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mardi, 23 décembre 2014

le mirabellier d'Étienne

 

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Les Dogons érigent, passé le temps des rites funéraires, une poterie-autel pour le mort qui accède ainsi au statut d'ancêtre, l'antecessor, celui qui précède, l'éclaireur. Nous, l'avant-veille de ce solstice d'hiver, avons planté un mirabellier, l'arbre des merveilles, pour Étienne, notre compagnon d'Éducation populaire.

Etienne, l'homme de la douceur et de l’empathie, mais aussi celui du combat et de la force. Plus de trente ans à ouvrir ensemble des chantiers d'écriture et de lecture, accompagnant des adultes et leur proposant nos modestes outils.
Quand le temps fut venu pour moi d'abord, pour lui ensuite, de remiser notre métier et de ranger nos boites à outils, nous avons poursuivi l'entretien.

Vint la fin du printemps 2011. Notre ultime lecture commune fut La traversée des catastrophes de Pierre Zaoui ; sans doute était-elle trop tardive ? La maladie le recouvrait, déjà, nous n'étions plus sur la même rive.

Nous avons maintenu le bavardage.

Le verdict de la mort est un discours sans réponse possible pour le vivant : il vient d'au dehors de la vie sensible et s'y éteint en l'éteignant. Si la vie ne cesse de nous apporter des nouvelles de morts, elle ne nous a pas donné d'oreilles pour les entendre significativement. C'est pourquoi le discours de la mort impose généralement le silence et l'éloignement des vivants du mourant : on ne peut parler de ce qui n'a pas de réfèrent dans l'ordre de la vie, de ce qui ne se partage pas, à moins d'attrister la vie, et encore pour des prunes — la compassion avec les mourants est la plus stupéfiante des escroqueries, comme si l'on pouvait partager ensemble une souffrance que ni l'un ni l'autre n'éprouve en tant que souffrance déterminée, renvoyant à un réfèrent commun ou analogue.

La mort d'autrui exige ceci : ce que l'on ne peut pas dire, il faut malgré tout parvenir à le parler. Mais alors parler pour dire quoi, si l'on ne peut pas dire la mort ? Parler d'autre chose ? Parler pour ne rien dire et pour passer le temps ? Bavarder ? D'abord oui, évidemment oui...

                                                                                Pierre Zaoui.

Trois ans plus tard.
L'avant veille de ce solstice d'hiver, Alain et Didier ont creusé et planté ; je n'ai fait qu'arroser abondamment le Mirabellier.

 

à Marie, sa compagne,
à l'autre Marie
,
aux Compagnons.

jeudi, 18 décembre 2014

en cette mi-décembre trop sombre

 

un après-midi brumeux, comme ce jourd'hui, un de ces jours comme abandonnés, j’avais parcouru lentement le Musée, guettant l’émotion qui allait sourdre ou non, l’œil paresseux...



Et puis, il y eut Cassandre*,

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cette blancheur nue
brisée dans le sang d’une guerre à peine achevée et dont le massacre se poursuit encore...

Visage haussé vers le ciel noir, pour l’ultime prière au dieu, à n’importe quel dieu !

La flamme qui brûle sur l’autel, pensée d’une foi moribonde ?
Dans les plis du vêtement jeté, ensanglanté
de violence et de feu,  sur l’angle d’une stèle, se devine
un harnachement d’homme de guerre...

Comme image de ma mort à-venir, cette longue, belle et froide nudité.






*Au Musée des Beaux-Arts de Nantes, tableau de Jérôme-Martin Langlois, 1779-1838.

lundi, 23 juin 2014

mort d'Hélène

À peine refermés les bouquins de Cadou, quand furent notées les cents et plus occurrences du Bleu dans ses textes, voici que le quotidien local annonce ce matin :

La poétesse Hélène Cadou n'est plus.
Elle venait d'avoir 92 ans.
Elle est partie retrouver son René Guy,
le poète de Louisfert disparu à 31 ans.

Ces soixante-et-un ans d'écart ne sont que datation ratée.   
Entre lui et elle, il n'y a qu'un immense printemps au dernier jour duquel peut-être se sont-ils re-joints — joints à nouveau.

Il s'en était allé le 21 mars, elle n'est plus, le 21 juin. C'est bien l'écart d'un printemps, n'est-ce pas ?

