée de ladicté ville, avec ung escuszon par le millieu, portant les armes de ladicté ville, au dessus duquel sera escript, en lettres d'or aparantes ce mot Nantes... » (1).
Les Nantais armèrent dans les mêmes conditions la Fleur-de-Lys, capitaine André Mabilaut ; l'Espérance, capitaine Pierre Brunel ; et la Francoyse, capitaine Guillaume Magouet.
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(1) Annales de Bretagne, t. III, pp. 469-489, t. IV, pp. 3-29.
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dimanche, 20 août 2006
après et avant
Après avoir trié, rangé, mis en ordre, mis en carton, en caisse, en sac, avant "début des travaux" et ...rentrée littéraire — que je ferai à contre-temps (hors le Tumulte !) —
nous allons, Noémie, Célia, Hél, Nicléane et moi, prendre quelques mouilages sur les grèves de nos îles.
En triant des papiers, trouvé ceci qui n'était jeu et pas encore "d'atelier" :
Qu'est-ce que l'écologie ?
Un silence entre deux éternuements.
Qu'est-ce que la tendresse ?
C'est un éclair au chocolat.
................................................
Si nos pères avaient plané
autant que nous
les prolétaires seraient tous
dans des pantalons d'académiciens.
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jeudi, 17 août 2006
« L'arc crie »
« L'arc crie. »
aurait écrit Camus.
Vains dieux ! Que ces émissions sur la pensée de midi sont belles et revigorantes. Raphael Enthoven est un Passeur.
Peut-être, les deuxièmes heures avec des invités ayant connu Camus ont-elles quelques faiblesses anecdotiques ?
Je n'ai jamais eu honte de n'être qu'un pratiquant de ce "philosophe pour classes terminales" ; d'ailleurs je ne suis pas allé plus avant. Ma mère m'avait dit : « Tu as le bac ! Va gagner ton pain ! »
J'ai souvent mis au propre et au figuré, en chair et en penser, mis mes pas dans les pas de Camus.
Les voisinages d'Héraclite et de René Char n'y furent point étrangers.
J'ai trop de jeunesse en moi pour pouvoir parler de la mort. Mais il me semble que si je le devais, c'est ici (à Djémila) que je trouverais le mot exact qui dirait, entre l'horreur et le silence, la certitude consciente d'une mort sans espoir.
Le vent à Djémila.
Post-scriptum : France Cul annonce les émissions comme pouvant être "podcastées" ; je n'ai pu charger que celle de ce 17 août.
18:00 Publié dans les lectures | Lien permanent | Commentaires (0)
Chronique portuaire de Nantes XVIII
Au XVIe Siècle
1560.— GALÈRES ROYALES EN LOIRE.
Les Calvinistes commençant à s'agiter dans l'Ouest, le Roi donna ordre au Général des galères, le Grand Prieur de Capoue, de se rendre à Nantes avec ses navires. Les galères arrivèrent en Loire en septembre 1560 ; et leur présence, tout en rassurant les habitants, n'en constituait pas moins une charge très lourde pour la ville (1).
1564. — CRÉATION DU CONSULAT.
Le Tribunal de Commerce ou Consulat fut créé à Nantes par un Edit de Charles IX, donné en avril 1564, et enregistré le 10 octobre suivant. Ce tribunal se composait d'un premier juge, ou juge-marchand, et de deux consuls. Les premiers élus furent Mathieu Vivien, Guillaume Poullain et Charles Chrétien (2).
1565. — CHARLES IX À NANTES ; L'ARMATEUR RHUYS.
Charles IX étant à Chantoceaux et se disposant à venir à Nantes, la Ville envoya au devant de lui une petite galère magnifiquement ornée. Le Roi ne s'en servit d'ailleurs pas, mais la considérant comme un cadeau de bienvenue, il la donna à l'un de ses seigneurs auquel la Ville la racheta 200 livres, le 14 octobre 1565, afin de pouvoir restituer les riches tentures et les meubles de prix qu'elle avait empruntés pour son ornementation.
