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dimanche, 06 février 2005

En triant des papiers

« Le dévot est ouvert à toute pratique pourvu qu'elle reçoive l'aval d'une autorité qui, si l'on peut dire, lui donne cours : une réalité, considérée comme impie, sera aussitôt adoptée si le juriste lui assure que "ça se fait", le policier que "c'est permis", le médecin que "c'est conseillé", le philosophe que "c'est rationnel" ! »

Clément Rosset

Jetée sur une feuille volante, sans date, ni référence. Dommage !

Éloignons-nous des dévôts !

samedi, 05 février 2005

En écho à Cadou

...Comme nous pardonnons à ceux qui nous ont enfoncé
Dans la poitrine ce goût de vivre comme un clou rouillé

 

René Guy Cadou
Après Dieu, le déluge
L'héritage fabuleux
in Hélène ou le règne végétal



Quand "l'attentive" poursuit la lecture et nous donne le fétu d'un "Pater noster" peu orthodoxe.

vendredi, 04 février 2005

Petite chronique d’un vendredi ordinaire

C’est le vendredi matin qu’au bourg, sur la place de l’Église, s’installe le marché.
Je ne déroge point à mes habitudes, je monte au bourg, c’est le jour de la brioche et du Monde des Livres.
Un tout petit marché ! Le charcutier, les poissonnières, le marchand des “quatre-saisons”, le crèmier, la fleuriste et le marchand de brioches.
Ce matin, odeur chaude et beurrée de la galette qui s'étale sur la tuile de fonte brûlante : s’est installé un nouveau marchand de galettes. Tiendra-t-il ?

On s’y rencontre et on cause.
Vu Jd.
Nous évoquons le riche week-end nantais passé : la Folle Journée, Debray à l’espace LU, le savoir, la croyance et l’Europe, le concours hippique de la Beaujoire, nos élus municipaux et la vie associative, l’avenir de notre coopération avec nos amis baalinkés.

J’achète trois boudins et échange propos de saveurs avec le charcutier sur l'art du boudin ; je trouve que trop de viande et pas assez de sang assèchent. Il en convient, me disant que naguère : "C’était un tiers de sang, un tiers d’oignon, un tiers de gras".
À l’étal des “quatre-saisons”, propos sur une poire métisse : demi-Comice, demi-Passe-Crassane, ça donne l’Angélys, le juteux de l’une, le fondant de l’autre sans le grain. J’en prends six. À goûter !
Trois galettes pour voir si la pâte n’a pas trop de froment ajouté !
Le marchand de brioche me piège avec un sachet au contenu brun indécis ; il me dit que ça me rappellera des souvenirs : je tâte, soupèse, j’opte pour de la semoule de millet.
Nul ! C’est du sable du désert nigérien !
Je lui décris mes quinze jours dans un épais brouillard de sable rouge ; c'était à Biskra au printemps 1963 : la fine poussière sur les meubles à l’intérieur des demeures, les vêtements rosis, les dents qui crissent, les cils épaissis !

Dans le Monde des livres, où, c’est vrai, sévit de moins en moins madame Josyane Savigneau, la “chèvre-émissaire” de certains intellectuels blogant sur la Toile - ils en font un Saint-Just littérateur en jupons -, Catherine Bédarida présente “Un duo d’amour et d’écriture”, Jocelyne et Abdellatif Laâbi, qui, ce matin, étaient les invités de France Cul. Lui, interrogé sur l’absence de haine dans ses écrits de prison, répond sobrement : « La haine, elle est dans l’autre ! »

Plus bas, un entretien de Patrick Kéchichian avec une dame philosophe, Catherine Malabou, auteur(e !) d’un livre au titre qui me laisse dans un beau songe, La Plasticité au soir de l’écriture. À beau titre, belle notion : la Plasticité !
Je crains l’ardu d’une lecture qui me renvoie à un autre titre qui gît sur ma table, La parole muette, essai sur les contradictions de la littérature, de Jacques Rancière. Faudra du temps pour saisir la faille !
De ce même Rancière, j’ai tant aimé l’utopie de l’émancipation intellectuelle dans le Maître ignorant et la nostalgie de l’union avec le Peuple dans Courts voyages au pays du peuple.