Cette HÉLÈNE du règne végétal.

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Ma mère, très soupçonneuse des poètes que je lisais, m'avait avoué, feuillettant le bouquin de Manoll : « C'est une très belle femme. » Je n'ai jamais avoué à ma mère bien aimée qu'il y avait grande ressemblance de beauté entre Hélène Cadou et elle.

Cette HÉLÈNE du règne végétal.
Qui confiait dans un entretien *


 « Mais écoutez, parce que c'était Cadou ! Il m'a donné la parole, ça c'est une vérité.
C'est extraordinaire de pouvoir dire ça, qu'on rencontre quelqu'un qui vous donne la parole. Je me suis mise à parler, spontanément. Et il avait ce pouvoir là. Il m'a apporté la vie... Il m'a redonné la vie, il m'a donné le jour...Je suis née deux fois.»

Qui écrivait dans Le Livre perdu :

À terme
il suffira d'une buée
D'une petite chose
Poignante

Comme
Un pan d'écharpe
Sur Ton épaule

Pour y loger
Notre amour

Quand la terre
Tombera dans la fosse.

 

Naguère dans un pan de cet immense printemps, lui, Cadou avait écrit à cette HÉLÈNE végétale :

 

Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front

Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière

J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée

Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là

Ce fut par un matin semblable à tous les autres
Le soleil agitait ses brins de mimosa

Des peuplades d'argent descendaient la rivière
Les enfants avaient mis des bouquets sur le toit

Aussitôt que je vis tes yeux je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes à mes lèvres

Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et de vénéneuses caresses

Tout le jour je vis bleu et ne pensai qu'à toi
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine

Sans rien dire je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi pour des promenades éternelles.

17 juin 1943

 

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Longtemps j'ai souhaité maintenir l'énigme de ce ovale féminin esquissé.
Et si c'était bien le visage de cette femme qui s'en est allée l'autre soir, que la terre n'a pas encore recouvert ?

 

 À vous mes ami(e)s, d'ici le prochain printemps.

 

 

 *Entretien avec Luc Vidal dans le film d'Emilien Awada, René Guy Cadou ou les visages de solitude

 

 

 

mardi, 04 mars 2014

rêver Resnais

Entre deux visages,
Emmanuelle Riva, Delphine Seyrig.

HiroshimaMonAmour6.jpg

Entre deux mélopées du Clémencic Consort, 
Raimbaut de Vaqueiras, Jauffré Rudel.

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Entre deux Argonautiques,
celle d'Appolonios de Rhodes et celle de Diodore de Sicile.

Quand fleurissent les jonquilles,
un matin de fin d'hiver ensoleillé
et le souvenir de la toison blanchie d'un vieux cinéaste qui me tenait fort à cœur et l'ombre de Chris Marker.

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 Alain Resnais
ce Vannetais qui, malgré son enfance, rêva devant les Logoden.

Mon cinéma s'endeuille un peu trop vite.

 

Post-scriptum :
De Resnais et de Marker, à voir Les statues meurent aussi. Ce film fut interdit jusqu'en 1964.
Ces deux-là furent des "très grands".

samedi, 30 novembre 2013

la gorge dénouée, prendre le large

image.jpg L'absence enfin assumée pour un temps, vent de travers, embouquer le chenal, barre au suroît sur l'une de mes îles, la plus austère, mais l'une parmi les belles.

mardi, 08 octobre 2013

ceux qui vous aimaient prendront le train

...pour un horizon incertain où vos rêves, vos images nous seront viatique de beauté et de force.

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La femme de Candaule004.jpg

 

 

 

 

 

 

 

 

Retour de mer, j'avais délaissé mes piles de lecture et mes écrans d'écriture. Je venais de réouvrir le roman de mon enfance clandestine quand à dix ans, dans la pénombre du grenier de cette maison de grande bourgeoisie nantaise où ma mère fut jadis bonne à-tout-faire, je dévorais dans le trouble ce roman d'amour, de cape, d'épée et de cruauté qu'est La Reine Margot.

Et hier au soir, peu après vingt heures, sur un écran ami : Patrice Chéreau est mort.
Dans ma lecture, j'en étais au chapitre XLIX, le Livre de vénerie. La mort était donc si proche.

