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lundi, 27 avril 2009

"coma", page au hasard

« Je ne suis bien que lorsque je ne suis que ce qui est nécessaire pour être l'autre. »

Pierre Guyotat
Coma, 2006.


En écoutant Patrice Chéreau sur France Cul.
Celui-ci lira Coma, mercredi à venir, sur la même antenne.

dimanche, 26 avril 2009

butinantes algériennes

Il faut éviter les énumérations d'écrivains quand l'un d'eux vous entraîne dans l'évocation d'un pan de littérature qui s'est dispersé au fil des ans sur les rayons selon l'ordre "logique" qui présidait alors à aux passions et intérêts plus ou moins marqués du lecteur.
Ainsi, la rencontre de Boualem Sansal — nous nous nous sommes quittés dans une si chaleureuse accolade, il m'a même laissé son adresse de courriel — me fait parcourir mes horizons algériens ; je ne sais plus où retrouver Feraoun, et le cherchant, je tombe sur le mince dos de dérisions et Vertige de Sénac

Jean Grosjean Dominique Aury me sortent des textes de
James Sacré.

Dans la grisaille un poète ose péter. Comme un saint
tibétain* rote dans le poème.

Mais sa ruche — depuis Char — rien aimé de plus
vaste — fabuleuse contrée d'une syllabe à l'autre !

Abeille du néant — mais pour quel miel aussi ! —
Denis Roche.

* Le "fou" de Dug en particulier, pour qui le mot "chie" est sacré.


Jean Sénac
Miel(c)
dérison et Vertiges
, Actes Sud, 1983

Encore toujours à la recherche de Feraoun, une identique couverture marron clair, mais elle est de Maspéro, c'est un autre grand secoueur de la langue française, Nabile Farès.

: IV
les arrestations furent nombreuses. Tout comme avant 1962, les gens disparaissaient, après une convocation, pendant trois quatre mois, pour ressurgir ensuite, de l'autre côté de la grande ville, au pays sud.

Et les gens se taisaient, car personne n'y comprenait plus rien, sauf ceux qui, une nouvelle fois, prenaient le chemin des émigrés.

J'eus si peur, là, au fond du rire et du désarroi.
J'eus si peur que mon âme et ma force, ce courage
d'être que l'on nomme vivre, se sont affaissées.

J'eus si peur.

Terrible lieu de notre dire : je vis contre la misère
du dire, ou sa haine, ou sa blessure. Certains disent
que le sage préfère taire la parole du jour.

Le sage ? ou, le traître : ou le jaloux, celui qui garde pour lui le silence du jour.

C'est pourquoi, j'ai enfoui le carnet. Celui écrit
en français, par l'enfant mort, de la balle au front.

Mon âme est devenue vieille, d'un coup, comme
une feuille accrochée aux branches du figuier.

Les nervures de la parole, sous les racines de
l'amandier.

Le feu brûle encore aujourd'hui, malgré les pensées incrédules.

L'incantation demeure, car le pays a soif, soif.
C'est pourquoi j'ai enfoui le carnet, et ouvert mon amour vers ceux qui accompagnent la parole d’exil et du malheur.


Nabile Farès,
L'exil et le désarroi

Voix, François Maspéro, 1976.

Nabile Farès pressent, dans des prémisses qui ne laissaient aucun doute, la catastrophe intérieure que que va dénoncer, démonter, Boualem Sansal.

J'aurais bien aimé donner à lire le chapitre VII — trop long pour une lecture de blogue — de Mémoire de l'Absent, quand le Récitant se lève pour dire le vrai sur la KAHÉNA :

Telle est la place du Récitant.

La Kahéna est insaisissable ; et la parole doit mordre
le silence pour découvrir le Récitant. Celui dont le pouvoir
ne se limite pas à ce monde. Mais qui déploie.
Mais qui brasse. Mais qui anime. Mais qui ouvre tue
manœuvre produit invente jette les paroles du monde.

C'est ainsi.

