lundi, 28 février 2005
"Montrez-moi aussi..."
Mais pourquoi ai-je, hier, parlé de la "pâleur" d'Éluard ? Le livre était-il donc depuis si longtemps fermé ?
Cet après-midi, préparant la présentation du "Poète d'aujourd'hui" n°1, pour demain (?), je relis ce texte dédié à Picasso et qui prolonge le poème des poèmes "Moi, noire, harmonieuse..."
Montrez-moi aussi le corsage noir
Les cheveux tirés les yeux perdus
De ces filles noires et pures qui sont ici de passage et d'ailleurs à mon gré
Qui sont de fières portes dans les murs de cet été
D'étranges jarres sans liquide toutes en vertus
Inutilement faites pour des rapports simples
Montrez-moi ces secrets qui unissent leurs tempes
À ces palais absents qui font monter la terre.
30 août 1936
Les yeux fertiles
19:35 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 27 février 2005
Moi, noire,
Demain, je sèche Spinoza et les écritures bibliques pour PowerPoint et les finesses du montage.
Le "poète du mardi" va peut-être en souffrir. Ce devait être "Éluard" arrivé par poste en mars 1957 dans l'indicible pafum des caféiers en fleurs et l'Amour se déclinait alors ainsi sans le secours des quatre étapes de l'herméneutique médiévale :
Moi, noire, harmonieuse, filles de Ieroushalaîm
comme tentes de Quédar, comme tentes de Shelomo.
Le Poème des Poèmes.
selon Chouraqui
Éluard me paraissait un peu pâle !
23:50 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 26 février 2005
Tailles d'hiver finissant
Timide fut la neige et le soleil abondant, cette semaine.
Nous avons entrepris la taille des arbustes, de la glycine, de la treille.
Ce matin, écouté distraitement Répliques avec Finkielkraut autour de "heurts et malheurs de l'autofiction". La grande question sur la Littérature (!) tourne gravement autour du cul et de l'argent. C'est ainsi depuis le commencement du monde de l'écrit.
Seulement ces temps-ci, ça rétrécit et théoriser ne fait rien à l'affaire qui se rabougrit - côté cul - proportionnellement à l'augmentation - côté fric - des signes imprimés.
Ennui !
Je m'en suis allé entendre Giono sur la petite radio satellite de France Cul. J'ai prolongé la balade radiophonique dans les herbiers de Coïmbra avec Gilles Lapouge.
Là, elle respirait, la langue !
Et la séduction des herbiers m'a transporté à travers la péninsule ibérique aux jardins de Ronda ; c'était dans les premiers jours de mars 2002. Entre glycines et pivoines, je choisis la pivoine.
Parmi les belles macros de Florence Trocmé et celles de Berlol qui embaument la Toile, Nicléane m'autorisera bien à faire s'épanouir une pivoine de Ronda.
...il est ici à Ronda
dans la pénombre douce de l'aveugle,
un silence concave dans les cours,
le loisir d'un jasmin
et la rumeur de l'eau, qui conjurait
toute mémoire de déserts.
Jorge Luis BORGES
Ronda, Les Conjurés.
Substituons au jasmin la pivoine. L'eau s'emperle aux fontaines de Ronda !
21:45 Publié dans Borgès alors ?, les diverses | Lien permanent | Commentaires (1)
jeudi, 24 février 2005
Mare adentro
Au sortir du film de Alejandro Amenabar, dans la rumeur prolongée des musiques galiciennes, à déchirer le ventre,
– Qu'y a-t-il après la mort ?
– Rien.
– ......................................
– Comme avant la naissance.
Ramon Sampiedro a-t-il pensé lui aussi, à l'instar de Jean Améry
«...que la mort volontaire est dans sa contradiction, l'unique chemin de la liberté qui s'ouvre à nous. Ce chemin est absurde mais non fou, puisque son absurdité n'accroît pas celle de la vie, mais au contraire la diminue. »
23:01 Publié dans Les nocturnes | Lien permanent | Commentaires (1)
mercredi, 23 février 2005
Lettre à Er sur l'ortograf
J'ai tardé pour répondre à ton courriel.
Guère de conseils à te donner, ni cure à te recommander, ni surtout -et je te rejoins -psychothérapie à commencer.
Je ne puis que te dire que celles et ceux qui ne sont pas trop irrespectueux des règles de l'orthographe sont celles et ceux qui ont sans doute mémorisé des formes, des agencements de lettres et de mots, retenu des ajustements entre mots, phrases et paragraphes. Et que dans toute cette maîtrise, il y a une grande part de JEU, de curiosité pour le fonctionnement de la langue.
Si ce n'est que soumission à des règles, c'est une connerie ; l'avancée de la langue n'a que faire des serviles et autres forcenés d'une pureté qui, à l'origine, n'a été que la nécessité technique de définir un ensemble de pratiques communes par les imprimeurs et typographes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Seulement voilà que les grammairiens et de piètres pédagogues se sont arrogés les droits de correction que l'on sait et que l'on subit. Que les pouvoirs royaux, républicains, universitaires y ont trouvé un excellent moyen d'exercer un contrôle et de sélectionner les bons serfs. Que l'ordre règne dans les mots pour qu'il règne dans les têtes !
Alors, il faut te dire dans ton for intérieur que cette langue c'est aussi la part socialisée de ton être intime qu'on nomme "PAROLE", ta parole... Tu décides de la façon dont tu souhaites la présenter à l'autre !
Je n'ai jamais compris, moi qui suis un pas trop mauvais en orthographe - il m'arrive de faire quelques erreurs - pourquoi les instances politiques qui ont tenté une réforme de l'orthographe en 1989 ont reculé devant les objurgations de ces dits puristes aussi mal torchés qu'un cul de nouveau-né....et pas plus chastes que mes pratiques amoureuses, ne maintenant que d’infimes simplifications.
C'est vrai que même chez les tout-bons (ou tous bons ?), il leur faut souvent consulter dictionnaires, grammaires et livres de "bon" (!) usage.
Et qu'il y a parfois plaisir à ces manipulations...
Cendrars, un des grands du XXe siècle avouait ne pouvoir écrire une page sans aller consulter dictionnaire ou grammaire.
Courage et joue, Ami !