 

lundi, 06 août 2012

saluer Chris Marker

 

 « Mais il chercha d'abord le visage d'une femme,
au bout de la jetée. Il courut vers elle. »

 

La Jetée

 

Et pour célébrer une fois encore la Vie vraie, Marker offrait à l'inattentif ce cillement de la femme qui en souriant s'éveille.

dimanche, 18 mars 2012

la fin d'une guerre

à Jobic, à Christian,
aux femmes de paix
aux côtés de qui nous nous tenons

Ce 19 mars 1962

C'est  la veille que la radio a annoncé pour ce jour la fin des opérations de maintien de l'ordre. Ça n'aurait donc jamais été une guerre.

La guerre pour moi, elle se termina ce matin de juin 1961 quand, descendant du poste de Rhardous pour la dernière fois, quatre hommes, au milieu de la piste, m'arrêtèrent à la porte sud de Tamloul.
L'un après l'autre, ils me donnèrent l'accolade.

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Tamloul, village de regroupement, décembre 1960


Eux et moi, depuis peu, nous nous étions écartés du sang, de la violence, du soupçon.
Aurions-nous donc commencé à rebâtir ?

N'en demeurait pas moins l'indélébile de traces  comme déchirures nocturnes.

Et c'est le premier cadavre en travers de la piste dans la nuit du Zaccar et sa puanteur infâme 
et c'est la paysanne hurlant son désespoir dans la cour de cette ferme abandonnée du Chélif
et c'est la morgue du lieutenant parachutiste, appelé, qui, devant sa bière, raconte froidement le fuyard poursuivi, abattu,
et c'est le premier sang, celui de Renaud notre "radio" et celui des trois maquisards d'en face,
et ce sont les soubresauts du corps de Hocine, adolescent "fell" prisonnier assassiné,
et c'est le ventre ouvert de Slama, le jeune harki, 
et ce sont les nuits de Tamloul dans la tension, les désirs inassouvis, les veilles incessantes,
et ce sont les cris de douleur du rebelle au genou broyé enlacé dans les barbelés du camp,
et c'est ce corps, à quelques pas de moi, qui dans la nuit s’abat, brisé dans la sonorité de pierre creuse du crâne qui heurte l’angle aigu du trottoir.

C'est dans le fracas des nuits algéroises la belle et brune rebelle du Zaccar, sa douceur, le baiser, une étreinte.


Et quelques jours après ce cessez-le-feu,
dans cette petite palmeraie au sud de l'Aurès,
ce sont, armés encore, ces hommes d'en face
nos regards étonnés qui se croisent sans haine
et sous l'olivier, le visage émacié et souriant  de Si Salah, vieux maquisard,
devenu le temps si bref des quelques pas qui me séparent encore de lui
l'homme de justice et paix

Oui, nous rebâtissons déjà. S'annoncent quelques soleils possibles, mais aussi des temps obscurs et brutaux.

jeudi, 15 mars 2012

le 15 mars 1962

Toujours extraites des pages d'un journal du temps de guerre.

Un jour de février, Chris Van Der Meulen, mon collègue, débarqua à Star-Melouk : son centre de Fort-Turc avait été plastiqué dans la nuit. Peu de dégâts, des vitres brisées : la charge avait été placée près du portail d'entrée sur la route qui menait à l'aéroport. Ça semblait bien être dans les actions un peu lâches du réseau extrémiste de Biskra où les forts en gueule se faisaient plus entendre sur les terrasses des cafés de la place Béchut que dans les ruelles de la palmeraie ou dans le labyrinthe jugé malfamé de Star-Melouk
Brégardis avait été menacé, mais, sur le même palier que lui, résidait un policier véreux. Les forts en gueule n'allaient pas attenter à la vie de l'un des leurs.

Depuis janvier, quand je m'attardais un peu trop tardivement en ville, je ne reprenais le volant de ma 2 CV qu'après avoir soulevé le capot et deux fois, je dus débrancher de méchants bricolages de bâtons de dynamite reliés à un détonateur rudimentaire qui cependant au premier quart de tour de la clé de contact, nous auraient volatilisés, Rabéa, la voiture et moi.