Le Récitant n'est tenu d'aucune restriction en sa
parole ; car il est le Récitant.

Œuvre. Louanges. Ou Délires.

Tel est l'espace du Récitant. Qui confond la prudence.
Le siècle. Le faux discours. Celui qui ménage les portes
gauches du désir. Le tremblement des lèvres.
Ou la course neuve du dire.

Celui qui œuvre contre les disparitions de ce monde.
Qui lève la parole Mère dans le chaud d'être ou de mort.
Qui intensifie le regard et noue les fibres des lointains
temps.

Ici le jour doit toucher l'ombre comme une herbe
par temps de vivre
dire ?



Nabile Farès,
Mémoire de l'Absent, livre II

Seuil, 1974

vendredi, 24 avril 2009

Boualem Sansal ou l'écriture du courage

J'ai rencontré Boualem Sansal, hier au soir, au Lieu Unique, dans le cadre des EuroMéditerranéennes.
Je n'ai pu empêcher l'émotion de me nouer la gorge et les larmes d'inonder les yeux. Ses écrits depuis 1999 percent les pénombres sanglantes et le borné du fanatisme. L'espoir épuisé reprend racines en entendant cet homme qui avoue modestement, paisiblement que la violence qui le menace chaque jour est « encore gérable ».
Cinquante ans après Kateb Yacine, il se lève pour affirmer le passé, le présent et le futur du Berbère, homme aux carrefours des cultures, des races, des envahisseurs, des occupants, des métissages, en ce pays appelé jadis Numidie et qui est le Maghreb.
Sur l'autre rive, soyons heureux d'avoir de tels manieurs de langue française : Kateb Yacine, Assia Djebar, Rachid Boudjedra, Nabile Farès, Rachid Mimouni. Et je n'oublie point les aïeux : Feraoun, Dib, Mammeri, Sénac.

Il y a longtemps, trop longtemps on va dire, que nous ne nous sommes pas parlé. Comment mesurer le temps écoulé si personne ne bouge, si rien ne vient, si rien ne va ? Constater l'arrêt est un progrès, cela implique cette chose banale et fantastique que quelque part, quelqu'un, un jour, vous, moi, un autre, a dû s'entendre dire : « Dieu, où en sommes-nous après tant d'années livrées au silence ? » ou simplement : « Que se passe-t-il en ces lieux ? » Terribles questions. Des hommes sont morts sans savoir, et d'innombrables enfants arrachés à la vie avant d'apprendre à marcher, et des villes entières, qui furent belles et enivrantes, ont été atrocement défigurées. Le nom même de notre pays, Algérie, est devenu, par le fait de notre silence, synonyme de terreur et de dérision et nos enfants le fuient comme on quitte un bateau en détresse. Et combien de touristes l'évitent à toutes jambes ! La beauté de nos paysages et notre hospitalité légendaire ne font pas le poids devant les mises en garde des chancelleries et les alarmes insoutenables des médias et des ONG.

Nous voilà seuls, à tourner en rond, ressassant d'antiques lamentations.

Mais peut-être aussi avons-nous cessé de nous parler parce que personne n'écoutait l'autre. La rumeur galopante, l'ivresse du vide, le bourdonnement lancinant de nos rues, l'imposante étroitesse de nos grands esprits, les flonflons, les prêches, les harangues, les crises, les terrorismes, les détournements et les famines qui ont décimé plus que l'économie ne l'autorisait, les pénuries qui ont occupé nos vies si courtes, les corvées d'eau, les deuils, les queues devant les juges, le regard hypnotisant des surveillants ont leur part d'explication dans notre aphonie, c'est vrai. Combien excusables sommes-nous de ne pas savoir parler et courir à la fois ! Pense-t-on à tirer des plans sur la comète lorsqu'on est assailli par le malheur au quotidien et que la grande affaire, la véritable urgence, la ruse de chaque instant,consiste à échapper à la mort, à tromper le bourreau, à se garder des catastrophes, à contourner les plantons, à gagner du temps tout simplement.
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Une autre fois, nous parlerons des héros qui ont conduit notre résistance séculaire contre les envahisseurs : les rois Juba et Jugurtha tués par les Romains, la reine Kahena tuée par les Arabes, l'émir Abd el Kader chassé par les Français, mort en exil, Ben M'Hidi exécuté par le général français Aussaresses, Abane Ramdane, le chef de la révolution algérienne, assassiné par les patrons du FLN, etc


Poste restante : Alger
Lettre de colère et d'espoir à mes compatriotes.


