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des sonnets en cure thermale
Après plus de deux mois de silence qui furent de petites errances marines, de rêvasseries et surtout de paresse, mais qu'il me fallait bien rompre pour fêter les onze années de ce blogue.
À Barbotan, barbotons allègrement dans de bonnes eaux tièdes, barbotons dans de bonnes boues tout aussi tièdes, douces et molles. Et quand les premières gelées matinales étoilent le pare-brise, le barbotant que, trois semaines durant, je suis, depuis cinq jours, devenu, barbotera dans le bonheur.
Mais entre les six soins qui me sont proposés — douche sous immersion, piscine de mobilisation, couloir de marche, illutation* générale, douche pénétrante et bain actif — il faut passer le temps. J'ai donc mis en poche Les Regrets de mon Joachim Du Bellay et me suis aidé de cette abondante "numérotation" — et non numéralogie — à laquelle m'astreint mon parcours de soins : du vestiaire à la douche, barbotant et pataugeant dans eaux et boues, de la douche au bain, pataugeant et barbotant dans boues et eaux, et du bain au vestiaire, pour le choix des sonnets à lire ou... relire.
Mais dès ce commencement, mon inclination à la dissidence m'a fait rompre cette règle de numérotation et opter pour le Sonnet XV, manière de rendre hommage à ce pays d'accueil qu'est Barbotan-les Thermes en... Armagnac qui n'est point seulement terre d'eaux thermales, mais aussi de vins frais, de grasses nourritures et de bel alcool d'or.
Or, en grand "blogueur" de Renaissance qu'est Joachim, il adresse ce texte à un sien compagnon et ami, Jean de Pardeillan, dit "Panjas" qui est lui aussi poète, lui aussi secrétaire d'un cardinal, un certain Georges d'Armagnac. D'où ce quinzième sonnet pour inaugurer ma cure.
C'est Du Bellay l'intendant, l'économe, le trésorier, le secrétaire de l'ambassadeur du roi de France près du Saint-Siège, un cardinal qui est son oncle. Mais comment fait-il pour être aussi poète ?
XV
Panjas, veux-tu savoir quels sont mes passe-temps ?
Je songe au lendemain, j’ai soin de la despense
Qui se fait chacun jour, et si faut que je pense
À rendre sans argent cent créditeurs contents.
Je vais, je viens, je cours, je ne perds point le temps,
Je courtise un banquier, je prens argent d’avance :
Quand j’ay despesché l’un, un autre recommence,
Et ne fais pas le quart de ce que je prétends.
Qui me présente un compte, une lettre, un mémoire,
Qui me dit que demain est jour de consistoire,
Qui me rompt le cerveau de cent propos divers,
Qui se plaint, qui se deult, qui murmure, qui crie :
Avecques tout cela, dis, Panjas, je te prie,
Ne t’esbahis-tu point comment je fais des vers ?
Le numéro 4 fut, ce matin, mon vestiaire d'entrée : donc
le IV
Je ne veux feuilleter les exemplaires Grecs,
Je ne veux retracer les beaux traits d’un Horace,
Et moins veux-je imiter d’un Pétrarque la grâce,
Ou la voix d’un Ronsard pour chanter mes regrets
Ceux qui sont de Phoebus vrais poètes sacrés,
Animeront leurs vers d’une plus grand’ audace :
Moy, qui suis agité d’une fureur plus basse,
Je n’entre si avant en si profonds secrets.
Je me contenteray de simplement escrire
Ce que la passion seulement me fait dire,
Sans rechercher ailleurs plus graves argumens.
Aussi n’ay-je entrepris d’imiter en ce livre
Ceux qui par leurs escrits se vantent de revivre
Et se tirer tout vifs dehors des monuments.
Joachim entre dans son projet romain d'écriture ; modeste, très humble, il souhaite "simplement écrire" en choisissant une forme brève mais contrainte, comme un "touitt" d'une certaine corpulence en 14 vers — à l'époque, on aurait écrit "épître" ou "lettre" — avec un destinataire qui fréquemment sera un de ses pairs et que l'on entretient de ses humeurs, de ce vécu "étrange" qui est l'ailleurs romain et qui laisse sourdre la nostalgie.
