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dimanche, 27 mars 2011

quand Homère se répète

 

à Noémie, fille de ma fille.

En écho à ce même jour de 2010

 

Ce jeudi passé, lors de l'atelier de Grec ancien, notre "bon maître" le situait au Chant XXIV, nous échangions à propos de ce passage, je persistais en le maintenant au Chant XXIII, ayant d'ailleurs oublié que la première référence est au Chant XI quand Odysseus rencontre le devin Tirésias aux Enfers. Le vieil Homère pratique déjà le pédagogique adage latin "Bis repetita placent" — les choses répétées deux fois plaisent.

Ce n'est point que le passage cité soit fort joyeux, mais il aborde d'épicurienne — stoïcienne, affirmeront certains ! — manière teintée d'une note marine notre commun avenir.

Noémie, ce matin, m'ayant donné rendez-vous dans cinq ans pour ses vingt ans — donc aussi pour mes ...soixante ans qui la précèdent, je me dois de remettre encore à quelques années ce jour où je prendrai sur mon épaule ma "bonne rame bien faite".

 

Je le ferai donc, et sans rien te cacher      
Ton âme n'en aura nulle joie; et moi-même
non plus, car il m'a ordonné d'aller de ville en ville
par le monde, tenant entre mes mains ma bonne rame,
jusqu'à ce que je trouve ceux qui ne connaissent pas
la mer, et qui ne mêlent pas de sel aux aliments;
ils ne connaissent pas les navires fardés de rouge,
ni les rames qui sont les ailes des navires.
Ensuite il me donna le clair indice que voici :
lorsque quelqu'un, croisant ma route, croira voir
sur mon illustre épaule une pelle à vanner,
alors il m'ordonna, plantant ma bonne rame en terre
d'offrir un sacrifice au seigneur Poséidon :
bélier, taureau, verrat capable de couvrir les truies,
puis de rentrer chez moi, d'offrir les saintes hécatombes
aux Immortels qui possèdent le ciel immense,
dans l'ordre rituel. Et la mort viendra me chercher
hors de la mer, une très douce mort qui m'abattra
affaibli par l'âge opulent; le peuple autour de moi
sera heureux. Voilà tout ce qu'il me prédit. »
La sage Pénélope alors lui répondit :
« Si les dieux te concèdent une vieillesse moins amère,
l'espoir nous reste d'être un jour déchargés de nos maux.
Tels étaient les propos qu'ensemble ils échangeaient.

 

Homère, Odyssée, Chant XXIII, 265-287

 

Je tiens à achever cette note, pour redonner une joie bonne et sereine à cette séquence, par les quelques versets qui suivent :

 

Alors
ils retrouvèrent avec joie la loi du lit ancien
.................................................................
(et)
Lorsqu'ils eurent joui des plaisirs de l'amour
ils s'adonnèrent aux plaisirs de la parole.

 

 

Post-scriptum : Hommage à celui qui traduit ainsi Homère : c'est Philippe Jaccottet en 1982, chez François Maspéro.

 

vendredi, 25 mars 2011

Glénan aux vives-eaux d'équinoxe

 à AH, patron d'Éon Vor

 

À l'ouvert de la baie, un cormoran, deux goélands bruns, une "cardinale Est", la Linuen.

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 Errance dans l'archipel.

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...Plus loin, plus loin, où sont les premières îles solitaires — les îles rondes et basses  baguées d'un infini d'espace, comme des astres — îles de nomenclateurs, de généalogistes; grèves couvertes d'emblèmes génitaux, et de crânes volés aux sépultures royales...

... Plus loin, plus loin, où sont les îles hautes — îles de pierre ponce aux mains de cent tailleurs d'images; lèvres scellées sur le mystère des écritures, pierres levées sur le pourtour des grèves et grandes figures averses aux lippes dédaigneuses..

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... Et au-delà, les purs récifs, et de plus haute solitude — les grands ascètes inconsolables lavant aux pluies du large leurs faces ruisselantes de pitié...

... Et au-delà, dernière en Ouest, l'île ou vivait, il y a vingt ans, le dernier arbrisseau : une méliacée des laves, croyons-nous — Caquetage des eaux libres sur les effondrements de criques, et le vent à jamais dans les porosités de roches basaltiques, dans les fissures et dans les grottes et dans les chambres les plus vaines, aux grandes masses de tuf rouge...

... Et au-delà, et au-delà, sont les derniers froncements d'humeur sur l'étendue des mers. Et mon poème encore vienne à grandir avec son ombre sur la mer...

