lundi, 25 décembre 2023
une vieille note d'un NOËL ancien
Fumée bleue dans la pluie froide. La bûche est dans la cheminée. Les vins blancs à la fraîcheur, chambrent les vins rouges.
En évitant les grand-routes
Et les agglomérations
On se moque des gendarmes
Des menées de la nation
Et l'on injurie Hérode
Le vénal le malappris
Qui confond c'est bien commode
Les parias et les brebis
Mais on marche dans la neige
Et soudain l'on aperçoit
Un brin de fumée qui trempe
Dans le vase bleu d'un toit
On pourrait qu'en dis-tu femme
S'arrêter là cette nuit
Une fois n'est pas coutume
De dormir dans un bon lit
L'ane rit l'âne respecte
La parole du patron
Cependant Marie inspecte
D'un coup d'œil les environs
Les voici devant l'auberge
L'aubergiste a beaucoup bu
II sent le rhum et l'absinthe
L'estomac les oignons crus
Quand ils furent dans l'étable
Que Joseph eût bien pleuré
A la plus grosse des poutres
Une étoile s'alluma
Et le ciel comme une terre
Qui longtemps a manqué d'eau
Aspira jusqu'à son centre
L'enfant-roi dans son maillot.
René Guy Cadou
Noël
L'aventure n'attend pas le destin
Enclave nocturne pour la paix !
09:45 | Lien permanent | Commentaires (0)
mardi, 14 novembre 2023
ce novembre 2023
... Et le dernier dahlia dans un jardin perdu...
René Guy Cadou
Le chant de solitude
10:04 | Lien permanent | Commentaires (0)
lundi, 19 octobre 2020
jour pour jour , il y a soixante cinq ans
Et c'est par hasard qu'après une longue journée, ayant préparé le jardin pour l'hiver et rassemblant les notes du blogue pour un livret sur CADOU, cette note émerge...
Octobre 1955
Ce jour du 19 octobre, il a préparé sa belle cantine neuve, riche de toutes les rouilles et cabosses à venir ; la veille, il a peint avec soin, sur la tôle verte, son prénom, son nom, Ancenis d’où il part, Bongouanou où il va. Sa mère lui a, une fois encore, préparé son “trousseau” ; mais cette fois, ce n’est plus pour un trimestre de pensionnat, c’est pour trois ans d’Afrique.
Il part !
Il est au bord du rêve de l’enfant qui, dans les années d'après-guerre, arpentait le quai de la Fosse ! Joie paisible !
En cette fin d’été, il a la certitude du voyage ; il écrit encore des poèmes adolescents qui ressemblent à de faux poèmes de René Guy Cadou.
Il a des tristesses d’amours navrées qui s’atténuent en préparant ce départ.
L’attente a gravi les talus de bruyères
Où des ramiers furent massacrés
La lisière des songes était confondue
dans le lointain aux soleils d’argent
qui dévalaient le fleuve en crue
Il feuilleta des pages millénaires
et connut au bas d’un parchemin crissant
l’étape audacieuse que franchirait son front
Des rouliers dans la salle basse d’une auberge égarée
parlaient de chairs dévastées
au fond de moiteurs vertes
À l’avant des jours pressentis
il se souvint d’une ombre fugace
un matin de savane
qui s’enfonçait dans les herbes du vent
Demain sera la dernière nuit dans la chambre d’adolescence.
17:54 | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 01 mars 2018
où donc peut bien mener la dégustation d'une "tête de veau" ?
Naguère — peut-être bien jadis — c'était à l'Hôtel de la Boule d'or.
Aujourd'hui, c'est, plus prosaïquement rebaptisée, à L'Auberge Rétro. La façade est sans doute intouchable, les lourdeurs mobilières dans le bar et les salles, immuables depuis cinquante ans.
Qu'est devenue la "chambre" ?
Les trois cousins de l'enfance en guerre se sont, hier, retrouvés entre "tête de veau sauce gribiche" ou "tête de veau vinaigrette aux câpres".
La mélancolie était ailleurs, plus profonde
.
