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jeudi, 31 mars 2005

Luce et "Jules"

Ce matin, en quittant les “Chantiers” après le cours de Grec ancien, je traverse la Loire par la nouvelle passerelle qui enjambe le fleuve devant le nouveau Palais de justice, Jean Nouvel, architecte.
Après la Petite Hollande, je longe le quai de la Fosse, je vais faire le tour de mes librairies ; je hâte le pas, à hauteur de la Médiathèque Jacques Demy, je double la longue file d’une classe d’enfants qui sort de celle-ci. Des rires à mon passage. C’est toujours une question ?
Je me retourne et deux d’entre eux m’interpellent : « Monsieur, tu ressembles à Jules Verne ».
Eh, oui ! Il sortaient de l’exposition Jules Verne, c’est son année à Jules un peu partout dans “notre” ville natale. Lui et moi avons au moins cela en commun.

Et tout au long de la file d’enfants, les langues se sont déliées « Le monsieur, il ressemble à Jules Verne ! » C’est bête, mais ils m’ont touché, ces enfants. Je leur ai dit qu’ils me donnaient grand plaisir. Le soleil m’a paru un peu plus vif et mes pas se sont allégés.
J’ai songé à Noémie ; pour ses neuf ans, je viens de lui envoyer mon “Jules Verne” préféré, le Voyage au centre de la terre, un vrai livre pour les grands, avec de belles illustrations modernes.

Rue de la Fosse, la nostalgie a surgi.

Luce Courville !

Qui mentionne son nom à Nantes ? Pourtant “Jules Verne”, ce fut un de ses chantiers, la constitution du fonds, l'ensemble documentaire et iconographique, l’élaboration patiente du Musée sur la Butte Sainte-Anne, c’est elle.
Luce et son “Jules” comme elle disait .
Conservateur(e) de la bibliothèque municipale, les Nantais lui doivent les annexes décentralisées dans les quartiers, l’essor du Centre de littérature de Jeunesse quand ce n’était pas encore à l’ordre du jour des politiques culturelles ... Elle obtint de quitter les arrière-salles du musée des Beaux-Arts pour enfin une nouvelle Médiathèque, digne de Nantes - digne, enfin presque !
Elle est morte, à la fin de l’été dernier.
C’était une grande dame lettrée qui fut aussi une fervente militante de l’Éducation Populaire.

Un drôle de silence !

mercredi, 30 mars 2005

Mahler, puis Jammes

Ce soir, Mahler à nouveau, pour sa première symphonie Titan.
Toujours fasciné par ses emmenées au silence.
À l'écoute du premier et du troisième mouvement, des images agrestes, des rythmes de promenade : ainsi Francis Jammes... de subtiles douceurs et parfois des déchirures.
Un bestiaire se dessine.

Et lointaine, si lointaine une jeune fille : Clara d'Ellébeuse ? Johanna Richter ? Il y a des larmes qui coulent, des pendules qui sonnent. Et s'en va par les champs le musicien ? le poète ?

mardi, 29 mars 2005

Lentement Francis Jammes arrive

Avec ton parapluie et tes brebis sales
avec tes vêtements qui sentent le fromage
tu t'en vas vers le ciel du côteau, appuyé
sur ton bâton de houx, de chêne ou de néflier.
Tu suis le chien au poil dur et l'âne portant
les bidons ternes sur son dos saillant.
Tu passeras devant les forgerons des villages
puis tu regagneras la balsamique montagne
où ton troupeau paîtra comme des buissons blancs.
Là, des vapeurs cachent les pics en se traînant.
Là, volent les vautours au col pelé et s'allument
des fumées rouges dans les brumes nocturnes.
Là, tu regarderas avec tranquillité,
l'esprit de Dieu planer sur cette immensité

(le suivre)

Avec ton parapluie
1897

lundi, 28 mars 2005

Pour une septuagénaire adolescence

L'Harmonie a pris des précautions sans nombre pour assurer aux vieillards de l'un et l'autre sexe les charmes et délassements de l'amour.

(...) Doutera-t-on que toute femme âgée n'embrassât à l'instant ce nouveau culte s'il pouvait s'organiser d'emblée et procurer à chaque femme sexagénaire les illusions et jouissances amoureuses de Cléopâtre ou Ninon ? Le culte amoureux enlèverait donc à son apparition la classe la plus attachée au culte Civilisé, celle des femmes avancées en âge.
Qu'on ne se hâte pas de préjuger sur les moyens d'exécution, d'argumenter sur l'impossibilité de rendre aimable et faire adorer un octogénaire (...); les octogénaires de l'un et l'autre sexe verront dans l'Harmonie une brillante jeunesse idolâtre et complaisante avec eux.

(...) Il s'agit d'assurer aux personnes de tout âge le charme de l'amour aussi pleinement qu'on peut le trouver au bel âge.

(...) L'Harmonie assure (le plaisir amoureux) aux centenaires comme aux jouvencelles et jouvenceaux, pourvu qu'il leur reste assez de force et d'intelligence pour (y) prendre part.