Charles IX entra à Nantes le 12 octobre ; le lendemain vendredi, il dînait à la Fosse chez le riche armateur André Rhuys de Embibo, sieur du Cartron, d'origine espagnole, et qui demeurait en la maison encore connue sous le nom de maison des Tourelles (3).
André Rhuys reçut également Henri III et Henri IV dans cette splendide demeure, défigurée depuis par l'adjonction de deux étages ; et la tradition rapporte même que ce fut dans la maison des Tourelles qu'Henri IV signa, en 1598, le fameux Edit de Nantes : « le plus bel acte de la monarchie française » (4).
*
1571. — ANDRÉ RHUYS ET LES GALÈRES DU ROI.
Par suite de la pénurie des caisses de l'Etat, les équipages des galères du Roi stationnées en Loire n'avaient pas été payées. Invité par le Général des galères, le Baron de la Garde, Gouverneur de la Marine du Levant, à fournir la somme nécessaire, la Ville ne savait pas où se la procurer, et parlait d'établir un nouvel impôt, lorsque l'armateur nantais André Rhuys, le Rotschild de ce temps-là, vint à son aide et versa au Général des galères 4.500 écus d'or (5).
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(1) DOM MORICE, Preuves de î'Hisfoire de Bretagne, t. III, col. 1258-9.
(2) J.-C. RENOUL, Le Tribunal Consulaire à Nantes, pp. 23-25.
EXPILLY, Dictionnaire des Gaules, Article Nantes.
(3) VATTIER D'AMBROYSE, Le Littoral de la France, Côtes Vendéennes, p. 384.
GUIMAR, Annales Nantaises, p. 313.
(4) Baron G. DE WISMES, Les personnages sculptés des monuments religieux et civils de Nantes, p. 99.
(5) LE BŒUF, Du Commerce de Nantes, p.46
* Le château de Nantes en 1565 , par J. Chudeau.
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lundi, 14 août 2006
veuve abusive/sexualité peinarde/virée estivale en Aquitaine
veuve abusive
et...sexualité peinarde
virée d’été en Aquitaine
Ce pourrait être un haïku à la Bashô, ce n’est qu’un bref raccourci de deux lectures dans la presse de la semaine dernière au cours de laquelle nous passâmes — bonheur des lieux-dits —
à Guillemont aux confins de l’Albret et de l’Armagnac,
à Pilar Baïta entre mer et montagne Basques,
à La Hume, aux bords du Bassin d’Arcachon,
à Clos-Favols, dans les banlieux nord de Bordeaux
à Seurin dans le si paisible Entre-Deux-Mers,
pour une dernière halte au Haut-Plantier, quand le Périgord Vert s’ébroue dans de beaux arrondis de collines ; chaque halte fut d’amicale tendresse, de savoureuses nourritures et de vins chaleureux.
Je pourrais écrire aussi : du Lycosthène à Er Klasker en passant par le Cœur de Ptah.
Car n'en déplaise aux grincheux, la Toile ne tient que renforcés les liens du blogueur.
C’est à la Hume que surgit “la veuve abusive” . Nous parlons de Borgès ; Em me dit que j’aurai du mal à me procurer le tome II des œuvres complètes en Pléiade — ça fait quelques mois que mon libraire prend un air dubitatif quand je lui demande si l’on peut espérer la réédition de Borgès en Pléiade, j’ai le tome I, mais en 1999, je devais être désargenté quand parut le 2 — en ouvrant le Nouvel Obs, je comprends tout, et la remarque de Em et la moue du libraire.
La garce ! Marie Kodama aurait déclaré qu’elle fera ce qu’elle veut de l’œuvre de Borgès. Je sais bien que l’immense Aveugle a écrit que “la publication n’est pas la partie essentielle du destin d’un écrivain”, je sais bien que j’ai quasi tous ses bouquins en broché et en poche, que j’ai — déboutée, la veuve ! — les trois “Dialogues” d’Osvaldo Ferrari. Mais il va s’ennuyer mon tome 1, tout seul entre l’unique Char et les deux Gracq où le hasard de mon ordre intérieur l’avait glissé.