Jaqez
Post-scriptum :
En octobre 1989, le mensuel ACTUEL, plein d’espoir, publiait son n° 244 au prix de 3,5 écu(s) (là, ils avaient tout faux). Ça s’intitulait :
1999 - le premier journal en nouvèle ortografe - L’histoire des anés 90 en 200 fotos.
Remarque leur sagesse. Nous aurions mis deux, trois, quatre ans, à nous faire à ces nouvelles “images” de mots.
Eh bien ! Nenni ! Nous faudra-t-il attendre 2099 ?
D’ici la fin du siècle, procure-toi “le bon usage” de Maurice Grévisse, refondu par André Goose ; il date de 1936 et il en est à sa 13 ou 14e édition.
De la page 91 à la page 103, il présente l’orthographe en tous ses états.
Et puis dans les signets ou favoris, - je n’écris point marque-page, je me ferais agresser - de ton “navigateur” préféré, glisse la ressource suivante : celle du Trésor Informatisé de la Langue Française.
Il ne résout pas toutes nos questions, il en éclaire beaucoup. Il ne m’a été d’aucun secours pour marque-page : les marques de mes pages préférées ou l’acte de marquer ma page ? D’origine verbale, donc masculin ou substantif, donc féminin ? Va savoir ! Ça doit être une origine verbale comme arrache-clou, porte-drapeau, prie-dieu ! Mais aussi pourquoi point nominale comme soutien-gorge, appui-tête, garde-meuble ?
L’usage, diront les tolérants. La règle, hurleront les puristes.
Lis " le bon usage" : il nuance !
Méfie-toi des correcteurs de traitement de texte, ils sont le juste reflet de l'idéologie linguistique des auteurs du logiciel ; ils n’autorisent aucune nuance et n’ont aucun humour.
Un jour, j’avais saisi un de mes proverbes mandingues préférés :
Si pressé que tu sois, tu ne peux dire à ton cul de te précéder !
Le correcteur m’a refusé “cul”, il me proposait pudiquement “derrière”.
Certes, il s'agit plus d'un problème de sens que d'orthographe. C'est quand même à tomber sur le cul !
J'ai bien dû laisser traîner quelques fautes d'ortograf....
Joue bien dans la grande cour de récréation de la langue !
Post-scriptum 2 : Rends visite à "la langue sauce piquante". Voilà des gens du métier, de vrais correcteurs, qui n'humilient point les pécheurs et "corrigent en riant".
19:10 Publié dans les diverses | Lien permanent | Commentaires (2)
mardi, 22 février 2005
Henri MICHAUX
Au commencement, ce texte.
L’exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier.
Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque — état merveilleux !
................................................................................................................
Cette montée verticale et explosive est un des grands moments de l’existence. On ne saurait assez en conseiller l’exercice à ceux qui vivent malgré eux en dépendance malheureuse. Mais la mise en marche du moteur est difficile, le presque-désespoir seul y arrive.
Pour qui l’a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d’emprises.
Préface à Épreuves, exorcismes
C’est lu dans le Panorama critique des nouveaux poètes français de Rousselot, que j’ai emporté avec moi dans la petite cantine où sont serrés mes premiers livres.
Au chapitre “Michaux”, MON ROI, LA LETTRE, NOTES DE ZOOLOGIE, et de curieuses ARTICULATIONS :
Et go to go and go
Et sucre !
Sarcospèle sur Saricot
Bourbourane à talico
ou te bourdourra le bodogo
Bodogi.
Croupe, croupe à la Chinon.
Et bourrecul à la misère.
La nuit remue
Le bouquin sera très vite commandé. Il arrivera trois semaines après, en décembre 1955, au petit bureau de poste de la subdivision de Bongouanou, dans le centre-est de la Côte d’Ivoire ; le bureau est tenu par un receveur sérère originaire de Casamance. Au fil des mois, le postier, intrigué par ces petits colis tamponnés “Éditions Seghers”, qui me sont envoyés, me parlera de Senghor.
Vivre à des milliers de kilomètres de mon ouest natal, dans une forêt extraordinaire de beauté et de senteurs, mais où les rares écrits sont d’école, de religion ou de commerce, décuplera le petit bonheur d’ouvrir le précieux colis cartonné, d’enlever une à une les couches du papier qui emballent soigneusement le petit livre.
La maquette des “Poètes d’aujourd’hui” m’est désormais familière : première de couverture vert pomme, avec une encre en gris et noir en guise de portrait qui peut être un visage - plus tard, je l’associerai au terrible supplice décrit dans Pays de la magie (Ailleurs, p.142).
En feuilletant, pas de portrait non plus, une seule photographie : une main fine émergeant d’un poignet de chemise - on cherche les boutons de manchette - qui trace sur une table toute en fouillis de papiers, dossiers, encriers, pinceaux, cendrier : Brassaï a photographié Michaux en 1945 ; mais Bertelé choisit de recadrer, respectant la volonté de Michaux qui “ne veut pas que tout le monde puisse le reconnaître dans le métro” .
Longtemps donc, le lecteur lira sans rien savoir du visage ; seulement cette main, les mots, de curieux dessins ! Alternance qui se dépliera jusqu’au terme de l’œuvre et de la vie : quand Michaux ne peint pas, il parle de peinture ; quand il n’écrit pas, il peint comme des alphabets.
Il aura peut-être été un des rares occidentaux à parvenir à “griffer et inciser” par plume et “caresser et effleurer” par pinceau, la feuille résolvant l’affrontement des calligraphies occidentale et orientale, évoquées par Roland Barthes.
Ce qui s’annonçait dans les premiers textes lus dans le “Panorama” va se déployer : et au delà d'une simple révolte passagère et d’un premier refus.
Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux,
Les banquises perdant du sang,
Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,,
L'Acropole, les casernes changées en choux,
Les regards en chauves-souris, ou bien barbelés, en boîte à clous,
De nouvelles mains en raz de marée,
D'autres vertèbres faites de moulins à vent,
Le jus de la joie se changeant en brûlure,
Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps les mieux unis en duels au sabre,
Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage,
Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux,soit en durs cailloux,
Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant en forêts de perroquets et de marteaux-pilons,
Quand l'Épouvantable-Implacable se débondant enfin,
Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou,
Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver à s'échapper,
Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule,croissant en délicatesse,
De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour qui recule comme la panique...
Oh! Malheur! Malheur!
Oh! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal,petites vies punctiformes;
Plus jamais.
Oh! Vide!
Oh! Espace! Espace non stratifié... Oh! Espace, Espace!