À Bourgneuf, René-Guy Cadou, instituteur remplaçant, retrouve en 1941, Sylvain Chiffoleau, son copain du lycée Clémenceau. Hébergé par les parents de ce dernier à l'hôtel de la Boule d'or, il écrit à Marcel Béalu :
«...Je coule des heures paisibles. Je vis sans rien d'autre. Pays de vent. Soleil. Amis natals. Je n'ai plus qu'un grand désir de sable et d'eau verte. La poésie c'est aussi l'air libre, le petit bistrot plein de pêcheurs, la "jolie rousse"... Je déconne en ce moment. Je suis très heureux — à la façon des vaches dans l'herbe grasse ou des Saints, mais les Saints, les seins, l'essaim, c'est tout mon ciel..."Il fait bon vivre à la pointe des vagues et des fanfares étincelantes". Tu liras ça. Ça s'appelle Porte d'Écume ».
Sylvain Chiffoleau et lui s'aventurent dans la lente et humide traversée du marais de Lyarne qui mène au petit port dans l'étier du Collet.
« Lorsque nous avions longuement marché dans la tiédeur des marais, franchissant les innombrables planches lancées de part et d'autre des fossés, nous débouchions sur un large chemin, parallèle au grand étier. Nous le suivions jusqu'à l'écluse dont nous montions les quelques marches pour mieux surplomber le port minuscule du Collet... Aussi loin que portaient nos regards, s'étendait la luisante marée des vases aux vagues figées...», écrit Chiffolleau.
© Nicléane
Assez de sangs mêlés au nectar des collines
De peaux mortes jetées sur le bord du chemin
Les membres sont épars dans la luzerne
Je pars aux premiers feux vers les dunes de Lierne
Et quand j'arrive enfin
La mer est déjà là
Ses ailes se détachent
Des quartiers de soleil aussi qui se détachent
Le cœur fait un remous
L'écume et le matin se sont levés sur nous
Un peu de vent qui vole
Plus haut
Dans le grand air
Sont dressées les paroles
On marche en écrasant des mottes de ciel bleu...
René-Guy Cadou,
Bruits du Cœur, 1941
À l'été 41, Cadou quittera Bourgneuf "en pleurant — où peu s'en est fallu". Il y reviendra souvent.
Les souvenirs que j'ai sont vagues de grand large
Qui retombent parfois sur les pays déserts
Hôtel des Chiffoleau ! tes chambres à cordages
Ballotent mon esprit comme un enfant des mers I
Je me souviens de litres bus
Je me souviens de longues veilles
Minuit ! Tous les mots défendus
Au matin la puce à l'oreille !
Et toujours cet ami discret
Entrant sans bruit dans ma mémoire
« Le soleil est chaud, fait exprès
Mais c'est ta fraîcheur qu'il faut boire ! »
Nous avons marché sur des plages
Λ la recherche d'un pied nu
Les vivants de notre entourage
Ont trouvé l'idée saugrenue
Mais le soir dans ton triste hôtel
La Boule d'Or si bien nommée
D'embruns et de ciel embrumé
Roulait au fond de nos prunelles
Chiffoleau fils de Sylvain père
Le passé tient dans notre verre !
René-Guy Cadou,
SylvainChiffoleau
Que la lumière soit, 1949-1951
Le cœur définitif
Douce mélancolie. Douce...
Maintenant je suis seul
Mon ombre s'est glissée à l'ombre du tilleul
Il fait nuit
La terre bouge
Les adieux sont tendus au bas du rideau rouge
Bruits du cœur,
1941
Qu'est devenue la Chambre ?
18:08 | Lien permanent | Commentaires (0)
samedi, 03 janvier 2015
soixante ans de "poches" et de bonheur qui commencent ainsi
Mon premier poche : Terre des hommes de Saint-Exupéry, le 68, le 20 août 1954.
Le deuxième : Le Zéro et l'Infini d'Arthur Kœstler, le 35, le 6 décembre de la même année.
Le troisième : Journal d'un curé de campagne de Georges Bernanos, le 103, en février 1955.
Ils ne coûtaient que 150 fr — en "anciens francs" — et s'achetaient au sous-sol de la "grande surface" nantaise d'alors, chez Decré. Les premiers bouquins d'adolescence, pour moi tout seul, de "vrais" bouquins qui changeaient des minces classiques de Gigord, Hatier ou Larousse.