Le sonnet IV comme un vestiaire littéraire !
La nostalgie ? Voilà le sonnet 30 qui précède le ...31, ce 31 qui fit et accompagne toujours et encore la gloire de Joachim, de son petit Lyré, de son Loir gaulois, de la douceur angevine.
Comme un prélude...
Quiconques, mon Bailleul, fait longuement séjour
Soubs un ciel incogneu, et quiconques endure
D’aller de port en port cherchant son adventure,
Et peut vivre estranger dessous un autre jour ;
Qui peut mettre en oubly de ses parens l’amour,
L’amour de sa maistresse, et l’amour que nature
Nous fait porter au lieu de nostre nourriture,
Et voyage tousjours sans penser au retour ;
Il est fils d’un rocher, ou d’une ourse cruelle,
Et digne que jadis ait sucé la mamelle
D’une tigre inhumaine : encor ne voit-on point
Que les fiers animaux en leurs forts ne retournent,
Et ceux qui parmy nous, domestiques, séjournent,
Tousjours de la maison le doux désir les poingt.
Le numéro 30 n'est pour moi, très trivialement, que mon emplacement pour la douche sous immersion : la poésie est quotidienne et roborative !
* Illutation : terme utilisé dans les Thermes, de l'ancien français lut « boue, fange ». En maçonnerie, action d'enduire un mur de boue, d'argile. Em médecine on illute un patient en l'enduisant de boue...
lundi, 19 octobre 2015 | Lien permanent | Commentaires (1)
une histoire de lectures : Sollers depuis 55 ans
Sollers, c'est une histoire de lectures qui commence difficilement en mars 1963. Je suis à Biskra dans la première année fastueuse et naïve de l'indépendance algérienne. Je m'offre pour mon anniversaire L'intermédiaire chez mon petit libraire algérien de la place Ben M'hidi. J'ai vaguement entendu parler d'Une curieuse solitude dans la presse, du parrainage de ce jeune auteur par Mauriac. Nous sommes de "la classe" ; j'ai su qu'il avait simulé une schizophrénie pour être exempté d'Algérie.
Pas emballé mais amusé par cette "Introduction aux lieux d'aisance" avec une très forte citation de Thérèse d'Avila en exergue : "Faites ce qui est en vous". Il me faudra attendre le retour en France, mes premières approches du Nouveau Roman — j'ai lu dans un numéro d'Esprit en 56 ou 57 sur le thème. N'en ai retenu que Nedjma de Kateb Yacine — je suis dans la théorie littéraire pour comprendre Robbe-Grillet, Michel Butor, Claude Simon que je peine à déchiffrer, j'achète donc L'écriture et l'expérience des limites. Mais... bof !
Sollers est enfoui pour vingt ans dans les sables de mon intellect qui répugne à ce qu'il estime être l'illisibilité. Il faudra en 1994 une traversée du golfe de Gascogne entre Nantes et Porto pour que je glisse dans mon sac Femmes, paru en 1983, acheté en 1984, à peine ouvert, déjà refermé pour dix ans. L'étirement des calmes de ce juillet 94 sur Biscaye me fera plonger dans la douce énumération des noms de femmes, Kate la journaliste, Cyd l'Anglo-américaine, Flora l'anar espagnole, Bernadette la féministe, Ysia la Chinoise, Louise la claveciniste, Deborah la "régulière"...
À peine débarqué j'enchaîne avec Portrait du Joueur, puis dans le même sillage, Le Cœur absolu. Chaque été verra désormais son Sollers de l'année en poche dans le sac marin pour meubler les heures de quart et la paresse des mouillages. Lectures entre délectation facile et détestation certaine.
Jusqu'aux essais sur Casanova l'Admirable, Vivant Denon le Cavalier du Louvre, Mystérieux Mozart, La Guerre du Goût, L'Éloge de l'Infini, Discours parfait et le gros tout dernier Fugues : alors là, j'aime. Pour le regard et la plume aigu.e.s et alertes du critique, que ce soit sur la langue, la peinture, la philosophie, la poésie chinoise, les nostalgies aquitaines d'Hoderlin...
