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Chronique portuaire de Nantes XLI

Cette 41ème Chronique est manière de me réjouir de la belle, quoique coûteuse, rénovation du château de nos Ducs de Bretagne. Le Fleuve de nos corsaires en baignait encore au XVIIIe siècle les murailles sud. Il serait bien que les Marseillais se souviennent de Jacques Cassard qui fréquenta pacifiquement les rivages maghrébins
Du commencement du XVIIIe Siècle à la Révolution
1709. — EXPLOIT DE JACQUES CASSARD DEVANT MARSEILLE. En 1709, Cassard se trouvait à Toulon, et armait en grande partie à ses frais deux vieux vaisseaux : le Sérieux, de 28 can., et l’Éclatant, de 66 can., que le ministre de la Marine Pontchartrain lui avait abandonné ; on adjoignit bientôt à cette petite division la corvette de 6 can., la Diligente. C'est alors que Marseille, bloquée par les Anglais, et en proie à la famine, fit supplier le marin nantais d'aller à la rencontre d'un convoi de blé qu'elle attendait, et de l'escorter ; « Nos navires seront en sûreté, — lui dirent les députés de la ville, — lorsque M, Cassard les escortera ». Cassard accepta, et le 29 avril 1709, la flotte anglaise, composée de quinze vaisseaux, attaquait le convoi et son escorte. Durant tout un jour, Cassard, à bord de l'Éclatant désemparé et rasé comme un ponton, foudroya l'un après l'autre ses adversaires. Finalement, les Anglais renoncèrent à s'emparer du convoi, et se retirèrent. Le convoi entra à Marseille, et l’Éclatant, proche des côtes de Barbarie, alla se faire réparer à Porto-Farina, dans la Régence de Tunis, où Cassard fut reçu avec acclamations (1). CAMPAGNES DE JEAN VIE EN 1709. Revenu dans sa ville natale en 1709, Jean Vié y commanda le Lusançay, de 200 tx., 24 can. et 196 h. d'équipage. Le corsaire nantais sortit de la Loire le 28 novembre 1709, avec une Commission de guerre de S. A. le Comte de Toulouse, amiral de France ; et durant les années 1709 et 1710, entreprit trois croisières de course, qui coûtèrent aux ennemis quarante-cinq navires, parmi lesquels : le REBÉCCA, le PHÉNIX, le KINGFISH, le BRISWATER, la PROVIDENCE et le PORT-ROYAL que Vié ramena à Nantes. Tout n'était pas rose d'ailleurs dans ce métier de Corsaire ; c'est ainsi que le 27 mai 1710 l'équipage du Luzançay se révoltait en mer contre ses officiers ; et Vié, à la tête de son état-major, ne vint à bout des mutins qu'à coup de sabre. Les plus enragés furent mis aux fers ; et le matelot Belas, coupable d'avoir octroyé un coup de couteau à son capitaine, fut attaché, le torse nu, à un canon et reçut un certain nombre de coups de « furin » (2). 1710. — EXPLOIT DE JACQUES CASSARD. javascript:; En 1710, Cassard renouvelait devant Marseille son exploit de l'année précédente. Le 9 janvier, en effet, avec les navires le Parfait de 70 can. qu'il commandait, le Toulouse , le Sérieux et le Phénix, vaisseaux de 500 à 700 h. d'équipage, il débloquait dans le golfe Jouan un convoi de quatre-vingts voiles, chargé d'environ 100.000 charges de blé, estimées six millions, et destinées à ravitailler Toulon et Marseille, Cassard avait eu à lutter avec ses quatre vaisseaux contre une escadre anglaise de six vaisseaux et deux frégates ; et rentra triomphalement à Marseille avec le convoi, et deux des vaisseaux de guerre anglais : le PEMBROKE et le FAUCON dont il s'était emparé. C'est à la suite de ce beau fait d'armes que Cassard reçut le brevet de capitaine de frégate (3). LE CORSAIRE “LA BÉDOYÈRE”. Le 18 mai 1710, le corsaire nantais La Bédoyère, de 380 tx, 26 can., et 84 h,, sorti de la Loire le 3, rencontrait quatre frégates anglaises dont trois lui donnaient la chasse ; elles comptaient l'une 30 can., , l'autre 18, et la troisième 10. Pendant quatre heures, le capitaine Le Coq, commandant La Bédoyère, soutint, avec ses 26 can., et 84 h., le choc de ses trois adversaires qu'il réussit à mettre en fuite après un combat héroïque. Sa victoire assurée, le corsaire nantais se lança à la poursuite de ses ennemis et leur donna la chasse ; mais le brave Le Coq dut l'abandonner, son grand mât, endommagé par un boulet, menaçant de rompre sous le poids des voiles (4). (1) DE LAPEYROUSE-BONFILS, Histoire de la Marine française, t. II, pp. 112-113. L. GUÉRIN, Histoire maritime de France, t. IV, p. 147, RICHER, Vie de Cassard, pp. 37 et suiv. (2) S. DE LA NICOLLIÈRE-TEIJEIRO, La Course et les Corsaires de Nantes, pp. 92-94. (3) L. GUÉRIN, Histoire Maritime de France, t. IV, pp. 149-150. RICHER, Vie de Cassard, pp. 48 et suiv. (4) S. DE LA NICOLLIÈRE-TEIJEIRO, La Course et les Corsaires de Nantes, p. 88.

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jeudi, 15 février 2007 | Lien permanent | Commentaires (1)