Quand je passerai par la rue des Olivettes, je me mettrai en quête de l’enseigne “MeMo", passage Douard : on y fait de la belle ouvrage pour les enfants. Depuis dix ans, ça a beaucoup bougé dans l’édition nantaise. Mais je ne suis plus guère dans le circuit du livre. "La lecture et les bébés" fut mon chant du cygne en littérature de jeunesse dans les années quatre-dix commençantes !

mercredi, 02 février 2005

Un homme dru

À propos de René Guy CADOU
encore

C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.


Les dernières lignes du livre de Manoll, consacré à Cadou et cité avant-hier, sont un raccourci de l’ouvrage : un poète écrivant sur un poète ; et surgit souvent un trop poétique qui peut vite glisser du côté des petits oiseaux des fleurs et des récitations d’école primaire. Un trop poétique et un lyrisme métaphysique qui longtemps vont coller aux écrits de Cadou.

Les chapelles, conjugale et amicale, qui l’entourent et veillent sur l'héritage, ne contribueront-elles point à façonner la légende d’un poète trop diaphane ? L’on sait que, pendant des années, ne pas être conforme aux discours de l’une ou l’autre chapelles vous faisait écarter des sources et archives.

Entre l’adhésion communiste et le lyrisme célébrant le Divin, il y eut quelques silences, suivis de débats feutrés.
D’une intense sensualité dans de nombreux textes, le corps de Cadou se tait dans les approches critiques qui suivront sa mort.
Madame Cadou n’est certes point une veuve abusive : on peut, cependant, se demander si, dans sa vigilance de légitime légataire, elle ne souhaita point une sorte de béatification pour son diable de mari.

L’anonyme lecteur n’a sans doute que faire de ces maigres interdits, de ces censures inavouées. Une longue et solitaire lecture du poète lui est une provende abondante.
Mais vient un temps où des éclairages biographiques autour d’écrits non publiés - ébauches romanesques, correspondances - favorisent une compréhension plus intime, sans tenir du voyeurisme : le vin, la nudité, les bêtes de la terre s’épanouissaient dans les horizons de l’homme Cadou.

Un premier colloque en 1981, celui de novembre 1998 indiquent que l’entr’ouvert s’élargit. Mais fallait-il donc attendre le sérieux (!) et l’autorité de l’Université pour ce faire ?

Cadou était lyrique, tendre et dru.

Je pense à toi qui me liras dans une petite chambre de province
Avec des stores tenus par des épingles à linge
Bien entendu ce sera dans les derniers jours de septembre
Tu te seras levé très tôt pour reconduire
Une vieille personne qui t’est chère avec son vieux sac de cuir
Tu auras peur soudain et tu rentreras dare-dare
« Mon Dieu pardonnez-moi d’être sans volonté
« Je suis malade de luzerne et je fréquente les cafés
« J’ai bu bien davantage que de coutume des absinthes
« Mais Bernadette et Sœur Chantal sont mes Saintes »
Tu t’assiéras dans le jour maigre et tu liras
Mes vers « O mon Dieu se peut-il que ce poète
« Me mette des douleurs de ventre dans la tête
« Que je m’enfante et que je vive en moi comme un posthume enfant
« Qui souffre de rigueur et renifle en plein vent »
Et le Seigneur dira : Bénis soient de la gare
Les bistrots pour t’avoir redonné la mémoire.

 

Pour plus tard
in “Hélène ou le règne végétal” - 1948

mardi, 01 février 2005

René Guy CADOU

L’histoire de ce livre commence sans doute quand naît le rédacteur de cette chronique :


À la devanture d’un libraire, une pauvre devanture, parmi des gravures de mode et gros in-folio, de petits livres de poèmes couverts de papier cristal et de grandes feuilles manuscrites.
Je n’ai pas honte de mes culottes courtes et j’entre. Il y a des colombes qui volètent dans le magasin, un long jeune homme nourri de cigarettes aux doigts brûlés.

 

Mon enfance est à tout le monde


Voici comment Cadou rend compte de sa première rencontre avec Michel Manoll. C’était pendant l’hiver 1936.

C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.


Voilà comment Michel Manoll achève le livre qu’il consacre à Cadou dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.

Entre 1936 et 1954 : une vie d’instituteur et poète qui s’achève en mars 1951 et un livre que le libraire, poète et ami consacre à celui qu’il guida, conseilla sans doute et accompagna.
Une biographie suivie d'un choix de textes, parmi les recueils déjà publiés et beaucoup d’inédits ; en hors-texte, des portraits, photographies, dessins et documents.
C’est un essai conforme à ceux publiés alors dans la collection concue par Pierre Seghers : rédigé par un poète où le fil conducteur de la biographie s’enrichit de nombreuses citations illustrant des commentaires littéraires.

