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mercredi, 29 juin 2005

De Gijon

Blogue de Biscaye
au port de Gijon, le 27 juin 2005


...pour l’âme timide, le petit voyage est aussi formidable que la longue exploration pour la grande âme. C’est intérieurement que s’accomplissent les voyages ; et les plus hasardeux, est-il besoin de le dire, s’accomplissent sans qu’on bouge d’un pouce. Mais le sens du voyage peut flétrir et mourir.

Henri Miller
Le colosse de Maroussi

« J’habiterai mon nom », fut ta réponse aux questionnaires du port.

Saint-John Perse
Exil

Je n’infligerai point aux lectrices et lecteurs la fastidieuse énumération du livre de bord avec ses horaires, son loch, ses caps vrais, ses vents.

Nous sommes à bord depuis le 13 juin. Une paisible dernière nuit en Vilaine et l’écluse était passée le 14 juin.
Deux jours entre Höedic et Houat pour que Hl. et Br. s’amarinent avant la traversée du Golfe.

Hoëdic avait retrouvé son atmosphère de naguère, un rien dépravée entre une dizaine de campeurs “babas” aux regards éteints et l’équipage d’un vieux gréement en goguette, qui s’était - l’équipage - sans doute trop désaltéré à la bière-Picon de la “Trinquette” : les dames s’étaient “lâchées” et les messieurs tentaient de leur faire garder un reste de dignité.

À Houat, l’air est toujours plus digne et les îliens se partagent toujours entre celles qui envoient leurs enfants à l’école “libre” et celles qui les envoient à l’école laïque, entre ceux qui vont au bistrot et ceux qui n’y vont point. Je n’ai jamais recoupé les critères. Je suis allé saluer Léone, notre cuisinière de naguère quand nous réalisions nos formations de photographes-animateurs avec l’Institut national d’Éducation populaire de Marly ; elle m’accueille toujours avec un large sourire. Nous avons fait nos dernières vivres chez “Rémy”, le boulanger qui recuit son pain une seconde fois, pour qu’il tienne mieux en mer.

À 13 heures nous larguions le corps-mort et à quarante minutes plus tard nous embouquions à la pleine mer le passage du Béniguet : le cap Péñas était à 255 milles ...nautiques, cap au 210 ; Ribadéo à 287 milles au 220.
Souvent, lors de nos croisières côtières, j’ai rêvé en franchissant le Béniguet de plonger dans le sud. Cette fois, ce fut la bonne.
Le vent léger d’ouest-sud-ouest nous a lâché sous Belle-Île et jusqu’au milieu de la première nuit, ce fut du moteur dans une mer hachée.
Traditionnel coucher de soleil sans nuages, donc sans magnificences, mais de beaux dégradés des oranges aux rouges pour s’atténuer dans des mauves et verts.
Quelques bateaux de pêche croisés au large de Yeu pendant le quart de Br.
Le vent n’est revenu qu’au petit matin par l’est-nord-est, pendant le quart de Hl.

Br. qui prétendait avoir le mauvais sort nous pêche des maquereaux. Préparés en papillotes au sel et à la moutarde par Hl. qui suit fort bien la tradition culinaire et maritime de Nicléane, sa mère ; ils sont toujours le régal des premiers jours de mer.
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Dauphins, une fois fois, deux fois trois fois.
Golfe désert.
Seconde nuit, claire, de pleine lune. Le vent de nordet est plus soutenu, 4 à 5 Beaufort : nous avons pris un ris dans la grand’voile pour passer une nuit paisible.
Golfe désert.
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Le 18 juin, le vent adonne au suet ; la météo nous annonce une rotation à l’ouest avec un renforcement pour l’après-midi. Le ciel se couvre par l’ouest. À 15 heures, le vent tourne effectivement et monte : Dac’hlmat allonge la foulée. À 17 heures, c’est du 20-25 nœuds d’ouest. Prise de ris et réduction de génois ! Nous maintenons le cap sur Ribadéo à 60 milles dans le suroît, mais le cap est serré et la mer se hache. Dac’hlmat passe fort bien à 5 nœuds dans ce méchant clapot qui va devenir vite inconfortable.

La météo de 20 heures nous confirme le passage perturbé jusqu’au petit matin ; à 20 heures 15, l’équipage se concerte ; le principe de plaisir, qui demeure nôtre, nous fait fait abattre sur Gijon qui est à 50 milles dans notre sud-sud-est. Vent de travers entre 25 et 30 nœuds, Dac’hlmat fonce à huit nœuds.
Hl. relèvera les trois éclats du cap Peñas à minuit. La mer s’apaise. À 4 heures, nous arrondirons la digue des Asturies.
Belle est Gijon dans ses lumières nocturnes !