Chronique portuaire LIV

Du Commencement du XVIIIe Siècle à la Révolution
1756. — DU CHAFFAULT ET " L'ATALANTE ". Appelé en 1756 au commandement de la frégate Atalante, de 34 can., Du Chaffault capturait, aux abords de la Martinique, le vaisseau anglais le WARWICK, de 64 can., après une lutte de cinq heures. Au moment où ce navire amenait pavillon, le Lieutenant-général d'Aubigny arrivait sur les lieux avec deux vaisseaux, et reçut le pavillon du WARWICK en qualité de chef hiérarchique de Du Chaffault. Toutefois, le capitaine vaincu déclara franchement : « Je remets mon pavillon à M. d'Aubigny, mais la prise de mon navire est due à M. Du Chaffault ». Ce dernier ramena en effet à Rochefort cette belle prise, dont il reçut le commandement. A la suite de ce brillant fait d'armes, Louis XV lui écrivit de sa main une lettre de satisfaction, et donna l'ordre aux peintres des galeries de Versailles de consacrer un tableau à ce glorieux épisode (1). LA GALISSONNIÈRE, " LE VAINQUEUR DE PORT-MAHON ". Le Marquis Barin de la Galissonnière, Lieutenant général des armées navales, sortait de Toulon, le 10 avril 1756, avec une escadre de douze vaisseaux et six frégates, escortant cent cinquante navires de commerce sur lesquels étaient embarqués quinze mille hommes de troupe. Ce corps expéditionnaire, placé sous les ordres du Duc de Richelieu, s'emparaît le 17 avril, de Minorque, but de l'expédition. Le 10 mai, une flotte anglaise de treize vaisseaux et cinq frégates commandée par l'amiral Byng attaquait la flotte française dans les eaux de Port-Mahon. La Galissonnière, monté sur le Foudroyant, de 80 can. et 805 h., soutint bravement l'attaque, et força les Anglais à se retirer après une lutte acharnée. Ce succès eut en France un retentissement énorme ; et si la flatterie du moment fit décerner au duc de Richelieu le titre de Vainqueur de Port-Mahon, le brave marin nantais, auquel il revenait de droit, ne tarda pas à en être investi, et ne fut plus connu que sous ce nom glorieux. Son adversaire, le malheureux amiral Byng, condamné à mort pour s'être laissé battre, fut « harquebusé » dès son retour en Angleterre (2). Le 30 juillet, les Nantais recevaient la nouvelle de l'éclatant succès de la Galissonnière, et, dès le soir même, un Te Deum solennel réunissait à la cathédrale la population toute entière, heureuse de s'associer au triomphe de son compatriote (3). MORT DE LA GALISSONNIÈRE. Ce fut l'année même de son triomphe à Port-Mahon, que mourut le brave De la Galissonnière. Le 26 août 1756, en effet, il fut enlevé par la maladie à Nemours, alors qu'il se rendait à Fontainebleau où le Roi l'avait mandé pour lui donner le grade d'amiral. Il fut regretté de toute la marine, mais spécialement peut-être des matelots qui l'avaient toujours trouvé bon, compatissant et plein de patenelle affection, en même temps que constamment soucieux de leur bien-être. Petit et bossu, la Galissonnière n'avait rien du marin de cour, ni même du marin de commandement ; mais, tacticien habile, il excellait à préparer et combiner les opérations du fond d'un cabinet ; parfait administrateur, il fut plusieurs années Commissaire général de l'artillerie à Rochefort ; colonisateur intelligent, il contribua largement à la prospérité du Canada, où il fut longtemps gouverneur militaire ; enfin, botaniste passionné, il profitait de ses croisières dans les colonies pour y introduire des espèces utiles ; et mainte de nos possessions lui doit encore peut-être la présence de telle ou telle plante d'usage constant (4). On voit encore au n°1 de la rue Fénelon (ancienne rue des Saintes-Claires), l'hôtel qu'il habitait à Nantes et qui, dès le XVIIe siècle, est indiqué sous le nom d'hôtel Barin de la Galissonnière. LE CORSAIRE " MÉNIL-MONTANT ". Le corsaire le Ménil-Montant, de 22 can. et 100 h,, parti de Nantes le 27 avril 1756, était pris trois jours plus tard par deux vaisseaux de guerre anglais, après une résistance héroïque. Enregistré dans la marine anglaise sous le nom de Bos-cawen. il n'y demeura pas longtemps, d'ailleurs, car peu après il fut repris par deux frégates françaises ; la Thétis et la Pomone, et ne se fit pas faute dans la suite, de faire rudement expier aux Anglais sa courte mésaventure (5). _____________________________________________________ (1) L. GUÉRIN, Histoire maritirne de la France, t. IV, pp. 353-4. Revue du Bas-Poitou, Année 1906, p. 117. (2) GUIZOT, Histoire de France, t. V, pp. 170-71. TROUDE, Batailles navales de la France, t. I, p. 331. (3) MELLINET, La Commune et la Milice de Nantes, t. V, p. 169. (4) L. GUÉRIN, Histoire maritime de France, t. IV, p. 331. Lycée armoricain, 10e vol. 1827, p. 114. Annales de la Société académique, année 1868, pp. 40-48. (5) A. PÉJU, La Course a Nantes aux XVIIe et XVIIIe siècles, p. 257.

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jeudi, 31 mai 2007 | Lien permanent

où l'on apprend que Viviane est fille de Diane la Grecque 5

« Elle est la fille de Diane la Grecque et c'est pourquoi tu vois i i âne dans son nom. Elle vivra dans un château sous un lac, que je lui bâtirai, et c'est pourquoi il y a dans son nom ces vagues : v, v écrivent les vagues qui viennent, n, n écrivent les vagues qui s'en vont. »

Quelques jours avant de disparaître, Merlin vint faire ses adieux à Blaise. Ayant réglé quelques affaires en suspens avec le pape, il quitta Rome pour la Nortombrelande qu'il atteignit en moins d'une journée. Il dit alors à Blaise qu'il le voyait pour la dernière fois, qu'il s'en allait séjourner auprès de son amie et qu'il ne serait plus jamais en son pouvoir de la quitter et de se déplacer à son aise. « S'il en doit être ainsi, pourquoi y vas-tu donc ? » dit Blaise douloureusement. Mais si Merlin ajouta quelque chose, nous ne sommes pas près de le savoir.

Merlin vint à Viviane et ils séjournèrent longtemps ensemble. Un jour enfin ils allaient main à main, causant dans la forêt de Brocéliande, quand ils rencontrèrent un buisson beau, vert et haut, une aubépine toute chargée de fleurs. Ils s'arrêtèrent à son ombre et Merlin mit sa tête sur le ventre de la demoiselle. Et elle aussitôt commença à le caresser, tant qu'il s'endormit. Quand la demoiselle sentit qu'il dormait, elle se leva vivement et fit un cercle de son jupon tout autour du buisson et de Merlin. Puis elle commença son enchantement, tenant encore la tête de Merlin serrée contre son ventre. Ensuite elle attendit qu'il se réveille. Lui, s'éveillant, regarda autour de lui, et il lui sembla qu'il se trouvait dans la plus belle tour du monde, couché dans le plus beau des lits : « Ah, demoiselle, dit-il, ne resterez-vous pas avec moi ? jamais je ne pourrai m'évader de cette tour », et elle : « Beau doux ami, j'y viendrai souvent. Vous m'y tiendrez entre vos bras et moi vous. Je ferai désormais tou
t à votre plaisir. » Alors elle lui montra comment et Merlin ne sortit plus de la forteresse. Mais elle y pénétrait et en sortait comme elle voulait.

 

"Fille de Diane la Grecque" ? Jacques Roubaud commence bien sa réécriture sur Viviane et Merlin ! Jongleur de mythologies, il attribue  adroitement à Artémis la Grecque le nom de Diane la Latine ; car le mathématicien oulipien si rigoureux n'aurait pu s'offrir, à propos de Viviane,  le jeu de lettre sur le "I",  les "V" et le "N". Et puis après moult copistes gallois latinisés et moines français ignares ou emberlificotés dans les mythologies celtes, grecques et latines, il y a bien de quoi perdre son Grec !

 

Qu'un auteur d'origine provençale et l'assumant, se confronte à la geste arthurienne ce ne peut être que décalé et plein d'humour. Roubaud ne consacrera qu'une section, intitulée CONTE, en deux chapitres à Merlin; il s'appuie certainement sur le Huth-Merlin, une adaptation du récit primitif, la « vita merlini ». L'on y voit surgir un certain Blaise dont Roubaud fait le scribe de Merlin, Roubaud se faisant lui-même tout au long de ce Graal Fiction* le lecteur et le scribe de Blaise :

 

Nous lisons dans le conte que Merlin aima Viviane et fut par elle endormi et enfermé; que nul homme ensuite ne le revit jamais, pas même Blaise son maître. Et, comme Blaise est le scribe du conte, comme le conte rapporte toutes les choses prédites par Merlin et par Merlin à Blaise rapportées, nous devons penser que Merlin sut à l'avance son amour pour Viviane, qu'il en connut la fin et en fit écrire les circonstances avant de se soumettre à sa destinée.

Mais rien dans le conte n'est si simple; ce que Merlin dicte à Blaise dans le livre du Graal, ce que Blaise ensuite rédige lui-même une fois Merlin disparu, n'est que ce qui arrive, se passe : le passé. Le futur ne paraît que dans les prédictions faites par Merlin exprès pour être placées dans le livre; mais jamais elles n'effleurent le futur du conte, jamais elles ne sont autres que rejointes, achevées quand le conte est écrit. C'est pourquoi l'avenir dans le conte est par essence variable, le futur y est antérieur. Puisque Blaise ne nous dit que ce qu'il peut dire, qui est ce que Merlin lui dit de dire et, quand Merlin n'est plus là, ce qu'on raconte. Blaise, sans doute, sait toujours ce qui sera, ce qui a été quand est venu le moment d'être, mais il ne peut pas tout dire : ni ce que Merlin n'a pas voulu dire, ni ce qu'il n'est plus là pour dire. Le sort de Merlin demeure ainsi pour nous dans quelque incertitude.

