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samedi, 24 mars 2007

vih

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Merci, et la mort s'étonne ;
Merci, la Mort n'insiste pas ;
Merci, c'est le jour qui s'en va ;
Merci simplement à un homme
S'il tient en échec le glas.

Fête des arbres et du chasseur
Les Matinaux

Char centenaire


cette note est dédiée à mon fils benjamin.

jeudi, 11 janvier 2007

il était une fois... Jean-Pierre Vernant

J'avais appris de lui, le lisant, la "philia" grecque, cette amitié citoyenne :

Pour les Grecs, l'amitié (la philia) est un des éléments qui fonde la cité. Elle tisse un lien entre le privé et le public, par lequel entre soi et l'autre « quelque chose » circule, « quelque chose » qui, tout en laissant chacun singulier, forge une communauté homogène. L'amitié, c'est mettre en commun. Par conséquent, il n'y a pas d'amitié sans égalité... On ne peut avoir d'amitié que pour quelqu'un qui est d'une certaine façon son semblable : un Grec envers un Grec, un citoyen envers un citoyen... Et pour les Grecs, il ne s'agissait pas seulement de vivre ensemble, mais de bien vivre ensemble.


Libé salue la "mort d'un guerrier grec" dont le regard éclaire notre avenir. Et nous en aurons fort besoin tout au long de ces mois de cyberpolitique vaseuse qui nous mènent à l'été.

Cet homme m'avait donné le goût de "refaire" du grec.
J'ai aussi, l'imitant, commencé à raconter Troie et Ulysse à Noémie et Célia, mes petites-filles. L'Univers, les Dieux, les Hommes fut un de mes premiers bouquins du XXIe siècle ; Vernant y donnait, dans les premières lignes, son art d'être grand-père et avouait sa volonté de faire entendre la voix grecque, "que ce soit elle, en écho, qui continue à résonner."

Claude Lévy-Strauss pourra affirmer, comme un constat d’évidence, qu’un mythe d’où qu’il vienne, se reconnaît d’emblée pour ce qu’il est sans qu’on risque de le confondre avec d’autres formes de récit. L'écart est en effet bien marqué avec le récit historique qui, en Grèce, s'est constitué en quelque façon contre le mythe, dans la mesure où il s'est voulu la relation exacte d'événements assez proches dans le temps pour que des témoins fiables aient pu les attester. Quant au récit littéraire, il s'agit d'une pure fiction qui se donne ouvertement pour telle et dont la qualité tient avant tout au talent et au savoir-faire de celui qui l'a mis en œuvre. Ces deux types de récit sont normalement attribués à un auteur qui en assume la responsabilité et qui les communique sous son nom, sous forme d'écrits, à un public de lecteurs.

Tout autre est le statut du mythe. Il se présente sous la figure d'un récit venu du fond des âges et qui serait déjà là avant qu'un quelconque conteur en entame la narration. En ce sens, le récit mythique ne relève pas de l'invention individuelle ni de la fantaisie créatrice, mais de la transmission et de la mémoire. Ce lien intime, fonctionnel avec la mémorisation rapproche le mythe de la poésie qui, à l'origine, dans ses manifestations les plus anciennes, peut se confondre avec le processus d'élaboration mythique. Le cas de l'épopée homérique est à cet égard exemplaire. Pour tisser ses récits sur les aventures de héros légendaires, l'épopée opère d'abord sur le mode de la poésie orale, composée et chantée devant les auditeurs par des générations successives d'aèdes inspirés par la déesse Mémoire (Mnémosunè), et c'est seulement plus tard qu'elle fait l'objet d'une rédaction, chargée d'établir et de fixer le texte officiel.

Aujourd'hui encore, un poème n'a d'existence que s'il est parlé ; il faut le connaître par cœur et, pour lui donner vie, se le réciter avec les mots silencieux de la parole intérieure. Le mythe n'est lui aussi vivant que s'il est encore raconté, de génération en génération, dans le cours de l'existence quotidienne. Sinon, relégué au fond des bibliothèques, figé sous forme d'écrits, le voilà devenu référence savante pour une élite de lecteurs spécialisés en mythologie.



Continuons donc d'être de modestes échos ! De ce JUSTE !