Des Villes hautes s’éclairaient sur tout leur front de mer, et par de grands ouvrages de pierre se baignaient dans les sels d’or du large.

Saint-John Perse
Amers

Hl. et Br. ont débarqué depuis deux jours après avoir croisé entre Gijon et Luarca sous des ciels asturiens nuageux, mais tellement plus cléments que la canicule française.
Je suis seul à Gijon. J’attends Nicléane, Noémie et Célia, mes deux petites-filles.
J’aime beaucoup l’opulence tranquille de ce port asturien.
La darse est européenne : pavillons britanniques, allemands, hollandais, polonais même, français, assortis parfois du “Gwen ha Du”, le pavillon breton. Sous le pavillon dr courtoisie espagnol, j’ai monté celui des Asturies : croix d’or sur fond bleu, avec l’alpha et l’oméga
J’ai, en guise de viatique de lecture, entre autres livres, le Colosse de Maroussi d’Henry Miller que m’a laissé Hl., et Saint-John Perse.
Ce dernier, ce ne sont pas les circonstances marines qui me l’ont fait glisser dans mon sac, mais le simple fait qu’après Joachim Du Bellay , c’est le n°35 de la collection Poètes d’aujourd’hui que j’avais acheté en 1959 ; il est d’ailleurs accompagné du n° 65, Serge Éssénine. Retour aux poètes de ce temps ?
Mais il faut bien avouer que proférer du Perse en dévalant les houles du Golfe, c’est d’une belle et longue jouissance :

Et c’est un chant de mer comme il n’en fut jamais chanté, et c’est la mer en nous qui le chantera :
La Mer, en nous portée, jusqu’à la satiété du souffle et la péroraison du souffle,
La Mer, en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d’aubaine par le monde.
Saint-John Perse
Amers

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Post-scriptum :
Vous n’avez pas tout à fait échappé au livre de bord.
N’hésitez point, cependant, à utiliser la rubrique “commenter”, non pas pour le commentaire de ce qui est écrit, mais parce que nous pourrons ainsi avoir de vos nouvelles et que le blogue me semble autre manière d’expérimenter l’échange de nos courriels.

mardi, 28 juin 2005

Dac'hlmat est á Gijon

Dac'hlmat est donc Gijon après une fort belle traversée du Golfe.
Le blogue navigue moins bien, petits et gros problémes de compatibilité entre Mac et les pc des cybercentres.
Pour tout courriel, soyez sympa : utilisez

dachlmat@voila.fr

Belles sont les Asturies !

Le matin du 29 juin

Le blogue MARCHE ! Résolues mes incompétences !

lundi, 23 mai 2005

Dac'hlmat en carène

Dac'hlmat à sec.
Sorti pour un carénage dont il avait bien besoin.
Et puis, il y avait nécessité de vérifier les dessous : quille, chaise de l'arbre, anodes, presse-étoupe.
Dans trois semaines, nous serons dans l'attente du bon créneau "météo"pour traverser le Golfe. Trois jours comme ceux qui s'annoncent jusqu'à samedi : vents d'est à suet, de 5 à 15 nœuds, cap au 250 sur la Estaca de Barès : fenêtre idéale !
Mais dans trois semaines, quid ?

Et le blogue ? Les cybercafés galiciens acceptent-ils les clés usb ? Où en est l'informatique collective de la péninsule ibérique ? Naguère, ce fut entre Galice, Portugal et Andalousie, un petit paradis : chaque port avait deux, trois, quatre cybercentres : tu pointais avec ta disquette 3,5 et tu envoyais tes courriels et tu lisais les messages amis. Les ports de Bretagne-Sud sont un désert !
Ce sera plus simple avec le blogue. Mais...
J'y pensais tout en passant le karcher cet après-midi.
Je rêvais aussi : cybercafés, bar à tapas, cidrerias et déchiquetés des si belles rias !

Retour de Foleux, écouté sur France Cul Travaux publics de Jean Lebrun avec un passionnant Bernard Stiegler
Encore une eau philosophale pour plonger ; "o'lé be'n aise" : il met les Grecs dans toutes ses phrases !

dimanche, 27 mars 2005

El Resucitado


Continuant de feuilleter le livre de bord de Dac'hlmat en mars 2002.