Avec malignité, Roubaud va ainsi tout au long de son ouvrage entremêler sa paraphrase du texte arthurien, centré surtout sur Gauvain, personnage certes non secondaire, mais non plus central de la Geste, de ses commentaires, explications et gloses sur le contenu et les structures du récit.

 

Il clôt son œuvre par une section six nommée Quincaillerie dont le seul mot entre parenthèses est

(Retardée).

Au lecteur de s'attarder donc dans un magasin à meubler soi-même qui doit retentir des bruits de ferraille des heaumes, hauberts et autres chausses de maille.

 

* Jacques ROUBAUD, Graal fiction, Gallimard, 1978.


 

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vendredi, 19 juin 2009 | Lien permanent

Viviane et son Enchanté au tombeau 4

merlin002.jpg.... Merlin s'en alla dans les forêts profondes, obscures et anciennes. Il fut de la nature de son père, car il était décevant et déloyal et sut autant qu'un cœur pourrait savoir de perversité.


Il y avait dans la contrée une demoiselle de très grande beauté qui s'appelait Viviane ou Éviène. Merlin commença à l'aimer, et très souvent il venait là où elle était, et par jour et par nuit. La demoiselle, qui était sage et courtoise, se défendit longtemps et un jour elle le conjura de lui dire qui il était et il dit la vérité. La demoiselle lui promit de faire tout ce qu'il lui plairait, s'il lui enseignait auparavant une partie de son sens et de sa science. Et lui, qui tant l'aimait que mortel cœur ainsi ne pourrait plus aimer, promit de lui apprendre tout ce qu'elle demanderait : « Je veux, fait-elle, que vous m'enseigniez comment, en quelle manière et par quelles fortes paroles je pourrais fermer un lieu et enserrer qui je voudrais sans que nul ne pût entrer dans ce lieu ni en sortir. Et je veux aussi que vous m'enseigniez comment je pourrais faire dormir qui je voudrais.

Merlin lui enseigne ce qu'elle demande et la demoiselle écrit les paroles qu'elle entend, dont elle se servait toutes les fois qu'il venait à elle. Et il s'endormait incontinent. De cette manière, elle le mena très longtemps et quand il la quittait, il pensait toujours avoir couché avec elle. Elle le décevait ainsi parce qu'il était mortel; mais s'il eût été en tout un diable elle ne l'eût pu décevoir, car un diable ne peut dormir. A la fin, elle sut par lui tant de merveilles qu'elle le fit entrer au tombeau, dans la forêt profonde, obscure et périlleuse.
Et celle qui endormit si bien Merlin était la dame du lac où elle vivait. Elle en sortait quand elle voulait et y rentrait librement, joignant les pieds et se lançant dedans.

 

Voici donc la seconde version de la rencontre de Viviane et de Merlin ; c'est écrit par un jeune homme de dix-huit ans, fils naturel d'une jeune femme, fille d'un camérier du Pape — sait-on encore aujourd'hui ce qu'est un camérier du Pape ?

Inspiré directement du Lancelot-Graal, les premières pages en sont une transcription et elles peuvent paraître pleines de noirceur. Merlin est vraiment le fils de son père, un diable donc décevant et déloyal et (qui sait) autant qu'un cœur (peut) savoir de perversité.

Viviane, sous ses atours sages et courtois, une belle garce, qui dupe un Enchanteur subjugué et si peu lucide.  Le château de verre (ou la bulle d'air) n'est qu'un sombre tombeau.

Bref, le commencement est plus un pastiche où un lycéen, meurtri peut-être par de premières amours un peu vachardes, règle sa misogynie adolescente qu'une recréation du mythe Merlin.

 

Mais à quelle source, dans quelle bibliothèque ce lycéen a-t-il puisé ce savoir ? On saura Apollinaire, grand lecteur pour survivre, de la Bibliothèque Nationale, à l'instar de l'autre grand adolescent des lettres en ce début du XXe siècle, son cadet, Frédéric Sauser dit Blaise Cendrars. Ils s'y rencontreront d'ailleurs. Mais, à dix-huit ans par la grâce de quelle boulimie de lectures, pétries dans quel imaginaire ?

 

L'écrit, publié en 1904 en revue, sera repris, amplifié pour être édité en 1908 avec des gravures sur bois d'André Derain. Les ajouts au mythe de Merlin sont un délicieux délire érudit d'où surgissent un premier druide, un second druide, Morgane, — la dame qui aime les jeunes gens pour leur braguette, hélas ! trop souvent rembourrée, des sphinx, un hibou, des guivres, des grenouilles, Lilith, trois faux Rois Mages, des elfes, Médée, Dalila, Hélène, l'archange Michel, un rossignolet, un ichtyosaure, Léviathan et Béhémoth, Saint Siméon Stylite, et comme l'Enchanteur n'en finit point de pourrir — il est éternellement pourrissant — auront le temps de surgir des siècles passés, d'autres encore et Énoch, Élie, le Juif errant, Empédocle, Apollonius de Tyane, Salomon et... Socrate !

 

Une Onirocritique fermera l'ouvrage dans une tonalité rimbaldienne ; le Surréalisme peut naître.

 

Des vaisseaux d'or, sans matelots, passaient à l'horizon. Des ombres gigantesques se profilaient sur les voiles lointaines. Plusieurs siècles me séparaient de ces ombres. Je me désespérai. Mais, j'avais la conscience des éternités différentes de l'homme et de la femme. Des ombres dissemblables assombrissaient de leur amour l'écarlate des voilures, tandis que mes yeux se multipliaient dans les fleuves, dans les villes et dans la neige des montagnes.


Apollinaire a échoué, pour notre heur, dans son exercice de pourrissement : Merlin peut aujourd'hui encore resurgir et faire entendre son cri en forêt de Paimpont, du côté de la Fontaine de Barenton.

 

À propos, à Houat, le vallon de Lenn Her Hoad était désert ce samedi 13 juin : Gweltas et Taliésin étaient sans doute partis, fuyant la foule des randonneurs, des plaisanciers et des baigneuses du week-end, s'entretenir dans les landes du Tréac'h Béniguet.

J'ai embouqué hier soir l'estuaire de Vilaine, avec un désespoir léger de ne les avoir point rencontrés. Mais d'autres très douces nouvelles m'attendaient à quai.

 

 


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lundi, 15 juin 2009 | Lien permanent | Commentaires (1)