Charles Fourier
Vers la liberté en amour


Le feuilletage des écrans de remue.net, qui n'est donc point une si grosse machine littéraire que cela - il m'arrive d'amplifier de légères et passagères amertumes - m'a donné idée de prolonger la chronique de Dominique Hasselmann sur "l'inactualité persistante de Charles Fourier".
Et d'ajouter un splendide portrait du grand libertaire, visible au musée des beaux-arts d'Agen.
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Fourier on s'est moqué mais il faudra bien qu'on tâte un jour bon gré mal gré de ton remède


André Breton
Ode à Charles Fourier


dimanche, 27 mars 2005

El Resucitado


Continuant de feuilleter le livre de bord de Dac'hlmat en mars 2002.


Le matin de Pâques verra un paso exhibant El Resucitado, un Ressuscité quasi nu, porté par vingt-quatre gaillards en chemise blanche, pantalon noir et gants blancs ; “exit” la kyrielle des pénitents, ce sont les enfants aux clochettes tintinnabulantes qui accompagnent le paso.medium_paq1.3.jpg
Curieusement, après un samedi silencieux, pour la célébration du ressuscité, la tension tombe, le mystère s’effiloche dans des lingeries sulpiciennes minimales.medium_paq2.4.jpg
Le Corps en gloire n’a plus la force surréaliste de la statuaire des jours précédents.
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Les stridences des trompettes, les roulements assombris des tambours s’atténuent dans les flonflons d’un orphéon chamarré.

Demeure, demeure l’extraordinaire effort des porteurs de paso, cette fois en pleine lumière. La charge honorifique se transmet de père en fils. Ils ont des gueules, ces pêcheurs andalous de la baie de Cadix.
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Quant à nous, la météorologie qui nous avait accueillis au pied des Pyrénées espagnoles dans une chaleur printanière s’était déchaînée en froid et furieux “Levante” depuis le Mercredi Saint, éteignant les cierges de la Vierge en procession nocturne à travers les ruelles de Rota et interdisant aux navigateurs tout espoir de franchir aisément ce fichu Détroit qui nous narguait à 60 milles de notre ponton. Le “Levante” souffla en ouragan, force 11 sur l’échelle Beaufort, entre 60 et 70 nœuds, bousculant les pontons de notre prochaine escale, Barbate. Dac’hlmat était solidement amarré par ses bonnes et solides aussières bretonnes à son catway de Rota, mais 35 à 40 nœuds, des heures durant, sous un ciel plombé de strato-cumulus pâles et gris rongeaient les... os de la voyageuse et les sangs du navigateur qui espéraient encore un soleil andalou.

La patience et la ruse étaient les vertus d’Ulysse ; nous les fîmes donc nôtres !
Le Détroit ne sera franchi que le 14 avril 2002.

Les photos publiées dans la note de vendredi et de ce jour sont de Nicléane

samedi, 26 mars 2005

En guise d'œuf de Pâques

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Non, ce n'est pas André Breton, ressuscité !
Ce n'est pas non plus la note présentant le BRETON de chez Seghers (le n°18, ce sera à l'automne).

C'est une espèce de dette qui remonte à la triste semaine où "l'on" brada le 42 rue Fontaine
Breton est photographié* par Cartier-Bresson sur les bords du Lot et il ramasse des galets plutôt rares, des agates.
Et ces agates, j'avais proposé à François Bon qui fut l'un des initiateurs de l'opposition à l'inique braderie, de demander leur restitution au fleuve d'origine. Il m'avait demandé quelques références attestant la véracité de la cueillette pour appuyer "notre" exigence de restitution. J'avais souvenance de cette image, mais archivée où ?
Je l'ai découverte cet après-midi - on trouve les œufs de Pâques qu'on mérite à l'âge qu'on a -
en cherchant pour l'homme du Tiers-Livre une citation de Roland Barthes ; car depuis le passage de Berlol dans l'antre d'Hubert de Phalèse et l'approche du colloque de Cerisy sur Toile et littérature, ça pense intensément sur le réseau Journal littéréticulaire/Tiers-livre et consorts.

Voilà donc manière de ne point oublier qu'il est possible de bazarder la beauté en notre société mercantile - l'horizon européen qu'on nous demande d'approuver étant loin d'éclaircir les choses - et ce en toute bonne conscience affairiste.

En cette veillée pascale, je ne souhaite donc à personne une belle résurrection, approfondissant mes doutes quant à une telle espérance, m'exerçant à pratiquer "le désespoir et la béatitude" en toute sérénité.
La renaissance printanière suffit à ma joie ! Que ce soit ainsi pour les vôtres !