Je n'ai lu que Le serment des Barbares, Harraga et son Petit éloge de la mémoire.
Il est publié en Folio, il habite Boumerdès, l'ancien Rocher-Noir, refuge de l'administration gaulliste dans les dernières années de l'Algérie "française", puis du Gouvernement provisoire entre mars et juin 1962. Les derniers livres de Boualem Sansal sont interdits, ils circulent sous le manteau.
A-t-on encore besoin du bon vieux samizdat des années soviétiques pour répandre son œuvre ?
La Toile ? Elle peut servir ! Non ?
Nous allons en parler ce soir. Avec lui.

mardi, 21 avril 2009

temps et espace immobiles

Vendredi dernier, vent de sud-sud-suroît modéré, un petit clapot désagréable et le flot sur le nez. Ciel laiteux.
Malgré la vague d'étrave, malgré le sillage à la poupe, cette sensation que plus rien ne s'écoule : les amers de Pénerf, immobiles, le temps même suspendu !
Figés sur l'eau.
Au près serré, les marins le savent, l'impatience du quai n'est point de mise. Mais quand même cette suspension irréelle ?

Les amarres de Dac'hlmat avaient été larguées dans la beauté de Foleux, notre petit port à la campagne.
Brume et toiles d'araignées printanières.

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Aller en mer est toujours un bonheur.

jeudi, 16 avril 2009

demain, en mer ?

M'en vas en mer.
Demain, l'estuaire du petit fleuve de mes aïeux et vers les Iles. L'aventure (!) commence entre Kervoyal et Pénestin. Sans souci de piraterie.
Mais quelle aventure ? Est-ce un mot que nos générations ont pu vivre ?
Je ne le pense point. Que nous nous imposions des défis, prenions des risques, que nous nous levions pour affronter d'autres horizons, soit ! Mais l'aventure ?

Il y a dix ans, nous étions dans les délices d'Acapulco après 50 jours de Pacifique. Le lendemain, nous levions l'ancre pour caboter le long des côtes d'Amérique Centrale jusqu'au canal de Panama. Mes deux coéquipiers parlaient entre eux deux de "challenge" ; moi, je me contentai d'avoir été heureux, cinquante matins, cinquante journées, cinquante nuits dans cette immensité. Ce fut beau, c'était bon ! Aucune aventure !

J'avoue ne pas avoir bien saisi le sens de la question que FB posait dans son billet du 11 de ce mois :
« En quoi cela doit-il nous alerter dans notre usage au quotidien de l’écriture blog, ce qu’elle reconstruit intérieurement du monde, qui la sépare du monde ? »

Une référence encore à cet homme qui écrivait sur ses lointains intérieurs. A-t-il écrit une fois le mot « aventure » ?

Avalez les rivets, le croiseur se désagrège et l’eau retrouve sa tranquillité.
Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous


Les pirates n'y ont point encore songé !

Post-scriptum : Ah, si ! Je me suis offert, en poche..., le Bob Dylan de François Bon, car quoi qu'en médisent "certaines" chipies, je m'en fus parfois au-delà des Beatles

mardi, 14 avril 2009

mon blogue et moi

Mendiant, mais gouverneur d’une gamelle.

Henri Michaux
TRANCHES DE SAVOIR
Face aux verrous

dimanche, 12 avril 2009

Les Pâques à New York

à FV, dans la violence de l'Absence,
mais qui sans doute ne viendra pas lire ce blogue.