Chronique portuaire de Nantes XCVIII

Du Commencement du XIXe Siècle à 1830
...et en l'an 2008 !
1822. — " LA LOIRE " LE PREMIER VAPEUR CONSTRUIT À NANTES.Le Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure du 25 mai 1822 publiait l'avis suivant :« Le premier bateau à vapeur construit dans cette ville, dans le chantier de M. Guibert, et qui sera lancé très prochainement est, dit-on, destiné à la navigation de Nantes à Paimbœuf ».Ce navire appelé la Loire, et construit pour le compte d'une société, dont MM. Strobel et Fenwick, consuls des États-Unis, l'un à Bordeaux, l'autre à Nantes, étaient les promoteurs, fut lancé le jeudi 6 iuin 1822, « en présence d'un immense concours d'habitants, répandus de toutes parts sur la Loire dans de petites embarcations, sur les îles voisines du chantier, et sur tous les quais de la Fosse.»Après des essais très satisfaisants, auxquels assistèrent le Préfet et les autorités de la ville, la Loire fut livrée au public ; et MM. Strobel et Fenwick organisèrent, le 21 juin, un premier voyage dans la Basse-Loire.
« Ils y avaient réuni vendredi dernier, — rapportait le Journal, — une nombreuse et brillante société de dames pour faire la promenade de Nantes à la Basse-Indre. Nous y avons compté cent-cinquante-quatre personnes placées sur le pont par groupes sans symétrie, cependant toutes à l'aise, et laissant entre elles des intervalles suffisans pour une commode circulation. Le bateau présentait alors le coup-d'œil d'une grande corbeille de fleurs flottant au milieu des eaux.Tout en remarquant l'heureuse disposition des appartements destinés au passagers, on saisissait sur la physionomie des assistans un sourire approbateur, donné à l'élégance des salons communs, et notamment à celui réservé pour les dames. On voyait que ce sourire exprimait quelque gratitude pour des canapés bien moelleux, pour des glaces répandues avec profusion, enfin pour mille petits actes de prévoyance, dont l'absence aurait peut-être passée inapperçue, mais dont la jouissance, une fois connue, sera désor mais une nécessité......Tout le monde se plaira à rendre justice à MM. Strobel et Fenwick, en affirmant qu'aucun mouvement de progression n'est plus doux que celui imprimé par leur machine à vapeur...... La secousse périodique des rameurs, l'impulsion intermittente du vent même sur les voiles seront désormais considérées comme des inconvéniens, quand on les comparera à l’égalité constante de la marche du nouveau bateau. Aucune dame n'a pu se plaindre un seul instant de la moindre incommodité..... Promptitude, agrément et sécurité, voilà ce que nous offre le bateau la Loire. Il y a lieu d'espérer que ces motifs feront multiplier le nombre des voyageurs, condition nécessaire pour le maintien de l'entreprise ; il serait en vérité trop fâcheux que, faute d'être remplie, Nantes ne put conserver le précieux avantage que lui promet ce nouveau véhicule. »
Le 23 juin, la Loire, dont le confort était supérieur à celui de nos bateaux similaires modernes, qui n'ont ni profusion de glaces, ni salons pour les dames, entrait en service régulier de Nantes à Paimbœuf ; en même temps qu'elle accomplissait, de temps à autre, des voyages d'excursion dans la Haute-Loire et jusqu'à Angers.En août 1822, le Journal annonçait que deux nouveaux vapeurs, plus grands que la Loire, étaient en construction au chantier Guibert, pour le compte de la même Société ; et qu'ils étaient destinés à faire le service régulier de Nantes à Angers. En septembre, un quatrième vapeur était commandé par MM. Strobel et Fenwick pour doubler la Loire, et l'on annonçait que cette Société se proposait d'en faire construire de nouveaux pour remonter la Loire au-delà d'Angers, tandis qu'une Société rivale en faisait construire trois autres aux chantiers de Paimbœuf.Les constructeurs Trenchevent, Gaillard et Vince, suivirent bientôt l'exemple de Guibert ; et de nombreuses compagnies de navigation ne tardèrent pas à se fonder sur la Haute et Basse-Loire (1)._______________________________________________________________________(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° des 25 mai, 11 et 24 juin, 31 août, 28 septembre et 12 novembre 1822. Annales de la Société Académique, Année 1898, p. 90COMMENTAIRES de grapheus tisIl est évident que notre cher Paul Legrand s'éloigne de plus en plus de son projet initial : recenser les chroniques des "polygraphes qui se sont occupés du passé maritime nantais" et plus particulièrement des marins et corsaires nantais. Les navigations maritimes et fluviales, les constructions navales, les projets des armateurs, le comportement des marins et des voyageurs sont ébranlés par l'intrusion de la vapeur.Toutes évolutions soulignées par Paul Legrand qui prennent, cent années après, l'allure d'une savoureuse contradiction. Et d'autant plus ces jours-ci quand la Loire "fluviale et maritime" connaît une animation rarement contemplée depuis cinquante ans.
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D'autre part la navigation sur un bateau du type "côtre sardinier à gréement aurique" nécessite du temps consacré à l'amitié marine, aux manœuvres véliques et quelques efforts physiques qui pertubent la publication des notes de ce blogue. L'écrivailleur ne peut être, à la fois, sur l'eau et dans son jardin !Nota-bene : Les photos ont été prises par Nicléane à bord du « Marche-Avec », sardinier concarnois, patron A. Hémon.

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jeudi, 12 juin 2008 | Lien permanent | Commentaires (1)

René Guy CADOU

L’histoire de ce livre commence sans doute quand naît le rédacteur de cette chronique :


À la devanture d’un libraire, une pauvre devanture, parmi des gravures de mode et gros in-folio, de petits livres de poèmes couverts de papier cristal et de grandes feuilles manuscrites.
Je n’ai pas honte de mes culottes courtes et j’entre. Il y a des colombes qui volètent dans le magasin, un long jeune homme nourri de cigarettes aux doigts brûlés.

 

Mon enfance est à tout le monde


Voici comment Cadou rend compte de sa première rencontre avec Michel Manoll. C’était pendant l’hiver 1936.

C’est à ce Prince que j’adresse aujourd’hui, ces signes de reconnaissance, dans la lumière pure et ardente de ce cœur partagé, qui n’eut de cesse de battre le silex pour que les ténèbres fussent vouées, à jamais, à la perdition et à l’oubli.


Voilà comment Michel Manoll achève le livre qu’il consacre à Cadou dans la collection “Poètes d’aujourd’hui”.

Entre 1936 et 1954 : une vie d’instituteur et poète qui s’achève en mars 1951 et un livre que le libraire, poète et ami consacre à celui qu’il guida, conseilla sans doute et accompagna.
Une biographie suivie d'un choix de textes, parmi les recueils déjà publiés et beaucoup d’inédits ; en hors-texte, des portraits, photographies, dessins et documents.
C’est un essai conforme à ceux publiés alors dans la collection concue par Pierre Seghers : rédigé par un poète où le fil conducteur de la biographie s’enrichit de nombreuses citations illustrant des commentaires littéraires.

C’est le dépliant publicitaire de ce livre que l’adolescent que je suis, a entre les mains, cet après-midi de juin 1954.
Acquis le 4 janvier 1955, le livre porte sur la page de garde en exergue : En un beau jour d’amitié...
La lecture de Cadou sera, pour moi et pour longtemps, du côté des amitiés, de l’amour, du pain quotidien, des campagnes d‘ouest, des pommiers à cidre et des vents d’ouest, des jeunes filles nues aux croisées de fenêtres, des balades dans la Nantes d’après-guerre, une “forme de la ville” pré-gracquienne, des auberges au vin frais et des gares perdues.


Laissez venir à moi tous les chevaux toutes les femmes et les bêtes bannies
Et que les graminées se poussent jusqu’à la margelle de mon établi
Je veux chante la joie étonnament lucide
D’un pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre
Voici que je dispose ma lyre comme une échelle à poules contre le ciel
Et que tous les paysans viennnent voir ce miracle d’un homme qui grimpe après les voyelles
...................................................................

 

Le chant de solitude



Anthologie sera la rose des vents pour les poètes à découvrir, à lire :

Max Jacob ta rue et ta place
Pour lorgner les voisins d’en face !

Éluard le square ensoleillé
Un bouquet de givre à ses pieds !

Jouve ! c’est mieux que Monsieur Nietzsche
Une effraie étudiant la niche

Léon-Paul Fargue ! La musique
D’un triste fiacre mécanique !

Blaise Cendrars ! Apollinaire !
Le bateau qui prend feu en mer

Reverdy ! la percée nouvelle
Les éléments comme voyelles !

Le remue-ménage cosmique
De Saint-Pol-Roux-le-Magnifique !

Boulevard Jules Supervielle
Noë la Fable et les gazelles !

Vladislas de Lubics-Milosz
Les clefs de Witold dans sa poche !

Le chemin creux de Francis Jammes
On y voit l’âne on y voit l’âme !

Aragon la ruelle à chansons
Et les yeux d’Elsa tout au fond !

Cocteau la neige la roulotte
L’ange amer qui se déculotte !

Paul Claudel ! filleul de Rimbaud
Cinq grandes odes cent gros mots !

Mais aussi mon Serge Éssénine
Ce voyou qui s’assassina

Et la grande ombre de Lorca
Sous la pluie rouge des glycines !