Le matin de Pâques verra un paso exhibant El Resucitado, un Ressuscité quasi nu, porté par vingt-quatre gaillards en chemise blanche, pantalon noir et gants blancs ; “exit” la kyrielle des pénitents, ce sont les enfants aux clochettes tintinnabulantes qui accompagnent le paso.medium_paq1.3.jpg
Curieusement, après un samedi silencieux, pour la célébration du ressuscité, la tension tombe, le mystère s’effiloche dans des lingeries sulpiciennes minimales.medium_paq2.4.jpg
Le Corps en gloire n’a plus la force surréaliste de la statuaire des jours précédents.
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Les stridences des trompettes, les roulements assombris des tambours s’atténuent dans les flonflons d’un orphéon chamarré.

Demeure, demeure l’extraordinaire effort des porteurs de paso, cette fois en pleine lumière. La charge honorifique se transmet de père en fils. Ils ont des gueules, ces pêcheurs andalous de la baie de Cadix.
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Quant à nous, la météorologie qui nous avait accueillis au pied des Pyrénées espagnoles dans une chaleur printanière s’était déchaînée en froid et furieux “Levante” depuis le Mercredi Saint, éteignant les cierges de la Vierge en procession nocturne à travers les ruelles de Rota et interdisant aux navigateurs tout espoir de franchir aisément ce fichu Détroit qui nous narguait à 60 milles de notre ponton. Le “Levante” souffla en ouragan, force 11 sur l’échelle Beaufort, entre 60 et 70 nœuds, bousculant les pontons de notre prochaine escale, Barbate. Dac’hlmat était solidement amarré par ses bonnes et solides aussières bretonnes à son catway de Rota, mais 35 à 40 nœuds, des heures durant, sous un ciel plombé de strato-cumulus pâles et gris rongeaient les... os de la voyageuse et les sangs du navigateur qui espéraient encore un soleil andalou.

La patience et la ruse étaient les vertus d’Ulysse ; nous les fîmes donc nôtres !
Le Détroit ne sera franchi que le 14 avril 2002.

Les photos publiées dans la note de vendredi et de ce jour sont de Nicléane

vendredi, 25 mars 2005

Un vendredi, il y a trois ans


Il suffit parfois de réouvrir un livre de bord, de feuilleter un album.
Une nuit de Semaine-Sainte dans un petit port d'Andalousie atlantique, Rota, et un vieux rêve qu'avait suscité naguère l'écoute du "Sketches of Spain" de Miles Davis, revit plus fascinant encore. Et qu'importent la foi et l'absence de foi ! Demeure la célébration funèbre d'un rite.


Quand apparaît le premier pénitent porte-croix entre deux autres confrères, les conversations s’éteignent petit à petit. Sur deux rangs, longs cierges allumés, portés en oblique, la longue file des pénitents Ils sont cinquante, cent. Hommes, femmes, parfois enfants. Seuls les yeux brillent dans l’étroite fente de la cagoule. Toutes et tous gantés, certain(e)s pieds nus... Lente et longue file où alternent les porteurs de crosses droites d’argent surmontées de lunules finement ciselées aux armes des confréries, de photophores, de bannières.
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À l’instar du porteur de la Croix qui ouvre la procession, en son milieu, accompagné lui aussi de deux pénitents, le porteur du Livre ! Certains se signent.
Longs arrêts des pénitents. Reprise de la marche. Heurt des crosses d’argent sur le pavé. Recueillement de la foule.
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Le roulement voilé des tambours plus proche et bientôt l’éclat comme assourdi des cuivres et des bois des fanfares.
Viennent les “pasos”, ces lourdes plates-formes qui portent les statues du Christ et de sa Mère la Vierge, “cette statuaire drapée dans les brocarts et les velours, aux visages de poupées surréalistes, suintant les larmes et le sang” qui nous avaient tant fascinés à Séville !
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Elles sont là en gloire sur ces podiums recouverts de dorures et d’argent, fleuris d’œillets et de lys, illuminés pour ceux de la Vierge d’un buisson de cierges.
Les pasos avancent au petit pas lent et tangué des dix-huit, vingt, vingt-quatre porteurs qui sont soit dissimulés sous le paso, soit sans cagoule, vêtus de l’aube de leur confrérie ; et l’on voit alors les lourds brancards rembourrés de cuir rouge. Un pas lent glissé rythmé par la musique funèbre de la fanfare qui suit.
Intense émotion quand lors d’une halte, soudain dans votre dos, s’élève d’un balcon, la plainte de la saéta, ce chant flamenco religieux qui célèbre le Christ flagellé, crucifié et sa Mère de toutes les Douleurs. Puis s’ébranlent à nouveau les pasos :soulèvement énergique, vacillement de la statue, des cierges, des photophores, un temps encore et reprend l’avancée lente et tanguée dans les murmures admiratifs et les applaudissements de la foule. Stridences suraiguës des petites trompettes de la fanfare qui prolongent la lamentation de la saéta.
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Difficile d’oublier dans cette houle de musiques et de lueurs nocturnes la longue chevelure du Crucifié s’emmêlant dans les arbres encore nus de la plaza d’España. Ta gorge se noue !
Miles Davis s’est avec splendeur approprié la beauté de ces lueurs et de ces sonorités déchirantes.
Le cortège s’efface dans la nuit des rues ; la foule se disperse et entre dans les tavernes encore ouvertes.
À chaque jour, sa confrérie et ses “pasos”. Pénitents blancs et cagoules noires le lundi. Pénitents noirs au scapulaire parme du mardi, aux coules blanches et cagoules vertes ou rouges du mercredi et du jeudi, le vendredi voyant les confréries se joindre en un interminable cortège suivi par une foule plus dense encore.
À chaque nuit, son Christ et sa Vierge :
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La Imagen del Santisimo Cristo del Amor
Nostro Padre Jesus de la Salud en su tres Caida
Maria Santisima de la Caridad
Nostra Senora de los Dolores y Santisimo Cristo de la Caridad
Nostro Padre Jesus Nazareno y Maria Santisima de la Amargure
Santisimo Cristo de la Vre-Cruz y Maria Santisima de las Angustias
El Resucitado