Veuves abusives, sœurs abusives ?
Ne connait-on point de veufs de même acabit ?
Le glissement de la belle - mais garce, elle demeure - Kodama au gorille n’est dû qu’au fortuit - qui paraît fortuit, aurait écrit Borgès - ; c’est en lisant à Clos-Favols les numéros du Monde de la semaine dernière, et plus particulièrement, celui du 9 août dans un article de Catherine Vincent, que j’ai appris que nos compagnons anthropoïdes avaient des relations amoureuses, parfois identiques aux nôtres, parfois autres, vraiment autres :
Prenons le gorille et son cortège d'idées reçues. Un être hypersexuel qui kidnappe et viole les femmes ? Le monstre n'existe que dans les chansons de Brassens, les contes africains et l'imaginaire colonial. Et si le héros du film King Kong* (de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, 1933) apparaît à l'écran dépourvu de ses attributs virils, ce n'était peut-être pas dans le seul but de masquer toute sexualité explicite comme l'exigeait à l'époque Hollywood. C'était peut-être aussi - fût-ce de manière inconsciente - pour cacher la vérité peu spectaculaire de leur dimension.
Cinq centimètres tout compris en érection, c'est peu pour un géant agressif et violeur... Mais c'est ainsi : le plus grand, le plus noir, le plus craintif des anthropoïdes possède un sexe minuscule. Et la libido d'un eunuque - libido que les femelles, il faut dire, ne stimulent guère. Elles ne se laissent conter fleurette qu'une fois tous les quatre ou cinq ans, lorsqu'elles estiment avoir fini d'élever leur petit dernier. Mais il leur faut alors, parfois, insister lourdement pour réveiller les ardeurs de leur mâle, qui s'acquittera laborieusement de ses devoirs conjugaux : trois cents mouvements de bassin répartis en trois chevauchées par heure, pendant trois heures, pour obtenir une éjaculation.
La contrepartie ? Un harem harmonieux, composé d'une dizaine d'individus : des femelles et leurs petits sur lesquels un mâle adulte "à dos argenté" règne en parfait pater familias. Sans volupté, mais dans la sérénité.
Il va m’arriver de penser qu’il m’eût peut-être été parfois salutaire de jouir de la sexualité peinarde du gorille.
Façon d’esquiver quelques complexités qui surgirent naguère et... jadis !
Je me rappelle que Macédonio a dit un jour que l’enlacement de deux corps n’est rien d’autre qu’un appel lancé par une âme à d’autres âmes...
Jorge Luis Borgès
Ernesto Sabato
CONVERSATIONS À BUENOS AIRES
* Borgès éreinte le film dans une notice brève (tome I de la Pléiade, p. 974).
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jeudi, 10 août 2006
Lettre à Anne
J’aime bien ces justes décades qui ponctuent nos âges. Depuis quarante ans liés par une coutume qui avait la sagesse de ne pas restreindre la co-éducation de l’enfant et de l’adulte au seul cercle familial, à la demande de ta mère et de ton père, je te tins donc sur des “fonts” où tu reçus l’eau, l’huile, le sel et la lumière.
J’étais dans les plus bas-fonds de ma vie, depuis deux ans dans les parages de la camarde, corps déserté, ne sachant même entre deux belles - peut-être même trois - laquelle élire.
L’été fut sombre, très sombre !
Mais voilà que surgissait cet enfant.
Toi, « Infante » !
Je me suis senti cet après-midi-là réorienté grâce à cette palpitation vagissante que je tenais dans mes bras.
Quarante après, tu es dans ton apogée de FEMME. C’est ce que nous fêtons aujourd’hui.
