samedi, 31 octobre 2015
quand Joachim peut initier à l'histoire maritime
Hors les tous derniers Regrets platoniquement — soi-disant ? — adressés à Marguerite, les sonnets — plus de cinquante — écrits, après le retour de Joachim en France, me semblaient être trop sonnets de courtisan, sans être de "lèche-bottes", pour m'inciter à une lecture autre que de survol.
Mais voilà que la règle du jeu que le curiste s'est imposée, a donné à lire, dès l'entrée au vestiaire, le CLXVI. Lu avec étonnement, une heure plus tard, entre illutation et douche pénétrante.
Combien que ta vertu, Polin, soit entendue
Partout où des Français le bruit est entendu,
Et combien que ton nom soit au large étendu
Autant que la grand’ mer est au large étendue :
Si faut-il toutefois que Bellay s’évertue,
Aussi bien que la mer, de bruire ta vertu,
Et qu’il sonne de toi avec l’airain tortu
Ce que sonne Triton de sa trompe tortue.
Je dirai que tu es le Tiphys du Jason
Qui doit par ton moyen conquérir la toison
Je dirai ta prudence et ta vertu notoire :
Je dirai ton pouvoir qui sur la mer s’étend,
Et que les dieux marins te favorisent tant,
Que les terrestres dieux sont jaloux de ta gloire.
Etonné oui, et ravi, parce que le poète courtisan qui n'est pas mon Joachim préféré me dévoile un pan totalement ignoré de l'histoire maritime de la France.
Qui donc est ce Polin ?
Une note de bas de page, s'ajoutant à quelques recherches : voici Antoine Escalin des Aimars, dit Polin, seigneur de Pierrelatte, Général des Galères du Roi de France, né et mort à La Garde-Adhémar (1498 ?-1578). Il fut l'envoyé de François Ier près de Soliman le Magnifique à Constantinople, s'allia à Kheireddine, le Barberousse algérois, pour contrer la flotte de Charles-Quint.
François Ier jusqu'à ce sonnet : c'était le vainqueur de Marignan, le prisonnier de Pavie, l'admiration pour le Grand Logis du Château des Ducs de Bretagne, l'ordonnance royale de Villers-Cotterêts légiférant sur la langue française. J'ignorais tout de sa politique maritime.
Et Joachim de me faire réouvrir les Argonautiques d'Apollodore d'Athènes pour vérifier que nous avons bien, à cinq bons siècles d'écart, les mêmes sources grecques — à moins que ce ne soit celles de Diodore de Sicile ou d'Apollonios de Rhodes :
Τῖφυς Ἁγνίου, ὃς ἐκυβέρνα τὴν ναῦν,
Tiphys, fils d’Hagnius, qui tient le gouvernail du vaisseau
Tiphys est bien le skipper d'Argo, le vaisseau de Jason et sa cinquantaine de héros, Jason évoqué sans être nommé par le poète dans son plus célèbre sonnet, le XXXI :
pourquoi
Ou comme cestuy là qui conquit la toison.
Et non
Ou comme ce Jason qui conquit la toison
qui nous aurait valu deux beaux hémistiches.
Me faut-il réécrire Du Bellay ? J'y vas : par passion pour l'océan, la chute du fameux sonnet serait
Et plus que l'air romain la douceur angevine
J'aime trop le Joachim de mon adolescence pour ne pas lui être sacrilège. J'en veux sans doute au courtisan...
20:14 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 23 février 2015
Inutile de chercher l'intrus
Pour le périple aux rives de Garonne, j'avais glissé dans ma besace de lecture deux "poches : d'Assia Djebar, L'Amour, la fantasia, pour une relecture, de Pascal Quignard, Les désarçonnés, pour la continuité plutôt ardue d'une lecture entamée au printemps 2014.
En ex-libris sur la page de garde où je note depuis plus de soixante ans le lieu et la date d'achat, j'avais ajouté après lecture du chapitre I, "Irai-je jusqu'au terme de ce dernier royaume ?" J'y suis encore... tanguant entre répulsion pour les moments de cruauté sur l'avant de ma barque et fascination toujours étonnée pour l'érudition gréco-latine sur ma poupe.
Voila que Le Monde des Livres m'a titillé avec La naissance de la philosophie par un italien qui m'était inconnu, Giorgio Colli. Abruptement, ce qu'il décrit et argumente est ceci : quand naît la philosophie "écrite" avec un certain Platon, s'efface l'oralité de la sagesse - oser écrire la sagesse oraculaire ? - des Héraclite, Empédocle et autre Parménide.
Et puis voici, comme un retour à l'envoyeur, que Noémie ouvre la curiosité de son aïeul, lui confiant son plaisir de lire l'Eldorado de Laurent Gaudé. Les réticences de l'aïeul à propos des romanciers d'aujourd'hui s'atténuent.
Faut-il encore faire le bon choix ? dans les invites de la table du libraire agenais s'affirmera sans hésitation Pour seul cortège parce que c'est la mort d'Alexandre, l'empire qui se fissure, les reines éventrées, le retour incertain du cadavre vers la mer Égée, la cohorte des pleureuses et parmi elles, Dryptéis, celle qui fut l'amante de Héphaistion et sans doute d'Alexandre. Courent tout au long des pages les noms des lieutenants d'Alexandre : Ptolémée, Lysimaque, Kleistos, Antigone, Léonnatos, Néarque, le nom des reines et des filles de roi, Sisygambis, Roxane, Stateira.
