mercredi, 23 février 2005
Lettre à Er sur l'ortograf
J'ai tardé pour répondre à ton courriel.
Guère de conseils à te donner, ni cure à te recommander, ni surtout -et je te rejoins -psychothérapie à commencer.
Je ne puis que te dire que celles et ceux qui ne sont pas trop irrespectueux des règles de l'orthographe sont celles et ceux qui ont sans doute mémorisé des formes, des agencements de lettres et de mots, retenu des ajustements entre mots, phrases et paragraphes. Et que dans toute cette maîtrise, il y a une grande part de JEU, de curiosité pour le fonctionnement de la langue.
Si ce n'est que soumission à des règles, c'est une connerie ; l'avancée de la langue n'a que faire des serviles et autres forcenés d'une pureté qui, à l'origine, n'a été que la nécessité technique de définir un ensemble de pratiques communes par les imprimeurs et typographes des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.
Seulement voilà que les grammairiens et de piètres pédagogues se sont arrogés les droits de correction que l'on sait et que l'on subit. Que les pouvoirs royaux, républicains, universitaires y ont trouvé un excellent moyen d'exercer un contrôle et de sélectionner les bons serfs. Que l'ordre règne dans les mots pour qu'il règne dans les têtes !
Alors, il faut te dire dans ton for intérieur que cette langue c'est aussi la part socialisée de ton être intime qu'on nomme "PAROLE", ta parole... Tu décides de la façon dont tu souhaites la présenter à l'autre !
Je n'ai jamais compris, moi qui suis un pas trop mauvais en orthographe - il m'arrive de faire quelques erreurs - pourquoi les instances politiques qui ont tenté une réforme de l'orthographe en 1989 ont reculé devant les objurgations de ces dits puristes aussi mal torchés qu'un cul de nouveau-né....et pas plus chastes que mes pratiques amoureuses, ne maintenant que d’infimes simplifications.
C'est vrai que même chez les tout-bons (ou tous bons ?), il leur faut souvent consulter dictionnaires, grammaires et livres de "bon" (!) usage.
Et qu'il y a parfois plaisir à ces manipulations...
Cendrars, un des grands du XXe siècle avouait ne pouvoir écrire une page sans aller consulter dictionnaire ou grammaire.
Courage et joue, Ami !
Jaqez
Post-scriptum :
En octobre 1989, le mensuel ACTUEL, plein d’espoir, publiait son n° 244 au prix de 3,5 écu(s) (là, ils avaient tout faux). Ça s’intitulait :
1999 - le premier journal en nouvèle ortografe - L’histoire des anés 90 en 200 fotos.
Remarque leur sagesse. Nous aurions mis deux, trois, quatre ans, à nous faire à ces nouvelles “images” de mots.
Eh bien ! Nenni ! Nous faudra-t-il attendre 2099 ?
D’ici la fin du siècle, procure-toi “le bon usage” de Maurice Grévisse, refondu par André Goose ; il date de 1936 et il en est à sa 13 ou 14e édition.
De la page 91 à la page 103, il présente l’orthographe en tous ses états.
Et puis dans les signets ou favoris, - je n’écris point marque-page, je me ferais agresser - de ton “navigateur” préféré, glisse la ressource suivante : celle du Trésor Informatisé de la Langue Française.
Il ne résout pas toutes nos questions, il en éclaire beaucoup. Il ne m’a été d’aucun secours pour marque-page : les marques de mes pages préférées ou l’acte de marquer ma page ? D’origine verbale, donc masculin ou substantif, donc féminin ? Va savoir ! Ça doit être une origine verbale comme arrache-clou, porte-drapeau, prie-dieu ! Mais aussi pourquoi point nominale comme soutien-gorge, appui-tête, garde-meuble ?
L’usage, diront les tolérants. La règle, hurleront les puristes.
Lis " le bon usage" : il nuance !
Méfie-toi des correcteurs de traitement de texte, ils sont le juste reflet de l'idéologie linguistique des auteurs du logiciel ; ils n’autorisent aucune nuance et n’ont aucun humour.
Un jour, j’avais saisi un de mes proverbes mandingues préférés :
Si pressé que tu sois, tu ne peux dire à ton cul de te précéder !
Le correcteur m’a refusé “cul”, il me proposait pudiquement “derrière”.
Certes, il s'agit plus d'un problème de sens que d'orthographe. C'est quand même à tomber sur le cul !
J'ai bien dû laisser traîner quelques fautes d'ortograf....
Joue bien dans la grande cour de récréation de la langue !
Post-scriptum 2 : Rends visite à "la langue sauce piquante". Voilà des gens du métier, de vrais correcteurs, qui n'humilient point les pécheurs et "corrigent en riant".
19:10 Publié dans les diverses | Lien permanent | Commentaires (2)
Commentaires
Chers amis, l'orthographe et la grammaire sont, selon moi, des jeux de société dont il faut connaître au mieux les règles pour gagner le maximum de points mais aussi, et surtout peut-être, des instruments de libération individuelle permettant non pas de changer le monde (cet idéalisme là, il faut en revenir) mais de s'exprimer à tout moment et dans toute sa différence.
D'ailleurs, si vous essayiez de construire une maison en ne respectant pas (pour je ne sais quelle raison) l'angle droit et un unique système de mesure (par exemple le métrique), il est peu probable que vous puissiez en faire jouer portes et fenêtres. Vous serez donc enfermé dans vos huis bancals.
Bien à vous.
Écrit par : Berlol | jeudi, 24 février 2005
Que grammaire et orthographe soient règles d'un jeu de société, j'en conviens ! Ce que j'interroge dans la réponse à mon ami, ce n'est point tant le bien-fondé de ces règles que la manière dont elles lui ont, sans doute, été enseignées. Celles que vous nommez fort bien "instruments de libération individuelle" ne deviennent-elles point souvent outils de coercition collective ?
C'est sans doute sur ces comportements dont je n'ai d'ailleurs point souffert que porte mon humeur.
Nous n'échappons pas à la contrainte de règles même si nous souhaitons construire des maisons... rondes, cher Berlol !
Écrit par : Grapheus tis | vendredi, 25 février 2005
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