Le 15 mars en fin d'après-midi, ce fut plus sérieux. Je m'étais rendu à Fort-Turc pour préparer une rencontre avec le responsable de la Sidérurgie Bônoise qui accompagnait l'action de formation que nous dispensions dans nos deux Centres aux chômeurs qui avaient postulé à ces futurs emplois.


Le téléphone sonne. Chris décroche et, de suite, je perçois une voix altérée dans l'écouteur. Le visage de Chris se fige. Le téléphone raccroché, c'est à peine si Chris peut articuler un mot.
 « Ils ont assassiné nos "patrons" ! C'était Brossard, notre responsable de Batna. Il était présent à la réunion de Château-Royal. Un commando OAS !  Brossard passera nous voir la  semaine prochaine. »
Nous ne reverrons plus jamais Brossard.

Nous apprendrons quelques jours plus tard par des collègues de Constantine, les circonstances odieuses de l'assassinat.
Le surgissement brutal d'une bande armée de huit hommes en civil à bord de deux Peugeot au tout début de la réunion qui regroupe nos responsables départementaux, l'appel de six noms par ordre alphabétique :

Eymard,
Basset,
Feraoun,
Hammoutene,
Marchand,
Ould Aoudia.

Leur alignement dos à un mur d'angle, le fracas des rafales intenses, brèves, de deux fusils-mitrailleurs, les six détonations d'une arme de poing comme coup de grâce. La fuite de la bande.

En vain, Chris et moi, nous rencontrerons les délégués syndicaux des écoles et du collège de la Palmeraie pour que soit organisée une protestation silencieuse avec les jeunes sur la place Béchut. Nous ne nous faisions guère d'illusion sur cette proposition, sachant les comportements timorés de beaucoup d'enseignants métropolitains de Biskra. Seuls, le collège et deux écoles primaires de la Palmeraie, Star-Melouk et le Village-Nègre, où les écoliers étaient en totalité d'origine algérienne, observeront la minute de silence recommandée par les instance nationales syndicales et par le ministère de l'Éducation.

La haine et le mépris.

 

Le 12 décembre 2001, au ministère de l'Éducation Nationale, une stèle était dévoilée à l'entrée d'une salle nommée "Max Marchand - Mouloud Feraoun". Jean Luc Mélenchon, alors ministre de l'Enseignement professionnel disait :

Nous avons le droit aujourd'hui, nous avons la passion à présent d'y voir plus clair.
Les nôtres, décidément, ceux que la République tient pour tels, les nôtres sont ceux
qui s'aimaient et non ceux qui se haïssaient. Il en est ainsi parce que cet amour ne
pouvait faire ses liens qu'en adhésion aux valeurs républicaines.
Les maîtres de l'école républicaine ont préféré la règle de leur principe, plutôt que
les séductions de l'abandon aux enfermements de leur temps.
Sur les gouffres du temps, que la mort creuse si vite et si fort entre les êtres et les
générations, je passe le fil de la mémoire. Je vous nomme, ombres de lumière.

Max Marchand, présent !
Mouloud Feraoun, présent !
Marcel Basset, présent !
Robert Eymard, présent !
Ali Hammoutene, présent !
Salah Ould Aoudia, présent !

Vous voilà parmi nous.
La poussière des fureurs de la guerre est tombée. Et voilà que vos assassins n'ont plus de nom. Ils n'ont aucun visage qui se distingue dans la cohorte sanglante des bourreaux de tous les âges et de toutes les guerres. Vous voici, maîtres de l'école publique,
passeurs de savoirs et de savoir être. Vous êtes uniques et singuliers comme le sont les visages de ceux qui donnent la vie.
La vie!
Celle de l'esprit que le savoir construit, faisant de chaque jeune individu une
personne.
La vie!
Celle du temps profond de l'Algérie comme rive de la Méditerranée, que ponctuent
nos tombes emmêlées et nos enfants communs.

 

Post-scriptum :

Jean-Philippe OULD AOUDIA, L'assassinat de Château-Royal, Alger : 15 mars 1962 - éditions Tirésias, 1992 (avec une préface de Germaine Tillion)

mercredi, 07 mars 2012

tirées d'un journal de guerre, ces quelques lignes

Un certain 19 mars 1962.
Il ne s'agit pas de commémorer.
Il importe d'humblement garder mémoire vive.