À qui s’en prendre désormais
pour célébrer le mois de mai ?

 

Hélène ou le règne végétal
(1949)



Ma vie, mes amitiés, mes amours, mes lectures, seront souvent de plain-pied dans le flux des métaphores accroissant émotions, suscitant regards neufs, libérant une parole autre.

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Aujourd’hui, mes lectures m’emmènent du côté du sang, des lampes, des corridors où rôde la camarde, de la sécheresse ardente de ces chroniques brèves : Burger, le Diable et son train, Pacifique Liotrot,

............................................................
Il est debout dans sa jeunesse et il s’habille
De velours vert avec des boutons qui brillent

Entendez-moi je suis Pacifique Liotrot
Je suis le garde-chasse du château !

Qu’est-ce qu’il porte là dans ses deux mains brisées ?
Un cor de cuivre noir comme un poulet vidé.



de ces autres encore : Rue du sang, Sainte Véronique, Mourir pour mourir, Saint Thomas,

Poète ! René Guy Cadou ?
Mais montrez-moi trace des clous !

Montrez l’eau vive où il s’abreuve
Montrez rabots et planches neuves !

Montrez-le-moi sur le sentier
Larron avec le fer aux pieds !

....................................................................

Bègue à moitié navré transi
Montrez-le-moi quand il écrit

Ces mots à tort et à travers
Pareils aux vagues de la mer



Ce n’est que depuis quelques années qu’une des rares obscurités de Cadou, désormais, pour moi fait sens :

J’écris pour des oreilles poilues, d’un amour obstiné qui saura bien, un jour, se faire entendre.

Usage interne 1946-1949



Post-scriptum en guise de bibliographie :

RENÉ GUY CADOU, Poésie la vie entière, Œuvres poétiques complètes, préface de Michel Manoll, Paris, Éd. Seghers, 1997, 475 p.
Christian MONCELET, René Guy Cadou - Les liens de ce monde, collection Champ poétique, Éd. Champ Vallon, 1983, 246 p.
Colloque René Guy CADOU, un poète dans le siècle, novembre 1998, Université de Nantes, Éd. Joca Seria, 1999, 300 p.

Un DVD
René Guy CADOU, de Louisfert à Rochefort-sur-Loire, film de Jacques Bertin, distribué par Velen

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mardi, 01 février 2005 | Lien permanent | Commentaires (4)

Et si l'on revenait au début ?

Poézibao, le beau blogue de Florence Trocmé m’a donné quelque idée pour une chronique régulière, hebdomadaire.
Partager “mes” poètes, mon cheminement de lecteur, mon intérêt pour la chose éditoriale.
Le développement de Poésie/Gallimard, plus de trois cents titres, l’anthologie en “jeans” de Delvaille, celle, plus maigre, du jeune Espitallier, les naissances et morts des revues traditionnellement sur papier ou “en ligne” permettent, à ce jour, de mesurer la vie en expansion ou en régression du poème ; je ne sais si la mémoire culturelle a déjà exercé son tri et retenu les 10% de ce que, habituellement, elle estime de valeur.

Il est des gens fort intéressants qui font, ces temps, paraître de doctes livres sur la lecture et le lecteur : entre autres, Alberto Manguel avec Une histoire de la lecture et son Journal d’un lecteur.
Ce sont d'excellents guides routiers pour grande littérature, mais qui se rapprochent plus du manuel pour fins lettrés - ainsi Lanson en son époque - et se tiennent dans l'espace susdit de la mémoire culturelle.

Je connais des lectrices et des lecteurs qui n’ont point attendu la parution de ces ouvrages pour, depuis plus de vingt ans, pratiquer cet exercice qu’en jargon pédagogique nous nommons “l’autobiographie du lecteur”.
ET l'on s'y retrouve à des milles des horizons lettrés.

Son apprentissage terminé sachant lire, sachant surtout pourquoi il lit, le lecteur commence un lent et long - ce que je lui souhaite - labeur d’autodidaxie, enrichi, appauvri, régénéré, selon, par ses rencontres avec la famille, les instituteurs, les bibliothécaires, les journalistes, les professeurs de collège de lycée, d’université, avec les bons et, tout autant, avec les mauvais.
Pour certains - beaucoup ? -, la trilogie professorale n’aura été qu’une maison très éloignée
Plus que le lecteur lettré, ce lecteur hors des classes aura pratiqué le “lire : un braconnage” de Michel de Certeau.
Lecteur solitaire, il est un farouche libertaire et son mutisme peut fort bien se comprendre comme un vigoureux bras d’honneur au magistère de toutes littératures.

Intimement, cette autoformation - la “face nocturne” de la formation, dirait Gaston Pineau - se construit dans l’affrontement de son questionnement de vie avec les écrits lus et comparés....

Ce blogue est celui d’un lecteur qui depuis qu’il fut alphabétisé, exerce quasi quotidiennement son “braconnage” de liseur, au gré des bonheurs, des rages, des passions, des ennuis.
Peu me chaut la rigueur de la critique - un lapsus m’a fait saisir la “crotique” , “o” trop proche de “i” sur le clavier !-
Il ne s’agira point, ici, de valeur littéraire ; plutôt de goûts : de bons mais aussi de mauvais goûts. S’agira-t-il de littérature ? de poésie ?
Je ne sais. D’écrits, oui, avec certitude.

J’ai commencé ce chemin consciemment, j’avais sept ans ? huit ans ?
Le tout premier ? Le Moricaud par Amélie Perronnet, à la Librairie d’Éducation de la Jeunesse, sans date ; c’était, je crois, le Premier prix d’Écriture de Augustine-Marie Bretaudeau, ma grand-mère.

La récitation de l’école élémentaire n’a laissé que peu de traces ; dans les années cinquante, c’est l’entrée dans cet écrit qu’est le poème : de Charles d’Orléans à Rimbaud, mais à la sauce des bons pères.
De la poésie propre, nette, pure, plus encore pour l’exercice de mémoire que pour le travail sur la langue. Poésie du décor !

Je pris le maquis en classe de seconde, je devais avoir dix-sept ans. J’avais, cependant, soumis à la signature du préfet de discipline, un homme ouvert, lettré, passionné de Racine et de La Fontaine, un livre acheté avec l’argent de poche que ma mère me remettait pour acquérir les classiques Larousse ou de Gigord à la procure du lycée ; j’avais rogné sur l’achat des dits classiques. Je posais le livre sur son bureau : la signature fut apposée, non sans réticences, avec beaucoup de recommandations quant à ma fréquentation future de cet auteur : c’était Paul Claudel, Cinq grandes Odes. Acheté chez Beaufreton, passage Pommeraye.

Je lus, ivre :

Possédons la mer éternelle et salée, la grande rose grise ! Je lève un bras vers le paradis ! je m’avance vers la mer aux entrailles de raisin !


Je me suis embarqué pour toujours !

Embarqué, je le fus. Mais si Claudel, le grand poète catholique, inquiétait mes maîtres, de quoi s’agissait-il donc dans la poésie contemporaine pour les effaroucher et laisser cois ?
Je ne soumis plus aucun de mes livres au “nihil obstat” de mes bons pères. J’entrais en lecture clandestine.
Et devins un familier, lors des sorties libres du jeudi, de la librairie du passage Pommeraye.

En juin 1954, m’échoit dans les mains un dépliant qui présente un poète nantais : quelques photographies, quelques poèmes en... vers libres. Je dois prendre le train pour Ancenis, j’attends l’heure, je vais m’asseoir sur un banc du Jardin des Plantes - je sais encore aujourd'hui lequel, je le revois de temps à autre. Je lis un poème. Les poèmes. Je ne suis pas ivre. Je suis ailleurs. Je ne me souviens plus de quels poèmes précisément ?
Oh, si ! Je me souviens d'un titre, Tristesse et de ce verset qui est mon entrée dans le poème contemporain :

Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s’éteignent
Pour qu’elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d’hiver les a longtemps muries



Cadou ne me quittera plus.

medium_cadou.4.jpgEn janvier 55 - cinquante ans déjà, non ? - j’ai, entre la grammaire grecque de Ragon et le manuel de psycho de Cuvillier, dissimulé dans mon pupitre de la salle d’études, un bouquin jaune, format 13x16 cm, René Guy Cadou, par Michel Manoll, Poètes d’aujourd’hui n°41, aux éditions Pierre Seghers, 1954. Le poète, un jeune homme un peu joufflu, a “une clope au bec”.