Le zéro et l'infini nous avait été proposé par notre professeur de Philo, Jacques Dujardin, pour illustrer ses cours sur le Marxisme. Dans le milieu de mes "Bons Pères, je ne me souviens pas d'un anticommunisme viscéral. Le Goulag n'était pas encore dans l'actualité, mais les procès de Moscou n'étaient pas ignorés. Dois-je avouer que longtemps d'Arthur KŒSTLER ce que je retins ce furent, dans les troubles bien tardifs d'une sexualité adolescente, "les seins dorés comme des pommes" : cet extrait d'un dialogue tapé contre le mur de la cellule en "alphabet quadratique"
COMBIEN DE TEMPS Y A-T-IL QUE VOUS AVEZ
COUCHÉ AVEC UNE FEMME?
Il avait certainement un monocle; il s'en servait sans doute
pour taper et son orbite dénudée était prise de tics nerveux.
Roubachof n'éprouva aucune répulsion. Du moins, cet homme
se montrait tel qu'il était; c'était plus agréable que s'il avait
tapé des manifestes monarchistes. Roubachof réfléchit un peu,
puis il tapa :
IL Y A TROIS SEMAINES.
La réponse vint aussitôt :
RACONTEZ-MOI TOUT.
Vraiment, il allait un peu fort. Le premier mouvement de
Roubachof fut de rompre la conversation; mais il se souvint
que son voisin pourrait par la suite devenir très utile comme
intermédiaire avec le n°400 et les cellule au-delà. La cellule
à sa gauche était évidemment inhabitée; la chaîne s'arrêtait
là. Roubachof se cassait la tête à chercher une réponse. Une
vieille chanson d'avant la guerre lui revint à l'esprit; il l'avait
entendue quand il était étudiant, dans quelque music-hall où
des femmes aux bas noirs dansaient le cancan à la française.
Il soupira d'un air résigné et tapa avec son pince-nez :
LES SEINS DORÉS COMME DES POMMES...
Il espérait que c'était le ton juste. Il avait bien deviné, car
le N° 402 insista :
CONTINUEZ. DES DÉTAILS.
Maintenant il devait certainement se tirailler nerveusement
la moustache. Il ne pouvait manquer d'avoir une petite
moustache aux bouts frisés. Le diable l'emporte; il était le seul
intermédiaire; il fallait rester en relations. De quoi parlaient les
officiers dans leur mess? De femmes et de chevaux. Roubachof
frotta son binocle sur sa manche et tapota consciencieusement :
DES CUISSES DE POULICHE SAUVAGE...
Il s'arrêta, épuisé. Avec la meilleure volonté du monde il
n'en pouvait plus. Mais le N° 402 jubilait...*
Pour les "cuisses de pouliche sauvage", l'Apollinaire des Poèmes à Lou, clandestinement introduit entre grammaire latine de Petitmangin et grammaire grecque de Ragon, m'avait déjà sensibilisé à la sensualité équestre des artilleurs de 14/18.
Ce fut aussi l'année de la triade poétique, avec mes trois "Seghers" : René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux. Tout aussi clandestins que l'Apollinaire.
Ajouts au Claudel des Cinq grandes Odes pour la gloire catholique et aux Méharées de Théodore Monod pour le voyage — eux, avaient obtenu le "nihil obstat" du préfet de discipline — ces trois Livres de Poche et ces trois Seghers m'établissaient Lecteur.
* Arthur KŒSTLER, Le zéro et l'infini, Le Livre de Poche, n°35, 1954
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lundi, 23 juin 2014
mort d'Hélène
À peine refermés les bouquins de Cadou, quand furent notées les cents et plus occurrences du Bleu dans ses textes, voici que le quotidien local annonce ce matin :
La poétesse Hélène Cadou n'est plus.
Elle venait d'avoir 92 ans.
Elle est partie retrouver son René Guy,
le poète de Louisfert disparu à 31 ans.
Ces soixante-et-un ans d'écart ne sont que datation ratée.
Entre lui et elle, il n'y a qu'un immense printemps au dernier jour duquel peut-être se sont-ils re-joints — joints à nouveau.
Il s'en était allé le 21 mars, elle n'est plus, le 21 juin. C'est bien l'écart d'un printemps, n'est-ce pas ?
Cette HÉLÈNE du règne végétal.
