Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 30 juin 2005

Sagesse du voyage ?

Gijon, le 30 juin 2005

Hl m’ayant laissé son “Colosse de Maroussi”, que je lui avais offert en guise de guide pour la Grèce en 1990, j’ai replongé dedans avec cette sorte d’ivresse que doit susciter le lyrisme de Miller.
Je ne l’avais rouvert partiellement qu’en 2000 pour préparer notre voyage en Crète où nous évitâmes Cnossos pour arpenter au petit matin Phæstos et nous perdre plus tard dans les confins de l’est du côte de Katos-Zacros pour admirer les oliviers quadricentenaires de Yannis, notre hôte du Ravin des Morts et boire chez “Zeus” un raki que les épiciers vendent au kilo dans des bouteilles de plastique, en croquant bâtonnets de carottes et de concombre que nous avait si gentiment préparés notre loueur de Hiérocampos, ce bout du monde d’occident qui s’affirme à l’est face à l’Asie, au sud confronté à l’Afrique.

La lecture de cet hymne à la lumière méditerranéenne est sans doute le contrepoint aux lumières asturiennes, belles mais tamisées par ces lourds nuages que génère la fameuse dépression relative qui se maintient tout l’été sur la péninsule ibérique et propulse, des rivages aquitains aux rivages bretons, de bienfaisants - ou malfaisants, selon - orages.

Seules quelques pages de méditation sur la paix et la guerre ne résistent guère. Par contre ses vitupérations sur la société américaine, sa richesse, ses pauvres, sont toujours d’une cinglante actualité. Il manque, Henry Miller, en ces temps de retour au conformisme. Et les Européens d’hier ne sont pas épargnés. Il n’eût pas plus épargné ceux d’aujourd’hui !

«... la civilisation...creuse dérision, fantôme verbeux suspendu comme un mirage au-dessus d’une énorme marée montante de carcasses et de carnages. »


Il y a du “Moravagine” chez cet homme-là ! Suffit de relire les trois pages sur sa vision de la planète Saturne ou son délire sur les deux fils d’Agamemnon, Épaminondas et Louis Amstrong, pour comprendre ce qu’il doit, sans que ce fut emprunt ou dette, à Blaise Cendrars.

Mais je suis dans les lumières asturiennes.

Et aux Asturies, terre de résistance aux conquêtes arabo-andalouses et autre dictature franquiste, terre de bergers qui jouent de la bombarde, sœur celte de la raïta berbère et des mineurs qui, discrètement, lèvent le poing pour se saluer en entrant dans les cafés, on arpente à longueur de soirées, les jetées des ports qui sont larges comme des avenues, car il faut bien résister encore aux puissantes houles de noroît qui lèvent du Golfe.

De retour des mystérieuses rives des pays de l’étain, Pythéas vint-il mouiller dans la “concha” de Gijon, entre cabo de Torrès et Cerro de Santa Catalina ? Toujours est-il que les Romains apprécièrent le calme du site et établirent leurs thermes au flanc est de la colline, quand s’évase, en bel arc de sable blond, la baie de San Lorenzo !

Hier, la Saint-Pierre semblait une fête chômée aux Asturies et la Principauté n’ayant point de problèmes majeurs avec la canicule et ses vieux, il n’y a nulle raison de rogner les fêtes votives.medium_cornem.jpg
medium_sonneurs1.jpg
Tous magasins fermés, hors les “sidrerias”, cafés, bars et...librairies (?), la ville bruissait en toutes ses places de cornemuses et de castagnettes.
Et, ici, les femmes “sonnent” tout autant que les hommes ; il est vrai que la cornemuse asturienne se rapproche plus de la “veuze”, le petit biniou du Pays Nantais, que de la grande cornemuse écossaise.

Le cidre pétillait à longs jets dans les grands verres collectifs !

mercredi, 29 juin 2005

De Gijon

Blogue de Biscaye
au port de Gijon, le 27 juin 2005


...pour l’âme timide, le petit voyage est aussi formidable que la longue exploration pour la grande âme. C’est intérieurement que s’accomplissent les voyages ; et les plus hasardeux, est-il besoin de le dire, s’accomplissent sans qu’on bouge d’un pouce. Mais le sens du voyage peut flétrir et mourir.