En avril, le rejoint, au format identique, sous une couverture marron, le n°22. Le poète, un homme mûr au front large, tient “sa clope entre index et majeur”, il ressemble à mon père, c’est pour cette ressemblance et cette beauté que je l’ai choisi. C’est René Char ! Les premiers mots lus tiennent de l’aveuglement ; je n’y comprends rien, mais c’est beau :
O monnaie d’hélium au visage lauré !

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Il faut bien les deux dictionnaires de tout bon élève de Classique A, le Bailly et le Gaffiot, pour dissimuler ce qui me semble une charge explosive.

Toute la lente appropriation du poème s’est bâtie sur ces deux livres : parce qu’il y avait alors un authentique éditeur de poètes, Pierre Seghers et qu’à la fin du René Char était relié un cahier, catalogue de l’édition qui offrait des avenirs insoupçonnés de lectures.

Quand, à l’automne, je partis pour la Côte d’Ivoire, ma cantine était lourde d’une bibliothèque naissante et j’avais en guise de viatique pour mes lectures désormais libérées de toute signature, une table d’orientation qui, d’un format plus grand, 19x14 cm, mais en couverture, de mise en page identique m’ouvrait l’espace du poème :
le Panorama critique des nouveaux poètes français
de Jean Rousselot
achevé d’imprimer le 26 mars 1953,
pour le compte des Éditions Pierre Seghers.


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Chaque mardi, je retirerai donc, du rayon où ils s'alignent, un d'entre ceux qui furent naguère.... les POÈTES D'AUJOURD'HUI.

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lundi, 24 janvier 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)

Arthur RIMBAUD

Le Rimbaud de chez Seghers est arrivé à Bongouanou en mars 1957 avec Paul Éluard et Francis Jammes. L’achevé d’imprimer indique septembre 1956. Mais c’est le douzième de la collection, il s’agit certainement d’une réédition. Les “seuils” du livre ne donnent, c'est dommage, aucune lumière.

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Rimbaud, c’était quatre textes, côtoyant Samain, Mallarmé, Lafforgue, de Régnier, Verhaeren.... dans un classique Larousse “Paul Verlaine et les Symbolistes”.
O balançoire ! O lys, Clysopompes d’argent !
C’était, murmurés à perte de nuit, Voyelles, le Dormeur du val, le Bateau ivre, Ma Bohème,
J’allais les poings dans mes poches crevées
C’était, assénés, les Assis, par la voix abrupte de Jean-Louis Barrault. C’était des pans entiers des Illuminations, de la Saison en enfer “censurés” parce que jugés inaudibles. Ou alors des bribes ! Saisissables ? ...Aujourd'hui, aucun pan n'est plus censuré, mais quand on lit le “Rimbaud” des autres, c’est tout comme... et ça peut s'entendre. À chacun, ses fétus rimbaldiens et ses pages impénétrables ; que l'on tait ! Allez expliquer l'obscur ! Des bribes ! Mes bribes ! les “O ” !
Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie.
Claude-Edmonde Magny prend comme carte d’orientation la lettre du Voyant, celle envoyée à Paul Demeny, datée du 15 mais 1871 ; elle aurait pu s’appuyer sur le lettre de l’avant-veille adressée à Georges Izambard. Peut-être les deux meilleurs outils pour s’enfoncer dans les déserts, les eaux, les villes et les châteaux. Et ils nous sont donnés par l’artisan lui-même, voyant voyou, vieux jeune, satan sage . Il en fournira d’autres tout au long de son ouvrage et Magny les pointe avec beaucoup d’acuité. Je souligne ces lignes, que je n’ai point trouvé souvent citées. Détournant Malraux, je pense, – mais est-ce mon entourage qui m’y dispose – que le XXIe siècle sera féminin ou nous ne serons plus !
«...Quand sera brisé l’infini servage de la femme, quand elle vivra pour elle et par elle, l’homme — jusqu’ici abominable, — lui ayant donné son renvoi, elle sera poète, elle aussi ! La femme trouvera de l’inconnu ! Ses mondes d’idées différeront-ils des nôtres ? — Elle trouvera des choses étranges, insondables, repoussantes, délicieuses ; nous les prendrons, nous les comprendrons. »
Branleur mystique ? enculé enculeur ? drogué ascétique ? petit commerçant communard ? Un très malin qui nous laissa assez de traces mystérieuses et prosaïques pour que nous ne puissions en faire un mythique Lautréamont. Astucieux, non ! Ce très lointain et très quotidien cousin. Devant l’afflux des exégètes, des commentateurs, des paraphraseurs — qui n’a pas écrit en une feuille ou en plusieurs livres son Rimbaud — il y a quelqu'hésitation ? Dans le Magazine Littéraire de juin 1991, deux pages bibliographiques et onze parutions pour un anniversaire centenaire. Des décades rimbaldiennes. Fin de siècle : les années “Borer”. Début du siècle : les années “Jeancolas”. On annonce la décade “Lefrère”. Il y a de sympathiques fonds de commerce. Il fut négociant, Jean-Arthur, non ? Dans les années soixante, ça s’étripait allègrement entre Étiemble, Pia, Faurrisson et Breton.
Les uns pencheront pour : ...Il s’agit de gagner une dizaine de mille francs, d’ici à la fin de l’année... D’ailleurs, je me suis ménagé la possibilité de rentrer dans mon capital à n’importe quel moment... Rimbaud fourmi.
Les autres inclineront vers :
J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile, et je danse. Rimbaud cigale.
....O Timothina Labinette ! .......................................... ...À ma sœur Louise Vanaen de Voringhem ! .............................................................................. ...Ma chère maman ! .................................. Le même Rimbaud.
Tous à lire ! Doctes, fous, professeurs, rêveurs, biographes, photographes, auteurs, universitaires, autodidactes, poètes, peintres, inconnus. Même Sollers dans Studio, qui se chauffe aisément au feu des autres - le lire sur Vivant Denon, Mozart, Dante. En serrer quelques-un(e)s dans son havre-sac : Enid Starkie, Edmonde Magny, Henri Miller, Pierre Gascar, Ernest Pignon-Ernest, Pierre Michon, Jean-Luc Steinmetz.... Il est bien de tout lire, – enfin le plus possible, – de tout voir, de tout entendre, de tout vivre et puis de tout oublier et de revenir à l’homme et à l’ouvrage. Là, ces jours, je ne puis que me rêver une mise en scène de mes propres moments de lectures. Contempler l’homme et lire l’œuvre ! medium_rimb2005.jpgUne grande salle blanche et nue, deux reproductions élargies aux dimensions des murs : sur le mur du nord-est, la peinture de Ernest Pignon-Ernest qui s’est délitée des mois durant sur les murs de Paris. C’est le jeune Arthur à la besace de poèmes qui surgit dans la Commune. La lumière qui l’éclaire est celle du sud. medium_rimb3003.jpg Sur le mur du sud-est, c’est l’image retouchée du Rimbaud au Harrar ; c’est la lumière du nord qui laisse entrevoir l’indéfini d’un beau visage émacié. Contre le mur de galerne, un tabouret et une table sur laquelle s’ouvre n’importe quelle édition des œuvres complètes. La mienne est celle de la Pléiade, achetée en juin 1958 et qui fut glissée dans toutes cantines, sacs ou valises. Le papier bible a fait la guerre d’Algérie, les pitons, les crapahuts, puis l’indépendance — au ciel des plages sans fin couvertes de blanches nations en joie — et le désert. Il fut lu dans la tiédeur du sac de couchage posé à même la terre, adossé au rocher à l’ombre des lauriers-roses au creux d’un oued, dans l’aridité minérale de contreforts de l’Amahadou, au bord d’une séguia biskrie dans le parfum des orangers, dans un des multiples entonnoirs qui trouent les dunes du grand Erg oriental. Plus tard, dans les criques de Bretagne sud, en dévalant les houles du Golfe de Gascogne, dans les calmes plats qui s’allongent sur l’équateur du Pacifique, sur les rives de la Falémé, précédant le coq et le muezzin, au creux des ports de l'Algarve et de l'Andalousie atlantiques. Et ici, aujourd’hui quand, quittant l’écran, le regard se porte sur les grandes images qui élargissent les murs, dans le retour bienheureux à une clandestine adolescence, la voix du lecteur murmure :
Je suis le saint, en prière sur la terrasse, — comme les bêtes pacifiques paissent jusqu’à la mer de Palestine. Je suis le savant au fauteuil sombre. Les branches et la pluie se jettent à la croisée de la bibliothèque. Je suis le piéton de la grand’route par les bois nains ; la rumeur des écluses couvre mes pas. Je vois longtemps la mélancolique lessive d’or du couchant. Je serais bien l’enfant abandonné sur la jetée partie à la haute mer, le petit valet suivant l’allée dont le front touche au ciel. Les sentiers sont âpres. Les monticules se couvrent de genêts. L’air est immobile. Que les oiseaux et les sources sont loin ! Ce ne peut être que la fin du monde, en avançant.
Ailleurs
Dites-moi à quelle heure je dois être transporté à bord...
Sur la Toile • Le site de la ville natale (aurait-il apprécié ?). • un site à liens. • Un mien Rimbaud, écrit en hâte quand un matin d'atelier, Daniel Biga déroula, devant nous, son exemplaire sur papier journal, du Rimbaud de Pignon-Ernest (cf. la reproduction,ci-dessus). Dédié à Mj, cette femme qui m'entraîna dans l'aventure de cet atelier.