Ma mère, très soupçonneuse des poètes que je lisais, m'avait avoué, feuillettant le bouquin de Manoll : « C'est une très belle femme. » Je n'ai jamais avoué à ma mère bien aimée qu'il y avait grande ressemblance de beauté entre Hélène Cadou et elle.
Cette HÉLÈNE du règne végétal.
Qui confiait dans un entretien *
« Mais écoutez, parce que c'était Cadou ! Il m'a donné la parole, ça c'est une vérité.
C'est extraordinaire de pouvoir dire ça, qu'on rencontre quelqu'un qui vous donne la parole. Je me suis mise à parler, spontanément. Et il avait ce pouvoir là. Il m'a apporté la vie... Il m'a redonné la vie, il m'a donné le jour...Je suis née deux fois.»
Qui écrivait dans Le Livre perdu :
À terme
il suffira d'une buée
D'une petite chose
Poignante
Comme
Un pan d'écharpe
Sur Ton épaule
Pour y loger
Notre amour
Quand la terre
Tombera dans la fosse.
Naguère dans un pan de cet immense printemps, lui, Cadou avait écrit à cette HÉLÈNE végétale :
Tu étais la présence enfantine des rêves
Tes blanches mains venaient s'épanouir sur mon front
Parfois dans la mansarde où je vivais alors
Une aile brusquement refermait la lumière
J'appelais je disais que vienne enfin la grande
La belle la toujours désirable et comblée
Et j'allais regarder souvent à la fenêtre
Comme si le bonheur devait entrer par là
Ce fut par un matin semblable à tous les autres
Le soleil agitait ses brins de mimosa
Des peuplades d'argent descendaient la rivière
Les enfants avaient mis des bouquets sur le toit
Aussitôt que je vis tes yeux je te voulus
Soumise à mes deux mains tremblantes à mes lèvres
Capable de reprendre à la nuit son butin
De fleurs noires et de vénéneuses caresses
Tout le jour je vis bleu et ne pensai qu'à toi
Tu ruisselais déjà le long de ma poitrine
Sans rien dire je pris rendez-vous dans le ciel
Avec toi pour des promenades éternelles.
17 juin 1943
Longtemps j'ai souhaité maintenir l'énigme de ce ovale féminin esquissé.
Et si c'était bien le visage de cette femme qui s'en est allée l'autre soir, que la terre n'a pas encore recouvert ?
À vous mes ami(e)s, d'ici le prochain printemps.
*Entretien avec Luc Vidal dans le film d'Emilien Awada, René Guy Cadou ou les visages de solitude
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mercredi, 18 juin 2014
l'odeur des lys m'a mené à la langue bleue
Au fond du jardin, est une bouillée de lys. Un matin de la semaine passée, leur parfum m'a fait ouvrir mes "Cadou".
Pourquoi n'allez-vous pas à Paris ?
— Mais l'odeur des lys ! Mais l'odeur des lys !
— Les rives de la Seine ont aussi leurs fleuristes
— Mais pas assez tristes oh ! pas assez tristes !
Je suis malade du vert des feuilles et de chevaux
De servantes bousculées dans les remises du château
— Mais les rues de Paris ont aussi leurs servantes
— Que le diable tente ! que le diable tente !
Mais moi seul dans la grande nuit mouillée
L'odeur des lys et la campagne agenouillée
Cette amère montée du sol qui m'environne
Le désespoir et le bonheur de ne plaire à personne
— Tu périras d'oubli et dévoré d'orgueil
— Oui mais l'odeur des lys la liberté des feuilles !
Le diable et son train
Hélène ou le Règne Végétal
Et des lys, je me suis réembarqué dans les mêmes "Cadou" pour une quête du "bleu".
J'avais entrepris naguère une recherche des occurences du "sang".
Mais depuis ce colloque de mars dernier où je me suis fermement ennuyé, me traînait cet air de la Lettre à des amis perdus, mise en chant par Julos Beaucarne — je n'aime guère Cadou chanté — mais cette fois, le Julos m'a séduit avec ces deux versets.
et j'ai traduit diverses choses
en langue bleue que vous savez
Il y aux murs de la maison des encres de Nicléane, je souhaitais les légender en miens mots. Et de lys en langue bleue, c'est Cadou qui me revient.
"Mon" Cadou donc que je relis dans la lenteur, la sensualité, les larmes qui me lavent le regard, irrépressible mémoire de la fin d'adolescence.