L’Avenir in Mes Propriétés
Michaux entreprend une quête patiente, méthodique d’outils de langue et de dessin pour descendre dans ses propres profondeurs et élaborer une résistance fondamentale.
«... c’est bien dans ce premier refus, sans rémission, de ce qui est extérieur à lui, et dans l’intense intériorisation qui en résulte qu’il faut d’abord chercher la clé du caractère et de l’œuvre d’Henri Michaux... Non pas absent au monde, non pas indifférent certes, mais trop présent, trop exposé de par son extrême sensibilité : alors avec des mots, comme avec des armes, il lui faudra, bientôt, défendre une autonomie toujours menacée. Écrire sera son combat pour sauvegarder, sa singularité et son altérité. »
René Bertelé - p. 25
Le panaris est une souffrance atroce. Mais ce qui me faisait souffrir le plus, c'était que je ne pouvais crier. Car j'étais à l'hôtel. La nuit venait de tomber et ma chambre était prise entre deux autres où l'on dormait.
Alors, je me mis à sortir de mon crâne des grosses caisses, des cuivres, et un instrument qui résonnait plus que des orgues. Et profitant de la force prodigieuse que me donnait la fièvre, j'en fis un orchestre assourdissant. Tout tremblait de vibrations.
Alors, enfin assuré que dans ce tumulte ma voix ne serait pas entendue, je me mis à hurler, à hurler pendant des heures, et parvins à me soulager petit à petit.
Crier in Mes Propriétés
Qui je fus, Mes propriétés, Épreuves,exorcismes, La vie dans les plis emmènent loin, très loin des fugaces révoltes adolescentes.
Autrefois, j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire.
Fini, maintenant j’interviendrai.
Michaux voyage, mais ce qu'il écrit tient plus d'un infra-voyage :
Les poètes voyagent, mais l’aventure du voyage ne les possède pas.
De l’abrupt de ce jugement, seul, Blaise Cendrars....!
Nous y parviendrons une de ces semaines à venir.
Écuador, Un barbare en Asie, voyages bien réels.
Voyage en Grande Garabagne, Au pays de la magie, Ici Poddema, enchevêtrements de parcours réels et imaginaires, d'ethnologies étranges, parcourues de bestiaires et de flores. Jusqu’aux prosaïques déplacements de Plume, du restaurant à la nuit des Bulgares, en passant par Casablanca et le Colisée :
...Et si à Rome il demande à voir le Colisée : «Ah ! non. Écoutez, il est déjà assez mal arrangé. Et puis après Monsieur voudra le toucher, s’appuyer dessus, s’y asseoir... c’est comme ça qu’il ne reste que des ruines partout.
Tous voyages enveloppés dans un immense Espace du dedans.
« Lecteur, tu tiens donc ici, comme il arrive souvent, un livre que n’a pas fait l’auteur, quoiqu’un monde y ait participé. Et qu’importe ?
Signes, symboles, élans, chutes départs, rapports, discordances, tout y est pour rebondir, pour chercher, pour plus loin, pour autre chose.
Entre eux, sans s’y fixer, l’auteur poussa sa vie.
Tu pourrais essayer, peut-être, toi aussi ? »
Postface à Plume
Donc, poussons notre vie à la Michaux. Comme on “traîne un landau sous l’eau”.
Ce sont des efforts continuels, ce ne sont pas jeux de tout repos, des jeux infernaux qui vont jusqu’à l’exténuation.
Voici alors que s’élèvent, élégiaques et désespérés, à relire souvent quand rôdent de sales ombres et des débris sanglants :
Nausée ou c’est la mort qui vient, Repos dans le malheur, Dans la nuit, Qu’il repose en révolte,
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Sur les tapis des paumes et leurs sourires,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Emportez-moi in Mes propriétés
Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l’élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies.
Nous sommes retournés aux sources glauques.
La lettre
Labyrinthe
René Bertelé écrit en 1946, ajoutant en juin 1949 une postface :«... l’œuvre d’Henri Michaux reste remarquablement ouverte... Comment prétendre fixer les traits d’une œuvre singulièrement en mouvement et qui...est loin de nous avoir encore livré toutes ses clefs ? »
L’accident horrible de sa compagne l’a approché “des rumeurs de la Mort”.
Le “buveur d’eau”* n’a pas encore été à la rencontre des psychotropes.
Le “Lointain intérieur” va resurgir sous ses doigts de peintre, plus que jamais multiple, fourmillant, agité, furieusement agité.
Et toujours s’étendront les grandes pages, plages nostalgiques :
Paix dans les brisements, Iniji
Ne peut plus, Iniji
Sphinx, sphères, faux signes,
obstacles sur la route d’Iniji
Rives reculent
Socles s’enfoncent
................................................
Iniji hôte éphémère des fosses
des parents, des pinces, des mots
Voici la route lointaine qui ne ramène plus.
Le sein dort qui a donné lé lait.
Le galbe l’a quitté... et l’opale...
Il n’est resté que l’ombre et le soupir des lèvres
Viens, viens, vent d’Aouraou
viens, toi !
Et je n’ai point parlé de l’humour du “chaud” Michaux !
Écrivains, poètes, écrivassiers, tous écrivants quelconques, tous mâles maniant langue et mots, méfiance ! Méfions-nous ! Michaux nous a écrit :
Le pantalon tombé, ils perdent l’alphabet.
Post-scriptum en guise de bibliographie et autres ...graphies
• Michaux ne voulait pas de photographies, il ne voulait pas, non plus, être publié en livre de poche, ni en Pléiade.
À peine était-il disparu, Gallimard s’est empressé de le publier en poche, puis en Pléiade.
À votre gré ! Je demeure d’une fidélité un peu conne : je n’ai jamais feuilleté, ni acheté un Michaux en poche. Mais le trouve-t-on ailleurs qu’en poche et en Pléiade ? Alors !
• Des voix :
Michel BOUQUET quand il n’était pas“président” (!) le lisait avec force, Catherine SAUVAGE gueulait superbement
“Je vous construirai une ville avec des loques, moi...”.
Il est écrit aussi que Germaine Montéro aurait lu la Ralentie !
• Des musiques :
“Épervier de ta faiblesse”, mis en musique par Milan Stibilj avec les Percussions de Strasbourg.
D’autres poèmes par Boulez, Bosseur, Lutoslawsky, Amy, Le Roux.
