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jeudi, 09 octobre 2008

à chaud

Le Clézio, prix Nobel !
Bien, très bien pour la langue française.
J'ai commencé de lire Le Clézio avec Désert. Je me suis arrêté avec Onitsha. Du moins ce sont les livres que je garde précieusement sur mes étagères.
Les bouquins d'avant, les bouquins d'après ?
Je m'y suis souvent ennuyé.
Merci quand même, J. M. G. Le Clézio !
Ne serait-ce que pour ces quelques lignes :


C'était un pays hors du temps, loin de l’histoire des hommes, peut-être, un pays où plus rien ne pouvait apparaître ou mourir, comme s'il était déjà séparé des autres pays, au sommet de l’existence terrestre. Les hommes regardaient souvent les étoiles, la grande voie blanche qui fait comme un pont de sable au-dessus de la terre. Puis ils écoutaient la nuit.

Ils étaient les hommes et les femmes du sable, du vent, de la lumière, de la nuit. Ils étaient apparus, comme dans un rêve, en haut d'une dune, comme s'ils étaient nés du ciel sans nuages, et qu'ils avaient dans leurs membres la dureté de l’espace. Ils portaient avec eux la faim, la soif qui fait saigner les lèvres, le silence dur où luit le soleil, les nuits froides, la lueur de la Voie lactée, la lune ; ils avaient avec eux leur ombre géante au coucher du soleil, les vagues de sable vierge que leurs orteils écartés touchaient, l’horizon inaccessible. Ils avaient surtout la lumière de leur regard, qui brillait si clairement dans leurs yeux.

...c'était le seul, le dernier pays libre peut-être, le pays où les lois des hommes n’avaient plus d'importance. Un pays pour les pierres et pour le vent... quand le soleil brûle et que la nuit gèle.


De Désert
J.M.G. LE CLÉZIO.


C'était écrit avant que le désert ne devienne un "trekking" pour randonneurs aisés.

chronique portuaire de Nantes CII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830


1825.— LES "DAMES DE LA HALLE" ET LES NAUFRAGÉS.

En octobre 1825, le navire le Seineur, armateur J.-B. Couy, rentrait à Nantes avec soixante-cinq matelots naufragés qu'il avait rencontrés en mer et arrachés à la mort. Le capitaine Prevel, qui commandait le navire nantais, les avait accueillis à son bord ; les avait nourri pendant dix-sept jours sur ses propres vivres, chacun diminuant joyeusement sa ration pour venir en aide à ces malheureux ; et les ramenait sains et saufs à Nantes.
Leur première pensée, — c'étaient des Bretons, —fut de se rendre au pied des autels ; et le spectacle était magnifique de voir ces soixante-cinq naufragés dans leur costume déchiré et souillé d'eau de mer, s'agenouiller sur les dalles de l'église où ils entendirent la messe au milieu d'une assistance considérable.
Pendant la cérémonie, les « Dames de la Halle, ces femmes qui ne sont étrangères à aucun acte d'humanité » — se plaisait à reconnaître le Journal, — prirent l'initiative d'une collecte parmi la foule qui stationnait en dehors de l'église.
Le résultat dépassa leurs espérances ; aussi, lorsque les naufragés sortirent de l'église, elles les prirent tous par le bras, et, « sans autre discours que les « larmes qui coulaient de leurs yeux, » continuèrent dans tous les quartiers de la ville la collecte commencée.
Pendant que les commerçants, réunis à la Bourse, organisaient de leur côté une souscription pour ces malheureux, les « Dames de la Halle », plus pratiques, songeaient avant tout au nécessaire, et réclamaient pour leurs protégés de chauds et solides habits ; ce ne fut pas en vain ; « des boutiques, des balcons, les nippes pleuvaient sur elles..., et ces malheureux naufragés, tout-à-l'heure presque nus et transis de froid, se trouvèrent dans un clin d'œil couverts et à l'abri des injures du temps ».
Restait à les habiller, les « Dames de la Halle » s'en chargèrent, mais le Journal ne nous dit point comment elles s'y prirent en présence de tant de monde, ni ne nous décrit « l'heureux artifice dont elles s'avisèrent pour satisfaire à la fois à la pudeur et à la nécessité ». (1).

1826. — VAPEURS NANTAIS EN 1826.