Du fond de son corps monte un nouveau spasme, plus terrible que les précédents. Ses muscles se figent. Il ne peut plus respirer. Il sent la douleur rayonner dans chaque nerf. Il est en feu. Il se renverse en arrière, le dos cabré, le visage blême et il cède. Il est temps de mourir.
Les pleureuses s'avancent lentement dans leur robe de deuil et Dryptéis maintiendra le souffle de l'empire.
Le retour aux lectures d'enfance se fit, hier, lors d'une foire aux Livres à Buzet-sur-Baïse. De tout : La semaine de Suzette, Bécassine, Dubout, les Talliandier avec les Delly et les Max du Vieuzit, jusqu'à la Bibliothèque Rose Illustrée : Le général Dourakine m'a été cédé pour 5 euros.
De suite j'ai vérifié. Je n'avais rien oublié de la fessée subie par Madame Papofski
14:37 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 18 décembre 2014
en cette mi-décembre trop sombre
un après-midi brumeux, comme ce jourd'hui, un de ces jours comme abandonnés, j’avais parcouru lentement le Musée, guettant l’émotion qui allait sourdre ou non, l’œil paresseux...
Et puis, il y eut Cassandre*,
cette blancheur nue
brisée dans le sang d’une guerre à peine achevée et dont le massacre se poursuit encore...
Visage haussé vers le ciel noir, pour l’ultime prière au dieu, à n’importe quel dieu !
La flamme qui brûle sur l’autel, pensée d’une foi moribonde ?
Dans les plis du vêtement jeté, ensanglanté
de violence et de feu, sur l’angle d’une stèle, se devine
un harnachement d’homme de guerre...
Comme image de ma mort à-venir, cette longue, belle et froide nudité.
*Au Musée des Beaux-Arts de Nantes, tableau de Jérôme-Martin Langlois, 1779-1838.
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lundi, 17 novembre 2014
un regard s'est éteint
Cet homme a encore les yeux ouverts sur les jaillissements d'écume que lui offraient à pleine vague les Néréides de ses rêves.
Qui était-elle, celle qui s'ouvre ainsi dans la jubilation des eaux ?
Εὐδώρη La Généreuse ?
Εὐλιμένη L'Accueillante ?
Κυμώ La Houleuse?
Γλαυκονόμη La Lumineuse ?
Et qu'est ce corps lui-même, qu'image et forme du navire ? Nacelle et nave, et nef votive, jusqu'en son ouverture médiane...
Saint-John Perse
Amers IX, II, 2
Pour un merci au regard de Lucien Clergue
19:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 16 février 2014
en passant par chez Er Klasker
Une note avec ce titre qui commence par un idiolecte, le "par chez" de la langue gallèse — à quelques siècles de la langue des Pharaons.
En fouinant, dimanche dernier, dans la "librairie" de mon frère très avancé en âge, Le Fouineur — Er Klasker en breton —, je tombe sur les Lettres d'Amarna,
Dis au roi, mon seigneur, mon dieu, mon Soleil :
Message de Tagi, ton serviteur, poussière à tes pieds.
Je tombe aux pieds du roi, mon seigneur, mon dieu, mon Soleil,
sept fois et sept fois.
J'ai regardé de ce côté-ci, et j'ai regardé de ce côté-là,
et il n'y avait pas de lumière.
Puis j'ai regardé vers le roi, mon seigneur,
et il y avait de la lumière.
Je suis certes décidé à servir le roi, mon seigneur.
Une brique peut bouger de dessous sa voisine,
mais moi je ne bougerai pas de dessous les pieds du roi,
mon seigneur.
Avec la présente j'envoie un des harnachements
pour une paire de chevaux,
et un arc, un carquois, une lance, des couvertures,
au roi, mon seigneur.
tiré de la correspondance diplomatique
du pharaon Aménophis IV dit Akhet-Aton,
roi "hérétique" et premier monothéiste.
Au XIVe siècle avant notre ére, six cents ans avant l'Iliade d'Homère, sept cents ans avant La Théogonie d'Hésiode, les lettres d'Amarna.
Je n'aime guère les pieds de ces rois qui soumettaient...
J'ai préférence pour la colère de Thersite contre Agamemnon au Chant II de l'Iliade. Nous sommes dans une violente altercation qui préfigure à quelques siècles de distance ce que nous appelions, il y a encore quelques années encore, "la lutte des classes".
Préférence encore pour celle de Diomède face au même Agamemnon, dit "le souverain roi".
« Agamemnon, je combattrai d'abord ta bêtise.
L'assemblée m'en donne le droit...»
Je n'ai pas mentionné celle d'Achille. D'aucuns vous affirmeront que c'est cette colère qui provoqua la création de ce premier grand texte qu'on nomme l'Iliade :
« Chante, Déesse, l'ire du Pélide Achille...»
Les Grecs savaient faire bouger les briques. C'était quasi aux mêmes temps anciens.
N'empêche, ces Égyptiens savaient déjà écrire.
Quand à ces jours d'ici, nous, gens d'Ouest, faisons comme les gens du temps d'Homère
« ...Et ils allaient, au bord des flots retentissants...»
Allez donc voir. C'est ICI, le rivage.
19:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 05 février 2014
retour en force des Anciens Grecs
Depuis le début de cet an, sur la table du lecteur reviennent en force les Grecs, ceux des temps avant notre ère, portés par des passeurs d'aujourd'hui.
Ainsi Homère et L'Iliade ou le poème de la force de Simone Weill appuyé par un bouquin redescendu de l'étagère, Le monde d'Homère de Pierre Vidal-Naquet — depuis quelques mois, il y a déjà deux versions récemment traduites de l'Iliade, celle de Jean-Louis Backès et la superbe de Phillipe Brunet.
Ainsi celui qui suit Homère — mais lequel de cet "Homère pluriel" écrirait René Char — d'un siècle ou deux, le bon Hésiode, berger d'agneaux sur le mont Hélicon qui reçut des "filles du Grand Zeus pour sceptre un rameau d'olivier florissant qu'elles avaient cueilli, un rameau admirable".
Hésiode, le premier JE qui s'écrit dans les écrits d'Occident. Sa Théogonie et Les Travaux et les Jours côtoient donc, sur la table, Homère.
Une lecture linéaire s'avérerait fastidieuse, même avec le recours au Vertige de la liste. Jean-Pierre Vernant, qui, s'il n'est pas ce jourd'hui, sur la table, est tout proche sur l'étagère des Anciens, propose un schéma généalogique, précieux auxiliaire de lecture du monde divin de la Grèce antique se référant à cette Théogonie*.
Mon humble sens marin m'a précipité sur l'évocation de Nérée le Vieillard et ses cinquante filles, les Néréides. Le décompte, selon les éditions, en mentionne ou quarante-neuf ou cinquante-et-une. N'ayant pas trouvé de traduction de leurs quarante-neuf ou cinquante-et-un prénoms, j'y suis allé de mon "Bailly" et de quelques rapprochements avec des adjectifs et des participes présents de verbes. Le sens profond pour moi relevant de cette expérience intime et rêveuse que m'ont forgée les traversées et leurs sillages, les baies et les mouillages, les anses et les abris, les grèves et les chaussées de rocs, les vents et leurs colères, les aurores et les couchants, les brises légères qui se disent "temps de demoiselles" et la bienveillance des ports.
Féminiser l'Océan ? Que oui ! Ces Néréides signifient des instants, des, labeurs, des gestes, rares ou quotidiens, familiers ou étranges.
Νηρῆος δ' ἐγένοντο μεγήριτα τέκνα θεάων πόντωι ἐν ἀτρυγέτωι καὶ Δωρίδος ἠυκόμοιο, κούρης Ὠκεανοῖο, τελήεντος ποταμοῖο,
Πλωτώ τ' Εὐκράντη τε Σαώ τ' Ἀμφιτρίτη τε Εὐδώρη τε Θέτις τε Γαλήνη τε Γλαύκη τε Κυμοθόη Σπειώ τε Θόη θ' Ἀλίη τ' ἐρόεσσα Πασιθέη τ' Ἐρατώ τε καὶ Εὐνίκη ῥοδόπηχυς καὶ Μελίτη χαρίεσσα καὶ Εὐλιμένη καὶ Ἀγαυὴ Δωτώ τε Πρωτώ τε Φέρουσά τε Δυναμένη τε Νησαίη τε καὶ Ἀκταίη καὶ Πρωτομέδεια Δωρὶς καὶ Πανόπη καὶ εὐειδὴς Γαλάτεια Ἱπποθόη τ' ἐρόεσσα καὶ Ἱππονόη ῥοδόπηχυς Κυμοδόκη θ', ἣ κύματ' ἐν ἠεροειδέι πόντωι πνοιάς τε ζαέων ἀνέμων σὺν Κυματολήγηι ῥεῖα πρηΰνει καὶ ἐυσφύρωι Ἀμφιτρίτηι, Κυμώ τ' Ἠιόνη τε ἐυστέφανός θ' Ἁλιμήδη Γλαυκονόμη τε φιλομμειδὴς καὶ Ποντοπόρεια Λειαγόρη τε καὶ Εὐαγόρη καὶ Λαομέδεια Πουλυνόη τε καὶ Αὐτονόη καὶ Λυσιάνασσα Εὐάρνη τε φυήν τ' ἐρατὴ καὶ εἶδος ἄμωμος καὶ Ψαμάθη χαρίεσσα δέμας δίη τε Μενίππη Νησώ τ' Εὐπόμπη τε Θεμιστώ τε Προνόη τε Νημερτής θ', ἣ πατρὸς ἔχει νόον ἀθανάτοιο.
αὗται μὲν Νηρῆος ἀμύμονος ἐξεγένοντο κοῦραι πεντήκοντα, ἀμύμονα ἔργα ἰδυῖαι.