* La photographie a été publiée dans un Nouvel Obs de l'année 1970, découpée et glissée dans un dossier que le Monde des livres avait consacré à Breton quand paraissaient en poche l'Anthologie de l'humour noir, Point du jour et les Pas perdus.
C'était le 27 juin 1970 et François Bott, José Pierre, JeanMarie Dunoyer, Michel Chaillou, Gilles Lapouge signaient les chroniques du dossier.
On(!) se préparait un bel été encore loin des "sous-tifs", petites culottes, caleçons, chaussettes de madame Ernaux et de monsieur Marie. Passent encore les avatars sexuels - rarement désagréables - mais les négligences de couloir et l'absence de programmation de la machine à laver nous éloignent de l'Amour fou et de la quête de Graal, le silence infernal du tambour de ladite machine atterrant monsieur Vilain (le Monde des livres du 17 février 2005).

Ô tempora ! Ô mores !

vendredi, 25 mars 2005

Un vendredi, il y a trois ans


Il suffit parfois de réouvrir un livre de bord, de feuilleter un album.
Une nuit de Semaine-Sainte dans un petit port d'Andalousie atlantique, Rota, et un vieux rêve qu'avait suscité naguère l'écoute du "Sketches of Spain" de Miles Davis, revit plus fascinant encore. Et qu'importent la foi et l'absence de foi ! Demeure la célébration funèbre d'un rite.


Quand apparaît le premier pénitent porte-croix entre deux autres confrères, les conversations s’éteignent petit à petit. Sur deux rangs, longs cierges allumés, portés en oblique, la longue file des pénitents Ils sont cinquante, cent. Hommes, femmes, parfois enfants. Seuls les yeux brillent dans l’étroite fente de la cagoule. Toutes et tous gantés, certain(e)s pieds nus... Lente et longue file où alternent les porteurs de crosses droites d’argent surmontées de lunules finement ciselées aux armes des confréries, de photophores, de bannières.
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À l’instar du porteur de la Croix qui ouvre la procession, en son milieu, accompagné lui aussi de deux pénitents, le porteur du Livre ! Certains se signent.
Longs arrêts des pénitents. Reprise de la marche. Heurt des crosses d’argent sur le pavé. Recueillement de la foule.
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Le roulement voilé des tambours plus proche et bientôt l’éclat comme assourdi des cuivres et des bois des fanfares.
Viennent les “pasos”, ces lourdes plates-formes qui portent les statues du Christ et de sa Mère la Vierge, “cette statuaire drapée dans les brocarts et les velours, aux visages de poupées surréalistes, suintant les larmes et le sang” qui nous avaient tant fascinés à Séville !
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Elles sont là en gloire sur ces podiums recouverts de dorures et d’argent, fleuris d’œillets et de lys, illuminés pour ceux de la Vierge d’un buisson de cierges.
Les pasos avancent au petit pas lent et tangué des dix-huit, vingt, vingt-quatre porteurs qui sont soit dissimulés sous le paso, soit sans cagoule, vêtus de l’aube de leur confrérie ; et l’on voit alors les lourds brancards rembourrés de cuir rouge. Un pas lent glissé rythmé par la musique funèbre de la fanfare qui suit.
Intense émotion quand lors d’une halte, soudain dans votre dos, s’élève d’un balcon, la plainte de la saéta, ce chant flamenco religieux qui célèbre le Christ flagellé, crucifié et sa Mère de toutes les Douleurs. Puis s’ébranlent à nouveau les pasos :soulèvement énergique, vacillement de la statue, des cierges, des photophores, un temps encore et reprend l’avancée lente et tanguée dans les murmures admiratifs et les applaudissements de la foule. Stridences suraiguës des petites trompettes de la fanfare qui prolongent la lamentation de la saéta.
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Difficile d’oublier dans cette houle de musiques et de lueurs nocturnes la longue chevelure du Crucifié s’emmêlant dans les arbres encore nus de la plaza d’España. Ta gorge se noue !
Miles Davis s’est avec splendeur approprié la beauté de ces lueurs et de ces sonorités déchirantes.
Le cortège s’efface dans la nuit des rues ; la foule se disperse et entre dans les tavernes encore ouvertes.
À chaque jour, sa confrérie et ses “pasos”. Pénitents blancs et cagoules noires le lundi. Pénitents noirs au scapulaire parme du mardi, aux coules blanches et cagoules vertes ou rouges du mercredi et du jeudi, le vendredi voyant les confréries se joindre en un interminable cortège suivi par une foule plus dense encore.
À chaque nuit, son Christ et sa Vierge :
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La Imagen del Santisimo Cristo del Amor
Nostro Padre Jesus de la Salud en su tres Caida
Maria Santisima de la Caridad
Nostra Senora de los Dolores y Santisimo Cristo de la Caridad
Nostro Padre Jesus Nazareno y Maria Santisima de la Amargure
Santisimo Cristo de la Vre-Cruz y Maria Santisima de las Angustias
El Resucitado


Mais qui ? Qui est donc est mort cette nuit-là ?

mardi, 22 mars 2005

Arthur RIMBAUD

Le Rimbaud de chez Seghers est arrivé à Bongouanou en mars 1957 avec Paul Éluard et Francis Jammes. L’achevé d’imprimer indique septembre 1956. Mais c’est le douzième de la collection, il s’agit certainement d’une réédition. Les “seuils” du livre ne donnent, c'est dommage, aucune lumière.