Mais qui ? Qui est donc est mort cette nuit-là ?

lundi, 31 janvier 2005

Pour prendre l'air, une dernière fois

Vincent Riou ne pousse-t-il point trop son option Nord. Il serait, cette nuit, à la lattitude de l'estuaire de ma Vilaine bien-aimée.
Par 47°31.00' N et 17°32.08' W

Oh ! Vincent !
Dumet et Yeu ne sont pas des marques de parcours à laisser sur tribord !

Le roi Jean ou, toi, le grand dauphin ?

Dac'hlmat, Breuded Penn ar Bed !
Tenez bon, les Finisterriens !

mardi, 18 janvier 2005

Prendre l'air

Des... qui n'ont point les bras raccourcis, ce sont celles* et ceux qui brassent les vents du monde. Les premiers du Vendée Globe sont déja sur le point de rentrer dans notre hémisphère.
J'avais un faible pour la simplicité rude de Jean Le Cam, mais le bizuth qu'est Vincent Riou est un sacré marin.

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Dac'hlmat, Breuded Penn ar Bed !

Tenez bon, les Finisterriens !
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* L'une d'elles, Anne Liardet, vraie "marine".

dimanche, 16 janvier 2005

Dans l'almanach

L'almanach du marin breton, bien sûr !
Pris hier chez "Sauve qui peut", mon accastilleur préféré. Avec une tentative de modernisation. Une tentative. Il est illustré de photographies aériennes des ports, certes utiles et lisibles, mais d'une tonalité verdâtre....
En guise de préface, une méditation épistolaire de Mr. Hervé Hamon sur horizon et large - manière sans doute de "mariniser" les citadins et les touristes qui, en achetant l'almanach, verseront à la bonne Œuvre du Marin Breton.


Pour éclaircir le sombre du "large", donc, connaître les heures de marée, identifier les feux et préparer les navigations à venir.

En prime, en haut de page - naguère, à chaque page - une sentence, un dicton, selon !
À croire que désormais, la littérature des Lumières circule dans les Foyers du Marin, c'est Diderot qui coiffe les pages 190-191 :

Le repos modéré rend à l'âme sa verve ; prolongé trop longtemps, il l'accable et l'énerve.

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On ne glisse point impunément de la morale catholique - et bretonne toujours - à l'éthique théiste.
Décidément, c'est du côté populaire que surgit la verve :
Quand le coq chante à la veillée, il a déjà la queue trempée !


À bon entendeur, salut.

Post-scriptum : J'aime bien l'almanach du marin breton.

mardi, 16 novembre 2004

Vent froid et mer agitée

Hier au soir, j'ai refermé le panneau du carré, vérifié une dernière fois les aussières et quitté le ponton.
Port Foleux était d'une grande paix.

Xavier et moi avions largué le corps-mort de Tréhiguier au lever du jour.

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Ce qui a été vu.
Le retour en nombre des guillemots ; le fuel de l'Érika leur fut une hécatombe. Mais cet automne, il y a comme une gaieté dans leur volètement au ras des vagues.

Beaucoup de casiers entre les Mâts et Saint-Jacques : c’est la saison pour le métier de la crevette qui assure une transition rentable entre début septembre qui voit la fin de la saison au homard et février à venir qui verra le retour au métier de l’araignée.