• Des livres et revues sur :
André GIDE, Découvrons Henri Michaux, Gallimard 1941.
Robert BRÉCHON, Michaux, Idées, Gallimard 1969.
J. M. MAULPOIX, Michaux passager clandestin, Champ Vallon, 1984.
• Trois n° du Magazines littéraire (février 1974 - juin 1985 - avril 1998)
• * Jean-Pierre MARTIN, Henri Michaux, Biographies, NRF, Gallimard, octobre 2003
Une biographie qui peut “choquer” (provoquer un choc) chez les lecteurs de Michaux, mais l’auteur, J. P. Martin, fait précéder son énorme travail d’un avertissement et d’un avant-propos qui ont apprivoisé le vieil effarouché que je suis.
• Sur la Toile :
Eût-il approuvé un tel support ? Allons-y, je m’affranchis, là, de ma très ancienne fidélité :
- Plume, la société des amis d'Henri Michaux
- L'ADPF
- Des textes et des liens sur la Toile
• Les gouaches et encres sont tirées pour la plupart de Émergences-Résurgences, Les sentiers de la création, Albert Skira, éditeur, 1972
20:00 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
samedi, 19 février 2005
"Répliques"... en vrac
Matinée un peu triste. Répliques laissait espérer un bel et vigoureux échange...
Finkielkraut a perdu les "pédales". Ça couvait déjà depuis pas mal d'émissions, mais ses invités se montraient polis : Répliques doit être une sacrée tribune pour que certains se soient contenus devant les diatribes de leur hôte.
Plenel, lui, n'avait sans aucun doute rien à perdre. Il fut incisif, clair, calme.
Il récusa les "Tous les" et autres généralisations et il s'avéra vite que l'un et l'autre ne partageaient point le même Péguy .
Et puis il y eut cette bourde énorme de Finkielkraut qui, démagogiquement s'affirma "fils d'émigré" ; j'ai pensé très, très fort qu'il valait mieux, sans doute, à une époque, être fils de "certains" émigrés que fils d'ouvrier ou fille de paysan.
Cet homme qui semble ne pas très bien vieillir serait donc en mal de reconnaissance ? Il a presque laissé suinter pourquoi il avait accepté l'invitation de Sarkozy.
Je laisse déjà s'empoussièrer les "Sollers" sur mes étagères pour cause de même acceptation ; me faudra-t-il couper le son le samedi entre 9 heures 10 et 10 heures sur France Cul ?
Post-scriptum :
Au moment même où je saisis cette mince chronique, Stora s'entretient avec Gilles Manceron, Sylvie Thénault et Olivier Le Cour Grandmaison, auteur de "Coloniser, exterminer : sur la guerre et l'état colonial", chez Fayard.
Berlol est-il à l'écoute ?
Manceron et Stora annoncent la disparition récente de Benot, l'auteur de "Massacres coloniaux" dont ils disent grand bien. Ce qui est plus que mérité.
«...Aussi bien cet essai ne prétend-il pas à la neutralité et se présente-t-il comme une prise de parti pour la liberté et l'égalité de tous. »
Merci à Yves Benot qui écrivait cela, en fin de son introduction.
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jeudi, 17 février 2005
"ça dépend de quel vieillard..."
Au sortir de la vision de "Monsieur Klein", l'étrange film de Losey, comme une oppression muette.
Besoin de me secouer en relisant le haut des pages II et III du Libé-Livres d'aujourd'hu. Ça me remet les oreilles en place, et me chamboule les vieux mythes sur l'oralité ; c'est un collage Hampâté Bâ-Alain Mabanckou, ce dernier cité ayant publié au Seuil, en 2005 (!) un roman "Verre Cassé". Ça donne :
« En Afrique quand un vieillard meurt, c'est une bibliothèque qui brûle. Ça dépend de quel vieillard, arrêtez vos conneries. »
23:23 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 15 février 2005
Paul VERLAINE
Voici le n° 38 des "Poètes d'aujourd'hui", à peine lisible au dos du bouquin : si la reliure est forte - cahiers cousus, pas simplement collés - le papier en 1953 n’est point encore de très bonne qualité.
Le “Paul VERLAINE” de Jean Richer n’est pas l’objet littéraire non identifié qu’auront été pour le lecteur adolescent de 1955 le “Cadou” et le “Char”.
Le “Verlaine” s’introduit avec force entre un classique Larousse, un manuel de littérature française en usage chez les bons pères et un livre de “Poésies religieuses” offert par ma mère pour mes dix-huit ans.
Ah ! Verlaine et la mère ! Rimbaud et la mère ! penseront les avertis.
Moi, je me contente de souligner encore aujourd’hui, cinquante ans après, l’étonnement heureux du fils de la “bonne-à-tout faire chez les grands bourgeois” nantais, qui ose entrer chez Beaufreton et demander qu’on lui enveloppe dans un papier-cadeau un livre de poèmes.
Merci ! Tendrement à elle !
Ni elle, ni moi, ne connaissons le préfacier qui propose un choix fort catholique. Il s’agit de J.-K. Huysmans*.
Les premières pages de Richer vont ébranler l’image ; dès la deuxième page, il note “l’étrange aberration qui a fait tolérer au capitaine Verlaine la présence chez lui, sur l’étagère d’une armoire, de trois bocaux où, dans l’esprit de vin, Mme Verlaine gardait précieusement les fruits de trois grossesses malheureuses antérieures à la naissance du petit Paul.”
Le décor est dressé ; nous ne sommes plus dans l’hagiographie amicale des bouquins précédents.
Verlaine est mort en 1896 ; plus de cinquante ans se sont écoulés et le critique a lu Freud : “Chez tous nos homosexuels hommes..., nous avons retrouvé, dans la toute première enfance, période oubliée ensuite pas le sujet, un très intense attachement érotique à une femme, à la mère généralement, attachement provoqué ou favorisé par la tendresse excessive de la mère elle-même, ensuite renforcé par un effacement du père de la vie de l’enfant.”
Freud écrit ceci à propos de Vinci ; Richer doit aussi avoir, à ce moment, l’enfance de Rimbaud en tête.
Le modeste lecteur note que l’un et l’autre de nos futurs terribles amants ont des pères capitaines, du génie pour Verlaine, d’artillerie pour Rimbaud. De l’influence du grade militaire et de l’arme des pères sur les comportements sexuels des fils ? On cause peut-être trop des mères.