Henri Miller
Le colosse de Maroussi

« J’habiterai mon nom », fut ta réponse aux questionnaires du port.

Saint-John Perse
Exil

Je n’infligerai point aux lectrices et lecteurs la fastidieuse énumération du livre de bord avec ses horaires, son loch, ses caps vrais, ses vents.

Nous sommes à bord depuis le 13 juin. Une paisible dernière nuit en Vilaine et l’écluse était passée le 14 juin.
Deux jours entre Höedic et Houat pour que Hl. et Br. s’amarinent avant la traversée du Golfe.

Hoëdic avait retrouvé son atmosphère de naguère, un rien dépravée entre une dizaine de campeurs “babas” aux regards éteints et l’équipage d’un vieux gréement en goguette, qui s’était - l’équipage - sans doute trop désaltéré à la bière-Picon de la “Trinquette” : les dames s’étaient “lâchées” et les messieurs tentaient de leur faire garder un reste de dignité.

À Houat, l’air est toujours plus digne et les îliens se partagent toujours entre celles qui envoient leurs enfants à l’école “libre” et celles qui les envoient à l’école laïque, entre ceux qui vont au bistrot et ceux qui n’y vont point. Je n’ai jamais recoupé les critères. Je suis allé saluer Léone, notre cuisinière de naguère quand nous réalisions nos formations de photographes-animateurs avec l’Institut national d’Éducation populaire de Marly ; elle m’accueille toujours avec un large sourire. Nous avons fait nos dernières vivres chez “Rémy”, le boulanger qui recuit son pain une seconde fois, pour qu’il tienne mieux en mer.

À 13 heures nous larguions le corps-mort et à quarante minutes plus tard nous embouquions à la pleine mer le passage du Béniguet : le cap Péñas était à 255 milles ...nautiques, cap au 210 ; Ribadéo à 287 milles au 220.
Souvent, lors de nos croisières côtières, j’ai rêvé en franchissant le Béniguet de plonger dans le sud. Cette fois, ce fut la bonne.
Le vent léger d’ouest-sud-ouest nous a lâché sous Belle-Île et jusqu’au milieu de la première nuit, ce fut du moteur dans une mer hachée.
Traditionnel coucher de soleil sans nuages, donc sans magnificences, mais de beaux dégradés des oranges aux rouges pour s’atténuer dans des mauves et verts.
Quelques bateaux de pêche croisés au large de Yeu pendant le quart de Br.
Le vent n’est revenu qu’au petit matin par l’est-nord-est, pendant le quart de Hl.

Br. qui prétendait avoir le mauvais sort nous pêche des maquereaux. Préparés en papillotes au sel et à la moutarde par Hl. qui suit fort bien la tradition culinaire et maritime de Nicléane, sa mère ; ils sont toujours le régal des premiers jours de mer.
medium_maqu.jpg
Dauphins, une fois fois, deux fois trois fois.
Golfe désert.
Seconde nuit, claire, de pleine lune. Le vent de nordet est plus soutenu, 4 à 5 Beaufort : nous avons pris un ris dans la grand’voile pour passer une nuit paisible.
Golfe désert.
medium_coupig.jpg

Le 18 juin, le vent adonne au suet ; la météo nous annonce une rotation à l’ouest avec un renforcement pour l’après-midi. Le ciel se couvre par l’ouest. À 15 heures, le vent tourne effectivement et monte : Dac’hlmat allonge la foulée. À 17 heures, c’est du 20-25 nœuds d’ouest. Prise de ris et réduction de génois ! Nous maintenons le cap sur Ribadéo à 60 milles dans le suroît, mais le cap est serré et la mer se hache. Dac’hlmat passe fort bien à 5 nœuds dans ce méchant clapot qui va devenir vite inconfortable.