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Rimbaud, c’était quatre textes, côtoyant Samain, Mallarmé, Lafforgue, de Régnier, Verhaeren.... dans un classique Larousse “Paul Verlaine et les Symbolistes”.

O balançoire ! O lys, Clysopompes d’argent !


C’était, murmurés à perte de nuit, Voyelles, le Dormeur du val, le Bateau ivre, Ma Bohème,

J’allais les poings dans mes poches crevées


C’était, assénés, les Assis, par la voix abrupte de Jean-Louis Barrault.
C’était des pans entiers des Illuminations, de la Saison en enfer “censurés” parce que jugés inaudibles. Ou alors des bribes ! Saisissables ?
...Aujourd'hui, aucun pan n'est plus censuré, mais quand on lit le “Rimbaud” des autres, c’est tout comme... et ça peut s'entendre. À chacun, ses fétus rimbaldiens et ses pages impénétrables ; que l'on tait ! Allez expliquer l'obscur !
Des bribes ! Mes bribes ! les “O ” !


Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.


Claude-Edmonde Magny prend comme carte d’orientation la lettre du Voyant, celle envoyée à Paul Demeny, datée du 15 mais 1871 ; elle aurait pu s’appuyer sur le lettre de l’avant-veille adressée à Georges Izambard.
Peut-être les deux meilleurs outils pour s’enfoncer dans les déserts, les eaux, les villes et les châteaux.
Et ils nous sont donnés par l’artisan lui-même, voyant voyou, vieux jeune, satan sage .
Il en fournira d’autres tout au long de son ouvrage et Magny les pointe avec beaucoup d’acuité.

Je souligne ces lignes, que je n’ai point trouvé souvent citées.
Détournant Malraux, je pense, – mais est-ce mon entourage qui m’y dispose – que le XXIe siècle sera féminin ou nous ne serons plus !

«...Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »


Branleur mystique ? enculé enculeur ? drogué ascétique ? petit commerçant communard ?
Un très malin qui nous laissa assez de traces mystérieuses et prosaïques pour que nous ne puissions en faire un mythique Lautréamont.
Astucieux, non ! Ce très lointain et très quotidien cousin.

Devant l’afflux des exégètes, des commentateurs, des paraphraseurs — qui n’a pas écrit en une feuille ou en plusieurs livres son Rimbaud — il y a quelqu'hésitation ? Dans le Magazine Littéraire de juin 1991, deux pages bibliographiques et onze parutions pour un anniversaire centenaire.

Des décades rimbaldiennes. Fin de siècle : les années “Borer”. Début du siècle : les années “Jeancolas”. On annonce la décade “Lefrère”.
Il y a de sympathiques fonds de commerce. Il fut négociant, Jean-Arthur, non ?
Dans les années soixante, ça s’étripait allègrement entre Étiemble, Pia, Faurrisson et Breton.

Les uns pencheront pour :
...Il s’agit de gagner une dizaine de mille francs, d’ici à la fin de l’année... D’ailleurs, je me suis ménagé la possibilité de rentrer dans mon capital à n’importe quel moment...
Rimbaud fourmi.


Les autres inclineront vers :
J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse.
Rimbaud cigale.


....O Timothina Labinette !
..........................................
...À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem !
..............................................................................
...Ma chère maman !
..................................

Le même Rimbaud.


Tous à lire ! Doctes, fous, professeurs, rêveurs, biographes, photographes, auteurs, universitaires, autodidactes, poètes, peintres, inconnus. Même Sollers dans Studio, qui se chauffe aisément au feu des autres - le lire sur Vivant Denon, Mozart, Dante.
En serrer quelques-un(e)s dans son havre-sac : Enid Starkie, Edmonde Magny, Henri Miller, Pierre Gascar, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Michon, Jean-Luc Steinmetz....

Il est bien de tout lire, – enfin le plus possible, – de tout voir, de tout entendre, de tout vivre et puis de tout oublier et de revenir à l’homme et à l’ouvrage.

Là, ces jours, je ne puis que me rêver une mise en scène de mes propres moments de lectures.
Contempler l’homme et lire l’œuvre !

medium_rimb2005.jpgUne grande salle blanche et nue, deux reproductions élargies aux dimensions des murs : sur le mur du nord-est, la peinture de Ernest Pignon-Ernest qui s’est délitée des mois durant sur les murs de Paris.
C’est le jeune Arthur à la besace de poèmes qui surgit dans la Commune. La lumière qui l’éclaire est celle du sud.
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Sur le mur du sud-est, c’est l’image retouchée du Rimbaud au Harrar ; c’est la lumière du nord qui laisse entrevoir l’indéfini d’un beau visage émacié.

Contre le mur de galerne, un tabouret et une table sur laquelle s’ouvre n’importe quelle édition des œuvres complètes.