* dans Télérama n° 2443 du 6 novembre 1996

vendredi, 01 décembre 2006

Tenez bon

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jeudi, 10 août 2006

Lettre à Anne

J’aime bien ces justes décades qui ponctuent nos âges. Depuis quarante ans liés par une coutume qui avait la sagesse de ne pas restreindre la co-éducation de l’enfant et de l’adulte au seul cercle familial, à la demande de ta mère et de ton père, je te tins donc sur des “fonts” où tu reçus l’eau, l’huile, le sel et la lumière.

J’étais dans les plus bas-fonds de ma vie, depuis deux ans dans les parages de la camarde, corps déserté, ne sachant même entre deux belles - peut-être même trois - laquelle élire.
L’été fut sombre, très sombre !

Mais voilà que surgissait cet enfant.
Toi, « Infante » !
Je me suis senti cet après-midi-là réorienté grâce à cette palpitation vagissante que je tenais dans mes bras.
Quarante après, tu es dans ton apogée de FEMME. C’est ce que nous fêtons aujourd’hui.
Après l’apogée, ce n’est point régression, c’est une orbite vitale qui peut s’inscrire dans des épanouissements autres. Quand tu seras, comme ta mère, ton père et moi, le sommes, dans “cette enfance du Grand Âge”, tu sauras qu’il y a de belles joies à encore vivre.
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Je t’offre trois jalons simples* - d’humbles bouquins de poche - mais dont le sens va pour moi bien au-delà du support papier.

Tu es, seule, celle qui, grâce à ton compagnon et tes enfants, me relie encore par chair, sang et mental à un pays dont le passé fut, à beaucoup d’entre nous, fastueux.

Je te devais bien de poursuivre par ces petits livres - le décousu des rencontres n’est qu’anecdote - notre mutuelle tâche de coéducation que nous inaugurâmes, toi et moi, il y a quarante ans.
Nous nous rencontrerons encore ; j’ai même l’audace de me réinviter à célébrer dans trente ans, tes soixante-dix ans, l’âge que j’ai atteint cet an.

Je te prends dans mes bras de parrain et t’embrasse fort.

* SAPPHO, L’égal des dieux,
KATEB Yacine, Nedjma,
DJEBAR Assia, La disparition de la langue française.

La calligraphie arabe est le nom de Nedjma.(en couverture du poche "Seuil")

mardi, 04 juillet 2006

Jean est mort

Ce samedi 1er juillet, au soir, Jean Corbineau est mort. Il était mon ami d'enfance et d'adolescence.

Dans son dernier message du 1er mars, il nous écrivait :

.. J'ai rechuté....Je viens de passer douze jours à l'hôpital : ma hantise : la fièvre (six jours de fièvre, trois jours de chimio et trois jours de fièvre... La fièvre, c'est ma hantise.
Je sais que votre amitié me soutient. A bientôt quand même.
Jean


« ... un monde où le bref passage de (cet homme) sur la terre a eu lieu diffère désormais irréductiblement et pour toujours d'un monde où il n'aurait pas eu lieu. »
Vladimir Jankélévitch


Lire Jankélévitch ni ne console, ni n'empêche les larmes, lire Jankélévitch permet de se tenir droit.

mercredi, 19 avril 2006

Pour Jo Le Meudec instituteur et paysan breton

La camarde passe trop souvent en ces jours dans l'environ des amitiés. Avant-hier, en mer, sous la pointe de Grand'Mont, message de Col, l'amie : "Jojo est mort !"

L'horizon à nouveau obscurci, la rage de la vie contre l'effacement de ce visage de l'ami.
Et la gorge qui se noue parce que monte la mémoire d'années ensoleillées au bord d'un désert que, côte à côte, nous aimions, nous, enfants des bocages humides et verts d'Ouest, pour sa minéralité dure et son ascétique sécheresse.
C'était au temps d'une Indépendance encore belle d'avenir.

Jo Le Meudec, fils de paysans bretons, y enseigna trois ans les petits Chaouias. Sa patience d'éducateur et de jardinier fit merveille dans cette petite palmeraie de Chetma au pied de l'Amahdou, ce djebel des Aurès qu'on nomme la"Joue" qui rosissaitt au soleil couchant, quand nous allions à l'eau courante et fraîche des "séguia" délasser nos corps assèchés de poussiére.