La météo de 20 heures nous confirme le passage perturbé jusqu’au petit matin ; à 20 heures 15, l’équipage se concerte ; le principe de plaisir, qui demeure nôtre, nous fait fait abattre sur Gijon qui est à 50 milles dans notre sud-sud-est. Vent de travers entre 25 et 30 nœuds, Dac’hlmat fonce à huit nœuds.
Hl. relèvera les trois éclats du cap Peñas à minuit. La mer s’apaise. À 4 heures, nous arrondirons la digue des Asturies.
Belle est Gijon dans ses lumières nocturnes !

Des Villes hautes s’éclairaient sur tout leur front de mer, et par de grands ouvrages de pierre se baignaient dans les sels d’or du large.

Saint-John Perse
Amers

Hl. et Br. ont débarqué depuis deux jours après avoir croisé entre Gijon et Luarca sous des ciels asturiens nuageux, mais tellement plus cléments que la canicule française.
Je suis seul à Gijon. J’attends Nicléane, Noémie et Célia, mes deux petites-filles.
J’aime beaucoup l’opulence tranquille de ce port asturien.
La darse est européenne : pavillons britanniques, allemands, hollandais, polonais même, français, assortis parfois du “Gwen ha Du”, le pavillon breton. Sous le pavillon dr courtoisie espagnol, j’ai monté celui des Asturies : croix d’or sur fond bleu, avec l’alpha et l’oméga
J’ai, en guise de viatique de lecture, entre autres livres, le Colosse de Maroussi d’Henry Miller que m’a laissé Hl., et Saint-John Perse.
Ce dernier, ce ne sont pas les circonstances marines qui me l’ont fait glisser dans mon sac, mais le simple fait qu’après Joachim Du Bellay , c’est le n°35 de la collection Poètes d’aujourd’hui que j’avais acheté en 1959 ; il est d’ailleurs accompagné du n° 65, Serge Éssénine. Retour aux poètes de ce temps ?
Mais il faut bien avouer que proférer du Perse en dévalant les houles du Golfe, c’est d’une belle et longue jouissance :

Et c’est un chant de mer comme il n’en fut jamais chanté, et c’est la mer en nous qui le chantera :
La Mer, en nous portée, jusqu’à la satiété du souffle et la péroraison du souffle,
La Mer, en nous, portant son bruit soyeux du large et toute sa grande fraîcheur d’aubaine par le monde.
Saint-John Perse
Amers

medium_dachgijo.jpg

Post-scriptum :
Vous n’avez pas tout à fait échappé au livre de bord.
N’hésitez point, cependant, à utiliser la rubrique “commenter”, non pas pour le commentaire de ce qui est écrit, mais parce que nous pourrons ainsi avoir de vos nouvelles et que le blogue me semble autre manière d’expérimenter l’échange de nos courriels.

mardi, 28 juin 2005

Dac'hlmat est á Gijon

Dac'hlmat est donc Gijon après une fort belle traversée du Golfe.
Le blogue navigue moins bien, petits et gros problémes de compatibilité entre Mac et les pc des cybercentres.
Pour tout courriel, soyez sympa : utilisez

dachlmat@voila.fr

Belles sont les Asturies !

Le matin du 29 juin

Le blogue MARCHE ! Résolues mes incompétences !

mardi, 14 juin 2005

Le blogue navigue

Il y a quatre ans, dans le périple circum-ibérique, nous utilisions les courriels.
Cette année 2004/2005, avec la mise en place de "grapheus tis", depuis bientôt ...neuf mois, nous souhaiterions expérimenter le blogue pour vous proposer de nous accompagner de la mi-juin à la mi-août, sur les rivages d'Asturies et de Galice, au gré de la météo et des escales entre Gijon (Asturies) et La Corogne (Galice).
Il est évident que ce sera très lié à la fréquence des cyber-centres, trouvés dans les ports ; mais les amis espagnols, certes moins bien équipés en informatique familiale, disposent d'équipements collectifs plus nombreux. Donc nous espérons pouvoir alimenter la chronique.