... Et au-delà, et au-delà, qu'est-il rien d'autre que toi-même — qu'est-il rien d'autre que d'humain?...
Minuit en mer après Midi... Et l'homme seul comme un gnomon sur la table des eaux..

 

Saint-John Perse
Vents, IV, 2.

 

 Photos ©Nicléane & grapheus tis

 

dimanche, 20 mars 2011

quand meurt un poète

Soixante ans que Cadou est parti.

Plus de cinquante ans que je brasse mes mains, mes larmes, mes rires dans les mots de cet homme de même terre et de mêmes vents.

Ses rues furent mes rues, ses quais furent mes quais.

 

L'hiver, je quittais la maison sitôt déjeuner ; le soleil longeait nonchalamment les quais en vieil habitué et comme un authentique pêcheur de brochet le feutre un peu baissé sur les yeux, le fil de soie de la lumière sur l'index tendu.                   
J'allais me perdre quelque part derrière des chantiers de construction navale et des entrepôts de bois du Nord. J'avais onze ans le soleil était doux et je me sentais une envie de chanter. Je sortais, enfouie
dans la doublure de mon pardessus, une cigarette dérobée à mon père; assis sur une pierre plate, béatement; je fumais. Et lorsque je pense à des heures calmes, des heures d'intense quiétude, je revois un petit enclos plein de plantes desséchées, une barrière difficile, là-bas dans le quartier sud de la ville où c'est déjà l'aventure.
Rêveur, si je l'étais ! Je m'empourprais des joues, je dévalais l'unique pente semée de mâchefer et de seaux en émail qui menait au royaume interdit.

 

Mon enfance est à tout le monde, 1947

 

Peut-être l'ai-je rencontré — je n'étais qu'un petit garçon — dans les années 41-43, quand je hantais, à la recherche du rêve aventureux, les rues entre place Bretagne, quai Hoche et Cours Saint-Pierre, ce jeune homme au visage de lumière.

 

Mais ce jour du 20 mars 1951, c'est un compotier qui fait signe au rêveur.

 

PEUT-ÊTRE dans quelque maison basse de ville usée
Moi qui ai tant aimé les jardins
Lorsqu'il a plu dans la soirée
Et que parmi les myosotis pèse soudain
La lourde mamelle de la lune !
A bout de persuasion peut-être
Quand le filin du jour me glissera des doigts
Si je n'ai plus pouvoir d'orienter les fenêtres
Alors adieu garçon ! et que ce soit
Par un matin couleur de melon d'eau !
Tout dort
J'entends marcher au loin mille animaux
Et mon cœur doucement aura cessé de battre
A cause d'un compotier de pommes sur la table
Tandis qu'un coq et un sergent
Là-bas
Font respecter le règlement.




René Guy Cadou


Dur à vivre
Les biens de ce monde, 1951

samedi, 19 mars 2011

« à cause d'un compotier de pommes sur la table »

Il est dit que la veille au soir, le 19 mars 1951, Francis Caridel, le secrétaire de mairie de Louisfert, rendant visite à Hélène et René Guy Cadou dans leur "maison d'école", leur avait apporté un panier de pommes ;  elles furent déposées dans un compotier.

Le lendemain...

vendredi, 18 mars 2011

pour les marées d'équinoxe

Ce jour, vers les Glénan.

Pour célébrer un bel Équinoxe.

 

Grand âge, nous venons de toutes rives de la terre. Notre race est antique, notre face est sans nom. Et le temps en sait long sur tous les hommes que nous fûmes.

Saint-John Perse

Chronique.

mercredi, 16 mars 2011

je n'aime guère ce fortuit

en pensant fort à Berlol

 

J'avais, la semaine dernière, quitté le jardin pour les lacis poldérisés de la Seudre. Au sortir de la forêt de la Coubre, dans l'estuaire de la Gironde, le printemps s'éveillait.

Un seul bouquin dans le sac : les journaux de voyage de Bashô *, étant encore en cette fin d'hiver, dans la nécessité de ne me plonger que dans des écrits brefs. Je n'étais pas encore parvenu dans ma relecture aux notes de la Sente Étroite du Bout-du-Monde quand, vendredi matin, l'annonce du désastre nous a été faite.

Est-ce inconvenant dans le désastre naturel de penser à un site ? Qu'est devenue, à quelques dizaines de kilomètres de Sandaï, cette baie de Matsushima, balayée elle aussi par le raz-de-marée, qui tant ressemble à notre Golfe du Morbihan ?