Après l’apogée, ce n’est point régression, c’est une orbite vitale qui peut s’inscrire dans des épanouissements autres. Quand tu seras, comme ta mère, ton père et moi, le sommes, dans “cette enfance du Grand Âge”, tu sauras qu’il y a de belles joies à encore vivre.
Je t’offre trois jalons simples* - d’humbles bouquins de poche - mais dont le sens va pour moi bien au-delà du support papier.
Tu es, seule, celle qui, grâce à ton compagnon et tes enfants, me relie encore par chair, sang et mental à un pays dont le passé fut, à beaucoup d’entre nous, fastueux.
Je te devais bien de poursuivre par ces petits livres - le décousu des rencontres n’est qu’anecdote - notre mutuelle tâche de coéducation que nous inaugurâmes, toi et moi, il y a quarante ans.
Nous nous rencontrerons encore ; j’ai même l’audace de me réinviter à célébrer dans trente ans, tes soixante-dix ans, l’âge que j’ai atteint cet an.
Je te prends dans mes bras de parrain et t’embrasse fort.
* SAPPHO, L’égal des dieux,
KATEB Yacine, Nedjma,
DJEBAR Assia, La disparition de la langue française.
La calligraphie arabe est le nom de Nedjma.(en couverture du poche "Seuil")
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Chronique portuaire de Nantes XVII
Au XVIe Siècle
1554. — GALÈRES ROYALES À NANTES
C'est à Nantes que stationnaient les galères royales du Ponant, commandées
par Baccio Martelli, puis par Pietro Strozzi. En 1554, elles étaient au nombre de 22, et le Duc d'Etampes, gouverneur de Bretagne, dans la crainte des Espagnols dont on annonçait la flotte, ordonna au Général des galères de les tenir armées, et demanda à la ville plusieurs milliers de salpêtre pour leur artillerie (1).
1555. — DROITS DE VISITE AU PORT DE NANTES.
Une Ordonnance de Henri II, en date du 30 mars 1555, fixe les droits de visite que pouvait percevoir le Lieutenant commandant de la ville et du Château de Nantes, le Comte de Sanzay, Ce droit de visite avait pour but de s'assurer de la qualité des personnes et de la nature des marchandises sur tous les vaisseaux depuis Nantes jusqu'à la mer. Aucun capitaine ne pouvait mettre à la voile sans un certificat du Lieutenant de la Ville, à peine de confiscation du navire et des marchandises, L'Ordonnance fixait ainsi les droits que pouvaient percevoir les agents du Lieutenant : « vingt soûls tournois pour tout le jour, si tant est vaqué par eux inclus, encores leurs despents ; ou dix soûls tournois pour demi-jour entier, et cinq soûls tournois pour deux heures » ; de plus il était dû un escus sol ! à titre d'expédition, brevet et mesurage (2).
1557. — COMMERCE DES SELS À NANTES.
Dans une réclamation au Roi, contre les exactions du Comte de Sanzay, Lieutenant de la Ville, les députés du commerce de Nantes, Loriot et Aubert, mentionnaient : « que tous les ans arrivent « au port de Nantes cinq à six mille vaisseaux amenant sels des marais de Guérande et de la baye (Bourgneuf) » (3),
Ces vaisseaux n'étaient, il est vrai, que des barques de 50 tonneaux, mais néanmoins leur grand nombre nous donne une idée de l'importance du commerce des sels à Nantes, à cette époque, Nantes était en effet l'entrepôt des gabelles du Royaume, et ses magasins s'alimentaient, non seulement aux salines de la presqu'île guérandaise et de Bourgneuf, mais recevaient également en grande quantité des sels de Portugal et d'Espagne.
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(1) LA RONCIÈRE, Histoire de la Marine Française, t. III, p. 463.
TRAVERS, Histoire de Nantes, t. II, p. 333.
(2) MEURET, Annales de Nantes, t. II, pp. 27-8.
(3) HUET, Recherches Economiques et Statistiques, p. 127.