Il n’y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quitté. Où s’étourdit notre affection ? Cerne après cerne, s’il approche c’est pour aussitôt s’enfouir. Son visage parfois vient s’appliquer contre le nôtre, ne produisant qu’un éclair glacé. Le jour qui allongeait le bonheur entre lui et nous n’existe nulle part. Toutes les parties — presque excessives — d’une présence se sont d’un coup disloquées. Routine de notre vigilance... Pourtant cet être supprimé se tient dans quelque chose de rigide, de désert, d’essentiel en nous, où nos millénaires ensemble font juste l’épaisseur d’une paupière tirée.
Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. Qu’en est-il alors ? Nous savons, ou croyons savoir. Mais seulement quand le passé qui signifie s’ouvre pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur, puis loin, devant.
À l’heure de nouveau contenue où nous questionnons tout le poids d’énigme, soudain commence la douleur, celle de compagnon à compagnon, que l’archer, cette fois, ne transperce pas.


René Char
Quitter
in La parole en archipel

Gallimard, 1962.
L'éternité à Lourmarin fut écrit pour la mort d'Albert Camus

vendredi, 31 mars 2006

Solidarité silencieuse

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jeudi, 23 mars 2006

nuit

Je ne sais si cela arrive aux autres, à l’autre.
À toi ? À vous ?

Je viens de m’éveiller en larmes au mitan de la nuit parce qu’Elle est revenue.
Ou est-ce moi qui suis redescendu ?

À trop penser Orphée, voilà ce qui advient, de ne plus savoir entre le rêve du sommeil et la songerie de la veille.

Ce n’est plus de la littérature ce sont des mots pour vivre pour mourir
tu pleures au cœur de la nuit
sur ton rêve ta rêverie sur ta vie

Il repose
livré aux mains des furies tendres
baigné dans la langueur du cadavre et le flux
lointain de la naissance
Orphée n'est plus

Ô seins dressés que je meurtris ô toute morte
dans le plaisir ! Tu es l'aimée. Tu es l'aimée.

Je sais. Tant de fougère ancienne. Je connais
l'humide, et la trompeuse ondée du souvenir
et la mousse des pas paisibles et la rosée
sur Toi mon Eurydice,
mais si belle,

parmi ces corps où moi perdu n'ai plus de corps
ô contour de ma vie ! demeure

il croit cerner

les reins
mais l'abîme dans la moiteur remue il est très loin


.........................................................................................

dans la nuit nue tu ouvres ce livre qui remonte des larmes tu es pourtant si loin de cette croyance le christ n’est plus qu’un lointain copain
.........................................................................................

Le sel immense et bleu bu par le sang agile
la plaie gercée d'oubli devient lèvre au printemps.
Le salpêtre des morts est léché sur les ruines
par la Bête vêtue de dieu : ô roche nue
parais
C'est l'odeur de la femme son regard
qui fait rage de tous ses vents dans les blessures
c'est le rauque grondement des chevelures
la femme détachée de l'écho qui prend feu
l'odeur qui dans le cœur déplace ses montagnes
les à-pics beaux comme des temples où s'appuie
le soleil le profond soleil criblé de balles
et profusion de l'ombre en l'or ! la mer surgie
roche d'ardent feuillage et d'oiseaux où la terre
découpe adamantine une baie sur la Nuit.
Pierre Emmanuel
Tombeau d’Orphée


la nuit une nuit cette nuit.

vendredi, 17 mars 2006

Pour saluer l'ultime randonnée de Claude

Nous avions, lui et moi, en commun dans nos foulées, dans nos rêves, ce désert.

...C'était un pays hors du temps, loin de l’histoire des hommes, peut-être, un pays où plus rien ne pouvait apparaître ou mourir, comme s'il était déjà séparé des autres pays, au sommet de I’existence terrestre. Les hommes regardaient souvent les étoiles, la grande voie blanche qui fait comme un pont de sable au-dessus de la terre... Puis ils écoutaient la nuit.

...Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu'ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans la sclérotique de leurs yeux.

...c'était le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n’avaient plus d'importance. Un pays pour les pierres et pour le vent... quand le soleil brûle et que la nuit gèle.

De Désert - J.M.G. Le Clézio

mardi, 14 mars 2006

Son dernier trek

Ce matin, Claude s'en est allé.
Demain, nos pas seront de lourde tristesse.

Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée avec un être qui nous a quitté.

René Char

Il nous faudra cependant sourire en évoquant sa gouaille de "fine gueule" !

jeudi, 02 mars 2006

Un vrai vracquier

En vrac !
Je me fais l’effet certains jours d’être un vieux “vracquier”* qui charge en désordre dans ses cales toutes choses n’ayant guère de rapport entre elles.

Ainsi, une journée comme hier, occupée

à écouter - tout en regardant, merveille du dvd - un opéra, l’Orféo de Monteverdi, puis l’abécédaire de Gilles Deleuze que m’a prêté Ét,
à lire et écouter, lu par Cuny, le Van Gogh d’Artaud,
à lire Le bonheur fou de Giono et la Littérature française du Moyen-Âge,
à traduire avec quelque peine l’Andromaque d’Euripide....

Et la vie tout autour, belle parfois - longue et lente promenade avec Nicléane sur les rives du canal de la Martinière dans un soleil de fin d’hiver - mais souvent ces jours-ci trébuchante :
les amis, Jc, Cl, Je, et le compagnon de Fra, qui luttent à coup de “chimiothérapies” accompagnées de leurs inévitables complications contre la Sournoise,
Jej qui repasse au bloc pour qu’on lui “lave” un stimulateur infecté...


S’élève le chant d’Orphée :
Où t’en vas-tu, ma vie ?


Parfois comme une gêne d’être en insolente santé.

Ainsi pour aller déguster de la pomme de terre au coin de la rue des Halles et de la rue des Carmes, dans un joli “caboulot” dénommé À l’amour de la pomme de terre, où l’on vous sert le tubercule en tous ses états. Selon votre gourmandise ! On vous propose un vin d’Alicante, grenat et dense

Ainsi en ouvrant le Libé-livres - il est souvent des semaines mornes, sans titres, sans auteurs, sans “clientèle” dirait Deleuze parlant des époques de sécheresse - celui d’aujourd’hui me comble avec ses lectures à venir - le printemps s’annonce
avec Quignard et un art de rompre, Villa Amalia,
avec Coetzee et l’Homme ralenti,
avec Patrick Roegiers et le Cousin de Fragonard, Honoré l’homme aux écorchés - j’avais beaucoup aimé sa Géométrie des sentiments -,
avec Derrida et l’Animal que donc je suis - pour penser les vivants autres qu’humains, à l’heure où nous nous préparons à massacrer des millions de volatiles, rééditant nos sanglantes tueries bovines -,
avec enfin, il fait la Une, David Le Breton avec La saveur du monde. Une anthropologie des sens.

« L’homme ne va pas sans la chair qui le met au monde.»

Je pressens que cette lecture qui ne nie point le dualisme occidental du corps et de l’esprit est une tout aussi belle entreprise de conciliation de l’un et l’autre que ne tentent de la faire les assertions hédonistes un tantinet forcées de Onfray.
Marongiu qui signe la critique commence ainsi :
« À l’origine, une homologie manifeste a relié dans la langue, le savoir et la saveur... En latin par exemple, le verbe sapere dit à la fois ce qu’on sait et ce qu’on sent. »

Je tairai la chronique d'Édouard Launet, la gardant, et pour cause, en mon for intérieur ; elle est titrée Vive l'agonie. "La plume, au seuil du néant, devient (peut-être) d'une extrême acuité". À mon usage futur, je ne refuse point.

Je préfère bien mieux que mes vieux copains puissent encore, et pour longtemps, conjuguer le verbe “sapere”, même si certains n’entendent point le latin !

* Cargo qui souvent fait du cabotage en transportant les matériaux et denrées les plus divers.

mardi, 02 août 2005

In memoriam

Il y a cinq ans, une anthropologue d’origine britannique était tuée dans un accident routier entre Kidira et Tambacounda (Sénégal oriental). Elle se nommait Adrian Adams. Elle fut pour moi l’une de ces rencontres de voyage dont on ne revient pas indemne.


Quelques pas ensemble


Quatre ans durant, Adrian Adams fut, pour moi, “l’Invisible” de Kounghani. La méconnaissance, la naïveté accumulèrent les obstacles. Et Adrian, en bonne Soninké (!) voyageait beaucoup. L’une était déjà partie quand l’autre arrivait.

