mardi, 16 novembre 2004
Vent froid et mer agitée
Hier au soir, j'ai refermé le panneau du carré, vérifié une dernière fois les aussières et quitté le ponton.
Port Foleux était d'une grande paix.
Xavier et moi avions largué le corps-mort de Tréhiguier au lever du jour.
Ce qui a été vu.
Le retour en nombre des guillemots ; le fuel de l'Érika leur fut une hécatombe. Mais cet automne, il y a comme une gaieté dans leur volètement au ras des vagues.
Beaucoup de casiers entre les Mâts et Saint-Jacques : c’est la saison pour le métier de la crevette qui assure une transition rentable entre début septembre qui voit la fin de la saison au homard et février à venir qui verra le retour au métier de l’araignée.
Au mitan de l’après-midi, nous étions mouillés au pied du phare, à Houat. Les marées étaient d’un fort coefficient. Les deux nuits furent de vigilance : et le matelot est plus souvent sur le pont que dans sa couchette. Moments de rêves et contemplations
À quatre heures du matin, quand Orion bascule son baudrier dans le suroît, s'affirme dans le froid bleu sombre, Sirius en gloire. La si belle étoile est dans le Grand Chien et le Lièvre s'enfuit sous Orion. Quatre mille ans avant notre ère, les hommes du Nil dataient ainsi sur son lever héliaque - lever de l’astre qui précède de peu le lever du soleil - le premier Jour de l’An.
Plus que l'Année appelée héliaque en ses mille et milliers
De millénaires ouverts,
la Mer totale m'environne.
Saint-John-Perse, Amers
Décidément, ces temps-ci me sont balisés par le questionnement sur les mesures des jours, des années et des siècles.
J’ai emporté pour lecture de cette navigation, l’Obèle de Martine Mairal et celle-ci fait transcrire sous la plume de Marie de Gournay, “fille d’alliance” de Montaigne, un long monologue de celui-ci sur la réforme du calendrier opéré en octobre 1582 par le pape Grégoire XIII. Il fallut, pour les Français, passer du 10 au 20 décembre en une nuit et l’ami Montaigne en éprouva un profond déplaisir.
Mais autant relire les chapitres 10 et 11 du Livre III :
« Je ne suis plus en termes d’un grand changement, et de me jetter à un nouveau trein et inusité. Il n’est plus temps de devenir autre... Moutarde apres disner. Je n’ay que faire du bien duquel je ne puis rien faire. A quoy la science à qui n’a plus de teste ?... Ne me guidez plus ; je ne puis plus aller. Mon monde est failly, ma forme est vuidée ; je suis tout du passé... Je veux dire cey : que l’eclipsement nouveau des dix jours du Pape m’ont prins si bas que je ne m’en puis bonnement accoustrer. Je suis des années ausquelles nous comtions autrement. Un si ancien et long usage me vendique et rappelle à soy. Je suis contraint d’estre un peu heretique par là,... mon imagination, en despit de mes dents, se jette tous jours dix jours plus avant, ou plus arrière, et grommelle à mes oreilles. »
L’Annuaire du marin breton exerce une infaillibilité d’un autre tonneau que celle du pape Grégoire.
La marée n’attend pas le Roi. C’est connu.
Le jusant m’a maintenu éveillé car le port de Saint-Gildas s’ensable et la quille de Dac’hlmat a effleuré les fonds. Il y a surtout un “gentil” voisin aux amarres incertaines qui, à la basse mer de nuit, a pris une gîte pour le moins menaçante sur bâbord.
J’ai donc contemplé la blancheur bleutée de Sirius et l’insomnie m’a ramené à ce passage d’un siècle à l’autre auquel je ne puis “m’accoustrer”.
Le “siècle dernier” sera toujours pour moi le XIXe. Impossible de passer au XXIe.. Je souhaite conter les histoires des voyages avortés de mes deux grands-pères ; ils ont dû vivre ça dans les années 1885-1895. Je ne vais quand même point parler d’un lointain XIX e et ces années de peu d'aventure sont bien du siècle dernier. Celui de leur jeunesse. Je suis un vieil enfant du XXe siècle. Pas à en démordre !
Retour à bord.
Samedi le vent est monté à six beaufort de Nordé, rafales à plus de trente nœuds. Mer blanche. Dimanche matin, le vent était toujours de nordé, mais descendu à quinze, vingt nœuds, mer plate et maniable. Dac’hlmat - c’est bien connu, c’est un fabuleux bateau de près - nous a mené en trois longs bords et deux brefs contre-bords d’Er-Genesteu à la bouée verte du chenal d’entrée en Vilaine.
Quinze mille en moins de trois heures. Il y avait du bonheur dans la vague d’étrave...
Et s’ouvrait l’estuaire !
22:45 Publié dans les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
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