Un après-midi, alors qu’en patrouille, ils traversent un bois plus dense de chênes-lièges, des ombres, une course sinueuse, des cris aigus de femmes, puis des rires d’hommes, des pleurs d’enfants. Launay et son équipe ont débusqué d’un taillis d’arbousiers deux femmes et trois gosses. Étonnante, cette présence ; le village de regroupement le plus proche est à plus de vingt bornes dans le sud au voisinage de Littré.
Les mômes ont quatre ou cinq ans, les femmes sont jeunes, les haillons qu’elles portent sont grisâtres de poussière, leur teint est terreux, elles se serrent en un cercle apeuré, recouvrant le corps des enfants. Elles sentent le charbon de bois et la fumée. Abder leur parle doucement d’une voix presque tendre ; elles demeureront deux jours dans un total mutisme, amas humain quasi immobile. 

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Au bivouac, elles n’accepteront que de l’eau et encore faudra-t-il boire à la gourde devant elles ; les gars donneront aux trois enfants les pâtes de fruit des rations. Il n’y aura aucune réflexion graveleuse ; Jaqez surprendra souvent leurs regards étonnés quand ils passeront près du petit groupe.
Mais que font donc ces jeunes femmes dans ces djebel déserts ? Naguère elles auraient été ces belles Berbères aux cuisses nues qui foulaient le linge dans le creux de l’oued ; la guerre a réduit leur beauté à cette peur sombre accroupie parmi les tenues léopard du commando.
Il n’y aura aucune menace de quiconque.

 

Il y a plus de cinquante ans .
Que sont ces enfants, ces femmes, devenus ?
Dans leur liberté tant douloureusement conquise.

mercredi, 25 janvier 2012

Quel titre pour la tristesse ?

 

Le pas suspendu de la cigogne ?

L'Éternité et un jour ?

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 “ Je ne suis qu'un visiteur", faisait-il dire à un de ses personnage dans Le Pas suspendu de la cigogne.


 « Où s'est-il retiré, où s'en est-il allé, le Sage ? —
Après tous les miracles qu'il a faits,
après que la renommée de son enseignement
se fut répandue sur tant de nations,
il s'est dérobé aux regards et personne n'a pu apprendre
avec certitude ce qu'il est devenu...


Constantin Cavafis
Pour autant qu'il soit mort

 

mercredi, 18 janvier 2012

Gustav Leonhardt ne nous quittera point

 

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Ce matin au lever du jour, j'apprends que s'en est allé le grand claveciniste.

Je ne suis qu'un piètre mélomane. Je ne puis écrire que ma tristesse, j'aimais beaucoup cet homme au visage émacié, à la carrure d'ascète. Une fois, à Nantes, l'été 1980, en l'Église Saint-Croix, nous l'avions écouté : il avait joué Froberger.

J'ai réouvert ma vieille platine, j'ai fait glisser la grande galette noire hors de la pochette noire d'Harmonia Mundi, laissé se poser la fine tête de lecture : la Suite XX en Ré majeur, "Méditation faite sur ma mort future laquelle se joue lentement avec discrétion".

Une tant belle musique pour tenter de bien mourir.

Cette autre aussi est belle. Il suffit d'écouter.*

 

 

 

* Tombeau sur la mort de monsieur de Blancrocher.

mercredi, 16 mars 2011

je n'aime guère ce fortuit

en pensant fort à Berlol

 

J'avais, la semaine dernière, quitté le jardin pour les lacis poldérisés de la Seudre. Au sortir de la forêt de la Coubre, dans l'estuaire de la Gironde, le printemps s'éveillait.

Un seul bouquin dans le sac : les journaux de voyage de Bashô *, étant encore en cette fin d'hiver, dans la nécessité de ne me plonger que dans des écrits brefs. Je n'étais pas encore parvenu dans ma relecture aux notes de la Sente Étroite du Bout-du-Monde quand, vendredi matin, l'annonce du désastre nous a été faite.

Est-ce inconvenant dans le désastre naturel de penser à un site ? Qu'est devenue, à quelques dizaines de kilomètres de Sandaï, cette baie de Matsushima, balayée elle aussi par le raz-de-marée, qui tant ressemble à notre Golfe du Morbihan ?