L’échange avec les gens de Bouguenais ne débuta pas sous les meilleures auspices. Lors de son premier voyage officiel, en 1991, dans la Communauté rurale de Baalu, la délégation bouguenaisienne fut reçue à Kounghani dans les locaux de la Fédération des Paysans Organisés. Il fallut que la présence d’une "Blanche" solitaire, dans la cour de la concession intriguât Nicole, ma compagne, l’une des déléguées de Bouguenais, pour que nous apprenions l’existence de ce mouvement. Une correspondance entre elles autorisa un premier échange.

Lettre d’Adrian à une première demande de Nicole au sujet des livres publiés par Adrian, en date du 16 avril 1991 «...D’autre part, je vous envoie deux exemplaires d’une brochure d’information sur la Fédération des Paysans Organisés de Bakel que nous venons d’éditer, que je vous remercie de bien vouloir porter à l’attention du Comité de Jumelage. Cela permettra peut-être de remédier quelque peu à ce qui s’est passé lors de votre visite à Kounghani, où les représentants de la Fédération, y compris son Président, vous ayant reçus dans leurs locaux se sont vus évincés de la discussion par les fonctionnaires et politiciens locaux. »Les termes étaient courtois, mais, certaine l’amertume !

Nous avions les références de ses livres, c’était déjà fort bien ; nous allions chasser notre naïveté et mieux connaître La Terre et les Gens du Fleuve. Mais, le chapitre du dit livre intitulé « La pêche en eaux troubles - Nous autres » ne laissait pas augurer d’un échange prolongé. Et nous comprenions bien les réticences qu’Adrian pouvait ressentir à l’arrivée, une fois de plus, de gens qui voulaient apporter de l’aide aux défavorisés du Sahel. La notion de “coopération décentralisée entre collectivités” était encore dans les limbes ! La rumeur du “pélerinage à Kounghani” que tout bon étudiant en anthropologie, en sciences du développement, se devait de faire, ne fit que renforcer nos hésitations à poursuivre l’échange.

Mais, pressentant l’importance de la source qu’était Adrian pour notre compréhension de nos amis Soninké, je pris le relais de Nicole et tentai une correspondance avec “l’Invisible”. Il fallut la nécessité de produire, en soninké, la brochure sur le sida, publiée par l’association sénégalaise Enda, pour que se noue, dans l’agir, une relation chaleureuse et durable. Cinq cents exemplaires de la brochure furent remis à la Fédération des Paysans grâce au soutien du Bureau Jumelage-Coopération de la mairie de Bouguenais et à l’aide technique de son imprimerie.

Lettre d’Adrian en date du 23 septembre 1994 «... Je serais également heureuse de m’entretenir avec vous de questions d’alphabétisation et de développement de la lecture ; je pense comme vous que la production de textes de qualité est essentielle pour valoriser l’effort d’apprentissage de la lecture. Il me semble que nous aurions dû nous rencontrer il y a longtemps. Que cela n’ait pas eu lieu, n’est certes ni votre faute, ni la mienne. Vos hôtes obligés se sont bien gardés de vous faire savoir qu’il existait dans la communauté rurale de Ballou, une association paysanne indépendante, active dans le domaine qui vous intéressait ; car pour eux, rien ne devrait exister hors les rets de la politique locale. N’importe. »Dans ce « N’importe », étaient toute la rigueur et la grande détermination d’Adrian.
La première rencontre se fit sur les bords... de Loire quand, l’été 1995, Adrian répondit à l’invitation de Janine Planer, l’adjointe au maire de Bouguenais. Elle venait en Europe pour négocier, entre autres affaires, l’édition de son livre ultime ; elle nous fit part avec humour et férocité du refus de l’éditeur français qui estimait incertain un lectorat pour un tel oeuvre.

Il y eut d’autres rencontres sur les bords du fleuve Sénégal.

Il y eut la fraîcheur d’une calebasse de concombres, apportée par les petits-enfants de Jabé, un soir de saison des pluies, quand si peu de légumes poussent aux maraîchages. Après de rudes journées passées à parcourir les pistes de la Communauté en ne consommant que riz et viandes, la saveur de ce légume fut telle que je ne sus s’il me fallait célébrer la jardinière qui, malgré la saison, avait cultivé ces légumes ou la cuisinière qui les avait accommodés comme ma mère, à la manière de nos paysannes d’ouest, longuement “dégorgés” dans le gros sel, ce qui leur confèrent à la fois souplesse salée et douceur craquante .