Mais si je reviens à ces livres qu'il nomme "romans"qui oscillent entre fiction, autofiction, autobiographie — allez savoir ! —critique littéraire, notes de lectures, "copiages" sans vergogne — quelle liberté ! — pour épaissir le dos du livre,
Anxieuse réflexion de Stendhal : plaisait-il ? N'était-il pas « babilan » (autrement dit plus ou moins voué au fiasco par impuissance) ? Mais qu'est-ce que « plaire », pour un homme, sinon renvoyer à sa partenaire sa propre image magnifiée ? Il a « plu », Stendhal, mais rarement et pas longtemps. En réalité, il a perçu comme personne la profonde frigidité féminine assortie de ruses et simulacres divers, bref l'hystérie tantôt convenable et dévote, tantôt explosive pour dissimuler son vide. En termes décents du 19e siècle, on dira que Mme X ou Mme Y manque de tempérament, ou bien qu'elle en a un, mais factice. Stendhal veut atteindre ce point narcissique obscur. Il y parvient, et c'est l'amour, au sens cristallisé que ce mot peut prendre.
Trésor d'Amour, p.61
Je puis, chaque an qui passe, reprendre cette chronique. Depuis Trésor d'Amour, il y eut, toujours en poche, L'Éclaircie, Médium, L'École du Mystère. J'attendais Mouvements, Complots, Beauté.
En cet été commençant, dans les assoupissements béats et opiacés qui tentent d'effacer les lacérations trop aigües de l'acide urique, je "m'évaille" dans Mouvement où se mêlent, s'imbriquent, s'enlacent la Bible et quelques psaumes, Jonas et son foutu caractère, Job et ses amis faux-jetons, la dialectique de Hegel, la coke, Dante et ses cercles de l'Enfer, la seconde mort de Lazare, Pascal et les Pensées, de brèves phrases plagiées des Illuminations*, les incestueuses filles de Loth, les amantes multiples, simultanées et avec des retours du cardinal de Retz, des plus marquises aux belles servantes et je ne sais combien de poètes chinois — je vais, non les énumérer, mais bien les dénombrer dans l'ordre des millénaires et des siècles — trente-trois depuis Jin Yi, né en 200 avant notre ère et Mao lui-même, mort le 9 septembre 1976. S'ajoutent l'internet, Lascaux, google, les textos et leurs textomanes males et femelles…. et toujours les livres :
"les vrais livres, radicalement réveillés dorment à poings fermés, c'est leur force. Ces blocs de sommeil sont d'une lucidité incroyable. Je sais où les trouver et comment leur parler".
Mouvement, p. 65
J’attends donc pour meubler cette chronique la publication en poche de Complot et de Beauté.
Lecteur en suspens !
* "Sorti de là, — de la grotte de Lascaux — à l'aurore, je pourrai entrer ni vu ni connu, armé d'une ardente patience aux splendides villes".