D'après une enquête faite par la Société académique sur la demande du Préfet, Nantes possédait, en 1826, cinq bateaux à vapeur seulement munis de machines de 12 à 15 chevaux, toutes de construction anglaise (2). Ils appartenaient tous à la Société fondée en 1822 par le consul américain Fenwick
__________________________________________________________________

(1) Journal de Nantes et de la Loire Inférieure, n° du 28 octobre 1825.
(2) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 3 janvier 1826.

mardi, 07 octobre 2008

la Grande Vieille

Le blogue se hâte lentement vers sa cinquième année. Ces jours-ci, j’ai dû ouvrir quelques petits chantiers de trop. Je crois bien que je ferai ma rentrée littéraire d’autre façon qu’à la manière “de Bretagne”.
Bien que les amours de Viviane et de Merlin relatées par Roubaud et par Élléouêt valent bien un long détour par le Val sans retour !

Mais deux pressent pour la semaine à venir :
• le mardi prochain, pour un après-midi autour de l'Édition et la Toile à Saint-Herblain, une relecture des textes de François Bon sur “écriture et informatique” — l’un doit daté du début de l’an 2001 quand je pataugeais dans mon premier site : il y présentait remue.net qui n'était pas encore le tiers-livre et se fendait de quatre pages de judicieux conseils à l’usage des débutants de la Toile
• le mercredi qui suit, un feuilletage des bouquins de et sur Germaine Tillion : à propos de la projection du documentaire de François Gauducheau sur les Images oubliées de Germaine Tillion, au cinéma de ma petite cité, je dois témoigner (!) — trente ans après elle, dans l’Algérie enfin en paix (?), deux ans durant, j’arpentais, en compagnie de mon vieux copain Er-Klasker, les vallées de l’Oued Abiod et de l’Oued Abdi, les ravins vertigineux et pierrailles de l’Ahmar Khaddou. Elle fut aussi, à travers ma formation et mon expérience professionnelle des Centres sociaux éducatifs, ma mère intellectuelle.

Témoigner ?
Ce soir, je me dis qu’il suffirait de lire cette assertion très spinoziste de la jeune ethnologue “aurésienne”:

« Ne pas croire qu’on sait parce qu’on a vu, ne porter aucun jugement moral ; ne pas s’étonner ; ne pas s’emporter...»

ou cette autre encore :
« Dire le vrai ne suffit pas, il faut dire le juste ! »

Cette sacrée bonne femme, une Grande Vieille, peut bien reposer dans les cieux sahariens parmi les Imouqqranen — les Grands Vieux — qui l'accueillirent naguère et boire avec eux une céleste tasse de “kawa”.

dimanche, 05 octobre 2008

variables humeurs

Hier, réjouissant passage au Musée des Beaux-Arts.
J’avais quelque retard dans mes centres d’intérêt — toujours cette contemplation hébétée de l’océan. Je suis allé voir en plus qu’excellente compagnie — Nicléane, Ja, Da, quelques-unes de leurs compagnes d’atelier et Er, leur animateur, — “Regarde de tous tes yeux, regarde”, exposition qui se veut une lecture de l’art contemporain à travers le filtre perecquien — occasion : l’anniversaire de la publication du roman de Pérec, la Vie mode d’emploi.
Er, entre sarcasme et indulgence, avait prévenu : le vide-grenier du musée. C’était pas mieux, pas pis...
Ça tient du détournement amusant et de la supercherie souriante. Soixante-dix fois, de l’une à l’autre. On ne s’ennuie pas, on passe légèrement.
Post-modernisme !

Quand on sort du musée, on n’est guère dépaysé ; à quelques pas sur les cours voisins, entre la chapelle de l’Oratoire et notre belle cathédrale, “refroidie” par Viollet-Leduc, la Foire d’automne avec ses manèges, ses baraques foraines, ses odeurs de nougat et de barbe-à-papa. Les flonflons, les pétards et les parfums mis à part, j’aurai pu intervertir loterie de foire et vide-grenier muséographique. Dommage que le billet d’entrée du musée ne pouvait être présenté pour un tour de Grande-roue.
Même le Sacré laïcisé du XIXe siècle s’est évaporé.
Post-modernisme !