Et en 1953, Deleuze et Guattari n’ont pas vingt ans ! L'anti-Œdipe est en germe. Richer le lira-t-il un jour ?
Quelques excuses donc pour Richer qui déroule fort bien le parcours tumultueux : les avatars conjugaux, les relation de l’Archange et du Faune, les tables de cafés, les violences de l’ivrogne, les hôtels de passe et les chambres d’hôpital. Il consacre les trois derniers chapitres à la situation de Verlaine dans la vie littéraire de cette fin XIXe.
le Faune et l'Archange - par Fantin-Latour
Le choix des textes ira bien au-delà des classique Larousse, Hatier ou de Gigord.
Mais sans audace. Quoique un texte comme Lassitude ?
"A batallas de amor campo de pluma."
Gongora
De la douceur, de la douceur, de la douceur!
Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante.
Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l'amante
Doit avoir l'abandon paisible de la Sœur.
Sois langoureuse, fais ta caresse endormante,
Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur.
Va, l'étreinte jalouse et le spasme obsesseur
Ne valent pas un long baiser, même qui mente !
Mais dans ton cher cœur d'or, me dis-tu, mon enfant,
La fauve passion va sonnant l'olifant!...
Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse !
Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main,
Et fais-moi des serments que tu rompras demain,
Et pleurons jusqu'au jour, ô petite fougueuse !
Les machistes au braquemard raidi trouveront le sonnet bien assagi ; l’adolescent que j’étais pressentait qu’avec de telles allusions le livre n’obtiendrait point la signature du préfet de discipline. J’imitais la griffe du dit et enfouis le Verlaine entre le Gaffiot latin et le Bailly grec. L’anthologie très catholique de Huysmans avait reçu, elle, l’autorisation du censeur ; je pus lire Sagesse en toute quiétude et au grand jour :
— Il faut m’aimer ! Je suis l’universel Baiser,
Je suis cette paupière et je suis cette lèvre
................................................................................
Ô ma nuit claire ! ô tes yeux dans mon clair de lune !
Ô ce lit de lumière et d’eau parmi la brune !
Toute cette innocence et tout ce reposoir !
Aime-moi !
...............................................................................
Il faut m’aimer. Je suis ces Fous que tu nommais,
Je suis Adam nouveau qui mange le vieil homme
Ta Rome, Ton Paris, Ta Sparte et Ta Sodome
Comme un pauvre rué parmi d’horribles mets.
...............................................................................
Aime. Sors de ta nuit. Aime.............................
Sagesse prépare les voies qu’emprunteront Francis Jammes, Charles Péguy, Paul Claudel. Les critiques d’alors, Lemaître, Bloy, Huysmans ne s’y trompent point : le Silène impénitent, lubrique est aussi empli d’une ferveur d’enfance qui renoue par delà quatre siècles de silence avec les “accents d’humilité et de candeur..., (les) prières dolentes et transies, les allégresses... oubliés depuis ce retour à l’orgueil du paganisme que fut la Renaissance.” (Huysmans).
L’homme qui fit merveilleusement claudiquer la langue française et sa métrique, qui libère le vers, le désarticule, affole les césures et enjambe d’un vers l’autre, refuse d’être le théoricien et revendique la chanson :
Mandoline
Les donneurs de sérénades
Et les belles écouteuses
Échangent des propos fades
Sous les ramures chanteuses.
C'est Tircis et c'est Aminte,
Et c'est l'éternel Clitandre,
Et c'est Damis qui pour mainte
Cruelle fait maint vers tendre.
Leurs courtes vestes de soie,
Leurs longues robes à queues,
Leur élégance, leur joie
Et leurs molles ombres bleues
Tourbillonnent dans l'extase
D'une lune rose et grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de brise.
Valse à sept temps pour un tableau qui ressemble à Watteau.
Tango à six temps pour un Balanide gentiment porno
C’est un plus petit cœur
Avec la pointe en l’air ;
Symbole doux et fier
C’est un plus tendre cœur.
Il verse ah ! que de pleurs
Corrosifs plus que feu
Prolongés mieux qu’adieu
Blancs comme blanches fleurs !
Vêtu de violet,
Fait beau le voir yssir,
Mais ô tout le plaisir
Qu’il donne quand lui plaît
Comme un évêque au chœur
Il est plein d’onction
Sa bénédiction
Va de l’autel au chœur
Il ne met que du soir
Au réveil auroral
Son anneau pastoral
D’améthyste et d’or noir.
Puis le rite accompli,
Déchargé congrûment,
De ramener dûment
Son capuce joli.
Et tant d’autres chansons moins coquines, plus langoureuses, nostalgiques, quasi confidentielles : elles bercent encore des centaines d'écolières et d'écoliers ingénus et ravis.
Elles enchantèrent les musiciens - Claude Debussy, Gabriel Fauré, Arthur Honegger, Charles Tournemire, Edgar Varèse - et les chanteurs - CharlesTrenet, LéoFerré.
Lisant Le paysage dans le cadre des portières, il est difficile de ne pas entendre déjà les rythmes lancinants de boogie-woogie qui martèlent le Transsibérien de Blaise Cendrars.
Le paysage dans le cadre des portières
Court furieusement, et des plaines entières
Avec de l'eau, des blés, des arbres et du ciel
Vont s'engouffrant parmi le tourbillon cruel
Où tombent les poteaux minces du télégraphe
Dont les fils ont l'allure étrange d'un paraphe.
Une odeur de charbon qui brûle et d'eau qui bout,
Tout le bruit que feraient mille chaînes au bout
Desquelles hurleraient mille géants qu'on fouette ;
Et tout à coup des cris prolongés de chouette. -
- Que me fait tout cela, puisque j'ai dans les yeux
La blanche vision qui fait mon cœur joyeux,
Puisque la douce voix pour moi murmure encore,
Puisque le Nom si beau, si noble et si sonore
Se mêle, pur pivot de tout ce tournoiement,
Au rhythme du wagon brutal, suavement.
“Le Pauvre Lélian est mort... le 8 janvier 1896, rue Descartes à Paris. Les journaux de l’époque, les revues, les Correspondances, les Mémoires, sont pleins de cette disparition, de cette absence soudaine...Voici Zola, Barrès, Montesquiou, Taillade, Proust, Bloy, Valéry, Mallarmé, au bord de la tombe fraîchement creusée de Paul Verlaine, prince des poètes.”