"Et j'ai longtemps habité sous de vastes portiques"
dimanche, 24 juin 2018 | Lien permanent
Les Corsaires - introduction à « Marins & Corsaires Nantais »
LES CORSAIRESQue Nantes s'efforce de jeter un voile sur ses Négriers, faute de pouvoir les effacer de son histoire, c'est d'une très sage politique ; mais qu'elle englobe ses corsaires dans la même réprobation et cherche à les noyer dans le même oubli, ce n'est plus que de l'ingratitude en même temps que de la maladresse,Et l'on comprend d'autant moins le mépris affecté par certains Nantais pour nos corsaires, que ce sont précisément leurs faits d'armes qui remplissent les pages les plus belles de notre histoire ; celles qui, seules, peuvent faire oublier nos hontes en les couvrant du rejaillissement de leur gloire.Cette étrange et très commune manière de voir provient, le plus souvent, d'une fâcheuse confusion entre le corsaire et le pirate ou forban.Ce dernier, véritable écumeur de mer, n'est, en somme, qu'un voleur de grand chemin sur les routes maritimes. Il n'a d'autre nationalité, d'autre loi que la sienne. Il opère en paix comme en guerre ; s'attaque à tous les navires qui passent à portée de ses canons ; et n'a d'autre secours à attendre que de lui-même ; il est mis hors la loi, forbanni, par toutes les puissances.Tout autre est le corsaire. Muni d'une autorisation de son gouvernement, — d'une lettre de marque, — il porte le pavillon national; ne fait la Course qu'en temps de guerre, et seulement contre les navires des nations ennemies ou violant la neutralité. Ses actes, loin d'être abandonnés à son libre arbitre, sont minutieusement réglés par la loi et contrôlés par un Tribunal.En somme, le corsaire est, ou plutôt était un navire privé, armé en guerre avec l'autorisation et sous le contrôle de l'Etat ; ayant pour mission d'inquiéter le commerce de l'ennemi, de menacer ses convois et ses colonies, et de défendre les côtes et les navires marchands du pays auquel il appartenait. Comme récompense de ses services, et pour dédommager l'annateur de ses dépenses et de ses risques, l'Etat lui abandonnait le montant de ses prises reconnues valables.Le corsaire était généralement un navire de vitesse, fortement armé, monté par un équipage nombreux et résolu. Aux termes de l'Ordonnance de la Marine, tout corsaire d'au moins 60 tonneaux, devait avoir un aumônier ; ils avaient tous un chirurgien et un écrivain.En plus de l'équipage proprement dit, le corsaire comprenait des soldats, parfois appelés « flibustiers », recrutés un peu partout, bons ou mauvais, français ou étrangers, et chargés seulement de la partie militaire de la campagne, tandis que l'équipage s'occupait de la manœuvre du navire.Si le corsaire rencontrait une voile et voulait la reconnaître, il devait hisser son pavillon et l'appuyer d'un coup de canon ; c'était le coup de semonce. Si le navire arborait pavillon ami ou neutre, le capitaine du corsaire se rendait à son bord pour inspecter sa cargaison et ses papiers, et constater qu'il n'y avait ni fraude dans les papiers du bord, ni contrebande de guerre dans la cale ; rôle extrêmement délicat, et qui nécessitait chez le capitaine de corsaire un flair remarquable. En cas de doute, il saisissait les papiers et faisait conduire le navire suspect au port le plus voisin, où sa situation était régularisée.Que si, au contraire, le navire en vue arborait au coup de semonce un pavillon ennemi, c'était la lutte, le vainqueur s'emparait du vaincu, l'amarinait, pour employer une expression consacrée.L'ennemi amariné, le corsaire y envoyait un capitaine et un équipage de prise pour le conduire au port le plus voisin. Il lui était interdit en principe de couler la prise après l'avoir enlevée, ou même de la relâcher contre rançon. Les motifs de cette prescription étaient des plus sages. Les juges de prises, ayant sous les yeux les papiers du bord, pouvant interroger les officiers ennemis et visiter le navire, étaient bien plus à même d'apprécier la validité ou la non-validité de la prise ; et ce contrôle obligé des actes des corsaires suffisait parfois à les empêcher de commettre des pillages ou des pirateries, qu'ils auraient été peut-être tentés de faire sans la crainte de cette enquête. Toutefois, dans certains cas, si la prise était en trop mauvais état, si l'équipage capteur était trop réduit par les prises précédentes pour fournir un nouvel équipage de prise, le corsaire était autorisé à l'abandonner en la désarmant, ou à la rançonner ; mais il devait toujours, dans ce cas, saisir les papiers et