vendredi, 22 avril 2011
Tamloul au matin du 21 avril 1961
J'ai vaguement entendu Carbone et Tidjane, au retour de leur embuscade, s'entretenir avec Tardier qui était de garde dans l'angle de la cahute.
Les gars chargés de l'ouverture de la porte sud du regroupement et et de celle du parc à bestiaux sont déjà descendus. Les jeunes bergers qui mènent leurs troupeaux de moutons et de chèvres paître jusqu'au soir aux limites de la zone interdite sont des matinaux.
Sept heures. Machinalement, j'allume le "transistor" règlé sur France V, l'ancienne Radio-Alger. Bizarre ! de suite le fameux chant, la Marche des Africains, repris très vite en boucle.
De suite, le souvenir des barricades de janvier 60. « Merde ! Ils remettent ça ! »
Qui ça, "Ils" ? Les mecs de l'Algérie française, ceux de mai 58, ceux de janvier 60. Les cons !
Et la Marche des Africains toujours reprise en boucle, suivie de tout le "folklore" des musiques militaires, chants "paras" et airs en fanfare des conquêtes coloniales.
Merde. Les gars dans la cahute sont réveillés. On s'interroge. Et lancinante, la foutue Marche.
À sept heures trente, lors de la vacation du matin qui relie les postes de la IIème Compagnie et le Bataillon, je décide de demander à parler à Willy et à Jean, le toubib, qui, là-haut à Rhardous, sont les copains sous-lieutenants appelés.
Très vite Willy au "bigophone". Lui aussi écoute et s'interroge. Très vite aussi : « Si "ils" nous préparent un nouveau 13 mai, on ne marche pas ! C'est clair. » Nous décidons de mettre en alerte tous les appelés.
À huit heures trente, enfin une voix :
« Officiers, sous-officiers, gendarmes, marins, soldats et aviateurs, je suis à Alger...»
Ça dure deux minutes, c'est Challe et les autres. C'est un 13-mai sans De Gaulle. Contre de Gaulle. On a compris, tous les gars sont aux transistors et c'est « Merde ! Et la quille ? » Sans doute ces premières réactions sont d'un très bas niveau citoyen, mais elle seront le soubassement du refus.
Vite à nouveau, aux vacations radio de 9 heures, vacations assurées par les appelés, de postes de sections à postes de compagnies, jusqu'au bataillon, de piton en piton, jusque dans les hameaux des vallées, le message va passer : « Nous ne marchons pas ! » Je monte avec Launay à Rhardous, une grimpette d'un quart d'heure en petites foulées. La-haut, tous les copains appelés, simples bidasses et gradés, les métropolitains et les FSNA, les Français de souche nord-africaine, sont sur l'esplanade.
« C'est non ! »
Ils nous délèguent pour aller voir Marcadot, le capitaine qui n'est pas encore sortit de sa "piaule". Soucieux, lui aussi, mais qui tente de temporiser et minimiser. Nous le savons vélléitaire. Et lui affirmons, tout à trac que nous ne sommes pas sûrs du comportement de Fromont, notre commandant de bataillon qui a "toute la gueule" à se rallier aux mecs du coup d'état. Ni même du sien, d'ailleurs. À bon entendeur...
Nous "bigophonons" à Bultat au poste de commandant ; c'est notre ancien patron du Commando de chasse ; sur lui, nous faisons fond pour, éventuellement, neutraliser Fromont.Et tant que nous y sommes, nous demandons liaison avec le PC du secteur de Cherchell, manière d'avertir le colonel du secteur qui est aussi le commandant de l'École d'appplication de Cherchell de notre position. Je me suis naguèrement durement affronté à lui à propos de Tamloul, mais notre relation est très vite devenue chaleureuse. Au-delà d'une relation de supérieur à subordonné; de colonel d'active à "sous-bit" appelé. Il est proche de De Gaulle.
Nous avons Corme de Saint-Aubin lui-même. Il nous remercie de la rapidité de notre appui et affirme sa détermination à s'opposer à cette fronde. Marcadot n'a pipé mot.
Le lendemain à 20 heures, De Gaulle lancera son appel à l'obéissance citoyenne du contingent, "ces cinq cent mille gaillards munis de transistors", il ne l'a point provoquée.