Il y eut un très long échange, dans la petite cellule blanche et bleue de la concession de Jabé sur la lecture, la médiation de la parole - elle rédigeait la brochure Poissons et Pêches du Fleuve Sénégal, j’élaborais, avec mes compagnons d’Éducation populaire, MarieJo et Claude, le projet du livre À Grand-Lieu, un village de pêcheurs.
Par delà les mers et le désert, l’identique activité des hommes, la même démarche pour valoriser la parole, le même questionnement de passeurs

Que doit être un lettré qui transcrit la pensée d’un oraliste ?

Entre l’anthropologue, universitaire africaniste reconnue, et le modeste conseiller d’éducation populaire, autodidacte, une connivence se forgeait dans le même champ de labeur comment accompagner nos proches dans leur appropriation de l’écrit pour que vive, reconnue, leur pensée ?

Les efforts pour l’alphabétisation des adultes ont sans doute à voir avec le rocher de Sisyphe ou le tonneau des Danaïdes. Avec Adrian, cette année-là, en marchant sur les bords du Fleuve, lentement, très lentement, avec cette paisible lenteur qu’elle avait inimitable, nous avons rêvé de produire des petits livres pour les enfants soninkés et peuhls. C’est sans aucun doute le chemin le plus sûr.

Nous devions prendre date pour ce nouveau “maraîchage” !

Écrire qu’elle est morte en terre “étrangère” n’est que reconnaître le choix de cet aller à l’autre qu’elle avait fait, vivant en terre soninké près de Jabé Sow, affirmant ainsi son refus des passeports et des frontières et s’établissant dans la citoyenneté du monde.

En cette fin août 2000, nous étreint l’émotion du vide.

La voix qui venait du Fleuve ne nous hèle plus !



Adrian Adams anthropologue et militante
née le 30 novembre 1945
morte le 2 août 2000



Ce texte, accompagné de quelques autres, est sans doute encore lisible sur les “ruines” d’un site ancien : http://members.aol.com/rabiha1964/adrianadams.html



dimanche, 08 mai 2005

Cet autre 8 mai 1945

« Ils feront un arrêt ému à Sétif. À la gargote, Rabéa et Saïdi s’entretiennent longuement en arabe des événements de 1945. Quelle famille de l’est algérien n’a pas été concernée par ces massacres ? Lors d’une de leurs toutes premières rencontrées, Rabéa lui a dit la mort de son père, tué lors d'un assaut à Monte-Cassino. De sa mère, éventrée à Aïn-Malah, un village proche d'ici. Mais elle ne s’est point étendue, elle a très vite parlé de son grand-père.....

Près de soixante après, que demeure-t-il de cette atrocité ? Quelques livres sur les massacres coloniaux. Qui a encore douleur de ces morts ?
Sétif, Guelma et Kherrata, Perigotville et Fedj-Mezzana, Pascal et Colbert, Saint-Arnaud et Villars, Millésimo et l’horreur des fours à chaux d’Héliopolis !
On discute l’arithmétique du massacre.
Mais ce qui importe c’est mémoire du sang paysan, le sang artisan, le sang des jeunes et des vieux.
Ce qui importe, c’est mémoire de la paysanne au ventre doublement ouvert et souillé.

À cette époque,il n’a lu que les pages de Nedjma.

« Lakhdar et Mustapha quittent le cercle de la jeunesse, à la recherche des banderoles.
Les paysans sont prêts pour le défilé,
– Pourquoi diable ont-ils amené leurs bestiaux ?
Ouvriers agricoles, ouvriers, commerçants. Soleil. Beaucoup de monde. L’Allemagne a capitulé.
Couples. Brasseries bondées.
Les cloches.
Cérémonie officielle ; monument aux morts.
Contre-manifestation populaire.
Assez de promesses. 1870. 1918. 1945.
Aujourd'hui, 8 mai, est-ce vraiment la victoire ?
Les scouts défilent à l’avant, puis les étudiants.
........................
L’hymne commence sur des lèvres d’enfants :

De nos montagnes s’élève
La voix des hommes libres...»