À vous d'aller sur "grapheus tis" si vous le désirez et il vous sera toujours possible de nous laisser un message dans les "commentaires" qui sont en bas de la note. Je peux vous assurer que ce sera toujours pour nous plus qu'un petit bonheur.
Ainsi, naguère les courriels que nous recevions.

Dac'hlmat largue les amarres, ce soir du 13 juin.
Il devrait retrouver l'estaire de la Vilaine à la mi-août. Comme quoi ce n'est pas un voyage très sérieux, puisqu'il est écrit que le voyageur décide son départ et ne sait rien de son retour !

lundi, 13 juin 2005

Joachim Du Bellay

Ce n’est sans doute pas fortuit si j’achetai le même mois, en juillet 1958, François Villon et Joachim Du Bellay dans la collection “Poètes d’hier et d’aujourd’hui”. Certes, il y avait de ma part le projet de déscolariser les lectures de deux poètes que j’aimais et que l’approche de mes contemporains, Cadou, Char, Michaux tendaient à me faire lire autrement.
Mais plus souterrainement, il y avait le creusement d’un thème qui m’est intime : le désenchantement nécessaire à celui qui trop rêve l’utopie.

medium_couvjoach001.jpg



Le bouquin est signé d’un certain Frédéric Boyer ; l’iconographie est abondante - entre autres, un beau portrait de Dorat, le maître de Coqueret. C'est le troisième de la collection et il est édité au cours du deuxième trimestre 1958.
Le commentaire de Boyer suit, sans originalité, la chronologie des œuvres ; il abonde même dans l’idée d’un Du Bellay toujours second de Ronsard, copieur de Speroni, d’un poète, agréable pétraquisant, mais dont la poésie aurait un “aspect quelque peu décharné”, lecture au premier degré d’un œuvre que seul lira sans doute en profondeur, mais pourquoi avec tant d’obscurités, Michel Deguy, en son Tombeau pour Du Bellay, quinze ans plus tard en 1973.
Bref, pour Boyer comme pour ses prédécesseurs, avec plus de nuances, là où passe Joachim, d’autres sont déjà passés. Mais pour le "jeune" lecteur d'alors, l'avancée critique est certaine et Boyer souligne bien l'importance de "Défense et illustration de la langue fançaise", même s'il souligne fortement les talents de copiste de Joachim. À l'époque,...celle de Joachim, le concept d'auteur n'est pas encore assorti de droits inaliénables et le terme "plagiat" a-t-il quelque sens ? Le TLFI atteste l'usage entre 1680 et 1690.

Montaigne, lui, ne mesura point l’un à l’aune de l’autre

...depuis que Ronsard et Du Bellay ont donné crédit à notre poésie française, je ne vois si petit apprenti qui n’enfle des mots, qui ne range les cadences à peu près comme eux. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poètes... (mais) ils demeurent bien court à imiter les riches descriptions de l’un et les délicates inventions de l’autre.
livre I, ch. XXVI
...aux parties en quoi Ronsard et Du Bellay excellent , je ne les trouve guère éloignés de la perfection ancienne.
livre II, ch XVII



Donc, après Villon, le blogueur de la fuite et du don, voilà le blogueur nostalgique du voyage, mais aussi le chroniqueur acerbe - en avril de cette année, le billet n’eût point déparé de la une de certains quotidiens :

LXXXI
Un conclave
Il fait bon voir (Paschal) un conclave serré,
Et l'une chambre à l'autre egalement voisine
D'antichambre servir, de salle, & de cuisine,
En un petit recoing de dix pieds en carré :

Il fait bon voir autour le palais emmuré,
Et briguer là dedans ceste troppe divine,
L'un par ambition, l'autre par bonne mine,
Et par despit de l'un, estre l'autre adoré :

Il fait bon voir dehors toute la ville en armes,
Crier le Pape est fait, donner de faulx alarmes,
Saccager un palais : mais plus que tout cela

Fait bon voir, qui de l'un, qui de l'autre se vante,
Qui met pour cestui-cy, qui met pour cestui-la,
Et pour moins d'un escu dix Cardinaux en vente.