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mardi, 22 mars 2005 | Lien permanent | Commentaires (1)

Bonne semaine !

Semaine active à rebours ! Hier soir, je m’en vais au Beaulieu voir Yasmin, avec donc le projet d’être un cinéphile sérieux - j’ai une forte sympathie pour le cinéma britannique de ces temps, le social et le politique regagnent avec lui les lettres de noblesse et d’efficacité du néoréalisme italien de jadis (!) - les bobineaux s’étant égarés, l’équipe - au Beaulieu, c’est Art et essai, mais ce sont des bénévoles - nous a proposé Le fil à la patte de Michel Deville. Autre chose, n’est-ce pas ! Mais j’aime aussi la cruauté légère et érotique de Deville. Ha ! il faut bien reconnaître que les caleçonnades de Feydeau alourdissent un tantinet l’art de Deville, mais les parties de jambes en l’air de la Béart et du Berling sont ébouriffantes. La belle Emmanuelle, pleureuse, garce, jouisseuse, ravit et la nudité en chapeau d’un Berling qui ne craint point d’afficher une “sculpture” qui s’empâte est émouvante. Le “castinge” est à l’avenant, dans les haleines fortes, les gilets rayés des valets ; le coup du téléphone portable qui joue l’intrus à la Belle époque est un fichu gag. Le matin, le Grec ancien m’avait emmené dans un texte fort trouble et peu connu du sieur Platon, le “Lysis” : à mon avis, sous couvert d’approche pédagogique, il ne s’agit que de l’exposé d’une drague pédophile dans les rets maïeutiques de Socrate qui a bon dos... ou vilain cul ! Enfin ! Comme le texte est bourré d’héllénismes, de crases et des particules qui font fleurir la bonne vieille langue, on tolère ! La veille, c’est-à-dire mercredi, le cycle Mahler et la IIIe symphonie. Lourde, lourde lourde et...longue ! Étaient las, ou le père grapheus tis, ou le maître Karabtchevsky, ou son orchestre. Ou Mahler, plus simplement ? Bref, ça n’en finissait plus. Disparues, les sublimes emmenées au silence de la Deuxième : les caisses et les cuivres, potentiomètres à fond, et des cordes geignant dans des bois sans mystère. Soirée lourde ! Ah si ! Éléna Zaremba, la voix de contralto qui élève avec gravité le texte de Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra :

Ô Homme, prête l’oreille ! Que dit minuit profond ?
Mardi soir, c’était une heure avec... René Char. À la fin de l’heure, le lecteur était heureux, la tâche avait été honnêtement accomplie, l’auditoire tout aussi inquiet que le lecteur en son commencement, attentif et rassuré. Les pentes “chariennes” sont arides, mais les Feuillets d’Hypnos sont bien le sentier pour s’y aventurer. Ou pour se réconcilier avec l’obscurité ! Il y avait sourires rassérénés à la sortie de la médiathèque. Je regrette pourtant que nous n’ayons pu aborder ce qui, pour moi, est devenu le cœur des Feuillets : la violence, inacceptable, et la contre-violence juste et nécessaire ; car c’est bien le sang, le “sang supplicié”, le sang de l’embuscade et des exécutions sommaires qui coule dans ces carnets de maquis. N’oublions pas : ce temps des MAQUIS est le temps des CAMPS ! Et Char peut bien tenter de conjurer l’atroce en convoquant la Beauté : l’horreur, injustifiée ET justifiée, est ! Insoluble, inoubliable, ineffaçable situation humaine ! Même si, en ces temps d’oublieuse mémoire, nous paraissons, nous Européens, très éloignés de cette cruauté.
Les yeux seuls sont capables de pousser un cri.
Et la semaine avait débuté avec ...Nietzsche. St. qui est “nietzschéen” proposait le regard du philosophe sur les Écritures bibliques. Comme, en décembre, son regard sur la tragédie. Il n’a guère été question des “saintes écritures”, il nous a plutôt nettoyer le concept du Surhomme et de la volonté de puissance. Essayer du moins ! Michel Onfray - j’ai emprunté à mon bon vieil Er Klasker le Traité d’athéologie que je me refusais à acheter - ne devrait plus déplorer l’inexistence de Feuerbach sur le marché philosophique. St. parlant de l’athéisme (?) de Nietzsche s’est, longuement et fort bien, égaré dans l’athéisme de Feuerbach et la réappropriation des forces créatrices de l’homme. Pour m’extirper de mes derniers embourbements transcendantaux, ça me va bien. Mieux, en tout cas, que des engagements laïcs de libre penseur. Achever la vie en philosophant et en lisant le Grec ancien ! Ma foi ! La lecture de Nietzsche sur la féminité me donne cependant furieuse envie “d’aller chez les femmes” y relire les sources de mon “féminisme”. La Belle Louïse, Marie de Gournay, Ninon de Lenclos, la Grande George et madame Séverine Auffret récurent (!) mon machisme en me rendant mieux homme. Post-scriptum : Retour en force sur la table de Rimbaud et de... Nietzsche avec “Illuminations” - en poche - de... Philippe Sollers. J’ai certain penchant pour l’essayiste ; la platitude de langue du romancier ne me chaut point - mais, “on” est de “la classe”. Je trouve, malgré tout, que le monsieur fait fort : il nous a déjà “fourgué” une Divine comédie ; il réédite - c’est le moment de l’écrire - avec ces (ses) Illuminations. Gonflé ! Je vais le suspecter de pratiquer la récupération abusive du titre des grandes œuvres à des fins de gloriole personnelle. La rigueur et l’honnêteté ne semblent point vertus premières de l’édition, ces jours-ci. Et Villon, dans tout ça ? Plus de cinq siècles à remonter. Le dénivelé est rude pour le rédacteur de blogue !