 

Le soleil déjà était proche du méridien. Louant une barque, je voguai vers Matsushima. Après une traversée d'un peu plus de deux lieues, j'accostai la grève d'Ojima.

Or, encore que ce soit un lieu commun, Matsushima est bien le plus beau site du Japon et n'a rien à envier à Dôtei ou Seiko. La mer le pénètre par le sud-est, la baie est profonde de trois lieues, le flux s'y étale comme dans la baie de Sekkô. Les îles sont innombrables et diverses, il en est de verticales, doigts dressés vers le ciel, d'horizontales qui rampent sur les flots. Certaines sont doubles, d'autres pliées en trois, séparées à gauche, reliées à droite. Il en est qui se portent, il en est qui s'embrassent, comme qui cajole un enfant. Les pins sont d'un vert profond, leur ramure est tordue par le vent du large, leur mouvement naturel paraît dû aux soins du jardinier. Tout ce paysage est d'une beauté distante, comme la physionomie apprêtée d'une belle. Serait-ce là l'ouvrage, aux temps jadis où régnaient les dieux impétueux, d'Ôyama-zumi ? Le génie du Céleste Artisan, quel homme pourrait le rendre par le pinceau, le cerner par la parole?

La grève d'Ojima est une langue de terre qui s'enfonce dans la mer. Vestige de la retraite du Maître de Zen Ungo, il reste notamment la pierre siège de méditation. D'ailleurs, sous le couvert des pins, j'ai aperçu, ci et là, quelques ermites ; dans leurs chaumières qu'enfument les feux de paille ou de rameaux de pin, ils coulent des jours paisibles ; bien qu'ignorant quelle sorte de gens ils étaient, un peu envieux, j'allai vers eux et c'est alors que la lune se refléta sur les flots, renouvelant le spectacle diurne. Je revins au fond de la baie et gagnai mon gîte : c'était une maison à étage à fenêtres ouvrantes ; dormir en voyage au sein des vents et des nuages, quelle sensation indiciblement merveilleuse !


Ah Matsushima
à la grue emprunte sa robe
ô coucou

Sora, compagnon de Bashô **.

 

Pour Bashô, il est dit que, plus que le lieu, lui importait la profondeur de la méditation, cependant stimulée par la contemplation du site que le voyageur arpentait. 

 

Et Matsushima, aujourd'hui ?

De notre malheur
ne résoudra le mystère
le chant du coucou


Yasui, autre compagnon de Bashô.

 

 

* BASHÔ, Journaux de voyage, traduit du japonais par René Sieffert, Publications orientalistes de France, 1988. 

** Sora est le compagnon de voyage de Bashô, sur la Sente Étroite du Bout-du-Monde, notant ce qu'omettait ou négligeait le maître.

vendredi, 17 décembre 2010

Quand à nouveau l'ombre s'étend

à "Lison"

 

Sa voix s'éleva encore tremblante de la fragilité de la douleur. Elle dit l'amour sans mesure pour sa mère. Elle ouvrit Les Matinaux que celle-ci, naguère, lui avait offert. Sa voix nous éloigna de la mort. À nouveau, nous étions dans le soleil.

 


Dans mon pays, les tendres preuves du printemps
et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts
lointains.

La vérité attend l'aurore à côté d'une bougie. Le
verre de fenêtre est négligé. Qu'importe à l'attentif.

Dans mon pays, on ne questionne pas un homme
ému.

Il n'y a pas d'ombre maligne sur la barque chavirée.


Bonjour à peine, est inconnu dans mon pays.

On n'emprunte que ce qui peut se rendre augmenté.

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les
arbres de mon pays. Les branches sont libres de
n'avoir pas de fruits.

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.


Dans mon pays, on remercie.

 

Qu'il vive*

 

Ce fut d'une beauté austère, nue. Le silence seul — ou la musique — était possible.

Nous entrions, apaisés, dans cette absence sans retour. 

 

 

 

*René Char, La sieste blanche, Les Matinaux, 1950/1986.


 

 

 

mercredi, 01 décembre 2010

vih cancer et autres

 

à mes compagnons "en" vie

 

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« tomber malade, vivre debout »

 

C'est le très fort et très beau titre du chapitre I de "La traversée des catastrophes", certainement manuel de survie, mais aussi traité d'amitié.