Un soir d'avril, après avoir erré dans les rues d'un New-York sous la neige, un gars affamé se met à sa table et écrit " jusqu'au petit jour..., d'un trait avec trois ratures et c'est tout" ce qui va suivre.
Dans cette langue française-là, deux types l'ont précédé, quelques quarante ans avant, Rimbaud et Lautréamont.


Flecte ramos, arbor alta, tensa laxa viscera
Et rigor lentescat ille quem dedit nativitas
Ut superni membra Regis miti tendas stipite...

Fortunat, Pange lingua.

Fléchis tes branches, arbre géant, relâche un peu la tension des viscères,
Et que ta rigueur naturelle s'alentisse,
N'écartèle pas si rudement les membres du Roi supérieur...

Rémy de Gourmont, Le Latin Mystique.


Seigneur, c'est aujourd'hui le jour de votre Nom,
J'ai lu dans un vieux livre la geste de votre Passion

Et votre angoisse et vos efforts et vos bonnes paroles
Qui pleurent dans un livre, doucement monotones.

Un moine d'un vieux temps me parle de votre mort.
Il traçait votre histoire avec des lettres d'or

Dans un missel, posé sur ses genoux,
Il travaillait pieusement en s'inspirant de Vous.

À l'abri de l'autel, assis dans sa robe blanche,
Il travaillait lentement du lundi au dimanche.

Les heures s'arrêtaient au seuil de son retrait.
Lui, s'oubliait, penché sur votre portrait.

À vêpres, quand les cloches psalmodiaient dans la tour,
Le bon frère ne savait si c'était son amour

Ou si c'était le Vôtre, Seigneur, ou votre Père
Qui battait à grands coups les portes du monastère.


Je suis comme ce bon moine, ce soir, je suis inquiet.
Dans la chambre à côté, un être triste et muet

Attend derrière la porte, attend que je l'appelle !
C'est Vous, c'est Dieu, c'est moi, - c'est l'Éternel.



Je ne Vous ai pas connu alors, - ni maintenant.
Je n'ai jamais prié quand j'étais un petit enfant.

Ce soir pourtant je pense à Vous avec effroi.
Mon âme est une veuve en deuil au pied de votre Croix ;

Mon âme est une veuve en noir, - c'est votre Mère
Sans larme et sans espoir, comme l'a peinte Carrière.

Je connais tous les Christs qui pensent dans les musées ;
Mais Vous marchez, Seigneur, ce soir à mes côtés.


Je descends à grands pas vers le bas de la ville,
Le dos voûté, le coeur ridé, l'esprit fébrile.

Votre flanc grand-ouvert est comme un grand soleil
Et vos mains tout autour palpitent d'étincelles.

Les vitres des maisons sont toutes pleines de sang
Et les femmes, derrière, sont comme des fleurs de sang,

D'étranges mauvaises fleurs flétries, des orchidées,
Calices renversés ouverts sous vos trois plaies.

Votre sang recueilli, elles ne l'ont jamais bu.
Elles ont du rouge aux lèvres et des dentelles au cul.

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....................................................................

Seigneur, la foule des pauvres pour qui vous fîtes le Sacrifice
Est ici, parquée tassée, comme du bétail, dans les hospices.

D'immenses bateaux noirs viennent des horizons
Et les débarquent, pêle-mêle, sur les pontons.

Il y a des Italiens, des Grecs, des Espagnols,
Des Russes, des Bulgares, des Persans, des Mongols.

Ce sont des bêtes de cirque qui sautent les méridiens.
On leur jette un morceau de viande noire, comme à des chiens.

C'est leur bonheur à eux que cette sale pitance.
Seigneur, ayez pitié des peuples en souffrance.

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..................................................................

Seigneur, l'aube a glissé froide comme un suaire
Et a mis tout à nu les gratte-ciel dans les airs.

Déjà un bruit immense retenti sur la ville.
Déjà les trains bondissent, grondent et défilent.

Les métropolitains roulent et tonnent sous terre.
Les ponts sont secoués par les chemins de fer.