Je me faisais un plaisir de poursuivre par un passage au Lieu Unique, histoire de prendre date pour les ateliers de littérature. À reculons, certes, le post-modernisme même littéraire m’effarouchant un tantinet — que dire du post-exotisme qui s’annonce ?
Dans une note précédente, j’amorçais le pointillé d’un programme qui de Pynchon, via Claro, m’entraînerait à Sollers, de Volodine via Klapka à Mathias Enard et Claude Simon.
Je laissais tomber dame DetAmbel* et ses vieillardes amours — qui pourraient être les miennes — dame Angot et ses problèmes de fouilles en caisse — ça, c’est la Boite-en-valise de Duchamp, nœud de l’expo précitée, et ses calembours** qui me troublent —
À la billetterie, je n’ai pas pris la fuite. Non, mais une rogne qui ne s’atténue point !
Cet après-midi, avant sieste, je me suis fendu d’un amer courriel à la direction du Lieu Unique:

D’une Carte jaune à une Carte rose
ou comment  LU ponctionne l'aisance des retraités !

Je souhaitais m'inscrire à nouveau aux cours de littérature contemporaine de l'Université dite "POP".
Je tiens à remercier la direction du Lieu Unique pour la "fleur" qu'elle fait aux étudiants de plus de trente ans, en leur permettant de prendre la carte rose leur "offrant" le choix de trois spectacles. Le tarif de participation passe de 24 € à 42 €.
Il est évident que les étudiants de plus de trente ans inscrits à l'Université permanente sont une classe d'âge regroupant un nombre important de privilégié(e)s et que, même non intéressé(e)s par les programmations culturelles autres que celles de l'Université dite "Pop", ils doivent participer, sans réduction, aux frais des secteurs du Lieu, sans doute déficitaires — je pense , en autres activités, aux jolis "bides" passés et à venir d'Estuaire 2007 et 2009.
Les "retraités" sont tous aisés !


Non mais !

* Avec un A majuscule pour corriger l’erreur orthographique que me souligna avec gentillesse l’OrnithOrynque.

** Du type : il faut mettre la moelle de l'épée dans le poil de l'aimée.

vendredi, 03 octobre 2008

Les cinq Pen Duick

Elles* ne sont pas quatre, mais cinq, les belles "mésanges à tête noire", dans la lumière crue d'un front froid.

penduick.jpg



* Les voiliers se déclinaient naguère au féminin.

tout-venant du jour

Je crains d'être parfois trop sérieux. J'envie Berlol qui peut lire en pédalant. Moi, je ne peux rien faire en nageant !
Ce matin, non pas rentrée littéraire — ça tarde à venir, ma petite "matière de Bretagne", ça s'écrit, ça se lira — mais ma rentrée "scolaire"... "universitaire" — université de tous les âges !!! — pour donner dans la "pompe" : je reprends le Grec ancien ; l'aventure avec Aristote rapportant les propos d'Héraclite dans ses "chiottes" ne fait que m'y encourager (voir la note du 8 février de l'année en cours, j'y reviendrai).
Après Jardins et philosophie, je me balance dans Poésie et philosophie selon Mallarmé deux fois par mois. Rien que ça ! Et j'espère : six soirées sur SPIP, ma "belle Arlésienne".

J'irais en pointillé aux Ateliers de liitérature contemporaine du Lieu Unique. Claro y revient à propos de Pynchon, mais le programme et son artisan, Bruno Blanckeman, me paraissent avoir été phagocytés par la petit maffia "Mondaine" : Savigneau, Valérie Marin La Meslée, Kéchichian, Houssin y intervenant.
Après le post-modernisme, nous allons dans le post-exotisme. C'était déjà très tendance à l'ancienne usine des Petits-Beurre* nantais, ça le devient furieusement !
Bon en vrac, y seront abordés Tournier, Manbanckou, Sollers, Simon ! Et puis viendront Dames Garréta, Lenoir, Detembel, Caligaris, Minard ; s'intercaleront Volodine, Federman, Énard, Viel ! L'indigestion aux petits-beurre, vous dis-je. Et quand j'ajouterai que dans quelques jours, Dame Angot à l'écrirure si rapide viendra y lire à propos de ses problèmes de "trous", le fossé sera comblé !
Je mets terme à mes éructations cacochymes, ça va se sentir que j'ai des soucis avec le lieu "in" de la culture nantaise.

La culture nantaise qui retrouve sa culture maritime ! Quatre PEN-DUICK dans le bras de la Madeleine : le II, le III, le V et le VI. Tabarly était un enfant de cette ville.
Mais c'est bien mesquin quand on rêve au passé des Chantiers.
Ô tempora, Ô mores !