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samedi, 05 août 2006
pour nuancer la note antérieure
« Il n'y a que vous qui sache si vous êtes lâche et cruel, ou loyal et dévotieux ; les autres ne vous voient point, ils vous devinent par conjectures incertaines. »
Montaigne
Je m'en vas, une semaine, en Aquitaine visiter quelques ami(e)s. Je n'irai pas à Malagar ; j'y suis déjà passer : le point de vue est magnifique, mais que la maison est tristement froide !
Je ne rencontrerai pas monsieur Joyaux, mais la lecture nocturne de Montaigne me conseille certaine humilité dans mes propos d'auditeur, quant à la mollesse civique du dit monsieur.
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vendredi, 04 août 2006
Mauriac, suite et fin
Fin de la semaine "Mauriac, vous comprenez ?" sur France Cul. Voilà de bien bonnes émissions ; cinq fois trois heures et demie sur un écrivain. Un "Camus est annoncé pour la semaine du 14 au 18 août.
Quel dommage que l'avant-dernière heure sur Mauriac ait été polluée par l'infatuation de monsieur Philippe Joyaux dit "Sollers". Impossible de morgue, ce mec !
Je ne déteste point ses romans que je lis à la "polar", j'ai apprécié souvent même ses chroniques qu'il rassembla dans la Guerre du goût et Éloge de l'infini ; mais ce matin, ajoutant à son ton de donneur de leçons, il a franchi les bornes de l'esquive.
Par exemple, quand il parle du courage de Mauriac et des risques encourus par ce dernier, j'aurais aimé qu'il en dise un peu plus quand, retors, il se glisse dans l'évocation de cette période : ……la guerre d'Algérie qui m'a affectée personnellement...»
Évoquerait-il l'hopital militaire de Belfort en 1962 et sa schizophrénie simulée (!) ? L'intervention de Malraux pour une réforme définitive* ? Comment justifierait-il six ans de sursis - il est né en 1936 - pour une incorporation qui ne se fait donc qu'en 1962 ? Par la poursuite de ses études (?) ou grâce à sa toute fraîche renommée de jeune écrivain talentueux ?
Et les deux millions de jeunes citoyens de son âge, "affectés" eux aussi par cette sale besogne ?
J'aime pas, j'aime pas !
M'sieu Joyaux, faut pas immiscer sa mollesse civique de petit bourgeois lettré dans le courage des autres !
* Faits mentionnés dans Philippe SOLLERS, Philippe Forest, Les contemporains, le Seuil, 1992
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Chronique portuaire de Nantes XVI
AU XVIe siècle
1549. — CONSTRUCTION D'UN QUAI AU PORT-MAILLARD.
La Ville fit construire en 1549 un quai au Port-Maillard, à la demande des marchands d'Orléans qui offraient 2000 livres pour ce travail » (1). Nantes était en effet la clef de la rivière ; et la batellerie de la Loire, alors très importante, aboutissait tout aux nombreux petits ports échelonnés le long des quais, soit pour y décharger les marchandises du Centre de la France qui s'embarquaient ensuite pour tous les points du monde, soit au contraire pour charger les marchandises de mer à destination de l'intérieur.
1551. — NAUMACHIE SUR LA LOIRE EN L’HONNEUR DE HENRI II.
Claude Juchault, dans : « La très heureuse et agréable Entrée du magnanime et puissant Roi Henri de Valois en son noble pays et duché de Bretagne, et spécialement en la plaisante et forte ville de Nantes », décrit ainsi le combat naval qui fut donné au roi pour son divertissement, le mardi 12 juillet 1851 : « Après souper le Roy délibéra d'aller voir un combat sur l'eau audit lieu de la Fosse. Pour lequel faire, avoient à grands frais et mises les ditz Nantois, évoqué et appelé du Croisic quelques capitaines de guerre, et avoient fait bastir et équipper trois fustes (sorte de navires) bien étoffées, munies et frétées d'artilleries, lances, javelotz, dards, targes et rondelles, et de toutes munitions de guerre navale, quelles les ditz capitaines dévoient fournir et garnir d'hommes de nations étrangères, comme Mores,- Outre, garnir une Nau (nef) à la françoise au secours de laquelle devoient venir les Bretons en une autre, et faire de sorte que la Nau françoise eut remportée victoire des ditz Mores et nations étranges, qui estoit l'intention de l'ordonnance des seigneurs et gouverneurs de la Ville.