La cité tremble. Des cris, du feu et des fumées,
Des sirènes à vapeur rauquent comme des huées.

Une foule enfiévrée par les sueurs de l'or
Se bouscule et s'engouffre dans de longs corridors.

Trouble, dans le fouillis empanaché de toits,
Le soleil, c'est votre Face souillée par les crachats.


Seigneur, je rentre fatigué, seul et très morne ...
Ma chambre est nue comme un tombeau ...

Seigneur, je suis tout seul et j'ai la fièvre ...
Mon lit est froid comme un cercueil ...

Seigneur, je ferme les yeux et je claque des dents ...
Je suis trop seul. J'ai froid. Je vous appelle ...

Cent mille toupies tournoient devant mes yeux ...
Non, cent mille femmes ... Non, cent mille violoncelles ...

Je pense, Seigneur, à mes heures malheureuses ...
Je pense, Seigneur, à mes heures en allées ...

Je ne pense plus à Vous. Je ne pense plus à Vous.


Salut CENDRARS
!

cendrars1001.jpg




Pour lire le poème en son entier. Et il le faut ! Dommage que soient oubliés les exergues de Fortunat et de Rémy de Gourmont. Ce diable de Blaise crevait peut-être de faim, mais il fréquentait les salles des bibliothèques newyorkaises.

samedi, 11 avril 2009

s'appliquer des "Tranches de savoir"

À la suite de mes deux notes précédentes, je m'appliquerais bien volontiers ces trois petites "Tranches de savoir" du Compagnon Michaux.

Celui-là, avec sa vertu, il branle ses vices.

Qui a rejeté son démon nous importune avec ses anges.

Se plaire sur le toit, c’est peut-être à cause de la cave.


vendredi, 10 avril 2009

je n'ai pas tué

...Tamloul, c’est moins grandiose, on ne gravit pas de crêtes nocturnes comme des félins, on ne dévale pas dans les oueds comme des gamins au petit matin.
On demeure une heure, deux heures, tapis dans l’ajout de nuit que donne le mur de branches et de pisé du gourbi. Tu attends, tu écoutes, tu écoutes intensément, tu sens le copain à portée de ta main, tu ne vois pas son visage charbonné au bouchon brûlé, mais de temps à autre, vos deux mains se rejoignent rassurantes, tièdes, presque tendres.
Au moindre bruit lointain, proche, le geste s’affermit, les visages se rapprochent. Murmures pour s’assurer de la réalité ou de l’hallucination. Les corps, seuls, en bougeant appuyés au mur, ont fait crisser le bois. De l’autre côté, ce bruit léger a-t-il été entendu ? Ils l’espérent. En tout cas, quand ils “décrocheront”, ils ne prendront plus aucune précaution. Que les fells sachent qu’ils étaient là ! Et peut-être aussi ailleurs !

Ils ont maintenu la pression deux mois durant, il a suffi de deux escarmouches. La première, à peine quinze jours après la désastreuse embuscade où fut tué Slama, Jaqez était avec El-Ahmra, un jeune appelé algérien de ceux qu'on appelait FSNA, Français de souche nord-africaine !
La lune en son premier quartier se couchait. Les fells sont venus du sud-ouest, par le petit thalweg qui aboutit à hauteur de la placette.