Nérée et Doris aux beaux cheveux, cette fille du superbe fleuve Océan, engendrèrent dans la mer stérile les aimables nymphes
Proto, Eucrate, Sao, Amphitrite, Eudore, Thétis, Galèné, Glaucé, Cymothoë, Spéio, Thoë, l'agréable Thalie, la gracieuse Mélite, Eulimène, Agavé, Pasythée, Érato, Eunice aux bras de rose, Dolo, Ploto, Phéruse, Dynamène, Nésée, Actée, Protomèdie,Doris, Panope, la belle Galatée, l'aimable Hippothoë, Hipponoë aux bras de rose, Cymodocé qui sur la sombre mer, avec Cymatolège et Amphitrite aux pieds charmants, calme sans efforts la fureur des vagues et le souffle des vents impétueux, Cymo, Eïoné, Halimède à la belle couronne, Glauconome au doux sourire, Pontoporie, Liagore, Évagore, Laomédie, Polynome, Autonoë, Lysianasse, Évarnè douée d'un aimable caractère et d'une beauté accomplie, Psamathe au corps gracieux, la divine Ménippe, Néso, Eupompe, Thémisto, Pronoë et Némertès en qui respire l'âme de son père immortel.
Ainsi l'irréprochable Nérée eut cinquante filles savantes dans tous les travaux.***
Voici donc "mes" Néréides :
Πλωτώ La Crawleuse
τ' Εὐκράντη L'Accomplissante
τε Σαώ La Saine
τ' Ἀμφιτρίτη L'Entourée
τε Εὐδώρη La Généreuse
τε Θέτις La Donnée
τε Γαλήνη La Paisible
τε Γλαύκη L'Étincelante
τε Κυμοθόη La Tumultueuse
Σπειώ La Caverneuse
τε Θόη La Prompte
θ' Ἀλίη La Pêcheuse
τε Πασιθέη La Divine
τ' Ἐρατώ La Charmante
τε καὶ Εὐνίκη L'Apaisante
καὶ Μελίτη La Miellée
καὶ Εὐλιμένη L'Accueillante
καὶ Ἀγαυὴ La Noble
Δωτώ La Donatrice
τε Πρωτώ La Prééminente
τε Φέρουσά La Porteuse
τε Δυναμένη La Puissante
τε Νησαίη L'Insulaire
τε καὶ Ἀκταίη La Riveraine (Protectrice)
καὶ Πρωτομέδεια La Soigneuse
Δωρὶς L'Offerte
καὶ Πανόπη La Regardante
καὶ Γαλάτεια La Nourricière
Ἱπποθόη La Surfeuse
καὶ Ἱππονόη La Méditative
Κυμοδόκη La Bienveillante (Brumeuse)
σὺν Κυματολήγηι L'Apaisante
Κυμώ La Houleuse
τ' Ἠιόνη L'Attentive
τε Ἁλιμήδη La Rêveuse
Γλαυκονόμη La Lumineuse (L'Irradiante)
καὶ Ποντοπόρεια La Marine
Λειαγόρη La Calme (La Paisible Diseuse)
τε καὶ Εὐαγόρη La Grande Pêcheuse
καὶ Λαομέδεια La Mesurée (La Protectrice)
Πουλυνόη La Partageuse
τε καὶ Αὐτονόη L'Opinâtre
καὶ Λυσιάνασσα La Déliante (La Libératrice)
Εὐάρνη La Pastourelle
καὶ Ψαμάθη La Sableuse (L'Infinie)
τε Μενίππη ?**
Νησώ L'Ilienne
τ' Εὐπόμπη La Favorable ( La Guide ou La Pilote)
τε Θεμιστώ La Juste
τε Προνόη La Prévoyante
τε Νημερτής L'Infaillible (La Véridique)
* J.P. Vernant in Encyclopédia Universalis - Grèce antique, le monde divin.
** Seule "Ménippè" a échappé à mon imaginaire marin. J'ai récemment découvert le très bon bouquin Hésiode, Théogonie, La naissance des dieux, traduit par Annie Bonnafé et préfacé par J.P. Vernant. La traduction trop "hippologique" de Ménippè ne me convainct point : volontiers je proposerais : La Chevaucheuse ... des vagues, bien entendu.
*** Édition de Jean-Louis Backès en Folio classique. Il ne donne pas de traduction des noms.
Post-Scriptum :
Que les non-hellénistes me pardonnent mais qu'ils prennent le texte grec pour de belles images.
Homère mentionne quelques Néréides au Chant XVIII de l'Iliade et Brunet donne de belles interprétations de leurs noms.
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dimanche, 03 mars 2013
un fin blogueur actuel, le Joachim
Les Regrets ont souvent été lus comme un journal ; depuis l'émergence sur la Toile de ce genre d'écrit appelé "blogue", j'ai souvent pensé que Joachim Du Bellay aurait très vite investi dans cette écriture qui rythme et les nuits et les jours, et le quotidien qui demain deviendra hier, et les morts et les amours, et les scandales et les déboires, et les pouvoirs et les révoltes.
Plus grave, mais tout autant risible que les rêts tendus ces jours derniers par une essayiste à un lourdaud pantin médiatique, s'ouvre à Rome pour la nième fois depuis la première sur les bords du lac de Tibériade une assemblée de vieillards qui se dit Conclave. Joachim, secrétaire de son cousin Jean Du Bellay, le cardinal, fut le témoin de ce Conclave de 1555 qui élit le 223e pape, un certain Paul IV Caraffa connu pour ses intransigeances inquisitoriales ; et notre déjà fort laïc poète, d'affûter sa verve satyrique et dans les idées et dans les rythmes — un joyau de sonnet à se mettre en bouche et qu'il me plaît de publier en blogue :
Il fait bon voir, Paschal, un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre également voisine
D'antichambre servir, de salle et de cuisine,
En un petit recoin de dix pieds en carré.
Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là-dedans cette troupe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par dépit de l'un être l'autre adoré.
Il fait bon voir dehors toute la ville en armes
Crier : « le Pape est fait », donner de faux alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela,
Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour celui-ci, qui met pour celui-là,
Et pour moins d'un écu dix cardinaux en vente.
Les Regrets, CXXXI
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mercredi, 27 février 2013
une phrase interrogative si anodine ?...
Quand Adam bêchait et Ève filait, où donc était le gentilhomme ?
John Ball, prêtre paysan, exécuté en 1381 sous le règne de Richard II d'Angleterre.
Ce lundi-là, au milieu de l'après-midi, j'écoutais distraitement la radio quand s'insinua cette mince citation. La pensée devint rêveuse comme suspendue. L'énoncé d'une mise en problème plus rationnelle du thème qu'abordait ce Lundi de l'Histoire* effaça les points de suspension.
Du XIe au XIIIe siècle, l’Europe connut une phase sans égale de croissance et de développement. C’est alors que furent créés les paysages qui sont encore ceux de nos campagnes. Plus que le temps des chevaliers et des seigneurs ou des moines et des prêtres, ce temps fut celui des laboureurs et des vilains, dont le travail seul fut à l’origine de cette prospérité.*
Il ya quelques années que ce métier de laboureur rôde d'insistante façon quand nous abordons les histoires de notre famille. Je m'en suis donc allé chercher chez mes ancêtres. C'est bien quelque peu conservateur, faisant songer à cette anecdote qui courait dans notre milieu très chrétien à propos de ce journaliste plus conservateur encore mais fier qui répondait à un "descendant" de Godeffroy de Bouillon que lui, Louis Veuillot, "montait" d'un tonnelier.
Grâce à ma "petite sœur" et à mon "petit frère", qui depuis plus de dix ans ont entrepris des recherches généalogiques, dans une égale fierté, j'extrais de l'obscur enfouissement des registres de paroisse ou de l'état-civil deux couples d'ancêtres, le plus lointain et le plus proche, dont nous "montons" : ces Éves qui filaient et ces Adams qui bêchaient. Désormais, ils seront nommés sur la Toile.
Dans la branche paternelle, aux confins des Marches de Haute-Bretagne et du Bas-Poitou :
Pierre ANDRÉ, né le 29 août 1609 à Saint Hilaire du Bois, laboureur au village de la Pichaudière
et
Catherine LOIRET, née le 1er décembre 1618 en la même paroisse.
Dans la branche maternelle, sur les rives de Vilaine, au cœur de la Bretagne Gallèse :
Hyacinthe GILAIS, né le 13 juillet 1879, à Brains-sur-Vilaine, charpentier et barbier au bourg de Beslé
et
Marie RENAUD, née le 5 février 1882, à Guémené-Penfao, lavandière
Post-scriptum :
De cette longue lignée de laboureurs, un seul "demeure à la terre" comme un point d'orgue : c'est Jérôme le vigneron de Belle-Vue. Il n'a pas quarante ans. Il façonne le paysage entre Sèvre et Moine et joue de ses vins comme un pianiste.
* Le temps des laboureurs. Travail, ordre social et croissance en Europe (XIe-XIVe siècle), collection “L’évolution de l’humanité”, Albin Michel, octobre 2012, de Mathieu Arnoux.
Les lundis de l'Histoire, France-Culture, 18 février 2013.
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lundi, 31 décembre 2012
un beau pavé dans mon sabot
Dans la première note de ce blogue, le 10 octobre 2004, je saluais ainsi Jacques Derrida :
« Sommes-nous des Juifs ? Sommes-nous des Grecs ? Nous vivons dans la différence entre le Juif et le Grec, qui est peut être l’unité de ce qu’on appelle l’histoire. Nous vivons dans et de la différence, c’est-à-dire dans l’hypocrisie dont Lévinas dit si profondément qu’elle est “ non seulement un vilain défaut contingent de l’homme, mais le déchirement profond d’un monde attaché à la fois aux philosophes et aux prophètes ”.
Sommes-nous des Grecs ? Sommes-nous des Juifs ? Mais qui sommes-nous... d’abord des Juifs ou d’abord des Grecs ?... À l’horizon de quelle paix appartient le langage qui pose cette question ? Où puise-t-il l’énergie de sa question? Peut-il rendre compte de l’accouplement historique du judaïsme et de l’hellénisme ? Quelle est la légitimité, quel est le sens de la copule dans cette proposition du plus hégélien, peut-être, des romanciers modernes :“Jewgreek is Greekjew. Extremes meet”* ?
in L’écriture et la différence, p. 227-228
Quand ce beau pavé bleu de 1248 pages m'a été déposé dans mon sabot, près de la cheminée, après avoir consulté le sommaire, je me suis empressé d'aller lire "Hellénisme et Judaïsme". Ne fut-ce que pour simplifier par une approche historique la complexité des questions dérridiennes qui ne s'éclaircissent guère dans les arcanes des phénoménologies d'Husserl, d'Heidegger et de Lévinas.
Peut-on être fasciné par Héraclite et ses aphorismes et subjugé par les proférations d'Isaïe ?
J'ai vécu l'enfance et l'adolescence dans le voisinage d'Abram, l'homme qui part sans volonté de retour, puis les ans de maturité et l'entrée dans les parages du grand âge, embarqué sur les mers d'Odysseus, l'homme qui erre dans la nostalgie de la terre natale.