La mienne est celle de la Pléiade, achetée en juin 1958 et qui fut glissée dans toutes cantines, sacs ou valises. Le papier bible a fait la guerre d’Algérie, les pitons, les crapahuts, puis l’indépendance — au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie — et le désert.
Il fut lu dans la tiédeur du sac de couchage posé à même la terre, adossé au rocher à l’ombre des lauriers-roses au creux d’un oued, dans l’aridité minérale de contreforts de l’Amahadou, au bord d’une séguia biskrie dans le parfum des orangers, dans un des multiples entonnoirs qui trouent les dunes du grand Erg oriental.

Plus tard, dans les criques de Bretagne sud,
en dévalant les houles du Golfe de Gascogne,
dans les calmes plats qui s’allongent sur l’équateur du Pacifique,
sur les rives de la Falémé, précédant le coq et le muezzin,
au creux des ports de l'Algarve et de l'Andalousie atlantiques.

Et ici, aujourd’hui quand, quittant l’écran, le regard se porte sur les grandes images qui élargissent les murs, dans le retour bienheureux à une clandestine adolescence,
la voix du lecteur murmure :

Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine.
Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque.
Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant.
Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche au ciel.
Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.



Ailleurs

Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord...



Sur la Toile
• Le site de la ville natale (aurait-il apprécié ?).
• un site à liens.
• Un mien Rimbaud, écrit en hâte quand un matin d'atelier, Daniel Biga déroula, devant nous, son exemplaire sur papier journal, du Rimbaud de Pignon-Ernest (cf. la reproduction,ci-dessus). Dédié à Mj, cette femme qui m'entraîna dans l'aventure de cet atelier.

dimanche, 20 mars 2005

Comme transition

Entre une table rimbaldienne surchargée dont il ne restera, mardi, que peu d'écritsmedium_tabrimb.jpg





















et le petit disque dur qui s'est éteint après plus de quinze mille heures de vaillant travail par monts, mers et vaux
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il fallait bien au quelconque lecteur un matin printanier aux bords de Vilaine.
On ne peut, tous les jours, longer l'Équateur et contempler la fabuleuse constellation du Scorpion s'enfonçant à l'aube dans les eaux du grand Sud !

De l'autre côté du monde

Le 20 mars 1999, à 17 h 55 heure locale, Javier, Mat et moi étions par


00°00,00
115°16,00 ouest


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l’Équateur, c’était donc cela, six zéro sur un minuscule cadran de GPS et cette immensité tout autour !

Nous étions partis de Ua Huka - iles Marquises - depuis vingt-trois jours et à moins de 2 250 milles, c’était Panama où nous attendaient - peut-être - les sept oncles de Blaise Cendrars.

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Et il y avait des soirs !

mardi, 08 mars 2005

Toujours à marée à basse !

L'iBook de Grapheus tis est en observation. Le diagnostic est pour jeudi.

J'espère que le "Rimbaud de Claude-Edmonde Magny sera lisible mardi prochain.


à bientôt !

dimanche, 06 mars 2005

Dimanche à marée basse

Beaucoup de labeur avec Rimbaud !

Le disque dur de Grapheus tis a quelques soucis.
Interruption pour quelques jours.

Amicalement à tous !

BONS VENTS !

vendredi, 04 mars 2005

Dans les rues de ma ville

Jeudi de neige sur Nantes. Mais Nantes est noire sous les bourrasques. Allant au cours de Grec ancien, j'espérais quelques rares photos de Nantes la blanche. Je ne fus que frigorifié dans l'enfilade glacée du fleuve.
La traduction de la morale conjugale, pensée par Xénophon, n'en subit aucun préjudice. Peut-être une certaine lenteur dans l'accès aux bonnes règles de grammaire, compensée par la découverte de ce qu'est un "hystéron-protéron" qui est beaucoup plus amusant dans l’involontaire

Il se suicida et mit le feu à sa maison

que dans le volontaire
trouver d’abord, chercher après
(Cocteau).


Je dois rédiger un papier pour le bulletin “paroissial” de l’Université Permanente sur le thème “Pourquoi vous être inscrit au cours de Grec ancien” ; j’ai demandé à mes collègues de m’écrire cinq lignes ; je tenterai une synthèse. Je leur ai soumis une proposition pour un titre. “Les Femmes Savantes” me paraissaient l’adéquat. Rires des colègues ! Mais le choix me reste. Je serais maître de la publication, je prendrais la seconde réplique de Philaminte, accompagnée de la didascalie qui la suit :

«....Ah ! permettez de grâce,
Que pour l’amour du grec, Monsieur, on vous embrasse. »

Il les baise toutes, jusqu’à Henriette qui le refuse.