Nous l'avions précédé.
Il a confirmé notre refus.
Post-scriptum :
Sur cette rébellion d'avril 1961, on peut lire:
La Fronde des Généraux, Jacques Fauvais, Jean Planchais, chez Arthaud, 1961.
C'est relaté par le "haut". Quelques lignes entre les lignes pour... les appelés.
Pour celles et ceux qui auraient oublié ou qui ignoreraient, manière d'apprendre ou de se remettre en mémoire sur Wikipédia : Le putsch des généraux.
Cette note a été rédigée entre quatre heures et sept heures du matin, heure pour heure, jour pour jour, après ces événements qu'elle relate, vécus, il y a cinquante ans, dans l'obscur.
Mais dans le corps, c'est encore hier.
Les prénoms et noms des appelés ont été respectés ; modifiés, les noms des officiers d'active qui sont cités.
Pour le contexte, il est possible de lire dans les "pages" de ce blogue, Tamloul I.
06:40 Publié dans la guerre, les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
jeudi, 21 avril 2011
ne pas oublier ce matin d'avril 1961
Tamloul, depuis le début avril, serait donc devenu un paisible village de regroupement.
Paisible, est-ce trop dire ? Pour ces deux cents familles paysannes parquées dans des huttes de branchages, si loin de leurs douars abandonnés sur les flancs du Bou Maad ?
Un printemps tiède qui ne fait pas croire à la guerre.
Pourtant, nous "ne relâchons point la garde". À 23 heures, ce vendredi 21 avril 1961, Carbone et Tidjane sont allés en embuscade dans le quartier nord-est du regroupement. Ils reviendront vers 2 heures.
La nuit s'annonce belle. Sera-t-elle calme ?
22:49 Publié dans la guerre, les civiques | Lien permanent | Commentaires (0)
mercredi, 13 avril 2011
nous larguons
Cet après-midi, ceint de ma grand'paternité, de quelques vivres et bouquins numériques sur le MacBook Pro — un certain Après le livre *déjà cité en note du 1er avril et Vents de S.J Perse —, je largue pour cinq ou six jours.
Passer l'écluse, quitter l'estuaire entre Kervoyal et la pointe de Halguen, hisser la grand'voile. Vers l'ouest.
Je ne rends pas encore "la barque prêtée", comme l'écrivait le grand navigateur de l'océan et des sables, Thédore Monod.
Je ne pars point encore vers le pays des hommes " qui ignorent et la mer et le goût du sel".
Dans le calme des ports, j'attends de mes petites-filles qu'elles m'affûtent à FaceBook et autres réseaux...
* à relier à "de quoi la page WEB est-elle le nom ?" quand l'homme à l'aiguille dans la botte de foin relie (relit) page Web et enluminure.
11:43 Publié dans les lectures, les marines | Lien permanent | Commentaires (0)
dimanche, 10 avril 2011
profusion
Profusion printanière au jardin — cela va de soi avec le bel ensoleillement de ces deux dernières semaines.
Sur la table du lecteur, la profusion devient confusion quand au traité de jardinage, le dernier cri, Le guide pratique du du potager en carrés, s'entremêlent philosophiquement — La traversée des catastrophes et Le bonheur ou l'art d'être heureux par gros temps — poétiquement — les Œuvres complètes de Rimbaud, Les poètes de la Méditerranée et Le testament d'Apollinaire — exotiquement — La carte d'identité de JeanMarIe Adiaffi — et depuis jeudi, — Manuscrits de guerre de Gracq et Tumulte de François Bon — ce dernier pour une relecture un peu hâtive.
Tous ces bouquins, parce qu'il faut bien vivre, littéralement et dans tous les sens.
À propos du "Gracq", j'ai, à la lecture du titre de la rubrique de FB, cru à un poisson d'avril.
Allant par la rive droite du fleuve à Bouchemaine chez mon "petit" frère, je venais de longer l'Île Batailleuse et il m'est toujours difficile en ces parages de faire abstraction de Julien Gracq et de ses bouquins, plus difficile encore de ne pas regretter d'avoir, sur le pas de la porte de Louis Poirier, suspendu le geste de soulever le heurtoir, naguère — jadis !
J'étais donc entré une fois de plus en "Gracquie", et pour quelques heures, quand j'ai lu dans le tiers livre dudit FB : Julien Gracq sniper.