Accouplement et déchirement.
Un dieu en qui il faut croire et des dieux qui n'existent pas ?
Les tables de la Loi d'un illuminé sur un mont et des lois que ratifie l'assemblée du peuple sur la place du marché.
Voilà les deux extrémités d'un arc. D'ailleurs à l'arc, je substiturais bien le trépied, car au GrecJuif, je souhaiterais bien ajouter le Celte, ce qui autoriserait une féminisation de cette différence et une ouverture marine sur des horizons océaniques plus vastes.
Lire Isaïe et le Livre de Ruth.
Ouvrir Homère et plonger dans les obscurités d'Héraclite.
Célébrer la maison de l'air de Viviane** et embarquer avec Brendan.
Loin, loin de la Loi et des lois, accouplement et déchirement.
Oui, vraiment à penser qu'à trente siècles près, tout se tient.
* James Joyce, Ulysse.
** Pour se remettre en mémoire quelques "savoirs" celtes.
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vendredi, 07 décembre 2012
sic transit
Pour la vanité des choses humaines, l'exercice du pouvoir et la possession de la terre
Des sages des Indes croisant Alexandre en marche conquérante de l'Europe vers l'Asie dament de leurs pieds la terre. Il s'étonne de ce geste. Ils lui disent :
Kαὶ οὖν καὶ ὀλίγον ὕστερον ἀποθανὼν τοσοῦτον καθέξεις τῆς γῆς ὅσον ἐξαρκεῖ ἐντεθάφθαι τῷ σώματι.
Et quand tu mourras — et proche est ce moment — tu n'occuperas de la terre que ce peu qui suffit à ton corps pour être enseveli.
Arrien,
Anabase, Livre VII, 1.
Pour atténuer la mélancolie et célébrer le possible de la procrastination
Jean Jacques a fui Paris et ses gens de lettres, il vit à l'orée de la forêt de Montmorency, il écrit à Chrétien-Guillaume de Lamoignon de Malesherbes, Directeur de la Librairie, institution censoriale de la royauté, pour lui avouer les jouissances et voluptés de sa retraite. Ce serait la première esquisse de ses écrits autobiographiques.
Après avoir donné la matinée à divers soins que je remplissais tous avec plaisir parce que je pouvais les remettre à un autre temps, je me hâtais....
Jean Jacques Rousseau,
Troisième lettre à Malesherbes.
Pour éclairer l'écriture
Sollers fait, à son accoutumée, retraite annuelle (?) à Venise. Et comme il sait si bien le faire, il meuble nombre de ses pages avec de fort abondantes citations et allusions à Stendhal. Il est un excellent guide pour le lecteur qui répugne aux aspects surannés de certains ouvrages stendhaliens — De L'Amour, par exemple. Ci-dessous, nous n'en sommes qu'au paléolithique. Mais les chemins de l'écriture sont immémoriaux.
... le son, dans les cavernes, était d'abord une boussole. Dans l'obscurité souterraine, l'éclairage était faible et les torches inutilisables dans les boyaux. On se servait donc du son comme d'un sonar pour se déplacer et s'orienter. La voix allait et revenait, déchiffrant l'espace. Très souvent, il suffit de suivre la direction de la meilleure résonance pour arriver aux peintures. L'oreille sait où elle a quelque chose à voir. Ainsi, les points d'ocre, à l'intérieur des boyaux, correspondent au maximum de résonance. Voilà le chemin, et, au fond, quand on écrit, c'est pareil.
Philippe Sollers,
Trésor d'amour, p.16.
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mercredi, 31 octobre 2012
l'École d'Athènes
À six heures du matin, s'emmêlaient avec bonheur la peinture, la philosophie et les Grecs. ÇA s'écoutait avant le lever du jour quand sous les gelées nocturnes se sont fanés les derniers dahlias.
Peut-être connaissez-vous l'histoire de cette fresque : une fois qu'elle a été terminée, Raphaël a rajouté au tout premier plan la figure de Michel-Ange mélancolique sous les traits d'Héraclite. Dès que j'ai su que cette figure avait été rajoutée, je me suis demandé comment Raphaël avait fait pour ajouter un élément central capital sans déséquilibrer la fresque. Personne ne s'est posé la question. Je n'ai eu la réponse qu'à partir du moment où j'ai compris que la structure était mnémonique. Je veux dire qu'à l'intérieur même de la Chambre de la Signature, à la voûte vous avez le principe : la philosophie ; sur les murs vous avez les grands représentants :les philosophes ; dans ces grands représentants vous en avez deux principaux : Platon et Aristote ; Platon est le contemplatif, qui indique le ciel et porte le Timée dans la main gauche ; Aristote est l'actif, qui a la main tendue vers le sol et qui tient sous son bras l'Éthique à Nicomaque. Vous avez Diogène, vautré comme un porc (ou plutôt comme un chien puisque c'est un cynique) sur les marches, aux pieds d'Aristote. Il est donc le «mauvais actif», corollaire du «bon actif» Aristote. Sous Platon vous n'avez rien, car il est incomparable pour un néo-platonicien. Il est le maître même, le Moïse chrétien, comme on l'appelait.