Suit de près le CXXXIII, mais nous allons de Rome à Venise,


Il fait bon voir (Magny) ces Couillons magnifiques,
Leur superbe Arcenal, leurs vaisseaux, leur abbord.
Leur sainct Marc, leur palais, leur Realte, leur port,
Leurs changes, leurs profitz, leur banque, & leurs trafiques :

Il fait bon voir le bec de leurs chapprons antiques,
Leurs robbes à grand' manche, & leurs bonnetz sans bord,
Leur parler tout grossier, leur gravité, leur port,
Et leurs sages advis aux affaires publiques.

Il fait bon voir de tout leur Senat balloter,
Il fait bon voir par tout leurs gondolles flotter,
Leurs femmes, leurs festins, leur vivre solitere :

Mais ce que lon en doit le meilleur estimer,
C'est quand ces vieux coquz vont espouser la mer,
Dont ilz sont les maris, & le Turc l'adultere.



Il y a quelques saveurs à parcourir ces billets adressés à l’un ou l’autre de ses amis. N’y reconnaîtrait-on point certaines brèves que s’adressent sur la Toile certains compagnons de blogues ?

Deux scénarios surgissent dans l’imaginaire du lecteur.
L’impossible rencontre du théoricien de la langue et du philosophe & les folles(!) nuits d’amour de la Princesse et de son poète !

Quand Du Bellay écrit ce qui suit dans “Deffence et illustration”, c’est en 1549, Montaigne a seize ans. La camarde lui en aurait-elle laissé temps et loisir, trente-et-un ans après, Joachim eût pu lire la première édition des ESSAIS et son vœu eût été comblé :

Mais le temps viendra par aventure (et je supplie au Dieu très bon et très grand que ce soit de notre âge) que quelque bonne personne, non moins hardie qu'ingénieuse et savante, non ambitieuse, non craignant l'envie ou haine d'aucun, nous ôtera cette fausse persuasion, donnant à notre langue la fleur et le fruit des bonnes lettres.


Demeure encore la merveilleuse énigme des amours de l’Angevin.


DIALOGUE D'UN AMOUREUX ET D'ECHO
Piteuse Echo, qui erres en ces bois,
Repons au son de ma dolente voix.
D'où ay-je peu ce grand mal concevoir.
Qui m'oste ainsi de raison le devoir ? De voir.
Qui est l'autheur de ces maulx avenuz ? Venus.
Comment en sont tous mes sens devenuz ? Nuds.
Qu'estois-je avant qu'entrer en ce passaige ? Saige.
Et maintenant que sens-je en mon couraige ? Raige.
Qu'est-ce qu'aimer, et s'en plaindre souvent ? Vent.
Que suis je donq', lors que mon coeur en fend ? Enfant.
Qui est la fin de prison si obscure ? Cure.
Dy moy, quelle est celle pour qui j'endure ? Dure.
Sent-elle bien la douleur, qui me poingt ? Point.
O que cela me vient bien mal à point !
Me fault il donq' (o debile entreprise)
Lascher ma proye, avant que l'avoir prise ?
Si vault-il mieulx avoir coeur moins haultain,
Qu'ainsi languir soubs espoir incertain.

 

medium_joachim.jpg



Quand un recueil s’achève sur plus de dix-huit sonnets qui mentionnent un prénom de femme, un titre royal ou princier, que l’expression en soit platonique et pétraquisante, soit !
S’il ne s’agit pas là d’une passion ?


Au goust de l'eau la fievre se rappaise,
Puis s'evertue au cours, qui sembloit lent :
Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.

L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.

D'un grand traict d'eau, qui freschement distile,
Souvent la fievre est etainte, Madame.
L'onde à grand flot rent la flamme inutile.

Mais, ô baisers, delices de mon ame !
Vous ne pouriez, et fussiez vous cent mile,
Guerir ma fievre, ou eteindre ma flamme.


Ainsi chante l’amant de celle qui tient “le rameau d’olivier aux deux serpents entrelacés”.
À chacun de résoudre l’énigme!