C’est le dépliant publicitaire de ce livre que l’adolescent que je suis, a entre les mains, cet après-midi de juin 1954.
Acquis le 4 janvier 1955, le livre porte sur la page de garde en exergue : En un beau jour d’amitié...
La lecture de Cadou sera, pour moi et pour longtemps, du côté des amitiés, de l’amour, du pain quotidien, des campagnes d‘ouest, des pommiers à cidre et des vents d’ouest, des jeunes filles nues aux croisées de fenêtres, des balades dans la Nantes d’après-guerre, une “forme de la ville” pré-gracquienne, des auberges au vin frais et des gares perdues.


Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu’à la margelle de mon établi
Je veux chante la joie étonnament lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre le ciel
Et que tous les paysans viennnent voir ce miracle d’un homme qui grimpe après les voyelles
...................................................................

 

Le chant de solitude



Anthologie sera la rose des vents pour les poètes à découvrir, à lire :

Max Jacob ta rue et ta place
Pour lorgner les voisins d’en face !

Éluard le square ensoleillé
Un bouquet de givre à ses pieds !

Jouve ! c’est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche

Léon-Paul Fargue ! La musique
D’un triste fiacre mécanique !

Blaise Cendrars ! Apollinaire !
Le bateau qui prend feu en mer

Reverdy ! la percée nouvelle
Les éléments comme voyelles !

Le remue-ménage cosmique
De Saint-Pol-Roux-le-Magnifique !

Boulevard Jules Supervielle
Noë la Fable et les gazelles !

Vladislas de Lubics-Milosz
Les clefs de Witold dans sa poche !

Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme !

Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d’Elsa tout au fond !

Cocteau la neige la roulotte
L’ange amer qui se déculotte !

Paul Claudel ! filleul de Rimbaud
Cinq grandes odes cent gros mots !

Mais aussi mon Serge Éssénine
Ce voyou qui s’assassina

Et la grande ombre de Lorca
Sous la pluie rouge des glycines !

À qui s’en prendre désormais
pour célébrer le mois de mai ?

 

Hélène ou le règne végétal
(1949)



Ma vie, mes amitiés, mes amours, mes lectures, seront souvent de plain-pied dans le flux des métaphores accroissant émotions, suscitant regards neufs, libérant une parole autre.

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Aujourd’hui, mes lectures m’emmènent du côté du sang, des lampes, des corridors où rôde la camarde, de la sécheresse ardente de ces chroniques brèves : Burger, le Diable et son train, Pacifique Liotrot,

............................................................
Il est debout dans sa jeunesse et il s’habille
De velours vert avec des boutons qui brillent

Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château !

Qu’est-ce qu’il porte là dans ses deux mains brisées ?
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.



de ces autres encore : Rue du sang, Sainte Véronique, Mourir pour mourir, Saint Thomas,

Poète ! René Guy Cadou ?
Mais montrez-moi trace des clous !

Montrez l’eau vive où il s’abreuve
Montrez rabots et planches neuves !

Montrez-le-moi sur le sentier
Larron avec le fer aux pieds !

....................................................................

Bègue à moitié navré transi
Montrez-le-moi quand il écrit

Ces mots à tort et à travers
Pareils aux vagues de la mer



Ce n’est que depuis quelques années qu’une des rares obscurités de Cadou, désormais, pour moi fait sens :

J’écris pour des oreilles poilues, d’un amour obstiné qui saura bien, un jour, se faire entendre.

Usage interne 1946-1949



Post-scriptum en guise de bibliographie :

RENÉ GUY CADOU, Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, préface de Michel Manoll, Paris, Éd. Seghers, 1997, 475 p.
Christian MONCELET, René Guy Cadou - Les liens de ce monde, collection Champ poétique, Éd. Champ Vallon, 1983, 246 p.
Colloque René Guy CADOU, un poète dans le siècle, novembre 1998, Université de Nantes, Éd. Joca Seria, 1999, 300 p.

Un DVD
René Guy CADOU, de Louisfert à Rochefort-sur-Loire, film de Jacques Bertin, distribué par Velen