En 1996, pour le centenaire de la mort du poète, au Promeneur**, Jacques Drillon publie nombre de documents relatant cette absence.
Il fut le poète de mes adolescences pieuses et troublées.
*Verlaine, Poésies religieuses, préface et choix de J.-F. Huysmans, éditions Messein, 1950.
** Jacques DRILLON, Tombeau de Verlaine, Le Cabinet des lettrés, aux éditions Gallimard, 1996.
VERLAINE est dans la Péiade (œuvres complètes, 2 tomes) et dans Poésie/Gallimard(3 volumes).
Verlaine sur la Toile
L'œuvre
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lundi, 14 février 2005
Un soir de Saint-Valentin
Pour prolonger une soirée où se troquèrent entre lectrices et lecteurs de drôles de mots qui s'agençaient en bizarres titres pour susciter quelque appétit !
poor young shepherd
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer.
J'ai peur d'un baiser !
Pourtant j'aime Kate
Et ses yeux jolis.
Elle est délicate
Aux longs traits pâlis.
Oh ! que j'aime Kate !
C'est Saint-Valentin !
Je dois et je n'ose
Lui dire au matin...
La terrible chose
Que Saint-Valentin !
Elle m'est promise,
Fort heureusement !
Mais quelle entreprise
Que d'être un amant
Près d'une promise !
J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
Je souffre et je veille
Sans me reposer :
J'ai peur d'un baiser !
.....................comme une valse à cinq temps qui trouve encore le temps de patienter un moment en attendant le "pauvre Lélian" !................
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vendredi, 11 février 2005
Saluer Jean Cayrol
Levez-vous compagons aux épaules de terre
et vos yeux déchirés et vos mains de racines
il est temps de juger la terre avant les dieux.
Je lance en vain l'appel par la gorge des merles
par les becs paresseux d'oiseaux de haute-mer
dites, entendez-vous le seul vivant qui hurle
et qui montre du doigt le Jugement Dernier
dans ce bleu tribunal d'astres morts et d'étoiles.
...................................................................
Allégez cette terre qui ne servira plus
et dont nous oublierons la poussière altérée
et la perle de nuit qui roulait de si loin.
C'est le moment où vous devez paraître
dans la volupté des brouillards arrachés
Je sens que tout surgit d'une cendre fervente
Adieu Terre, encore toute mâchée par nos os qui s'éveillent
Nous sommes d'un pays qui ne peut rien sans nous.
Jean CAYROL
Adieu Terre
Les Phénomènes célestes
Cahiers du Sud,1939
Hier, jeudi 10 février, Jean Cayrol est mort, à Bordeaux.
13:30 Publié dans "Poètes, vos papiers !" | Lien permanent | Commentaires (2)
jeudi, 10 février 2005
Le "dernier" texte de Robert Desnos
“Le dernier poème” de Robert Desnos
“J’ai rêvé tellement fort de toi” ne serait pas le vrai bon dernier.
Le maître du site “robert.desnos.online” le mentionne déjà comme "soi-disant" dernier.
Cet après-midi, à la recherche d’un recueil de Paul Verlaine, je retrouve un numéro de la revue...Change*, le n°13 de décembre 1972. Entre Lu Xun, Cortazar, Baffo, Jakobson et André Velter, il y a un dossier DESNOS.
Il y est relaté le témoignage de Joseph Stuna qui soigna Desnos dans les jours qui suivirent la libération du camp de Térézin : « Sa seule propriété personnelle, à l’époque, était une paire de lunettes et à part ça on n’a rien retrouvé. » (cité par Adolf Koupa dan les “Lettres Françaises” du 1er mars 1947).
Pierre Berger écrit que c’est le même Stuna qui aurait fait parvenir le “dernier poème”.
Berger ? Koupa ? Stuna ?
Est-ce ainsi que naissent les légendes ? Les manuels de littérature auraient répandu la version “Berger”.
Grands sentiments et romantisme, quand vous nous tenez !
Change donne un texte en prose et deux textes en vers du poète, comme étant les “dernières œuvres connues de son écriture”.
Du 6 avril 1944 (donc sans doute écrit au camp de Compiègne), l’ultime :
Printemps
Tu, Rrose Sélavy, hors de ces bornes erres
Dans un printemps en proie aux sueurs de l'amour,
Aux parfums de la rose éclose aux murs des tours,
à la fermentation des eaux et de la terre.
Sanglant, la rose au flanc, le danseur, corps de pierre
Paraît sur le théâtre au milieu des labours.
Un peuple de muets d'aveugles et de sourds
applaudira sa danse et sa mort printanière.
C'est dit. Mais la parole inscrite dans la suie
S'efface au gré des vents sous les doigts de la pluie
Pourant nous l'entendons et lui obéissons.
Au lavoir ou l'eau coule un nuage simule
A la fois le savon, la tempête et recule
l'instant où le soleil fleurira les buissons.
“Vous avez le bonjour de Robert Desnos.”
* Collectif permanent de CHANGE en 1972 : Philippe Boyer, Yves Buin, Jean Pierre Faye, Jean-Claude Montel, Jean Paris, Léon Robel, Mitsou Ronat, Jacques Roubaud.
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mercredi, 09 février 2005
Tout à coup, une autre musique
Ce soir, Mahler.
Résurrection, la IIe symphonie : il n' y a que lui pour nous emmener aux bords du silence.
Une fois, deux fois. une fois encore !
Plus loin, fracas en catastrophe.
Et Nathalie Stutzmann, la voix de contralto : un dieu souterrain qui monte à nous.
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mardi, 08 février 2005
Pour prolonger Char et raccourcir les 35 heures
Écoutant Robert Castel - le sociologue, pas le clown nostalgique du Bab-el-Oued de naguère - ce matin sur France Cul, intervenant sur l’histoire des droits du travail, la longue lutte de nos aïeux - je pense à mon père en 36, en 55 - sur la présente évolution de cette histoire, quand nos députés, chers démocrates virtuels, débattent des 35 heures à rallonger pour ceux qui veulent gagner du fric et pour ceux qui n'en veulent point perdre, en guise de merci à Castel et pour fêter nos aïeux, je prolonge René Char.