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vendredi, 20 mai 2005 | Lien permanent | Commentaires (5)

Saint-John Perse

Le n°35 de la collection. Il est marqué “Nantes 1959” ; je crois l’avoir acheté encore à la Librairie Beaufreton, lors d’une période parmi les plus “creuses” de ma vie ; j’ai obtenu de “faire les EOR” à l’École d’application du Train de Tours. Je “glande” sur tout : les amours, la pensée, les lectures, ...

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Alain Bosquet est le rédacteur de l’étude ; cent pages qui commencent par une longue définition de la poésie selon.. Bosquet ! Il y classe ses poètes, allant de Villon à Kavafis en passant par Lamartine, Baudelaire, Rimbaud, Mallarmé, Valéry, Claudel, Maiakovski, Lorca, Pessoa et un certain Gottfried Benn dont je n’entendrai parler (!) qu’à l’occasion de cette lecture. Mais les noms de Maiakovski et Pessoa ne sont pas oubliés. Deux chapitres nommés “documents” clôturent l’étude avant de présenter le texte des œuvres. Voici des “affinités” :du vieux professeur botaniste et de Pindare aux orientalistes rencontrés en Chine, les sources ; on visite Francis Jammes chez qui on rencontre Paul Claudel et Jacques Rivière. Nous nous en allons donc et tout naturellement, poétiquement et diplomatiquement à Pékin où surgit le souvenir de Victor Ségalen. Décidément le lecteur se retrouve dans un univers familier. La Bible et le Livres des morts des anciens Égyptiens sont sous la main. Le second “document” intitulé “La personne de l’auteur n’appartient à son public” aborde la discrétion que Perse a voulu maintenir entre son métier de diplomate et ses activités littéraires. Bosquet articule son approche en suggérant un itinéraire poétique au long duquel Perse élabore son outil de création. Éloges ou le poème ignorant de sa genèse Anabase ou Rencontre du poème et de sa genèse Exil ou Alliance du poème et de sa genèse Vents ou Fusion du poème et de sa genèse Amers, paru en livraisons partielles dans les Cahiers de la Péiade (1950) ou dans la Nouvelle-Nouvelle Revue Française en 1953, est longuement cité dans le choix de textes qui traditionnellement accompagne l’étude dans cette collection. Précédant les deux documents, évoqués plus haut, le chapitre intitulé “Les pouvoirs de l’image, ressources métriques et syntaxiques” permet à Bosquet de développer ses capacités professorales ; c’est une démarche traditionnelle, mais pas inutile ; il conclue en abordant succinctement le problème de la traduction qui l’autorise à affirmer l’universalité de la poésie de Perse. D’abondantes citations éclairent chaque chapitre.
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Je suis allé à cet homme pour élargir mon expérience du désert - Anabase - et de l’océan -Amers. Il est un des rares que je possède aussi en Pléiade. Si longtemps, il s’est tenu à l’écart, il semble que l’édition dans la collection de prestige sur papier bible fut l’objet de tous ses soins et qu’il abandonna sa discrétion ancienne d’ambassadeur afin de se consacrer à l’édification de sa stèle pour les générations à venir. Si mon admiration de jeunesse s’est quelque peu atténuée, il n’en demeure pas moins qu’il ne se passe point une année sans que je ne me profère à “pleine goule” un de ses textes : il y a un bonheur buccal certain à la manducation de ses versets. La lecture à haute voix de Amers au large est une jouissance que je rapproche de l’écoute que je fis de la 8e symphonie de Beethoven, déboulant un jour sous spi l’estuaire de le Loire par belle houle de noroît ! Et curieusement la reprise du bouquin de chez Seghers lors de mon récent périple galicien m’a incliné à prêter plus d’attention aux textes “désertiques”, terriens. Avais-je besoin de m’assècher ?
La guerre, le négoce, les règlements de dettes religieuses sont d’ordinaire la cause des déplacements lointains : toi tu te plais aux longs déplacements sans cause. Aux soirs de grande sécheresse sur la terre, nous deviserons des choses de l’esprit.
Amitié du Prince, III
Nos fronts sont mis à découvert, les femmes ont relevé leur chevelure sur leur tête. Et les voix portent dans le soir. Tous les chemins silencieux du monde sont ouverts.
Amitié du Prince, IV
— et debout sur la tranche éclatante dun jour, au seuil d’un grand pays plus chaste que la mort, les filles urinaient en écartant la toile peinte de leur robe.
Anabase, IX
Exil au chant VI, est une superbe célébration de ceux que Perse nomme princes de l’exil. Tant pis pour l’ami Ferré qui “n’écrit pas comme Perse”, tant pis pour monsieur Dantzig et son “dictionnaire égoïste de la littérature française (chez Grasset, 28,50 € pour mille pages)” qui écarte Perse et sa pompe - il faut, en ces temps, se distinguer à tout prix ! - même si les périphrases sont, il est vrai parfois, trop “précieuses” ; je n’ai d’autre prétention que de témoigner de ma vie de lecteur et Perse, là, me soulève de bonheur langagier :
«.... celui qui veille, entre deux guerres, à la pureté des grandes lentilles de cristal... Celui qui flatte la démence aux grands hospices de craie bleue, et c’est Dimanche sur les seigles, à l’heure de grande cécité... celui qu’éveille en mer, sous le vent d’une île basse, le parfum de sécheresse d’une petite immortelle des sables ; celui qui veille dans les ports, aux bras des femmes d’autre race, et c’est un goût de vétiver dans le parfum d’aisselle de la nuit basse, et c’est un peu après minuit, à l’heure de grande opacité... Celui qui peint l’amer au front des plus hauts caps, celui qui marque d’une croix blanche la face des récifs... celui qu’enchaîne sur les cartes, la course close des cyclones ; pour qui s’éclairent, aux nuits d’hiver, les grandes pistes sidérales ; ou qui démêle en songe bien d’autres lois de transhumance et de dérivation... celui qui tient en héritage, sur terre de main-morte, la dernière héronnière, avec de beaux ouvrages de vénerie, de fauconnerie ; celui qui tient commerce, en ville, de très grands livres : almagestes, portulans, bestiaires ; qui prend souci des accidents de phonétique, de l’altération des signes et des grandes érosions du langage ; qui participe aux grands débats de sémantique... celui qui donne hiérarchie aux grands offices du langage..»
Ouvrez Perse en Poésie/Gallimard à la page 163, en Pléiade, à la page 132, dans le Seghers à la page 157 : de grands ou d’humbles labeurs du monde sont, là, célébrés, magnifiés ! Parmi les poètes élégiaques et ceux de l’engagement, entre les travailleurs de la langue et les poètes de “l’analyse du moi”, parmi les poètes de la distanciation et ceux de l’invective, j’ai grand plaisir à ouvrir ceux de la célébration, j’en ai grand besoin en ces jours-ci que nous vivons.
Que ma parole encore aille devant moi ! et nous chanterons encore un chant des hommes pour qui passe, un chant du large pour qui veille...
Pluies, VI
Depuis la mi-août, une heure avant la fin de la nuit, Orion surgit à nouveau de notre ciel. Et dans son sud-est, Sirius ! Les cendres de cet homme-là doivent errer aux parages de cette constellation. Post-scriptum : • Sur la Toile, trois sites au moins http://www.up.univ-mrs.fr/~wperse/maindoc.htm http://www.sjperse.org/ http://www.adpf.asso.fr/adpf-publi/folio/textes/Saint-Joh... • Trois bouquins dans Poésie/Gallimard rassemblent la quasi totalité de l'œuvre. L'édition de la Pléiade s'enrichit de la correspondance soigneusement sélectionnée par Perse lui-même.

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dimanche, 04 septembre 2005 | Lien permanent

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