Au mitan de l’après-midi, nous étions mouillés au pied du phare, à Houat. Les marées étaient d’un fort coefficient. Les deux nuits furent de vigilance : et le matelot est plus souvent sur le pont que dans sa couchette. Moments de rêves et contemplations

À quatre heures du matin, quand Orion bascule son baudrier dans le suroît, s'affirme dans le froid bleu sombre, Sirius en gloire. La si belle étoile est dans le Grand Chien et le Lièvre s'enfuit sous Orion. Quatre mille ans avant notre ère, les hommes du Nil dataient ainsi sur son lever héliaque - lever de l’astre qui précède de peu le lever du soleil - le premier Jour de l’An.

Plus que l'Année appelée héliaque en ses mille et milliers
De millénaires ouverts,
la Mer totale m'environne.

Saint-John-Perse, Amers


Décidément, ces temps-ci me sont balisés par le questionnement sur les mesures des jours, des années et des siècles.

J’ai emporté pour lecture de cette navigation, l’Obèle de Martine Mairal et celle-ci fait transcrire sous la plume de Marie de Gournay, “fille d’alliance” de Montaigne, un long monologue de celui-ci sur la réforme du calendrier opéré en octobre 1582 par le pape Grégoire XIII. Il fallut, pour les Français, passer du 10 au 20 décembre en une nuit et l’ami Montaigne en éprouva un profond déplaisir.
Mais autant relire les chapitres 10 et 11 du Livre III :
« Je ne suis plus en termes d’un grand changement, et de me jetter à un nouveau trein et inusité. Il n’est plus temps de devenir autre... Moutarde apres disner. Je n’ay que faire du bien duquel je ne puis rien faire. A quoy la science à qui n’a plus de teste ?... Ne me guidez plus ; je ne puis plus aller. Mon monde est failly, ma forme est vuidée ; je suis tout du passé... Je veux dire cey : que l’eclipsement nouveau des dix jours du Pape m’ont prins si bas que je ne m’en puis bonnement accoustrer. Je suis des années ausquelles nous comtions autrement. Un si ancien et long usage me vendique et rappelle à soy. Je suis contraint d’estre un peu heretique par là,... mon imagination, en despit de mes dents, se jette tous jours dix jours plus avant, ou plus arrière, et grommelle à mes oreilles. »

L’Annuaire du marin breton exerce une infaillibilité d’un autre tonneau que celle du pape Grégoire.
La marée n’attend pas le Roi. C’est connu.
Le jusant m’a maintenu éveillé car le port de Saint-Gildas s’ensable et la quille de Dac’hlmat a effleuré les fonds. Il y a surtout un “gentil” voisin aux amarres incertaines qui, à la basse mer de nuit, a pris une gîte pour le moins menaçante sur bâbord.
J’ai donc contemplé la blancheur bleutée de Sirius et l’insomnie m’a ramené à ce passage d’un siècle à l’autre auquel je ne puis “m’accoustrer”.
Le “siècle dernier” sera toujours pour moi le XIXe. Impossible de passer au XXIe.. Je souhaite conter les histoires des voyages avortés de mes deux grands-pères ; ils ont dû vivre ça dans les années 1885-1895. Je ne vais quand même point parler d’un lointain XIX e et ces années de peu d'aventure sont bien du siècle dernier. Celui de leur jeunesse. Je suis un vieil enfant du XXe siècle. Pas à en démordre !

Retour à bord.
Samedi le vent est monté à six beaufort de Nordé, rafales à plus de trente nœuds. Mer blanche. Dimanche matin, le vent était toujours de nordé, mais descendu à quinze, vingt nœuds, mer plate et maniable. Dac’hlmat - c’est bien connu, c’est un fabuleux bateau de près - nous a mené en trois longs bords et deux brefs contre-bords d’Er-Genesteu à la bouée verte du chenal d’entrée en Vilaine.
Quinze mille en moins de trois heures. Il y avait du bonheur dans la vague d’étrave...
Et s’ouvrait l’estuaire !

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mercredi, 10 novembre 2004

Lecteur en sommeil

Bientôt minuit, les "trois belles d'été" sont encore au zénith.
À l'aube, la cime de mes arbres sera entre Cassiopée et Orion.

Tout n'est pas qu'écriture, tout n'est pas que lecture.
Demain, je ferme la "librairie", je pousse la porte du jardin.

Je descends le fleuve, je sors de l'estuaire. Et... pour trois jours, le large !

lundi, 18 octobre 2004

L'invention de la Croix du Sud

Invention :
Action de trouver, de découvrir (une chose qui existe mais jusque là inconnue). Synon. découverte. L'invention d'un trésor. (Dict. XIXe et XXe s.).