Le Soleil des Eaux
Spectacle pour une toile de pêcheurs
scène XXXIV
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L'ARMURIER.—....Celui que tu bats, frappe-le sans l'injurier. Il ne se souviendrait que des injures et pas de tes coups.
FRANCIS.— Arrivés devant la fabrique, comment se placeront les bateaux ?
L'Armurier, lent et brusque à la fois, fait le geste d'encercler.
L'ARMURIER.— Comme un soleil qui prend tout.
17:05 Publié dans les diverses | Lien permanent | Commentaires (1)
René CHAR
René CHAR
...ou le combat avec l’Ange
Aujourd’hui encore, à l’ouverture de ce livre, l’étonnement adolescent, la naïve lecture....
Toutes les lectures qui suivront lecture de ce livre, se tiendront entre
cette déflagration que fut l’une des premières lignes lues
Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l’éternel.
jusqu’au geste de se courber au plus ras de la terre
À partir de la courge, l’horizon s’élargit.
En avril 1955, depuis la découverte de Claudel, de Cadou, l'aventure de la poésie moderne me passionne ; à la librairie, je vais droit au rayon où s'alignent les "Seghers". Sous une couverture marron, le n°22 des Poètes d’aujourd’hui.
Une photo du poète : un bel homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je prends le livre.
C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau. Beau à lire ! Ce qui peut paraître contradictoire avec l’aveuglement.
Le livre, signé par Pierre Berger, le même qui rédigea “Robert Desnos”, s’annonce “essai”. Soit ! Un essai qui tient de l’hagiographie, long et lyrique commentaire du seul recueil, Feuillets d’Hypnos, qui, d'ailleurs, ne figurera pas dans “les œuvres choisies et textes inédits”, présentés à la fin du bouquin :
Une incantation entre admonestations et objurgations. À l’instar de Char, mais pas du meilleur Char, écriraient les détracteurs et du poète et de l’essayiste.
Écrit sans doute au début des années cinquante, il est marqué par l’effervescence inquiète qui suit la Libération : le monde rêvé des grands idéalistes est investi par les profiteurs de tous bords.
Longtemps, cette introduction au poète me paraîtra aussi obscure, sinon plus, que le texte de Char lui-même.
L’important pour le lecteur, ce sont les citations en italiques de l’essai - je lirai ainsi les Feuillets d’Hypnos.
C’est le choix des œuvres et quelques inédits d’alors - jusqu’aux Matinaux inclus.
Ce sont les photographies - Char avec ses amis de la Sorgue, avec les habitants de Céreste libéré, avec Camus.
C’est un dessin d’Henri Matisse, laissant entrevoir les rapports intenses que le poète entretiendra avec les peintres , ses “alliés substantiels”.
Ce sont les fac-similés des manuscrits - la graphie finement penchée et très lisible.
La collection Poètes d’aujourd’hui, dans sa maquette et son appareil éditorial, offrait ainsi toute une culture du livre qu’ignorait trop souvent l’enseignement traditionnel de la littérature.
Les quelques 120 pages du choix de textes vont être le seul viatique du jeune lecteur jusqu’en 1963, date d’acquisition de La parole en archipel, éditée en 1962.
Cadou, c’était le Végétal, les vents humides, les nuits.
Voici le Minéral, le solaire dans son écrasement, les aubes et les crépuscules.
Tout s’annonce et s’assemble : la beauté, l’amour, la colère, la bonté, la philosophie, la cruauté, l’érotisme, la tendresse....
Les titres des recueils, des poèmes délivrent des aperçus. Pêle-mêle :
.... Arsenal, le Marteau sans maître, L’alouette, Robustes météores, Premières alluvions, Le poème pulvérisé, Le vitrail de Valensole, La révélée, La murmurée, La torche du prodigue, À une sérénité crispée, Le soleil des eaux, Affres détonation silence, Jacquemard et Julia; Dehors la nuit est gouvernée...
L’approche de cet homme, aujourd’hui encore, sera une lutte pour la compréhension, un corps à corps avec ses mots, avec ses images et mes propres émotions.
Salut, chasseur au carnier plat !
À toi, lecteur, d’établir les rapports.
Merci, chasseur au carnier plat.
À toi, rêveur, d’aplanir les rapports.
Ainsi sommé, le lecteur ne peut que continuer avec ce sentiment d’être sur l’arête extrêmement aiguë d’une crête à l’air raréfié. Il faudra beaucoup de jours, des expériences enfin vécues, des rencontres assumées, l’émotion forte d’un moment : s’éclaire alors le texte. Alchimie langagière entre le poème et ma vie.
dessin de Picasso pour le poème Dépendance de l'adieu
De suite, des évidences martelées qui haussent
Aptitude : porteur d’alluvions en flamme.
Audace d’être un instant soi-même la forme accomplie du poème. Bien-être d’avoir entrevu scintiller la matière-émotion instantanément reine.
Je ne plaisante pas avec les porcs.
La pensée sage est secouée à la découverte de ces aphorismes, si éloignés des sentences classiques. Et par delà Char, se découvrent ceux d’Héraclite où il affirme l’harmonie des contraires.
Char va prolonger “la route qui monte, descend et est la même” de ce philosophe ancien dit “l’obscur” qui convoque les dieux au coin de son âtre. Char désigne, lui, l’humble carreau de la fenêtre :
Pures pluies, femmes attendues
La face que vous essuyez,
De verre voué aux tourments,
Est la face du révolté ;
L’autre, la vitre de l’heureux
Frissonne devant le feu de bois.
Je vous aime mystères jumeaux,
Je touche à chacun de vous ;
J’ai mal et je suis léger.
la tension de l'arc
L'obsession de la moisson et l'indifférence à l'Histoire sont les deux extrémités de mon arc.
la densité de la foudre
L'éclair me dure.
Héraclitéen, certes, dans l’usage terrien des mots et le concret des moments de vie. On peut aussi l’imaginer devisant dans le jardin d’Épicure : un René Char, philosophe en son jardin.
Car il faut avoir longuement observé la terre et la rivière pour nommer le serpent, le lézard, le rouge-gorge, la truite,
Rives qui croulez en parure
Afin de remplir tout le miroir
Gravier où balbutie la barque
Que le courant presse et retrousse,
Herbe, herbe toujours étirée,
Herbe, herbe jamais en répit,
Que devient votre créature
Dans les orages transparents
Où son cœur la précipita ?
avoir quotidiennement surveillé la pousse des végétaux
Si les pommes de terre ne se reproduisent plus dans la terre, sur cette terre nous danserons. C’est notre droit et notre frivolité.