À la sortie, j’ai traversé la Loire, remonté la rue Neuve des Capucins - la matinée allait s’achever sur des traces que j’ignorais encore -, enfilé la rue de l’Héronnière - oh ! l'ombre de Lola ! - jusqu’à la rue Crébillon ; je suis passé à la boutique d’Harmonia Mundi - je deviens allergique aux rayons de la Fnac, - y ai trouvé la première symphonie “Titan” de Mahler par Walter et un disque d’Aperghis pour me mettre dans l’ambiance du spectacle que l’ami Hervé Tougeron, accompagné de Catherine Verhelst donnera en avril à Graslin, Musique(s) de Toile, un opéra de chambre noire, où se mêleront les musiques de Ligeti et d’Aperghis, des projections de Fernand Léger et Oskhar Fischinger, des textes et témoignages sonores de Jean-Luc Godard et Robert Bresson. Une vraie cure de Jouvence, pour moi !

Giboulées de neige en descendant la rue Crébillon, je m'abrite dans le Passage Pommeraye... Voilà les traces qui se précisent. Je sors mon petit nikon, je croque deux ou trois des adolescent(e)s fessu(e)s qui ornent le passage et, tout à coup, je me dis que je viens de faire, en sens inverse le trajet qu’a fait le héros maudit du Musée Noir de Mandiargues. Vains dieux ! Je ne vais quand même pas me laisser dévorer.
Depuis les “Énervés” d’Évariste Luminais et les exégèses picturales fort réjouissantes de Bourdaily on the web, j’ai l’imaginaire vacillant...
Je ressors rue de la Fosse. La neige ne tombe plus et il n’y a point d’albatros dans le ciel de Nantes. C’est, là, l’unique erreur de Pieyre de Mandiargues dans l'écriture de la nouvelle. Et le pervers et noir enchantement s’efface !
Sur le seuil du Passage, je me retourne : aucune femme “à l’immense chevelure mouvante” ne m’a suivi et les allégories fessues ont toujours là-haut leur pose alanguie.

Le texte de Mandiargues est d’une incroyable rosserie.
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“Mesquines créatures, un peu plus petites que le naturel, pâles, privées de sourire, enduites d’une sale couleur jaune crème tirant sur le vert, il se dégage de vous une désolation pas moins immense que d’un sérail de vieux enfants...; en même temps vous ne laissez pas d’être assez troublantes, sous les voiles qui couvrent à demi vos chétives nudités...”

Une prochaine fois, passée la Loire, j’éviterai la rue Neuve des Capucins.

Ma petite mythologie urbaine diffère de celle de Mandiargues qui donne à la fessue de gauche les attributs des Beaux-arts et à celle de droite, ceux de la Science. Sans doute, a-t-il raison ? Pour moi, filles l'une et l'autre, celle de droite est la Liseuse, celle de gauche la Songeuse !

mardi, 01 mars 2005

Paul ÉLUARD

Voici donc le numéro 1 de la collection Poètes d’aujourd’hui : une aventure éditoriale et une construction assez complexe avec deux coauteurs, Louis Parrot et Jean Marcenac.

“C’est avec le livre consacré à Paul Éluard que naquit réellement la maison d’édition
”. Pierre Seghers relate avec précision l’histoire de sa collection dans le n°164, Pierre Seghers par l’auteur, pages 56 et 57.
Le texte de Parrot avec un choix de poèmes est achevé d’imprimer le 10 mai 1944. “Au plus noir de l’occupation”, Seghers annonce deux autres titres : Max Jacob, Aragon.

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Cette aventure mérite d’être soulignée : la maquette est de Boris Lacroix - elle existait encore, au moins dans son format et son principe éditorial - présentation de l’auteur et choix de textes - jusqu’en 2003, Francis Ponge présenté par Sollers, par exemple.
Ce jour, le format 135x160 semble avoir été abandonné au profit d’un 145x195, plus traditionnel et c’est le Jean Grosjean de Jean-Luc Maxence qui en fait les frais et/ou en bénéficie.
Le conseiller de Seghers sera Paul Éluard lui-même : « Non pas une brochure, une plaquette. Mais un livre. Faites de vrais livres ! » Ce fut sans doute le premier livre de poche sur un poète et l’occupant était encore là.

L’élaboration du bouquin dans la clandestinité justifie cette superposition de strates d'écrits : le texte de Louis Parrot en mai 1944, préfacé en mars 1945, postfacé en août 1948. Précédé par Parrot, Éluard meurt le 18 novembre 1952 .
Seghers confie, de suite, à Jean Marcenac, la charge d’une nouvelle postface ; celui-ci reprend, en la commentant, une longue intervention - 45 pages -, Les progrès de l’espérance, écrite pour la revue Europe en avril 1950. Le choix des poèmes d’Éluard s’enrichit des dernières œuvres publiées et d’inédits.

Qu’écrit Parrot ? Il réfute, dès les premières lignes, une présentation qui ne soit que critique et esthétique ; il affirme ne pas “vouloir expliquer” l’œuvre, mais “indiquer dans quelles conditions elle est née,... donner quelques précisions sur la vie de son auteur”. La biographie du poète devient aussi une approche de l’histoire du Surréalisme, des liens avec les peintres.