Jeudi, le 7 avril au matin, les bonnes librairies nantaises et la FNAC présentait le "sniper" en tête de gondole. Ouest-France, Libé, Le Monde y allaient de leur page sur les Souvenirs de guerre de Louis Poirier, éditorialement devenus Manuscrits de guerre.
... Le fusil-mitrailleur, comme au temps où les grenadiers
prussiens tiraient « en seringue » — puis toute la colonne pliée
en deux, cheminant entre deux vins, du pas du caporal
Bidasse, le fourreau de la baïonnette serré dans la main
gauche, discutant de ses petites affaires dans son bas-breton
caillouteux, mangeant — buvant, — butant, secouée comme
de hoquets de rires homériques aux bordées de jurons
nobles qui jaillissaient de l'avant à chaque franchissement
de haie. Une drôle de collision - qui faisait dans l'esprit des
étincelles peu ordinaires - entre la Débâcle du père Émile
et les aventures des Pieds Nickelés.
page 233.
Quant à la réouverture de Tumulte, voici qu'à nouveau se relance, pour mes petits écrits sur la Toile, le grand intérêt d'un échange sur lectures et écritures qui s'éloignent des odeurs de colle et d'encre, des crissements d'acier du "laguiole" qui découpe les pages, du glissement du "feutre, de l'incision de la plume, du pli sacré du codex.
Ma vieille compagne d'Éducation populaire m'a invité à passer la matinée, petit ordi sur les genoux, à faire resurgir les vieilles utopies. Grâce à l'auteur du Tumulte.
20:45 Publié dans Web | Lien permanent | Commentaires (0)
vendredi, 01 avril 2011
anachronisme chez le liseur ?
Je suis à l'aise dans mes anachronismes de lecteur.
Certes, depuis un an ou deux, je m'en vas, encore sans iPad, dans les livres numérisés, alléché par l'accumulation généreuse et si peu onéreuse de publie.net : j'ai, d'abord, utilisé le traditionnel "acrobat reader", puis j'ai ouvert un compte privé chez Calameo et depuis peu, préparant l'acquisition d'un iPad — hypothétique, vu l'augmentation pharaonique de la retraite — Calibre.
De L'art de de la guerre et de L'Olive, passant par Les poèmes d'Ossian et Aurélia, à S'écrire mode d'emploi, La chambre des cartes et Après le livre... s'enrichit d'une trentaine de titres, la librairie numérisée. En attendant la bibliothèque universelle, thème qu'abordera en mai prochain, à l'Université permanente de Nantes, l'homme d'affordance.com, qui est, sur l'Internet, comme "une aiguille dans la botte de foin".
Mais voilà ! sur les étagères, j'ai encore quelques livres de chez José Corti, de chez Rougerie, qui nécessitent encore le coupe-papier — en l'occurence, un faux-vrai Laguiole, quand ce n'est pas le bon Opinel, grand ouvreur d'huîtres..
Depuis longtemps acquis, ils furent, sans être oubliés, remisés dans le second rayon pour une lecture à plus tard. Ainsi deux Bachelard, premières et dernières pages coupées, La terre et les rêveries de la volonté, L'air et les songes. Ainsi de J.C. Mathieu, La poésie de René Char, aux pages découpées selon le seul intérêt pour tel ou tel poème.
Et encore celui-ci, vraiment laissé pour compte par ennui de liseur — ça arrive : on peut être grand poète et médiocre critique —, Le testament d'Apollinaire de René Guy Cadou et dont les pages sont à nouveau découpées
Si je n'ai jamais été un "accroc" de l'odeur du papier — ce ne sont que de vieilles vapeurs de colle, pas toujours très saines, que hume le nez lecteur — le crissement de l'acier qui s'insinue dans le pli des pages encore scellées, laissant de minuscules flocons de papier sur les genoux, m'a toujours été l'annonce d'un mystère qui enfin va se dévoiler.
Le bonheur !
Anti-moderne ? Post-moderne ? Immoderne ? comme il fut dit ce matin à propos de Rimbaud sur France Cul.
Liseur, lecteur, liseur.
11:44 Publié dans Cadou toujours, les lectures, Web | Lien permanent | Commentaires (1)