* J'ai hésité à propos de l'orthographe : un petit-beurre, des petits-beurre. L'usage veut beurre au singulier ; il est sage, l'usage, il s'agit bien de petits gâteaux... au beurre.

jeudi, 02 octobre 2008

Chronique portuaire de Nantes CI

Voici donc l'antépénultième chronique. Plus de corsaires, plus de négriers, encore moins de pirates et la Voile réduit ses toiles. Je laisse place à l'épilogue écrit par notre chroniqueur :

Avec la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, nous arrêtons ces « Annales de la Marine Nantaise », non pas certes que cette marine disparaisse précisément en 1830, mais simplement parce qu'à cette date correspond une phase nouvelle de son histoire.
Et, en effet, tandis que la fin des corsaires et des négriers vient enlever à ces pages tout leur intérêt anecdotique, — le seul que nous ayons eu en vue, — la vapeur, sortie de la période des tâtonnements et des essais, s'apprête à révolutionner le commerce maritime et son instrument obligé : le navire.
Paul LEGRAND


Du Commencement du XIXe Siècle à 1830

1824. — L'INVENTEUR DU BATEAU ZOOLIQUE MÉDAILLÉ.

Vers la fin de 1824, le jury central de l'Exposition des produits de l'industrie française, organisée à Paris, décernait une médaille de bronze à l'inventeur nantais Guilbaud, pour son bateau zoolique, mu par des chevaux sur plan incliné.
Le bateau zoolique avait exécuté de nombreuses expériences sur la Seine, entre le Pont-Neuf et les Invalides et, de l’avis de tous les spectateurs, le procède adopté par Guilbaud semblait des plus pratiques ; ayant une vitesse peu inférieure à celle des vapeurs, et d'autre part, présentant sur ces derniers l'avantage d'une économie considérable de construction et d'exploitation.
Le bateau zoolique mis en service sur l'Erdre continuait d'ailleurs toujours ses voyages de Nantes à Nort, et organisait fréquemment des excursions supplémentaires en plus de ses départs réguliers.
Le même jury décernait également une médaille de bronze au constructeur nantais Bertrand-Fourmand pour les modèles de câbles en fer qu'il présentait, et qui, dans son esprit, devaient être substitués aux câbles de chanvre encore exclusivement employés dans la marine militaire (1).


1825. — PREMIER VOYAGE DE NANTES A PARIS ACCOMPLI PAR MER PAR UN VAPEUR NANTAIS.
LE “PARISIEN” - LE “COURRIER” - LA “PARISIENNE”.

C'était un tout petit vapeur que celui qui, le 28 mai 1825, quittait Nantes pour se rendre à Paris, et effectuer le long et périlleux voyage autour de la Bretagne, sur ces côtes semées de tant de récifs tristement célèbres et hérissées de caps toujours entourés de tempêtes.
II s'appelait le Parisien, étant destiné au service fluvial de la Seine ; avait une longueur d'à peine quatre-vingt trois pieds, de tête en tête ; et calait tout simplement deux pieds, ce qui était bien minime, en vérité, pour un vapeur devant travers de si dangereux parages. Il avait été construit sur les chantiers nantais ; mais sa machine, une modeste petite machine à basse pression de douze chevaux, venait d'Angleterre et avait été construite à Liverpool. Quant à son équipage, il était à l'avenant, et se composait : « d'un ancien capitaine au cabotage, d'un marinier de la Loire, d'un mécanicien peu capable, de deux chauffeurs, d'un ancien soldat dont on fit un cuisinier, d'un passager, du constructeur du bateau, de son fils et de son gendre ; tous, excepté le patron, sans aucune habitude de la mer ».