Puis, voyant le chef-d'œuvre de Michel-Ange, la chapelle Sixtine, Raphaël lui rend un hommage ironique en le mettant là où il n'y avait rien dans le système mnémonique, car il n'y avait aucun corollaire comparable à Platon. En revanche, il y avait la place pour l'imago et, du coup, Raphaël met, génialement, Héraclite le contemplatif négatif (tout passe, tout coule, rien ne dure), sous les traits de Michel-Ange en pose de mélancolique, les genoux pliés, le menton sur la main. Il remplissait le lieu qui attendait la figure, mais c'est bien une structure de mémoire : le principe, les grands représentants, et ensuite les corollaires négatifs de l'actif, rien sous Platon et puis corollaire négatif du contemplatif avec Michel-Ange en Héraclite.
Daniel Arasse, Histoires de peintures, France Culture/Denoël, 2004
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lundi, 18 juin 2012
poète et météornithologue
Quand donc les Phénomènes d'Aratos de Solès, astronome, poète — et déjà météorologue — sont-ils arrivés sur mon écran ? Deux mille trois cents ans entre cet homme de Cilicie qui étudia à Athènes, sans doute stoïcien, qui influença Lucrèce, Cicéron, Virgile et même Paul de Tarse, et le lecteur "voileux" de 2012 qui, cherchant l'origine des noms des constellations, tombe sur une histoire de héron.
Un ou deux mots-clés efficaces sur un ou deux moteurs de recherche et j'obtiens bien au delà d'Orion, d'Ophiocus, du Cygne, de Persée, un précieux poème de météo-ornithologie, qui livre des observations dignes de l'Almanach du Marin Breton et va jusqu'à conseiller une méthode.
Qui, de nos jours, oserait un poème didactique ?
Toujours ce miracle de l'érudition, enfin possible : tel, il est évoqué dans le dernier Monde des Livres — page 5 — par Roger-Pol Droit qui cite Nietzsche qui cite les érudits tricotant les chaussettes de l'esprit ; je ne chausserai point des chaussures de montagnes qui concluent le texte de Droit, ce seront plutôt des bottes de marin qui accueilleront pieds et chaussettes de l'apprenti érudit. Mais coûte cher l'érudition en papier — entre 25 et 90 €, les bouquins recensés dans l'article : la Toile, une fois de plus, offre la richesse du site de l'Antiquité grecque et latine *, sans bourse délier.
Καὶ δ´ ἂν ἐπὶ ξηρὴν ὅτ´ ἐρωδιὸς οὐ κατὰ κόσμον ἐξ ἁλὸς ἔρχηται φωνῇ περιπολλὰ λεληκώς, κινυμένου κε θάλασσαν ὕπερ φορέοιτ´ ἀνέμοιο.
Quand le héron vient à grands cris, de la mer à la terre, contre sa coutume, la mer sera fort agitée.
Καί ποτε καὶ κέπφοι, ὁποτ´ εὔδιοι ποτέωνται, ἀντία μελλόντων ἀνέμων εἰληδὰ φέρονται.
Et souvent les foulques, quand elles volent par un temps serein, se portent en multitude contre les vents qui vont souffler.
Ne négligez aucun de ces signes. Comparez-en deux l'un à l'autre ; s'ils conspirent ensemble, vous serez plus sûr de l'avenir, mais assurez-vous en plus encore par un troisième...
Ces observations faites sans interruption pendant toute une année, vous mettront en état de ne rien dire d'incertain sur l'état de l'air.
Aratos de Soles
Pronostiques
in Phénomènes
* L'Université catholique de Louvain qui gère l'extraordinaire site, accessible à tous, de la Bibliothéca Classica Selecta, a reçu une nouvelle lettre comminatoire venant de l'Université de Californie (Irvine) en rapport avec le Thesaurus Linguae Graecae (Responsable : une certaine dame Pantelia), les Californiens prétendant être les uniques détenteurs de droits de ce Thesaurus et suspectant les Belges d'être d'infâmes copieurs. Louvain a donc décidé de placer HODOI ELEKTRONIKAI — le chemin électronique d'accès aux textes grecs — en accès INTRANET uniquement. C'est superbe, la propriété intellectuelle dans les sociétés libérales avancées !
13:20 | Lien permanent | Commentaires (3)
jeudi, 03 mai 2012
pour fuir un match de boxe
Nous sommes sans doute quelques-unes et quelques-uns à ne pas aimer du tout les matchs de boxe. Le chroniqueur de France Cul, Philippe Meyer, était l'un parmi les uns et les autres qui, hier au soir, vaquaient à des occupations autres que la vision ou contemplative ou fascinée ou critique ou militante de "l'étrange lucarne". Il lisait un livre.
J'avoue que moi — très "tendance", ce pronom personnel — je traduisais pour mon atelier de Grec ancien d'aujourd'hui quelques lignes du Discours funèbre en l'honneur de Césaire, son frère, écrit par Grégoire de Naziance dans les années 300 de notre ère. Vraiment à des lieues du sujet qui agite nos contrées à propos de cette royauté présdentielle.
Je ne vois point quelle citation je pourrais tirer de cet fraternel éloge pour jeter quelque lueur sur ces jours-ci. Sinon qu'il y est question de l'amour maternel qui réunit celui qui vient par terre et celui qui vient par mer.