« Pendant notre séjour à l'embouchure du fleuve, nous ne vîmes qu'une fois la tramontane, qui nous parut très basse à l'horizon ; aussi nous ne pûmes la voir que par temps clair et serein et encore nous apparut-elle à la hauteur d'une lance au-dessus de la mer. Nous vîmes également six étoiles basses sur la mer, grandes, lumineuses et brillantes, qui nous servirent de repères. Il nous sembla reconnaître le chariot austral, mais nous ne pûmes apercevoir l'étoile principale, ce qui ne se pouvait raisonnablement, sans perdre la tramontane. »*

Voici ce qu'aurait pu nous lire l'aimable et jeune conférencier de cette bien maigre soirée, organisée par Nantes-Histoire, à propos de "l'invention de l'Afrique" sous les premiers regards européens.
Le lundi précédent sur "L'Afrique avant la colonisation : un continent sans États ? " avait été affligeant. Inconnu l'empire du Ghana, inconnu l'empire du Mali, inconnus les royaumes Ashanti, d'autres et d'autres ; ils ne sont point mentionnés dans des documents écrits. Un soupçon de Bénin sans doute pour le croustillant exotisme des Amazones ! Et encore ? La tradition orale est-elle bannie par la rigueur de certains parmi les historiens français.

Le jeune homme de ce soir a, cependant mentionné Alvise Ca'da Mosto, l'homme qui "inventa" la Croix du Sud. Mais ignoré, l'infant dom Henrique dit le Navigateur, qui jamais ne navigua.

« ...ce qui ne se pouvait raisonnablement, sans perdre la tramontane. »
Tout l'avenir de l'invention du monde se cristallise dans l'intense de ce moment : ou l'horizon se referme, et pour combien d'années encore, ou le marin ose franchir l'invisible ligne de partage des hémisphères : il perd la tramontane** et il parie sur le chariot austral***.
D'autres avant Ca'da Mosto ont peut-être fait ce pari, nous l'ignorons, la trace de ces autres est muette. Ca'da Mosto, lui, l'inscrit.
L'homme d'Europe hésite encore, mais la Croix du Sud se lève dans ses regards et aux étraves s'ouvre l'immensité du monde.
Bonheur et malheurs : ce monde mettra moins de cinq siècles à rétrécir !


* Alvize CA'DA MOSTO, Voyages en Afrique Noire (1455 & 1456), Collection Magellane, Éditions Chandeigne/UNESCO, Paris, octobre 1994.
(Un parmi plus de trente beaux bouquins, beau papier, belles fontes, une iconographie rare)
Ceux qui passent par Paris, passeront 10 rue Tournefort, dans le Ve.
** L'Étoile polaire.
*** La Croix du Sud

samedi, 16 octobre 2004

Houat petite île



Il y a trente ans la beauté nue
de la grève d’ En Tal
en plein visage

le village aux maisons à croupetons
autour de son clocher trapu

des heures pour le regard
et parfois l’insolite

dans l’encadrement des portes
les aïeules là depuis des années
adossées au chambranle

désormais vêtues de sombre
elles vivent placides et seules
occupant la vacuité de l’attente
dans les parleries du soir

les aïeux tassés noueux songeurs
ça ne va plus en mer
les aïeux comme de vieux outils
appuyés aux jetées

de nulle part à nulle part vers ailleurs

il n’est pas un jour pas un lieu de cette terre qui ne soit parcouru de vent

passage du front froid
le vent de galerne
est bleu

l’écume neige sur les rocs de Tréac’h Béniguet
je suis le témoin effaré de cette fin de terre

sel sur les lèvres
rougeur aux joues
l’air ventile à profusion
des plaisirs qui irriguent le corps

espace ivre

rasant la mer un cormoran

à Chubègue Bras ailes déployées
un autre cormoran hiératique

au creux des landiers
se tait
le froissement continu de l’eau

Gildas l’ermite autrefois se terrait au profond du vallon de Lann-er-Hoëd

au mouillage de Tréac’h Gouret
un soir de septembre
l’air calme
était épaisseur colorée

certains matins la rumeur de mer n’est plus qu’un léger ressac alentour de l’île et on entend à nouveau les oiseaux


lundi, 11 octobre 2004

Feuilletage d'automne

Les dépressions automnales, depuis dix jours déboulent le long de notre quarante-septième parallèle.
Vents, pluies, chants des feuilles.
Nostalgique feuilletage des livres de bord des années passées.