C’est El-Ahmra qui a eu le pressentiment d’un mouvement au débouché du thalweg. Les deux mains qui se cherchent, visage contre visage : « Lieutenant, là-bas, en haut du petit oued. » Le repli de terrain a étouffé tout bruit suspect, ils sont six en file indienne, ils s’arrêtent, reprennent leur progression, s’arrêtent, ils sont maintenant à découvert sur le glacis qui précède les barbelés à cent mètres, ils s’avancent courbés, le premier à dix mètres devant les autres. Arrêts plus fréquents. Silhouettes plus sombres sur le sombre de la crête de Rhardous qui se profile sous le ciel clair d’étoiles.
« El ! Quand le premier s’engagera sous les barbelés, on vise aux jambes. Aux jambes, El ! » La main d’El-Ahmra étreint la sienne. Leurs armes ne sont pas encore sorties de l’ombre du mur. À cinquante mètres, la première ombre se couche. « Aux jambes, El, aux jambes ! » La Mat d’El-Ahmra crache des étincelles au sol, puis, il lâche tout son chargeur plus haut. Fuite éperdue, ça gueule chez les cinq fells debout, ils tentent de riposter en tirant des rafales désordonnées.
El-Ahmra et Jaqez eux, sont déjà planqués au sol à dix mètres de l’endroit où El-Ahmra a déclenché le tir. L’éclaireur couché s’est relevé plus vite que son ombre, il court derrière ses copains, ils vont s’enfoncer dans le repli nocturne du thalweg. Jaqez ajuste sa carabine US, il a le doigt sur la queue de détente : « Tire, Lieutenant ! » Il tire posément deux mètres en avant de la première ombre qui fuit, il voit l’étincelle de l’impact sur les caillasses. Calmement les dix balles de son chargeur. Jamais agréables des balles qui font mouche entre les jambes.
« Lieutenant, pourquoi tu as tiré à terre ? »
Parce que, El ! Mais il ne le lui avouera point ... Parce que la gueule éclatée du premier “fell”... l’abattage du petit berger Hocine... le ventre ouvert de Slama. Merde, non. Assez, assez de tout ce sang ! Il prend l’épaule de El-Ahmra, « Et, toi, El, hein, tu as tiré dedans ou en l’air ? » Il croit deviner un sourire sur le visage du jeune algérien


Extrait d'une chronique de ces années de merde et de feu que tant d'entre nous vécurent entre 1954 et 1962 ; elles verront ou ne verront pas le jour ?
Je voudrais ajouter que si je n'ai pas tué, c'est que j'avais dans ma cantine de bidasse, un texte immense de six pages qui narre d'autres années plus infernales encore : c'est le « J'ai tué » de Blaise Cendrars.
À lire !

à fleur de peau

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Depuis plus d'un mois, il y avait à l'Espace Cosmopolis, qui jouxte le Théâtre Graslin, une exposition sur le Rwanda avec des œuvres très fortes de Bruce Clarke ; ce plasticien sud-africain part de fragments déchirés, de papiers divers, de journaux, d’affiches, qu'il travaille, triture, imprègne de couleurs les traces photographiques et les typo. « Mots et couleurs, mots et images s’intègrent alors et se recomposent sur la toile

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De plus en plus, il m'arrive d'avoir l'émotion à fleur de peau : les insomnies ou l'adolescence du « grand âge » ?
... Par exemple, le moment de l'après-midi d'hier, quand, encerclé(e)s par ces tableaux de Clarke, l'amie que j'accompagne dans la visite de cette exposition, évoque les violeurs comme les tueurs.
Je n'ai pas tué, jamais violé.
Face à la VIOLENCE, le dégoût est incoercible.
Et pourtant je sais parfois ne pas être et tendre et doux !

Mais face à ces images et par les mots de cette amie, renvoyé à ces quelques moments trop réels où il fallut opposer à l'horrible qui pouvait ou allait survenir, la fermeté paisible — je ne suis ni courageux, ni encore moins héroïque; simplement il le fallait ! — l'émotion m'a poigné.

La main de l'amie sur mon bras m'a relié, je n'étais plus seul dans mes larmes !
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mercredi, 08 avril 2009

abriter les sans-papiers certainement, accueillir l'Étranger...

...certainement plus encore.

Nous n'étions que quelques cinq cents, sur le parvis du Palais de Justice, dans un vrai crachin nantais et breton.
Cinq cents pour manifester notre honte de ces lois iniques qui contreviennent à l'article I et XII de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Plus de cinquante ans que j'accumule sans doute les possibilités d'être un délinquant.
J'ai mal quand je sais que les deux femmes qui m'ont amené à l'Amour, si la mort n'était pas, elles n'auraient pu être accueillies par d'autres que moi, leur Amant "étranger". Et encore ?
J'ai mal à mes amitiés de Côte d'Ivoire, d'Algérie, du Sénégal, et d'ailleurs, parce que la loi de mon pays — est-ce encore mon pays ? — m'interdirait d'accueillir chez moi leurs enfants et leurs petits-enfants.
M'interdirait ? Mais qui peut interdire ?