κατὰ τὸν αὐτὸν χρόνον εἰς τὴν αὐτὴν πόλιν, ὁ μὲν ἀπὸ γῆς, ὁ δὲ ἀπὸ θαλάσσης
au moment même, dans la même ville, l'un par terre, l'autre par mer
Ce ne devait pas être une situtation identique hier soir dans "l'étrange lucarne". Ou plutôt quasi la même, mais pour un autre objet de conquête : la mère-patrie aurait alors bon dos !
09:30 | Lien permanent | Commentaires (3)
mardi, 17 avril 2012
écrasé par l'érudition et redressé par la Toile
J'ai longtemps été abasourdi, ahuri, baba, ébahi, ébaubi, éberlué, épaté, estomaqué, interloqué, médusé, pantois, sidéré par les accumulations érudites de Borgès.
Bon ! Quand il ne voyageait pas, il était bibliothécaire et avait accès à tout moment à toute œuvre. N'a-t-il pas écrit qu'il s'imaginait le Paradis sous l'espèce d'une Bibliothèque, l'Univers lui étant aussi bien le Livre.
Relisant, avant-hier Funès ou la mémoire, ma stupéfaction ne s'est point dégonflée ; assainie plutôt. Le narrateur de cette Fiction rencontre donc cet Irénée Funès au visage taciturne d'indien, singulièrement lointain derrière sa cigarette. Notre narrateur, qui souhaite étudier le Latin, a dans sa valise quatre bouquins — des livres anormaux, avouera-t-il — le De viris illustribus de Lhomond, le Thesaurus de Quicherat, les Commentaires de Jules César et un volume dépareillé de la Naturalis Historia de Pline. Il laissera ce dernier volume à Irénée et quelques jours plus tard, souhaitant récupérer son bouquin, il aura... mais je laisse la suite du texte au narrateur, ou plutôt à Borgès lui-même :
La mère de Funes me reçut dans le ranch bien entretenu. Elle me dit qu'Irénée était dans la pièce de fond, et de ne pas être surpris si je le trouvais dans l'obscurité, car Irénée passait habituellement les heures mortes sans allumer la bougie. Je traversai le patio dallé, le petit couloir, j'arrivai dans le deuxième patio. Il y avait une treille ; l'obscurité put me paraître totale. J'entendis soudain la voix haute et moqueuse d'Irénée. Cette voix parlait en latin ; cette voix (qui venait des ténèbres) articulait avec une traînante délectation un discours, une prière ou une incantation. Les syllabes romaines résonnèrent dans le patio de terre ; mon effroi les croyait indéchiffrables, interminables ; puis, dans l'extraordinaire dialogue de cette nuit, je sus qu'elles constituaient le premier paragraphe du vingt-quatrième chapitre du livre VII de la Naturalis Historia. Le sujet de ce chapitre est la mémoire ; les derniers mots furent : ut nihil non iisdem verbis redderetur auditum.
Eh oui ! naguère, j'en serais demeuré pantois. Comme bluffé.
Aujourd'hui, je puis accéder de ma modeste "librairie" en quelques clics de souris à Pline l'Ancien, à son Histoire Naturelle, au Livre VII, au chapitre XXIV. Et je puis même affirmer que les derniers mots de ce chapitre sont ceux-ci : Somno quoque serpente amputatur, ut inanis mens quaerat ubi sit loci.
Il suffit de cliquer sur ce chapitre XXIV ; latiniste ou non, Pline l'Ancien vient à vous.
Post-scriptum : Et pas seulement Pline l'Ancien, mais quasiment toute l'Antiquité Grecque et Latine. Je suppose que les Anglophiles, les Germanophiles, les Slavophiles, les Arabophiles, les Sinophiles, les....., les... peuvent s'ébattre dans de tels Paradis littéraires. La double interrogation demeurant toujours :
qu'est-ce que je cherche ? pourquoi je cherche ?
• Deux sources : l'Itinera Bibliotheca de l'UC de Louvains et le site de l'Antiquité grecque et latine créé par Philippe Remacle. Cliquez, vous-dis-je !
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lundi, 09 avril 2012
Pâques à Noël
Merdre ! Je serais donc né en 1903.
Du point de vue certainement amusant d'un historien médiéviste, Patrick Boucheron, dans son bouquin L'Entretemps qui est une des belles et bonnes recensions du dernier LibéLivres. Et cette variation dans l'écoulement des jours, des ans et des siècles par la décision d'un moine dit Denys le petit, au VIe siècle — mais tous comptes faits, est-ce bien le VIe siècle ?.
Et France Cul de nous resservir, ce matin avec sérieux, ce qui aurait pu permettre un autre regard sur la grande et les petites histoires.
Même si je m'égare dans les calculs des calendriers qui partent de la Ière Olympiade, du livre de la Genèse, de la Fondation de Rome, de l'Hégire, de la prise de la Bastille ou du jour premier de la Commune de Paris,— et je ne mentionne ni les Coptes, ni les Chinois, ni les Atzèques et autres Persans — et encore ne me faudrait-il point quêter les dates chez les Inuits, les Peuhls, les Hurons, les Mélanésiens, les Ashantis et leurs cousins, Agnis et Baoulés — je n'ai, en ce centième jour de l'an 2012, ni rajeuni, ni vieilli et m'en porte plutôt bien.
Sous les ponts de Nantes coule la Loire. En son estuaire, diurnes ou nocturnes, s'inversent et le flot et le jusant.
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