« Donques le Roy, yssant du château par ladite fausse porte de devers la rivière, monta en sa galliotte, et la Royne en la sienne, et dessendirent au dit lieu de la Fosse ; puis montèrent au cail cy-dessus mentionné revestu et orné comme auparavant. Et lors commencèrent les ditz combattans au premier son des trompettes, voltiger et courir sus les uns aux autres, décharger de l'artillerie, et à force de rames s'entre accoster, cramponer et donner assautz et alarmes, jetter dardz, allumer lances à feu vif et grégois, lequel ardoit et bruloit aussi bien en eau qu'il eust fait en paille sèche, non sans le péril et danger des ditz combattans,... Lesquelles choses faisoit fort bon à voir et oyr. Mais en ces entrefaites, à cause du jour défaillant, le Roy remonta incontinent sur l'eau et se retira avec la Royne au Château » (2)
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(1) LE BŒUF, Du Commerce de Nantes, p. 38.
(2) Bulletin de la Société Archéologique de Nantes et de la Loire-Inférieure, t. I, p. 41
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jeudi, 03 août 2006
le conflit de ces jours-ci
Rien écrit, si peu parlé depuis le début du conflit de ces jours-ci !
Après plus de quarante ans de certitude, d'engagement parfois, parce que la Palestine devait vivre, parce que la Palestine doit vivre, je suis moins assuré de l'iniquité israélienne.
Pour la première fois, je doute et redoute : l'avenir par le Hezbollah ne peut être qu'assombri et sans doute plus atroce que l'horreur présente de cette guerre !
Nous errons auprès de margelles dont on a soustrait les puits.
René Char
Feuillets d'hypnos, 91.
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mercredi, 02 août 2006
un alexandrin seul
Fils du ciel qui cuvais le vin bleu dans les granges
Il est des jours qui n'ont besoin que la luminosité d'un seul vers. C'est François Mauriac interpellant Rimbaud dans un poème d'Orages
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mardi, 01 août 2006
pas mauriacien, mais...
C’est mieux que bien, l’été sur France Culture.
Cette semaine par exemple, trois heures sur "Mauriac, vous comprenez", rediffusion de la biographie des Rolling Stones écrite et lue par François Bon, Les ultras des Lumières avec Michel Onfray...
Littérature, musique, philosophie ! Le bonheur de penser, quoi !
Paresseusement acagnardé, quand à la canicule succèdent les fraîcheurs venteuses de noroît, dans la “librairie” à simplement écouter.
C’est ainsi qu’hier matin en conduisant les “The Nana’s” au Club hippique, j'entends un texte de style néo-symboliste qui me rappelle une ambiance adolescente, où s’évasent, dans la songerie, des images surannées et cruelles quand la sensualité grecque rejoint la culpabilité chrétienne, effleurées par le sentiment troublé d’amours indifférenciées. C’est lu avec un rien d’emphase, mais ça me ramène à un vers de Mauriac : “cette main où ne luit pas d’anneau” — je suis toujours à la recherche de ce poème.
Je ne suis guère “mauriacien”. Peu de lectures, mais attentives et denses.
Ces poèmes d’adolescence, retrouvés au printemps 93 quand la beauté des jeunes filles et du dieu se mêle indéfinie à l’émoi des amitiés amoureuses - mais c’est autre chose que les amitiés particulières du sieur Peyreffitte ; c’est tout aussi lourd, charnel, coupable mais... chaste ! Si, si !
