mardi, 02 août 2005
In memoriam
Il y a cinq ans, une anthropologue d’origine britannique était tuée dans un accident routier entre Kidira et Tambacounda (Sénégal oriental). Elle se nommait Adrian Adams. Elle fut pour moi l’une de ces rencontres de voyage dont on ne revient pas indemne.
Quelques pas ensemble
Quatre ans durant, Adrian Adams fut, pour moi, “l’Invisible” de Kounghani. La méconnaissance, la naïveté accumulèrent les obstacles. Et Adrian, en bonne Soninké (!) voyageait beaucoup. L’une était déjà partie quand l’autre arrivait.
L’échange avec les gens de Bouguenais ne débuta pas sous les meilleures auspices. Lors de son premier voyage officiel, en 1991, dans la Communauté rurale de Baalu, la délégation bouguenaisienne fut reçue à Kounghani dans les locaux de la Fédération des Paysans Organisés. Il fallut que la présence d’une "Blanche" solitaire, dans la cour de la concession intriguât Nicole, ma compagne, l’une des déléguées de Bouguenais, pour que nous apprenions l’existence de ce mouvement. Une correspondance entre elles autorisa un premier échange.
Lettre d’Adrian à une première demande de Nicole au sujet des livres publiés par Adrian, en date du 16 avril 1991 «...D’autre part, je vous envoie deux exemplaires d’une brochure d’information sur la Fédération des Paysans Organisés de Bakel que nous venons d’éditer, que je vous remercie de bien vouloir porter à l’attention du Comité de Jumelage. Cela permettra peut-être de remédier quelque peu à ce qui s’est passé lors de votre visite à Kounghani, où les représentants de la Fédération, y compris son Président, vous ayant reçus dans leurs locaux se sont vus évincés de la discussion par les fonctionnaires et politiciens locaux. »Les termes étaient courtois, mais, certaine l’amertume !
Nous avions les références de ses livres, c’était déjà fort bien ; nous allions chasser notre naïveté et mieux connaître La Terre et les Gens du Fleuve. Mais, le chapitre du dit livre intitulé « La pêche en eaux troubles - Nous autres » ne laissait pas augurer d’un échange prolongé. Et nous comprenions bien les réticences qu’Adrian pouvait ressentir à l’arrivée, une fois de plus, de gens qui voulaient apporter de l’aide aux défavorisés du Sahel. La notion de “coopération décentralisée entre collectivités” était encore dans les limbes ! La rumeur du “pélerinage à Kounghani” que tout bon étudiant en anthropologie, en sciences du développement, se devait de faire, ne fit que renforcer nos hésitations à poursuivre l’échange.
Mais, pressentant l’importance de la source qu’était Adrian pour notre compréhension de nos amis Soninké, je pris le relais de Nicole et tentai une correspondance avec “l’Invisible”. Il fallut la nécessité de produire, en soninké, la brochure sur le sida, publiée par l’association sénégalaise Enda, pour que se noue, dans l’agir, une relation chaleureuse et durable. Cinq cents exemplaires de la brochure furent remis à la Fédération des Paysans grâce au soutien du Bureau Jumelage-Coopération de la mairie de Bouguenais et à l’aide technique de son imprimerie.
Lettre d’Adrian en date du 23 septembre 1994 «... Je serais également heureuse de m’entretenir avec vous de questions d’alphabétisation et de développement de la lecture ; je pense comme vous que la production de textes de qualité est essentielle pour valoriser l’effort d’apprentissage de la lecture. Il me semble que nous aurions dû nous rencontrer il y a longtemps. Que cela n’ait pas eu lieu, n’est certes ni votre faute, ni la mienne. Vos hôtes obligés se sont bien gardés de vous faire savoir qu’il existait dans la communauté rurale de Ballou, une association paysanne indépendante, active dans le domaine qui vous intéressait ; car pour eux, rien ne devrait exister hors les rets de la politique locale. N’importe. »Dans ce « N’importe », étaient toute la rigueur et la grande détermination d’Adrian.
La première rencontre se fit sur les bords... de Loire quand, l’été 1995, Adrian répondit à l’invitation de Janine Planer, l’adjointe au maire de Bouguenais. Elle venait en Europe pour négocier, entre autres affaires, l’édition de son livre ultime ; elle nous fit part avec humour et férocité du refus de l’éditeur français qui estimait incertain un lectorat pour un tel oeuvre.
Il y eut d’autres rencontres sur les bords du fleuve Sénégal.
Il y eut la fraîcheur d’une calebasse de concombres, apportée par les petits-enfants de Jabé, un soir de saison des pluies, quand si peu de légumes poussent aux maraîchages. Après de rudes journées passées à parcourir les pistes de la Communauté en ne consommant que riz et viandes, la saveur de ce légume fut telle que je ne sus s’il me fallait célébrer la jardinière qui, malgré la saison, avait cultivé ces légumes ou la cuisinière qui les avait accommodés comme ma mère, à la manière de nos paysannes d’ouest, longuement “dégorgés” dans le gros sel, ce qui leur confèrent à la fois souplesse salée et douceur craquante .
Il y eut un très long échange, dans la petite cellule blanche et bleue de la concession de Jabé sur la lecture, la médiation de la parole - elle rédigeait la brochure Poissons et Pêches du Fleuve Sénégal, j’élaborais, avec mes compagnons d’Éducation populaire, MarieJo et Claude, le projet du livre À Grand-Lieu, un village de pêcheurs.
Par delà les mers et le désert, l’identique activité des hommes, la même démarche pour valoriser la parole, le même questionnement de passeurs
Que doit être un lettré qui transcrit la pensée d’un oraliste ?
Entre l’anthropologue, universitaire africaniste reconnue, et le modeste conseiller d’éducation populaire, autodidacte, une connivence se forgeait dans le même champ de labeur comment accompagner nos proches dans leur appropriation de l’écrit pour que vive, reconnue, leur pensée ?
Les efforts pour l’alphabétisation des adultes ont sans doute à voir avec le rocher de Sisyphe ou le tonneau des Danaïdes. Avec Adrian, cette année-là, en marchant sur les bords du Fleuve, lentement, très lentement, avec cette paisible lenteur qu’elle avait inimitable, nous avons rêvé de produire des petits livres pour les enfants soninkés et peuhls. C’est sans aucun doute le chemin le plus sûr.
Nous devions prendre date pour ce nouveau “maraîchage” !
Écrire qu’elle est morte en terre “étrangère” n’est que reconnaître le choix de cet aller à l’autre qu’elle avait fait, vivant en terre soninké près de Jabé Sow, affirmant ainsi son refus des passeports et des frontières et s’établissant dans la citoyenneté du monde.
En cette fin août 2000, nous étreint l’émotion du vide.
La voix qui venait du Fleuve ne nous hèle plus !
Adrian Adams anthropologue et militante
née le 30 novembre 1945
morte le 2 août 2000
Ce texte, accompagné de quelques autres, est sans doute encore lisible sur les “ruines” d’un site ancien : http://members.aol.com/rabiha1964/adrianadams.html
01:50 Publié dans Les graves | Lien permanent | Commentaires (1)
Commentaires
moi aussi les strophes de St John Perse il faut moments privilégiés pour à nouveau s'y hisser, et un peu de ciel et d'espace, et surtout "Vents"
merci d'avoir mentionné nom SLOCUM, un peu de rêve en partage
et cet hommage à la disparue
Écrit par : FBon | mercredi, 03 août 2005
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