On n’enfonce pas son pied dans la source
Pour paraître l’égal de l’amandier
...Jadis l’herbe avait établi que la nuit vaut moins que son pouvoir, que les sources ne compliquent pas à plaisir leur parcours, que la graine qui s’agenouille est déjà à demi dans le bec de l’oiseau. Jadis terre et ciel se haïssaient, mais terre et ciel vivaient....
Salut, poussière mienne, salut d’avance, joyeuse, devant les pattes du scarabée.
Les premiers dialogues entre langue et peinture vont s’écrire dans la fréquentation de Corot, de Courbet, de Georges de la Tour ; Char a dit sa reconnaissance à ce dernier dont la reproduction du Prisonnier l’accompagna dans le maquis et par la suite, jusqu’au terme final.
Il relate dans La Fontaine narrative une rencontre nocturne avec une inconnue alors qu’il vient d’achever un “poème qui (lui) a beaucoup coûté”
Madeleine à la veilleuse
Je voudrais aujourd’hui que l’herbe fût blanche pour fouler l’évidence de vous voir souffrir : je ne regarderais pas sous votre main si jeune la forme dure, sans crépi de la mort. Un jour discrétionnaire, d’autres pourtant moins avides que moi, retireront votre chemise de toile, occuperont votre alcôve. Mais ils oublieront en partant de noyer la veilleuse et un peu d’huile se répandra par le poignard de la flamme sur l’impossible solution.
Dommage que les beautés obscures s'enlisent dans le bric-à-brac surréaliste, dans des pages aux pans aussi lisses que des parois à pic... Parfois, le lecteur doit-il craindre une incompréhension définitive ? À moins que....
Dans le tohu bohu surréaliste, l’hermétisme passait ; ce sera plus difficile quand, aux fureurs de jeunesse, s’ajouteront des préciosités et d’obscures, très obscures admonestations .
Fallait-il absolument écrire et faire éditer tel ou tel recueil qui, pour n’être point trop mince, demandait des ajouts comme autant de quincailleries inutiles, qui trouent les derniers livres, pour vendre, pour vivre ?
Et si peu d’humour ! Ne passons point sous silence ; cependant, allons au-delà.
Il est de grands cris
Placard pour un chemin des écoliers
Enfants d’Espagne, — ROUGES, oh combien, à embuer pour toujours l’éclat d’acier qui vous déchiquète ; — À vous.
C’est écrit en mars 1937
Le Placard s’achève sur une tendre et grave balade, Compagnie de l'écolière
Je sais bien que les chemins marchent
Plus vite que les écoliers
Attelés à leur cartable
Roulant dans la glu des fumées
Où l'automne perd le souffle
Jamais douce à vos sujets
Est-ce vous que j'ai vue sourire
Ma fille ma fille je tremble.
N'aviez-vous donc pas méfiance
De ce vagabond étranger
Quand il enleva sa casquette
Pour vous demander son chemin
Vous n'avez pas paru surprise
Vous vous êtes abordés
comme coquelicot et blé
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il tient entre les dents
Il pourrait la laisser tomber
S'il consent à donner son nom
À rendre l'épave à ses vagues
Ensuite quelque aveux maudit
Qui hanterait votre sommeil
Parmi les ajoncs de son sang
Ma fille ma fille je tremble
Quand ce jeune homme s'éloigna
Le soir mura votre visage
Quand ce jeune homme s'éloigna
Dos voûté front bas et mains vides
Sous les osiers vous étiez grave
Vous ne l'aviez jamais été
Vous rendra-t-il votre beauté
Ma fille ma fille je tremble
La fleur qu'il gardait à la bouche
Savez-vous ce qu'elle cachait
Père un mal pur bordé de mouches
Je l'ai voilé de ma pitié
Mais ses yeux tenaient la promesse
Que je me suis faite à moi même
Je suis folle je suis nouvelle
C'est vous mon père qui changez.
Il est vrai que dans le même Placard, il est des jouets étranges qui tiennent de la quincaillerie évoquée plus haut.
Il nous faudra, avec Célia, six ans et Noémie, neuf ans, tenter à voix haute l'Exploit du cylindre à vapeur.
N’y aurait-il qu’une lecture à sauver - le livre à emmener sur l’île déserte ?
Ce sont les Feuillets d’Hypnos, les carnets de maquis, édités en 1946 - Char avait, de 1940 à 1944, décidé le silence - qui questionnent la nécessaire et juste violence, dont la concision devrait inspirer les plumitifs va-t'en guerre et autres guérilleros trop bavards.
couverture pour le cahier de L'Herne - 1971
Cet homme m’a aidé à me tenir debout.
Je rêve d’un pays festonné, bienveillant, irrité souvent par les travaux des sages en même temps qu’ému par le zèle de quelques dieux, aux abords des femmes
Le 45e feuillet d’Hypnos.
Le post-scriptum qui aussi une brève (!) bibliographie et plus...
• René CHAR, Œuvres complètes, introduction de Jean Roudaut, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard.
• En Poésie/Gallimard, au moins neuf recueils.
• Sur l'œuvre, depuis les années cinquante, beaucoup d’approches avec des visées très différentes : de Greta Rau (1957) à Paul Veyne (1990) en passant par............................etc.
• Sur l'homme, une biographie récente de Laurent Greilsamer, L'éclair au front, chez Fayard, en 2004
L’ensemble peut - fera - l’objet d’une chronique ultérieure. Pourquoi pas ?
• Pierre Boulez a composé des musiques sur le Marteau sans maître et le Soleil des eaux
• Terres mutilées, montages de textes, dits et chantés, par Hélène Martin.
Mais, l’incontournable qui m’a ouvert les chemins de la poésie et de la littérature en tous ses états :
• Georges MOUNIN, La communication poétique, précédé de Avez-vous lu Char ?, les Essais CXLV, NRF Gallimard, 1947, réédité en 1969.
En espérant qu’il ne soit point épuisé.
• La Toile se prête à la littérature aphoristique et au voisinage des poètes et des peintres : René Char se dissémine - se dissimule (!) - sur pas mal de sites, blogues et groupes de discussions.
• Pour entendre Char dit par d’autres que par lui-même, un nom, un seul : Laurent TERZIEFF.
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