L’Olive de la jeunesse, pour moi, a un nom.

Post-scriptum :
Ne souhaitant guère clore, ici, la chronique sur le poète de mes adolescences,
j’emporte, pour le périple maritime de ce été, le “Tombeau pour Du Bellay” de Michel Deguy et “L’amour du nom” de Martine Broda, sous-titré “essai sur le lyrisme et la lyrique amoureuse”.
S’approfondira bien l’énigme !
Mais surtout qu’elle demeure “voilée” !

mercredi, 08 juin 2005

Lectures de guingois

Belle insomnie.
Je suis dans le "Tombeau de Du Bellay", érigé en 1973 par Michel Deguy en une langue obscure mais qui zèbre l'œuvre de l'Angevin de beaux éclairs.
Hier soir, "Bouguenais bouquine" confronte ses lectures. S'ébauchent des idées intéressantes, comme celle de reprendre sur un Dazibao les brèves chroniques des blogues. Voilà une belle imbrication du virtuel et du charnel de la parole lectrice. Ça me plait bien cette idée de "mettre en mur" de petits écrans blogueurs.

J'ai lu Du Bellay : l'épitaphe du chat Belaud et le sonnet CXXXI sur le Conclave : il n'eut point dépareillé en avril dans la chronique d'un grand quotidien.
Le CXXXIII qui le suit, non plus, lors la soirée "référendaire"du 28 mai dernier :

Mais ce que l'on en doit le meilleur estimer,
C'est quand ces vieux cocus vont espouser la mer,
Dont ilz sont les maris, & le Turc l'adultere.



Je repousse de quelques jours la fin de chronique sur Joachim : il mérite mieux que le simple commentaire chronologique de Frédéric Boyer, l'auteur du "Seghers" qui reprend les banalités de l'éternel second de Ronsard, du copieur de Spéroni et du "pétrarquisant" de l'Olive.

Il y a quatre ans, j'avais durement "planté" Dac'hlmat sur les méchants cailloux oubliés du Petit Sécé. Le départ pour un périple ibérique en fut reporté de plus d'un mois. C'est ainsi qu'on pratique l'humilité marine entre l'île du Pilier et l'Herbaudière.
Rien n'est jamais acquis en mer !
Vigilance requise, la semaine à venir : je rêve d'une belle entrée dans une ria galicienne !

dimanche, 05 juin 2005

En feuilletant Joachim Du Bellay

Du plus loin que je me souvienne entre récitations et premières approches de la poésie, il y a, s’ajoutant aux fables de La Fontaine, ce fameux sonnet

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage...


Et curieusement, lecture après lecture, silencieuse, à haute voix, souvent ou parfois, en chacun des voyages quand un rien de nostalgie effleurait le pérégrin, rien de la “scie” poétique. La beauté élégiaque des versets bercait et berce encore jusqu’au tercet final

Plus mon Loyre Gaulois, que le Tybre Latin,
Plus mon petit Lyré, que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la doulceur Angevine.



Mais peut-être la séduction inépuisable vient-elle du second vers où est mentionné l’INNOMÉ : “cestuy là”, pan mystérieux du sonnet que renforce la forme vieillie du démonstratif ?
Longtemps dans mes récitations, j’ai enchaîné le premier et le troisième vers, glissant sur cette énigme de “cestuy là qui conquit la Toison” ; car elle marche bien, en tercet, cette première strophe

Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage
.........................................................................................
Et puis est retourné, plein d’usage & raison
Vivre entre ses parents le reste de son âge !



La rupture joue tout à la fois sur le rythme élégiaque mais tout autant sur l’énigme mythologique. Étonnant que Joachim n’ait point nommé le héros et difficile d’imaginer que l’érudit féru de grec et de latin ignorait Jason.
Pour moi, jeune lecteur c’est ainsi que ne s’épuisera pas le sens de ce sonnet, parce que et la scansion et l’histoire butent à chaque lecture, à chaque profération, depuis des années, sur ce vers étrange

ou comme cestuy-là qui conquit la Toison


Il aurait pu tout aussi bien écrire sans nuire ni au rythme, ni à la rime - il y gagnait même un savoureux hémistiche

ou comme ce Jason qui conquit la Toison.