L'an 2001, arrondi au petit matin cabo Sao-Vicente, sous la punta de Sagres, un grain subit obligeait à réduire la toile de Dac'hlmat, la grand'voile à un ris et le génois à demi-enroulé.
Au mitan de l'après-midi, première escale aux rives de l'Algarve, Lagos nous attendait


Au 12 octobre, sur le livre de bord de 2001, voici ce qui y fut consigné :

Il fallait nous départir de Lisboa. Il y eut un bon créneau météo, on largua les aussières au début du jusant, le dimanche après-midi 30 septembre, par un beau soleil. Décision prise de mouiller sur ancre à Cascais le soir, puis le lundi matin, cap au sud-est sur Sinès.
Les amis de l’Astrolabe quittaient aussi Lisbonne, mais cap au sud-ouest pour Madère, cinq cents milles, cinq jours de traversée. Petite nostalgie dans l’équipage : Dac’hlmat aurait eu 2 ou 3 mètres de plus....! Nous nous étions échangé nos e-mails et donné rendez-vous pour octobre 2002 sur les rives de Gironde.
Une descente sereine du Tage ; si peu de houle ; Nicléane photographie.
Le lundi matin, au mouillage de Cascais, une brume épaisse, nous décidons d’attendre ; à quelques encablures, le Letho de Peter le Néo-Zélandais, arrivé la veille au soir, on se salue de la main !
L’Astrolabe est sans doute déjà loin dans le suroît...
Mardi matin : ciel clair, l’estuaire est immense et limpide !
Salut, le Tage et tous les anciens qui en sont partis et y sont revenus !

Ah ! et les voyages, les voyages de croisière, et les autres.
Les voyages en mer, où nous sommes tous compagnons d’autrui
D’une manière spéciale, comme si un mystère maritime
Rapprochait nos âmes et nous rendait un instant
Patriotes provisoires d’une même incertaine patrie,
Se déplaçant éternellement sur l’immensité des eaux !
...........................................................................
Les voyages, les voyageurs – il en est tant d’espèces !
Tant de nationalités dans le monde ! Tant de professions !
Tant de gens !
Tant de directions diverses qui peuvent se donner à la vie,
La vie, au bout du compte, au fond toujours, toujours la même !
Tant de visages singuliers ! Tous les visages sont singuliers
Et rien ne donne autant le sens du sacré que de beaucoup regarder les gens.

Fernando Pessoa
Ode Maritime


À la nuit, Sinès, à l’instar de Leixoès, un ancien port de pêche devenu un énorme complexe portuaire ; et il s’agrandit encore. Mais au fond, tout au fond, une anse préservée, une jolie plage propre et quelques pontons. On nous attend au catway que nous distinguons mal, aveuglés par les photophores du port et c’est toujours bien agréable de se faire prendre les aussières : c’est Nick et sa compagne, des Cornouaillais de Falmouth, déjà côtoyés à Nazaré et Péniche.