Ce banc du Jardin des Plantes, il y a soixante années, quasi jour pour jour, après un échec à l'oral de la première partie du baccalauréat pour une sinistre "colle" algébrique, l'attente de la "micheline" pour Ancenis et ces deux lignes, dans un prospectus de Seghers, comme une langue entendue pour la première fois :
Je prends dans mes deux mains vos deux mains qui s'éteignent
Pour qu'elles soient chaudes et farineuses comme des châtaignes
Quand la braise d'hiver les a longtemps mûries.
Quelques jours plus tard, ce sera la première fille dans mes bras sous Liré, à l'extrémité d'un cul-de-grève de Loire, dans l'ombre bleue des léards
Cadou donc avec ses vins noirs, ses lampes, ses "femmes en cheveux" — j'aime — ses "bleus", ses lilas et mes lys.
Il me faudra, bien sûr, légender les encres bleues de Nicléane.
(Elle) avait dans sa veste un godet de ciel bleu
Des images marines
Forges du vent, 1938.
16:05 | Lien permanent | Commentaires (1)
vendredi, 17 mai 2013
un dernier faux sonnet, celui de René Guy Cadou
Naguère — c'était à Nantes en 1999 — lors d'un colloque sur René Guy Cadou, un poète dans le siècle, Paule Plouvier, une universitaire de Montpellier III, présenta sa contribution sous le titre suivant Cadou, Char, alliances secrètes.
Belle audace !
En quarante-quatre ans de lecture de l'un et de l'autre, je n'avais jamais imaginé possibles ces alliances, tant les deux René étaient en moi, leur liseur, l'harmonie des contraires.
Paule Louvier les lient par l'enracinement dans leurs contrées natales, la terre provençale et le paysage nantais, baignées par leurs lumières singulières, habitées par leurs bestiaires et leurs propres floraisons végétales, mais contrées cependant "qui ouvrent à l'universel car ce sont (elles) qui, en modelant une sensibilité, permettent au sujet de forer au plus profond d'une recherche de la parole juste, susceptible de témoigner de la vérité de l'homme.."
J'y ajouterai les liens de l'amitié qui enlacent les recueils de l'un et l'autre et c'est ainsi que je parviens à l'un des rares textes de Cadou qui rejoint la forme de Remise, quand, en quatorze vers, Cadou, l'élégiaque au bord des larmes, évoque une soirée de solitude.
LA SOIRÉE DE DÉCEMBRE
Amis pleins de rumeurs où êtes-vous ce soir
Dans quel coin de ma vie longtemps désaffecté?
Oh! je voudrais pouvoir sans bruit vous faire entendre
Ce minutieux mouvement d'herbe de mes mains
Cherchant vos mains parmi l'opaque sous l'eau plate
D'une journée, le long des rives du destin!
Qu'ai-je fait pour vous retenir quand vous étiez
Dans les mornes eaux de ma tristesse, ensablés
Dans ce bief de douceur où rien ne compte plus
Que quelques gouttes d'une pluie très pure comme les larmes ?
Pardonnez-moi de vous aimer à travers moi
De vous perdre sans cesse dans la foule
O crieurs de journaux intimes, seuls prophètes
Seuls amis en ce monde et ailleurs!
René Guy CADOU
Hélène ou le Règne végétal (1950)
Ces trois notes sont à l'adresse de certain(e)s
qui hantent les parages de ce blogue
et cheminent depuis longtemps parfois
en forant à la recherche de la juste parole,
dans les textes de Michaux, de Char, de Cadou.
« ...seuls prophètes, Seuls amis...»
Je pense à l'un d'entre eux qui, l'hiver 2008,
m'adressa en commentaire cette Soirée de Décembre.
Mais dieux, c'est quoi un Sonnet ?
18:56 | Lien permanent | Commentaires (1)
lundi, 13 mai 2013
...ne furent point "sonnettiers"
Je le regrette. Les trois hommes, René Guy Cadou, René Char, Henri Michaux, qui m'ouvrirent, dans les années cinquante, à la poésie contemporaine d'alors n'écrivirent pas un sonnet, ce poème en 14 vers —de la monosyllabe à l'alexandrin, répartis en 2 quatrains et et 2 tercets aux rimes alternées ou embrassées
J'ai tenté avec le seul critère des quatorze vers de lire — élire — quelques rares textes de ces trois poètes qui, en vers libres et sans rimes, approchaient au plus près ce qu'est le sonnet.