Combien des citoyen(ne)s de ce pays — est-ce encore mon pays ? — connaissent le nouveau dispositif de délivrance des attestations d'accueil qui sévit depuis novembre 2004.
Allez donc chercher en votre mairie, chez le Préfet, sur la Toile, les imprimés que vous devrez remplir pour savoir à quelles humiliations vous exposent le décret du 17 novembre 2004 et la circulaire ministérielle du 23 novembre 2004.
Je me suis fait un jour répondre que ces iniquités, c'était l'Europe de l'espace Schengen.
L'Europe ? Quelle Europe ? À peine était-elle devenue "mon pays" que déjà ce n'est plus mon pays.

À en pleurer, au sens propre.
Je ne suis pas solidaire, je ne veux être qu'humain.

À tous les repas pris en commun, nous invitons la liberté à s'asseoir. La place demeure vide, mais le couvert reste mis.

Plus loin.
Guérir le pain. Attabler le vin.
René Char, Feuillets d'Hypnos.





dimanche, 05 avril 2009

deux « semaines saintes » si étranges

Le Dimanche des Rameaux en 1999,
trente-neuvième jour de mer depuis Ua Huka.
Nous étions par 11°08'15 Nord et 109°18'44 Ouest. Depuis trois jours dans un vrai chaudron à grains.

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Nous réduisions, rehissions, réduisions la toile, ruisselants de pluie chaude.
Acapulco était encore à six cent cinquante milles.

Le Dimanche des Rameaux en 2002, à Ronda, les Pénitents noirs, les reins ceints de cordes de chanvre brut.

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Les stridences aigres des trompettes et les Vierges vacillantes sur les pasos. Une Semaine Sainte durant, dans les Andalousies Atlantiques.

un outil pour jardiner les lectures, chez Michaux

Dans la série des "Je Lis" et non des "J'ai lu", Michaux est un des tout premiers sur mes étagères. Quoique ça faisait bien longtemps que je ne l'avais lu avec la constance de ces derniers jours, motivée par la quête des anaphores. À côté de ces dernières et de ses sentences, j'ai déniché un excellent outil de jardin pour désherber les lectures qui me grattent, — ces jours-ci, Sollers avec son Un vrai roman, Mémoires dont la suffisance de certaines pages parvient à des profondeurs d'un nombrilisme, rarement avoué avec autant de cynisme.
Le sarclage, quand ce n'est pas plus radicalement un arrachage, proposé par Michaux tient donc en ceci :

« Quant aux livres, ils me harassent par-dessus tout. Je ne laisse pas un mot dans son sens ni même dans sa forme.
Je l’attrape et, après quelques efforts, je le déracine et le détourne définitivement du troupeau de l'auteur.
Dans un chapitre vous avez tout de suite des milliers de phrases et il faut que je les sabote toutes. Cela m'est nécessaire.
Parfois, certains mots restent comme des tours. Je dois m'y prendre à plusieurs reprises et, déjà bien avant dans mes dévastations, tout à coup au détour d'une idée, je revois cette tour. Je ne l’avais donc pas assez abattue, je dois revenir en arrière et lui trouver son poison et je passe ainsi un temps interminable.
»


Seul le pessimisme du lecteur est indéracinable :
« Et le livre lu en entier, je me lamente, car je n'ai rien compris... naturellement. N'ai pu me grossir de rien. Je reste maigre et sec.
Je pensais, n'est-ce pas, que quand j'aurais tout détruit, j'aurais de l'équilibre. Possible. Mais cela tarde, cela tarde bien*
».