 

Le soleil déjà était proche du méridien. Louant une barque, je voguai vers Matsushima. Après une traversée d'un peu plus de deux lieues, j'accostai la grève d'Ojima.

Or, encore que ce soit un lieu commun, Matsushima est bien le plus beau site du Japon et n'a rien à envier à Dôtei ou Seiko. La mer le pénètre par le sud-est, la baie est profonde de trois lieues, le flux s'y étale comme dans la baie de Sekkô. Les îles sont innombrables et diverses, il en est de verticales, doigts dressés vers le ciel, d'horizontales qui rampent sur les flots. Certaines sont doubles, d'autres pliées en trois, séparées à gauche, reliées à droite. Il en est qui se portent, il en est qui s'embrassent, comme qui cajole un enfant. Les pins sont d'un vert profond, leur ramure est tordue par le vent du large, leur mouvement naturel paraît dû aux soins du jardinier. Tout ce paysage est d'une beauté distante, comme la physionomie apprêtée d'une belle. Serait-ce là l'ouvrage, aux temps jadis où régnaient les dieux impétueux, d'Ôyama-zumi ? Le génie du Céleste Artisan, quel homme pourrait le rendre par le pinceau, le cerner par la parole?

La grève d'Ojima est une langue de terre qui s'enfonce dans la mer. Vestige de la retraite du Maître de Zen Ungo, il reste notamment la pierre siège de méditation. D'ailleurs, sous le couvert des pins, j'ai aperçu, ci et là, quelques ermites ; dans leurs chaumières qu'enfument les feux de paille ou de rameaux de pin, ils coulent des jours paisibles ; bien qu'ignorant quelle sorte de gens ils étaient, un peu envieux, j'allai vers eux et c'est alors que la lune se refléta sur les flots, renouvelant le spectacle diurne. Je revins au fond de la baie et gagnai mon gîte : c'était une maison à étage à fenêtres ouvrantes ; dormir en voyage au sein des vents et des nuages, quelle sensation indiciblement merveilleuse !


Ah Matsushima
à la grue emprunte sa robe
ô coucou

Sora, compagnon de Bashô **.

 

Pour Bashô, il est dit que, plus que le lieu, lui importait la profondeur de la méditation, cependant stimulée par la contemplation du site que le voyageur arpentait. 

 

Et Matsushima, aujourd'hui ?

De notre malheur
ne résoudra le mystère
le chant du coucou


Yasui, autre compagnon de Bashô.

 

 

* BASHÔ, Journaux de voyage, traduit du japonais par René Sieffert, Publications orientalistes de France, 1988. 

** Sora est le compagnon de voyage de Bashô, sur la Sente Étroite du Bout-du-Monde, notant ce qu'omettait ou négligeait le maître.

mardi, 08 mars 2011

pour vous, Femmes

Avancer modestement derrière le poème pour saluer celles à qui je dois tant.

 

UN soir de pauvreté comme il en est encore
Dans les rapports de mer et les hôtels meublés
Il arrive qu'on pense à des femmes capables
De vous grandir en un instant de vous lancer
Par-dessus le feston doré des balustrades
Vers un monde de rocs et de vaisseaux hantés
Les filles de la pluie sont douées si je hèle
A travers un brouillard infiniment glacé
Leur corps qui se refuse et la noire dentelle
Qui pend de leurs cheveux comme un oiseau blessé
Nous ne dormirons pas dans des chambres offertes
A la complicité nocturne des amants
Nous avons en commun dans les cryptes d'eau verte
Le hamac déchiré du même bâtiment
Et nous veillons sur nous comme on voit les pleureuses
Dans le temps d'un amour vêtu de cécité
A genoux dans la gloire obscure des veilleuses
Réchauffer de leurs mains le front prédestiné.

 

René Guy Cadou

Femmes d'Ouessant,
Le diable et son train
Hélène ou le Règne végétal, 1952

 

 

dimanche, 06 mars 2011

forme brève

En ces jours de "décabouinage", rangement et allègement du débarras familial — le cabouin — lectures et écritures sont, sinon absentes, du moins renvoyées aux formes brèves.

Bonheur des haïkaï.

 

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clapotis d'une carpe
jeux des ombres et de l'eau
l'éclat du forsythia

 

 

 

Librement adapté de Uryû de l'école de Bashô.

 

La lumière des bambous, traduction, présentation, illustration de Alain KERVERN, Éditions Folle Avoine, mars 1988.