Mais déjà, le premier d'entre les trois s'écartait de la règle des quatorze vers. La parole à Michaux.
EMPORTEZ-MOI
Emportez-moi dans une caravelle,
Dans une vieille et douce caravelle,
Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume,
Et perdez-moi, au loin, au loin.
Dans l'attelage d'un autre âge.
Dans le velours trompeur de la neige.
Dans l'haleine de quelques chiens réunis.
Dans la troupe exténuée des feuilles mortes.
Emportez-moi sans me briser, dans les baisers,
Dans les poitrines qui se soulèvent et respirent,
Sur les tapis des paumes et leur sourire,
Dans les corridors des os longs, et des articulations.
Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.
Henri MICHAUX
Mes Propriétés, 1929
L'ouverture au premier quatrain est une poignante élégie océane. Supplique adressée à ces divinités que par défaut nous nous inventons pour pallier les cieux désertiques.
Le quatrain suivant, Michaux revient à la terre invoquant en lieux de perte le minéral, l'animal et le végétal.
Faut-il pressentir l'amour — d'aucuns l'avancent — dans le dernier, comme une infinie douceur, précédant la dureté et le glissement rugueux dans les "lointains intérieurs" et ce que j'entends comme un cri exigeant l'ultime délivrance :
ou plutôt enfouissez-moi.
Ce presque sonnet rejoint ou annonce le lyrisme désespéré de Nausée ou c'est la mort qui vient, d'Amours, du Repos dans le malheur, de Sur le chemin de la mort, Dans la nuit et de Ma vie.
La révolte et ses contres, l'humour et ses rires ravageurs sont proches. Que se méfient les dieux et le Roi ! Dans Face aux verrous, sans implorer, sans supplier, il écrira :
Assez. J'ai passeport pour aller demain de par les mondes.
Adieux d'Anhimaharua.
Henri Michaux s'immobilisera enfin, le 19 octobre 1984. Incinéré avec quelque retard* : le crématorium du Père-Lachaise était en panne ! Même sans sonnet, Monsieur PLUME sera donc toujours parmi nous. Et sur ma table de lecture.
*Lu dans l'épaisse et très bonne biographie Henri MICHAUX, par Jean-Pierre Martin, Biographies, nrf, Gallimard, octobre 2003.
11:21 | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 12 décembre 2012
l'intime, le lyrique et l'élégiaque
Il est dit que le lyrique, c'est un cri devenu chant.
Peut-on dire que l'élégie, c'est une plainte devenue chant ?
L'un et l'autre émergeant de l'intime.
Écoutant un andante de Mozart, lisant un poème de Cadou, je retourne aux profondeurs de l'intime.
... le lyrisme se conçoit parfaitement la tête froide. Je veux dire qu'il ne s'échauffe point au récit ou à la vision des reliefs de la fête, mais porte en lui une fête — ou bien une défaite bien autrement exaltante et surtout bien autrement contagieuse.
On pourrait épiloguer longtemps sur le lyrisme contemporain qui peut paraître au prime abord un contre-lyrisme. C'est qu'il fait fi justement des grandes périodes, de toute rhétorique comme de tout développement. On peut le confondre avec le style en ce sens qu'il est une respiration adéquate de l'âme et pour cela propre à chaque individu. Bien plus qu'un contre-lyrisme je vois dans notre époqueles signes d'un lyrisme à rebours, éminemment cruel certes, mais tellement plus vrai, tellement plus circonscrit à l'objet même de la poésie.
René Guy Cadou,
12 décembre 1948.
Notes inédites.
Œuvres poétiques complètes, p. 433.
Et l'élégie ?
...La parole m'a été accordée par sucroît, afin de retransmettre quelques-unes de ces étonnantes vibrations, quelques-unes de ces mystérieuses palabres qu'il nous est donné d'intercepter, parfois, dans les couloirs de la détresse...
...Je ne cèle point que ces poèmes m’arrivent de bien plus loin que moi-même et que, vous autres, je vous entretiens d’un monde fugace, inaccessible comme un feu d’herbes et tout environné de maléfice...
du même
Préface à Hélène ou le règne végétal.
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