Parti de Nantes à midi, il n'arriva qu'à sept heures du soir à Saint-Nazaire, et prit la mer le lendemain 29 mai, à trois heures du matin. À onze heures, en face d'Hœdic, il faisait la rencontre d'un banc de sardines qui émerveillait considérablement le novice équipage ; puis, à quatre heures, il passait devant Belle-Ile, et comme la mer commençait à grossir et que des vagues de plus en plus pressées et de plus en plus hautes assaillaient, le pauvre petit vapeur se mit à danser follement, et bien au-delà, certes, de tout ce qu'il avait pu imaginer de plus terrible.Tantôt il piquait de l'avant, le nez dans une lame et son gouvernail affolé battant l'air, tantôt il se couchait sur le flanc, l'un de ses volumineux tambours s'enfonçant sous la vague qui menaçait à chaque instant de l’emporter, tandis que son autre roue tournait désespérément dans le vide. Bref, au bout de quelques milles de cette navigation mouvementée, tout l'équipage, sauf le capitaine, était en proie au mal de mer, et jusqu'au mécanicien et aux deux chauffeurs « dont les vomissements bruyants trahissaient l'état de détresse ». Incapable de continuer plus longtemps ce voyage, son malheureux capitaine courant perpétuellement de la barre à la chambre des machines pour alimenter les fourneaux, le Parisien mettait le cap sur Lorient pour y passer la nuit, et fort heureusement, au moment où il cherchait à tâtons le chenal, les fusées volantes du feu d'artifice qu'on tirait à Lorient pour le couronnement « de S.M. Charles X, qui se faisait sacrer ce jour même à Reims, lui servirent de phare et lui permirent de s'ancrer, à onze heures du soir, en face de Port-Louis ».

Le lendemain, à quatre heures, il repartait, bien que la mer fût encore très houleuse ; doublait la pointe du Raz à huit heures et demie, et, rencontrant une barque de pêche, la hélait pour lui demander sa route ; mais le pêcheur qui la montait, « épouvanté à l'aspect, nouveau pour lui, d'un bâtiment marchant sans voiles ni rames et exhalant une épaisse fumée », se hâta de s'enfuir à pleine voile, laissant le malheureux petit vapeur à son triste sort. Fort triste, en vérité ; il ne connaissait plus sa route ; son équipage était rendu de mal de mer ; son combustible commençait à manquer ; et de tous côtés de grandes taches pâles d'écume et de sinistres bouillonnements lui décelaient la présence d'écueils. Aussi mit-il son pavillon en berne, portant son propre deuil, le pauvre petit navire, et s'apprêtant à chaque instant à disparaître au milieu des rochers aigus et des tourbillons sauvages des mers bretonnes.

Le salut lui vint sous la forme d'une barque montée par huit douaniers qui, le prenant pour un fraudeur anglais, s'étaient lancés depuis l'aube à sa poursuite. Le capitaine les héla avec un grand soulagement, et leur expliqua qu'il venait de Nantes et qu'il se rendait à Paris, « ce qu'on prit pour une plaisanterie ». Enfin, l'un des douaniers consentit à servir de pilote au petit vapeur, et, le soir venu, le Parisien s'ancrait à l'île de Batz. où il avait été chercher un asile contre la tempête.

À trois heures du matin il en repartait, faisant route sur « Grenezey » ; mais le douanier-pilote, effrayé de l'état de la mer et des gémissements lamentables du petit vapeur, craquant lugubrement à chaque secousse, mit la barre sur la baie de Perros, où le Parisien entra, entouré d'une nuée de barques de pêcheurs « attirés par l'intention de porter secours, la fumée leur faisant croire qu'il s'agissait d'un navire en feu », mais attirés aussi « par l'espoir de se livrer au pillage » des épaves du soi-disant navire incendié.

À peine arrivé, le vapeur nantais recevait la visite des douaniers, visite qu'il attribua d'ailleurs « plutôt au désir de voir un bâtiment d'un genre tout-à-fait inconnu dans ces parages, qu'au soupçon et à l'austérité de leurs devoirs ».

Le 4, à dix heures, le Parisien appareillait pour Saint-Malo, au milieu de « la fougue vraiment effrayante des marées de la Manche, accrue par un vent violent », et, à huit heures du soir, il mouillait en rade de Saint-Servan. À peine y était-il entré, qu'une « épaisse colonne de fumée annonçait dans le lointain, du côté de la Rance, l'arrivée du Courrier. Ce vapeur, construit à Nantes sur les mêmes chantiers que le Parisien, avait été vendu à une Société de Saint-Malo pour faire le service entre cette ville, Dinan et Jersey ; il était parti de Nantes deux jours avant le Parisien, et revenait de Dinan après avoir effectué le premier voyage de son service.
Les deux Nantais se saluèrent, leurs pavillons et fanions arborés, à grands carillons de leurs cloches et acclamations de leurs équipages.