Sinès, village de Vasco de Gama, un cirque de calcaire ouvert sur le sud-ouest, rude montée où sourd une source dédiée à Santa Lucia, bonne pour les yeux, une citadelle trop nouvellement restaurée et un Vasco de bronze à l’ombre de la muraille. Nous y aurons la joie du premier courrier, quémandé depuis notre arrivée et que je n’obtiendrai d’un gardien de port, gentil mais obtus, qu’après avoir déchiffré notre nom à l’envers : j’avais omis d’indiquer à Patrik que le plus important de l’adresse, c’est le nom du bateau.
Corvée de lessive devant la seule machine à laver du port : c’est la rencontre de Cath, la compagne de Peter. Le Letho est arrivé la veille ; ils sont partis de Cascais quelques heures après nous quand la grande houle d’ouest a recommencé à agiter le mouillage. Et c’est peu dire. Ils ont fait escale à Setùbal. Nous allons deux jours durant beaucoup échanger autour de pots de bière, de tasses de café et de verres de porto ; nous ouvrirons la dernière bouteille de Muscadet avec eux et pour le grand bonheur de Peter qui nous avouera en avoir beaucoup entendu parler mais n’avoir jamais bu un vrai Muscadet. Kath est Irlandaise et fut prof de français. Ils vont peut-être retraverser l’Atlantique pour les Caraïbes où Peter a beaucoup navigué comme skipper professionnel, ils hésitent, Ils entreraient bien en Méditérrannée.
Entre Nicléane et Kath, une belle connivence de femmes !
Longs échanges sur l’état du monde.
Et les inévitables points “météo” pour saisir le meilleur moment de larguer les aussières et d’arrondir ce sacré Cabo São Vicente qui, pour nous, nous mettra enfin à l’abri des grosses dépressions automnales du Centre Atlantique.
Nous sommes le 6 octobre. L’anticyclone des Açores pousse une dorsale jusqu’au sud de Ouest-Portugal ; il faut en profiter. Mon schipchandler lisboète m’avait confié que des Açores, les Portugais n’attendaient que deux choses, l’anticyclone et le beurre - qui, il est vrai, est fort bon ! Au nord, sur vous, fond alors la première grande dépression d’automne et sa tempête, nous n’aurons que la queue très humide de son front froid - douze heures de pluie torrentielle et une grande houle de nord-ouest.
Le 7, soleil, petit vent de... sud-ouest, toujours absents les alizés portugais. Nicléane et moi partirons juste avant la tombée de la nuit pour être au petit matin en vue de São Vicente. À 17 heures, porté par la houle qui entre jusqu’au fond de notre anse bénie, un petit voilier battant pavillon USA avec une femme seule à bord, tous les voileux du port se précipitent pour lui prendre ses amarres. Elle a dans les soixante ans et Kath nous dit qu’elle navigue ainsi en solitaire depuis sept ou huit ans. Par l’entremise de notre Irlandaise, l’Américaine nous donne quelques renseignements sur l’état de la mer au large. Grande, grande houle, très creuse, cinq mètres, mais large ! Le plus gênant : le peu de vent pour appuyer les voiles et éviter d’être trop inconfortablement ballotté. Elle dit qu’elle attendrait le lendemain ou plus tard. Nous hésitons, mais sachant la “fragilité” des dorsales, je préfère, sans forfanterie, larguer. À 19 heures, les autres équipages en sont à l’apéro, nous, les Bretons, on largue !
Belle, belle nuit, grande, grande houle certes, mais tant d’étoiles. Et Orion à l’aurore avec les derniers éclats de São Vicente ! Et Nicléane a assuré sans barguigner son quart de nuit.
En milieu de matinée, le cap et la pointe de Sagres laissés dans le nord-ouest, à nous l’Algarve, la houle s’est apaisée, bonheur d’une mer plate et d’un vent frais de travers, Dac’hlmat allonge la foulée quand un méchant nuage noir venu de terre nous cueille à 25, 30 nœuds. Rafales, éclairs, prise de ris, réduction du génois, cirés enfilés ! Ça ne durera guère. Mais merci l’Algarve pour l’accueil. Nous qui rêvions de soleil !
Nous longerons la belle côte de calcaire déchiquetée, remonterons la rivière de Lagos et deux jours après, prendrons le bus pour São Vicente et Punta de Sagres, histoire de voir d’en-haut ce que nous avions vécu d’en-bas.
C’est plus impressionnant de terre que de mer. J’ai franchi dix-huit fois le Raz-de-Sein : je ne suis jamais allé à la Pointe du Raz....

Histoire de voir aussi Punta de Sagres, un site tabulaire impressionnant où Henri le Navigateur installa son école de navigation qui accueillit marins, astronomes, cartographes, mathématiciens, architectes, simples matelots. Depuis Porto, nos oreilles attentives ne bruissaient que de ce nom-là. Nos enfances avaient rêvé de Cabral, Vasco de Gama, Batholomeu Diaz, Albuquerque, Magellan - un faux-frère celui-là, il navigua pour les Espagnols.
Le Monde s’était donc ouvert à partir de ces lieux que depuis plus d’un mois nous hantions...
Le Monde Ouvert ? Officiellement pour les Grands de l’Occident, Rois, Papes, Empereurs. Que sait-on des humbles matelots, vikings, bretons ou basques qui, peut-être cent fois, avaient déjà touché ces terres inconnues qui, depuis Punta de Sagres, vont être nommées, cartographiées, partagées, puis.....
Terribles ambiguïtés d’un temps qui est toujours évoqué en célébration de la Découverte et de la Rencontre !
En ces jours-ci que nous vivons, gens d’Occident, difficile de ne pas repenser ce qui est notre Bien et notre Mal ! Notre faim d’ouverture et notre hantise de possession !

J’avoue avoir salué au passage Gil Eanes : il fut sans doute le premier à rencontrer les ancêtres de nos amis Soninké et Peuhl. Contournant le premier le cap Bojador, il dut bien mouiller son ancre dans l’estuaire du fleuve qui n’était pas encore Sénégal !
À peine étions-nous débarqués, dans le premier cyber-café de Lagos - nous ne connaissions que les courriels - les blogs étaient-ils connus ? - je vis l'une parmi les plus belles femmes rencontrées lors nos escales.
S'annonçait la beauté andalouse !