Marsyas ou la Grâce
Dans cette après-midi mortelle où le feu règne,
Marsyas, — ô doux corps qu'un Dieu jaloux torture, —
Je te confonds avec ce jeune pin qui saigne :
Ton sang a le parfum de sa résine pure.
Un papillon de nuit s'englue à ta blessure.
La lande qu'aucune eau du ciel ne désaltère
Crie indéfiniment de toutes ses cigales,
Et le soleil arrache à celte morne terre
L'odeur de miel brûlé qu'ont les bruyères pâles.
Mais ce qui te consume, ô jeune plante humaine,
C'est l'amour de ton Dieu. plus cruel que la haine.
Il aime tant les corps qui souffrent, ce dur maître,
Qu'à des baisers de feu son choix se fait connaître.
Il change l'eau en vin et la douleur en joie ;
Le grain choisi bénit la meule qui le broie,
Et Marsyas, chair baptisée en proie aux mouches,
Sourit au ciel d'airain avec sa blême bouche.
Orages, 1925
dans Le Feu secret, Orphée/La Différence, 1993
Plus tard, le Bloc-notes qui, dix ans durant, va soutenir la réflexion des années “algériennes” et au-delà.
Quel roman plus poignant que celui-là ?
Quelle histoire inventer remporterait en intérêt sur celle que je raconte ici et qui ne s’invente pas ? « Mais la première aventure venue ! » aurais-je répondu autrefois. C'est qu'à l'âge des passions nous ne sommes attentifs qu'à la littérature romanesque, leur écho et leur reflet, jusqu'au jour où, la jeunesse finie, à l'approche du dernier tournant, notre propre rumeur ne couvre plus le clapotis quotidien de la politique, car tout en nous devient silence, désormais, et solitude. Alors nous professons que la lecture des romans nous ennuie et qu'aux plus belles histoires imaginées, il faut préférer l'inimaginable Histoire. C'est pourtant la mienne qui continue à travers le Bloc-notes — non pas celle du monde, mais celle d'un homme.
J’aurai donc lu Mauriac à contre-courant puisque c’est Thérèse Desqueyroux qui est bien l’unique roman de Mauriac que je lirais et relirais, fasciné – amoureux ? – de cette révoltée.
Mais aussi pour cause de ce sentiment “géographique” qui m’agite toujours quand j’arpente des paysages qui me conduisent à feuilleter des pages de roman. Ainsi de quelques mois d’été et d’hiver passés dans la belle clairière de Pesquit, à quelques kilomètres de Saint Symphorien.
La dernière nuit d'octobre, un vent furieux, venu de l'Atlantique, tourmenta longuement les cimes, et Thérèse, dans un demi-sommeil, demeurait attentive à ce bruit de l'Océan. Mais au petit jour, ce ne fut pas la même plainte qui l'éveilla. Elle poussa les volets, et la chambre demeura sombre; une pluie menue, serrée, ruisselait sur les tuiles des communs... Le premier jour de mauvais temps... Combien devrait-elle en vivre au coin de cette cheminée où le feu mourait ?
J’avoue que le film de Franju, athée et sans recours à une céleste grâce, exhausse et libère Thérèse avec tout autant de force que le roman de Mauriac son créateur croyant, n’en déplaise à Claude, le fils de ce dernier (postface à l’édition du Livre de Poche).
Voici donc comment pour cause de radio, j’ai, ces jours-ci glissé de Pierre Jean Jouve à François Mauriac, retrouvant la même pesanteur de la Grâce et une identique allégresse du péché, “le feu de la chair et la blancheur du ciel” : allant de Catherine Crachat à Thérèse Desqueyroux : visages de femmes - belles ? peut-être point, mais femmes solaires et nocturnes “dont on subit le charme”.
Femmes créées, "vivantes", au-delà de la puissance de leurs créateurs ; je ne pense point que Jouve et Mauriac s’offusqueraient de ce dépassement
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