Je dois avouer que le bonhomme Sollers résiste fort bien quand il justifie son maoïsme des années soixante-dix et célèbre ses ouvres antérieures. Indéracinable, lui aussi. Comme du chiendent ! Même avec l'outillage de Michaux.

Je file la métaphore jardinière parce que le lundi-philo de Gilles Clément n'est pas encore très éloigné et qu'hier après-midi, il y avait un forum des citoyen(ne)s pour penser le Développement durable dans notre petite cité et que ce n'est pas un vain mot, ici. Il nous fallait identifier de nouvelles actions possibles pour 2010. Du "Zéro pesticides" à l'entretien des fossés et à l'amélioration des friches, l'agenda sera bien plein. Mais nous y parviendrons :
Qui sait raser le rasoir saura effacer la gomme.
me dit Michaux.

* Une vie de chien, in Mes Propriétés, 1929,

vendredi, 03 avril 2009

anaphores et sentences

À la demande Mj, j'étais à la recherche d'anaphores dans les textes de Michaux :

Dans le noir, dans le soir sera sa mémoire
dans ce qui souffre, dans ce qui suinte
dans ce qui cherche et ne trouve pas
dans le chaland de débarquement qui crève sur la grève
dans le départ sifflant de la balle traceuse
dans l'île de souffre sera sa mémoire

À relire dans la note de décembre 2006.

Je me suis retrouvé à glaner ce que je ne sais trop nommer : des sentences, des dictons, des aphorismes ?
Il ne faut point abuser de leur lecture à haute dose. À raison quatre ou cinq par note, le blogue sera donc alimenté pendant quelques jours.
« Aidons les vaches à ruminer » dit le bienveillant, posant sa fouchette un instant.

Ne désespérez jamais. Faites infuser davantage.

Faites pondre le coq, la poule parlera.

Les pieds n’approuvent pas le visage, ils approuvent la plage.

Taciturne en montagne, bavard en plaine.*


Ruminons paisiblement, ayant non seulement poser la fourchette, mais aussi ranger l'assiette !
Mais rien n'empêche d'aller à la recherche d'autres textes utilisant l'anaphore. Par exemple L'Avenir repris dans la note Michaux publiée en février 2005 et où les seules répétitions sont une conjonction "quand" et un article "les" :
Quand les mah,
Quand les mah,
Les marécages,
Les malédictions,
Quand les mahahahahas,
Les mahahaborras,
Les mahahamaladihahas,
Les matratrimatratrihahas,
Les hondregordegarderies,
Les honcucarachoncus,
Les hordanoplopais de puru paru puru,
Les immoncéphales glossés,
Les poids, les pestes, les putréfactions,
Les nécroses, les carnages, les engloutissements,
Les visqueux, les éteints, les infects,
Quand le miel devenu pierreux...


* extraits de Tranches de savoir in Face aux verrous, 1954.

jeudi, 02 avril 2009

l'otium et les haricots grimpants

à Pierre.

harcots001.jpg
Ce n'est point dans le droit fil de Gilles Clément, ce n'est pas un jardin planétaire, ce n'est pas un haricot d'avril, ce n'est qu'un modeste échange entre deux compagnons de jardin.
Les commentateurs, certains parfois, méritent bien d'être le sujet d'une note et non d'une simple réponse dans la rubrique des commentaires.
Et puis, si cela était utile à d'autres jardini(è)r(e)s.


Remarque :
Les haricots "mangetout" peuvent se récolter jusqu'à un stade de développement avancé car ils ne font ni fil, ni parchemin*.
in Conseils au jardinier, verso de la boite.

* Parchemin :
3. c) Enveloppe extérieure de certaines graines (haricots, lentilles, pois, café, p.ex.); membranes végétales qui se trouvent dans plusieurs parties de plantes. La pellicule qui tapisse la cosse des pois verts se nomme le parchemin, et l'espace dont on peut manger la gousse avec la graine se nomme pois sans parchemin (BRARD 1838); (ds Lar. agric. 1981).

On apprend à tout âge !