Qu’écrit Marcenac ? La discrétion politique que montrait Parrot évoquant “ la vie publique du poète, au moment où il allait entreprendre ses longues et amicales tournées d’amabassadeur de la poésie nouvelle et des idées les plus généreuses en Grèce, en Yougoslavie, en Pologne, en Tchécoslovaquie, en Italie” va laisser place à une entreprise de récupération, certes nuancée par la tristesse de la disparition récente et l’amitié désertée, mais noyée dans un pathos où se découvrent Orphée, les Argonautes, Byron, le soir de Grèce, le soleil de Chine, les dockers en lutte, les augmentations de salaire pour aboutir à cette extraordinaire “nouvelle qui passe en grandeur tout ce qui peut se rêver et nous apprend qu’en U.R.S.S., on envisage de ne plus vendre le pain, mais de le donner...” (sic), récupération à la gloire du Parti !
Le péan sera entonné, de la page 240 à 242, quand Éluard “avec les clairvoyance du génie,... était allé au communisme pour couronner par lui sa poésie et son génie, leur donner leur conclusion nécessaire, leur efficace plénitude, parce que le communisme est cette science du bonheur”.
Suivent Lénine, MaÎakovski (!), Neruda, Aragon, les Congrès pour la paix et les fêtes anniversaires de Gogol et de Victor Hugo, célébrées à Moscou en 1952, où Éluard représente “le peuple français” ! Jean Marcenac fut un homme très respectable, militant communiste, poète engagé dans la Résistance, militant qui fut, je crois, journaliste à “l’Huma” et aux Lettres Françaises.

Le portrait d’Éluard ci-contre est bien dans le ton du réalisme socialiste.
L’ironie que peuvent laisser percer ici ces quelques lignes ne sont, sans nul doute, que l’amertume d’espoirs déçus dans un bien sombre magma. Et ce qu’avaient vécu de tels hommes était-il donc si atroce qu’ils fussent aveuglés dans leur rêve d’horizon ?

Demeure la question sous-jacente à beaucoup de livres de la collection. Seghers fit-il le meilleur des choix en confiant le rôle de passeurs de poètes à d’autres poètes ? Certes, il “faisait” vivre et les uns et les autres. Mais... (lire le blogue de Florence Trocmé sur Perse et Bosquet et son commentaire ci-dessous, ajouté ce 2 mars).

Le livre arrive à Bongouanou, accompagné de deux autres titres de la collection Arthur Rimbaud par Claude Edmonde Magny et Francis Jammes par Robert Mallet. Faut-il avouer qu’en mars 1957, je ne m’attarde guère aux écrits de présentation et autres "seuils" littéraires, comme écrirait Gérard Genette.

Au poème même !

L’objectif de Seghers me comblait d’aise : “Sevré de contacts et d’informations... ni radios, ni T.V., ni bibliothèques ouvrant aux modernes leurs portes,” je me voyais offrir, au fin fond de ma brousse tropicale et coloniale, la possible lecture de poètes que je découvrais, pas "illuminé" comme certain(!) me qualifie, mais pour le moins émerveillé ! Ils me donnèrent quelques coups de pied au cul et soutinrent ma tentative d'auto-décolonisation.
À petits pas, j’allais apprendre à fréquenter les rayons de librairies où je trouverais mes nourritures. Parce que, entre autres démarches de recherche, j’aurai appris à maîtriser les catalogues de certains éditeurs dans l’immense chambre de la concession scolaire d’une subdivision côte-d’ivoirienne.

Retour à Paul Éluard.
Comme certains, à l’image de Cadou, Desnos, Prévert, il est trop vite devenu le poète des livres de classe, des cours de collèges, des anthologies lycéennes et des “poèmes pour tous” à offrir aux jeunes mariés. Trop aisé à cerner, à définir, à classer dans une tradition
À tel point que chez le lecteur, s’est souvent annoncée comme une usure du sens. Ainsi de ces métaphores populaires, telles "prairie émaillée de fleurs", "mon sang ne fit qu'un tour" et autres qui naquirent du génie inventif de la langue et ne sont plus que clichés éculés.

Et pourtant

Bonne journée j’ai revu qui je n’oublie pas
Qui je n’oublierai jamais
Et des femmes fugaces dont les yeux
Me faisaient une haie d’honneur
Elles s’enveloppèrent dans leurs sourires

Bonne journée j’ai vu mes amis sans soucis
Les hommes ne pesaient pas lourd
Un qui passait
Son ombre changée en souris
Fuyait dans le ruisseau
J’ai vu le ciel très grand
Le beau regard des gens privés de tout
Plage distante où personne n’aborde

Bonne journée journée qui commença mélancolique
Noire sous les arbres verts
Mais qui soudain trempée d’aurore
M’entra dans le cœur par surprise.