Il en sait quelque chose de ce 8 mai 1945, Yacine, il y était. Au commencement, les “arabes” ne fêtent, eux aussi, que la Victoire ; mais “on” leur a fait des promesses, non ?
Leur faute, impardonnable, il est vrai, puisqu’ils vont être massacrés pour ce geste - c’est de déployer des drapeaux “algériens”, le Croissant et l’Étoile dessinés sur un fond mi-vert, mi-blanc par le leader indépendantiste, Messsali-Hadj !

La responsabilité devant l’Histoire se dilue jusqu’aux seconds couteaux : Achiary, Butterlin, Abbo et d’autres. Soit. Mais encore !
Le Grand Libérateur qui est l’Intouchable, a su, lui ! Il n’a rien dit !
Comme s’est tu son vice-président du Conseil, un certain Maurice Thorez ! Comme s’est tu un certain Tillon son ministre de l’Air ! Comme, dix-sept ans et cinq jours plus tard, en pérorant sur le balcon entouré de ceux qui, trois ans et quelques jours plus tard allaient lui chier dans ses bottes de cavalier du grand destin : sur la torture, il savait encore et il ne dit toujours rien.
Il changeait seulement de point de vue sur l’Histoire.
Comme Charonne et ses empalés, ses noyés, ses écrasés, ses étouffés par son préfet de police de Paris, Papon.
Le pesant silence de ses Mémoires.

Dix ans plus tard, en août 1955, - faut-il là aussi discuter l'arithmétique de l'horreur -l’odieux Zighout Youcef, en commandant les atrocités de Phillippeville, d’Aïn-M’lila ne fera que volontairement creuser l’amère fosse de cadavres qui séparera pour longtemps les deux communautés ........»


Les lignes ont été écrites en 1995. Beaucoup de chemin parcouru depuis dix ans.
Ma lecture de Nedjma en 1958 est très succincte ; il ne s’agit que de quelques extraits, publiés dans le n°7/8 de la revue ESPRIT qui propose, en 1958, un panorama du Nouveau Roman.

À Sétif, ce 8 mai 1945, Kateb Yacine, non seulement y était, mais il fut arrêté, interné, torturé. Il suffit de relire les pages 57 à 60. Avec grande pudeur, Kateb s’efface derrière le personnage de Lakhdar.

Je l’avais rencontré, par hasard, au printemps 1965, dans un café “maure” de Sédrata. Je menais un recensement sur les enfants du coin, qui avaient sauté sur les mines de la ligne Morice. Je lui avais confié l’influence profonde que Nedjma et le Cadavre encerclé avaient eue sur mon parcours algérien. L’après-midi de ce jour-là, il m’emmena visiter le site de Khémissa. Nous nous entretînmes longuement de Augustin de Taghaste, de Dihya Al Kahina. Le Nadhor, lieu mythique du roman, est voisin de ces ruines qui gardent traces fabuleuses de la culture romano-berbère.
En nous quittant, nous nous donnâmes une longue accolade.


Cette année, l’ambassadeur de France en Algérie aurait fait “amende honorable”, à Sétif même.
Ce ne sera pas, cependant, toujours aisé d’enseigner la mission civilisatrice de la colonisation !

En 1960, ils n’étaient que quelques-unes, quelques-uns, à tenter de combler l’amère fosse.
La pourvoyeuse des maquis “fell” et l’ancien commando de chasse, en “ennemis complémentaires” et amants, commençaient de la combler à leur manière.

Nous nous sommes tant aimés !

Quatre ans durant, jusqu’à ce que la camarde nous brise.

Post-scriptum :
KATEB Yacine, Nedjma, Le Seuil, 1956.
Yves BENOT, Massacres coloniaux, 1944-1950 : la IVe République et la mise au pas des colonies françaises, préface de François Maspéro, Coll. Sciences humaines et sociales, La Découverte/poche, 2001.

vendredi, 21 janvier 2005

Quand le soleil est levé

Les matins de France Cul ? Noémie me dirait : « Papy, c'est "trop" ! »

Nicolas Demorand invite François Jullien : de la philosophie chinoise ravivant la philosophie occidentale et de l'idéogramme fécondant la linéarité alphabétique.
À lire donc, Nourrir sa vie qui sort "en poche" au Seuil, Points/essais.