Joachim me fut, donc dès l’enfance, poète familier.
À l’adolescence, cette familiarité se mua en passion quand, pour des raisons professionnelles, mon père quitta les Chantiers nantais pour une briqueterie ancenienne. Les vacances d’été, les premières amours se bercèrent de douceur ligérienne, des sonnets de l’Olive et d’escapades sur les rives blondes de Loire.

Le fort sommeil, que celeste on doibt croyre,
Plus doulx que miel, couloit aux yeulx lassez,
Lors que d'amour les plaisirs amassez
Entrent en moy par la porte d'ivoyre.

J'avy' lié ce col de marbre : voyre
Ce sein d'albastre, en mes bras enlassez
Non moins qu'on void les ormes embrassez
Du sep lascif, au fecond bord de Loyre.

Amour avoit en mes lasses mouëlles
Dardé le traict de ses flammes cruelles,
Et l'ame erroit par ces levres de roses,

Preste d'aller au fleuve oblivieux,
Quand le reveil de mon ayse envieux
Du doulx sommeil a les portes decloses.

 

medium_loire.jpg



Ancenis honorait son voisin liréen avec un beau bronze en pied, contemplatif qui domine le fleuve. Les collégiens quelque peu rustauds de la bourgeoisie ancenienne, plus intéressés par les petits commerces que par les échanges poétiques, surnommaient la sculpture bêtement - du moins c’est ainsi que je l’estimais à l’époque - “Curverville” !
Pour moi, les petites désespérances adolescentes trouvaient langue dans L'OLIVE et Lamartine pointait dans ce romantisme....

Ô belles filles de Loire ! D’Olive en Voile et Viole, l’émoi ruisselait dans les gorges amoureuses.

Ces cheveux d'or, ce front de marbre, et celle
Bouche d'oeillez, et de liz toute pleine,
Ces doulx soupirs, cet' odorante haleine,
Et de ces yeulx l'une et l'autre etincelle,

Ce chant divin, qui les ames rapelle,
Ce chaste ris, enchanteur de ma peine,
Ce corps, ce tout, bref, cete plus qu'humeine
Doulce beauté si cruellement belle,

Ce port humain, cete grace gentile,
Ce vif esprit, et ce doulx grave stile,
Ce hault penser, cet' honneste silence,

Ce sont les haims, les appaz, et l'amorse,
Les traictz, les rez, qui ma debile force
Ont captivé d'une humble violence.


Mais la belle était brune !
Dans les années cinquante, il n’était guère aisé de se procurer les textes de Du Bellay ; il fallait se contenter des Classiques Larousse. Et les plus beaux vers ne s’y lisaient point toujours - enfin, les plus beaux pour le lecteur amoureux :

D'une liqueur céleste emmïellée,
Quand sa rougeur de blanc entremeslée
Qui a peu voir la matinale rose
Sur le naïf de sa branche repose



Souvent il suffisait de suivre le conseil du poète lui-même :

«....Les uns aiment les fraîches ombres des forêts, les clairs ruisselets doucement murmurant parmi les près ornés et tapissés de verdure. Les autres se délectent du secret des chambres et doctes études. Il faut s’accomoder à la saison et au lieu. Bien te veux-je avertir de chercher la solitude et le silence ami des muses...»



Cette dernière recommandation ne fut pas toujours suivie à la lettre et les culs de grève de certaines îles de Loire furent, par quelques nuits d’été, favorables à de tendres étreintes.

Amour aussi m'est humble, et violent,
Quand le coral de voz levres je baise.
L'eau goute à goute anime la fournaize
D'un feu couvert le plus etincelant :
L'ardent desir, que mon coeur va celant,
Par voz baisers se faict plus chault que braize.


Qui a parlé de Pétrarque ? Quand amants du Rhône et de Loire se côtoient, c'est plus l'ardente Louîse LABÉ qui s'approche !
À demain ou après demain !