16 mai 1936
Les yeux fertiles, 1936




Une cueillette dans
Blason des fleurs et des fruits dédié à Jean Paulhan

À mi-chemin du fruit tendu
Que l’aube entoure de chair jeune
Abandonnée
De lumière indéfinie
La fleur ouvre ses portes d’or

Rose pareille au parricide
Descend de la toile du fond
Et tout en flammes s’évapore

Dahlia moulin foyer du vent.....

Tulipe meurtrie de lune.....

Colchique veilleuse nacrée...

Marguerite l’écho faiblit
Un sourire accueillant s’effeuille

Goyave clou de la paresse
Muguet l’orgueil du maître pauvre....

Dans le filet des violettesmedium_eluard3.jpg
La fraise adore le soleil

Glycine robe de fumée
Œillet complice de la rue

Digitale cristal soyeux
Lilas lèvres multipliées
Amarante hache repue
Brugnon exilé jusqu’aux ongles

Iris aux mains de la marée
Passiflore livrée aux hommes
Clématite jeunesse comble
Chèvrefeuille biche au galop

......................................................
Fleurs récitantes passionnées
Fruits confidents de la chaleur
J’ai beau vous unir vous mêler
Aux choses que je sais par cœur
Je vous perds le temps est passé
De penser en dehors des murs.

Le livre ouvert II, 1947


Il faut cependant revenir à la Femme et à l’Avenir. L’amertume du lecteur n’a point éteint toute lueur dans le large de ce double horizon.
Char, le copain d’Éluard, n’écrivait-il pas ! : « Il faut intarissablement se passionner. En dépit d’équivoques découragements et si minimes que soient les réparations. » (in À une sérénité crispée).

J'ai cru pouvoir briser la profondeur l'immensité
Par mon chagrin tout nu sans contact sans écho
Je me suis étendu dans ma prison aux portes vierges
Comme un mort raisonnable qui a su mourir
Un mort non couronné sinon de son néant
Je me suis étendu sur les vagues absurdes
Du poison absorbé par amour de la cendre
La solitude m'a semblé plus vive que le sang
Je voulais désunir la vie
Je voulais partager la mort avec la mort
Rendre mon cœur au vide et le vide à la vie
Tout effacer qu'il n'y ait rien ni vitre ni buée
Ni rien devant ni rien derrière rien entier
J'avais éliminé l'hivernale ossature
Du vœu de vivre qui s'annule.

Tu es venue le feu s'est alors ranimé
L'ombre a cédé le froid d'en bas s'est étoile
Et la terre s'est recouverte
De ta chair claire et je me suis senti léger
Tu es venue la solitude était vaincue
J'avais un guide sur la terre je savais
Me diriger je me savais démesuré
J'avançais je gagnais de l'espace et du temps
J'allais vers toi j'allais sans fin vers la lumière

Là vie avait un corps l'espoir tendait sa voile
Le sommeil ruisselait de rêves et la nuit
Promettait à l'aurore des regards confiants
Les rayons de tes bras entrouvraient le brouillard
Ta bouche était mouillée des premières rosées
Le repos ébloui remplaçait la fatigue
Et j'adorais l'amour comme à mes premiers jours.
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Les champs sont labourés les usines rayonnent
Et le blé fait son nid dans une boule énorme
La moisson la vendange ont des témoins sans nombre
Rien n'est simple ni singulier
La mer est dans les yeux du ciel ou de la nuit
La forêt donne aux arbres la sécurité
Et les murs des maisons ont une peau commune
Et les routes toujours se croisent.
Les hommes sont faits pour s'entendre
Pour se comprendre pour s'aimer
Ont des enfants qui deviendront pères des hommes
Ont des enfants sans feu ni lieu
Qui réinventeront les hommes
Et la nature et leur patrie
Celle de tous les hommes
Celle de tous les temps.


La mort, l’amour, la vie
Le Phénix, 1951

Pour conclure
écrites avec André Breton, quelques lignes de L’Immaculée Conception
........................
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32. Lorsque la vierge est renversée en arrière, le corps puissamment arqué et reposant sur le sol par les pieds et les mains, ou mieux par les pieds et la tête, l’homme étant à genoux, c’est l’aurore boréale.



L’amour multiplie les problèmes. La liberté furieuse s’empare des amants les plus dévoués l’un à l’autre que l’espace à la poitrine de l’air. La femme garde toujours dans sa fenêtre la lumière de l’étoile, dans sa main la ligne de vie de son amant. L’étoile, dans la fenêtre, tourne lentement, y entre et en sort sans arrêt, le problème s’accomplit, la silhouette pâle de l’étoile dans la fenêtre a brûlé le rideau du jour.


L’amour
L'Immaculée Conception, 1930.






Ce blogue du 1er mars consacré à Paul Éluard est dédié à Ch.A.A.
qui y reconnaîtra peut-être la jeune lectrice... qu'elle est encore.


Post-blogue :
Ne saisissez pas seulement "l'Immaculée Conception" dans Google. Vous auriez un afflux de pages sur une autre immaculée conception, guère plus vierge, en son avenir, que celle d'Éluard et de Breton !