(La Martinière n'a pas encore tout écrasé.)


Beaucoup de commentaires sur les ondes et dans la presse à propos du discours d'investiture du président américain : entre le creux ou le plein, il n'est pas facile de se situer.
Il a dit, c'est maintenant écrit :
"Notre objectif est plutôt d'aider les autres à parler de leur propre voix, obtenir leur propre liberté et tracer leur propre voie"

Le simple et modeste citoyen que je suis ne peut oublier qu'avec les amis américains, il ne faut effacer, ni Hiroshima et Nagasaki*, ni le Chili et Allende.

Alors les beaux mots d'un discours ?
Il faudrait sans doute, comme le propose Jullien, confronter notre linéarité alphabétique à l'ordre du "bas et haut" de la pensée idéographique.
Désaliéner la Bonté ?


* La mairie propose aux Nantais, jusqu'au 27 février, un événement (expositions, conférences, témoignages) :
Hiroshima 8 H 15
Nagasaki 11 H02


La pyramide des martyrs obsède la terre
écrit René Char.

samedi, 15 janvier 2005

Mémoire et souvenir

J’avoue être fort remué par le soixantième anniversaire de la libération des camps nazis.
Deux documents, parmi d'autres, à l’appui de ce trouble :
j’ai revu hier soir Nuit et brouillard sur Antenne 2 et j'achève de lire le texte de Boris Cyrulnik, les Anges exterminateurs dans le Nouvel Obs de cette semaine.

J’avais neuf ans en 1945 ; au début de l’année 1946, les Frères de Ploermel nous avaient emmenés au musée des Beaux-Arts où était présentée une expo sur ce qu’on nommait alors la “Déportation”.
Je me souviens de cette visite parce que les images me renvoyaient à des bribes de paroles entendues dans les années de guerre et au malaise qui ronge encore ma tendresse pour mes parents bien-aimés.

...jusqu’aux effluves plus malsaines de pétainisme et d’antisémitisme qui affleuraient dans sa famille mais qu’il acceptera mal parce qu’il ressentait, tout môme, une injustice cruelle dans le sort auquel le petit peuple “catholique et nantais toujours” renvoyait ces gens qu’ils appelaient avec dédain les Juifs et, avec plus de mépris encore, les Youpins.

Il n’avait pas oublié une conversation sur le marché Talensac quand sa mère et d’autres s’étonnaient de ce que les Burons, - « Oui, vous savez, nos voisins, qui sont banquiers » - ne la portaient pas cette étoile jaune et que le curé de Saint-Similien avait osé dans son prône du dimanche assurer que le Christ était juif.
Il n’avait pas oublié le premier vieux monsieur accompagné d’un jeune enfant, croisés dans la rue, l’énorme étoile cousue, côté cœur, sur leurs manteaux.

Quelques mois plus tard, dans une certaine allégresse de libération quand les soldats américains lui donnent chocolat et chewing-gum, il pleure parce que, place Viarme, des hommes sur une estrade tondent violemment quatre femmes. Il ne comprend pas, mais il est révulsé par ces étoiles jaunes et ces crânes rasés. Plus tard encore sur le chemin de l’école, deux ou trois fois, il a croisé, au sortir du Palais de Justice, un homme encadré par deux gendarmes ; son regard s’est arrêté sur les poignets de l’homme menotté.

Sourd ressentiment de la violence et de l’humiliation...

dans les derniers § d' Algériennes.



Cette “ambivalence...au cœur de la condition humaine” que pose si fortement Cyrulnik, quand il glisse trois phrases sur le lynchage d’un milicien, me renvoie au projet d’une lecture publique, “Une heure avec...” que j’ai l’intention de faire à partir des Feuillets d’Hypnos de René Char.
Une longue interrogation avec Chris en décembre sur la nécessité de la violence n’avait fait que me renforcer dans ce désir d’approcher cette incontournable ambivalence et de proposer à d’autres cette approche dans l’abrupt de l’aphorisme, le laconisme des scènes vécues et la beauté s’étendant jusqu’à l’obscur.

La mémoire est sans action sur le souvenir. Le souvenir est sans force contre la mémoire. Le bonheur ne monte plus.
Feuillets d'Hypnos, aphorisme 102