Le 6 juin, à quatre heures du matin, le Parisien quittait Saint-Malo pour se diriger sur Le Havre où il s'amarrait à onze heures et demie du soir. Le Parisien y fit sensation ; « des bateaux destinés à transporter les voyageurs, le vapeur nantais était, en effet, le premier qu'on y eut vu appartenant à des Français » ; aussi, l'enthousiasme fut-il très grand et manifesté « d'une manière très énergique », quand on vit le petit vapeur, « dans le trajet de trois lieues qui sépare Le Havre de Honfleur, devancer d'un tiers du chemin la Duchesse-de-Berri, paquebot appartenant au consul américain ».

D'ailleurs, depuis qu'il était en eau douce, oii tout an moins saumâtre, le Parisien semblait tout ragaillardi ; il filait à toute allure, battant l'eau calme de la rivière de ses larges palettes, et déroulant derrière lui une longue volute de fumée capricieuse. « À cette époque, les bateaux à vapeur étaient rares sur cette partie de la Seine ; cette navigation avait encore tout le charme de la nouveauté », aussi « la foule se portait-elle sur la rive ; partout éclatait la curiosité, la satisfaction », excitée par « les décorations brillantes... et la forme svelte et gracieuse » du vapeur nantais, qui, tout petit au milieu de l'immensité de la mer, et tout frêle en présence des éléments déchaînés, prenait les proportions d'un majestueux et solide paquebot entre les deux rives du fleuve où l'eau coulait très calme, à peine ridée par le vent.

Dans la nuit du 9 au 10, le Parisien passait le pont de Rouen, et repartait le 10, dès l'aube. La navigation était loin, d'ailleurs, d'être très rapide, ni très facile, car la Seine était alors encombrée de moulins, d'écluses et de pêcheries ; et, comparant cette rivière à la leur, les Nantais constataient que « tandis que sur l'une on évite avec soin de gêner la circulation, sur l'autre on croirait qu'on a pris plaisir à multiplier les obstacles,.... et, sans ces entraves, on pourrait, — ajoutaient-ils, — remonter du Havre à Paris en douze jours, au moyen de bateaux accélérés, semblables à ceux dont on se sert sur la Loire, employant tour à tour la voile et des chevaux, et en six jours, à l'aide de remorqueurs à vapeur d'une construction légère. »

Après de longues stations aux ponts et aux écluses, aidés par des chevaux dans les passages difficiles, les Nantais, qui avaient eu l'idée heureuse de prononcer « le nom d'une personne de la famille royale qu'on voit souvent parcourir ces bords », afin de faire supposer que leur navire lui était destiné et activer un peu, par ce moyen, la lenteur des éclusiers, entraient majestueusement à Paris, le dimanche 12 juin, et, passant le Pont-Royal au bruit strident de leur sifflet, s'amarraient à trois heures de l'après-midi « près des bains Vigier ».

Après quelques jours de station au Pont-Royal, pour reposer le petit vapeur des fatigues de son long voyage, et satisfaire la curiosité des Parisiens, « les actionnaires ayant décidé qu'on placerait le bateau sur la Haute-Seine, pour faire le service de Paris à Melun, on le mit en mouvement. » Au passage du Pont-Neuf, une barque, s'étant approchée trop près, fut emportée par le courant sous les roues du vapeur et chavirée ; des deux hommes qui la montaient, un seul parvint à se sauver à la nage et fut recueilli au pied du Louvre, l'autre disparut ; au pont Notre-Dame et au Pont-au-Change, le vapeur fut incapable de remonter seul le courant et dut être halé de la berge par des chevaux ; enfin, ces obstacles surmontés, le Parisien fut amarré en dehors de Paris, et le lendemain, à sept heures et demie, il partait pour Melun d'où il revenait le soir même et rentrait à neuf heures à Paris.

Toutefois, après neuf voyages, « les actionnaires, découragés par des contrariétés de tout genre, par l'énormité des droits réunis, et par des passages où il fallait attendre son tour, se décidèrent à vendre le bateau. » II fut acheté par un particulier qui le mit en société, et en commanda de suite un second au même constructeur nantais ; et l'année suivante, la Parisienne quittait Nantes et faisait route vers Paris où elle arriva, après un voyage tout aussi long et tout aussi mouvementé que celui du Parisien (2).

(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 5 novembre 1824.
(2) Le Lycée Armoricain, 10° volume, 1827, pp. 223 et s.

RAPPEL

Ces chroniques sont tirées de
Marins et Corsaires Nantais
par Paul Legrand
Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs
7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908

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