prendre deux de ses officiers pour figurer au procès de prise.Dès que la prise arrivait au port, elle était jugée ; c'est-à-dire que l'Amirauté la déclarait valable ou non valable. Dans le premier cas, elle était vendue au bénéfice du capteur et de ses armateurs ; dans le second, ces derniers devaient au contraire indemnité aux armateurs du navire amariné ; la vente effectuée, le prix était réparti par parts entre l'équipage et l'armement,Sans doute, toutes les nations maritimes pratiquèrent la Course, mais pas une peut-être n'y excella comme la nôtre. C'est ainsi, par exemple, que dans la seule période de 1793 à 1797, et d'après les registres du Lloyd, alors que nous étions en pleine Révolution et en guerre avec l'Europe entière, les Anglais nous enlevaient seulement 376 navires, tandis que nos corsaires amarinaient le chiffre fabuleux de 2.266 navires britanniques.On comprend aisément alors l'acharnement que déploya l'Angleterre pour faire disparaître la Course qui la ruinait ; elle y parvint en 1856, et cette maladresse, issue d'une fausse idée d'humanitarisme,—comme tant de nos maladresses et de nos fautes,—fut accueillie en Angleterre avec un immense soulagement.Toutefois, ne l'oublions pas, la Course fait encore partie de notre Code (1), et est susceptible toujours d'être loyalement employée contre les nations qui n'ont pas encore souscrit à son abolition (2).Peut-être même faut-il aller plus loin, et dire qu'en dépit de la Déclaration de Paris de 1856, — on sait, par des exemples récents, ce que les nations belligérantes pensent des déclarations et des lois internationales, — la Course, conséquence du droit de guerre, renaîtrait logiquement, d'elle-même, au cours de n'importe quelle guerre maritime un peu longue.Telle est du moins notre opinion, et nous dirons volontiers avec M. Gallois : « Si la guerre venait à se rallumer jamais entre la France et l'Angleterre, cette implacable ennemie d'autrefois, cette douteuse alliée d'aujourd'hui, le premier mot de cette guerre nouvelle devrait être la Course » (3).Ces quelques lignes d'explication nous semblaient nécessaires au début de cette étude sur la Marine Nantaise.Nantes, en effet, a été l'un des plus célèbres ports de corsaires de la France ; son histoire est faite de celle de leurs navires et de leurs combats ; sa gloire et ses héros sont empruntés à leurs faits d'armes et à leurs capitaines ; et si, trop souvent, gloire et héros sont méconnus et méprisés, c'est que beaucoup de Nantais encore ignorent ce qu'était la Course et ce que furent les corsaires.(1) Code de Commerce, art. 217.(2) Les Etats-Unis, le Mexique et l'Espagne.(3) GALLOIS, Les Corsaires Français sous la République et l'Empire, t. II, p. 464.S'achèvent donc ici, en finissant par l'Introduction en cinq parties, ces chroniques portuaires de Nantes, publiées pour la première fois le 1er avril 2006, un peu par hasard, d'où cette fin qui en était le commencement. Avec les Corsaires Nantais, nous sommes loin des pirates et des forbans qui fréquentent les Caraïbes, la mer de Chine ou les côtes Somaliennes.Le bon Paul Legrand dévoile — nous sommes pourtant en 1908 — son anglophobie ; mais je sais certains "vieux gréements" concarnois et douarnenistes qui aujourd'hui encore ne le désavoueraient point. Si les Anglais te mordent...!Je pense entreprendre une publication sur Calaméo*, excellente plate-forme de publication qui permet de retrouver la forme de notre "codex", tellement plus familier à nos comportements de lecture que ces "ascenseurs" qui nous ont fait régresser au "volumen" antique.Demeure un sacré labeur de re-mise en page qui prendra quelque temps. Mais quand on plante encore un arbre n'est-ce pas....Cette dernière rubrique est dédiée aux marins du Marche-Avec, cotre sardinier de Concarneau, sacrés matelots et grands bouffeurs d'Anglais !
RAPPELIntroduction àMarins et Corsaires Nantaispar Paul LegrandHéron - J. Mesnier & C° - Éditeurs7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908Pages scannées par grapheus tis.* Découvert grâce à FB qui pour son site éditorial publie.net utilise l'outil.
jeudi, 27 novembre 2008 | Lien permanent
Chronique portuaire de Nantes CI
Voici donc l'antépénultième chronique. Plus de corsaires, plus de négriers, encore moins de pirates et la Voile réduit ses toiles. Je laisse place à l'épilogue écrit par notre chroniqueur : Avec la chute de Charles X et l’avènement de Louis-Philippe, nous arrêtons ces « Annales de la Marine Nantaise », non pas certes que cette marine disparaisse précisément en 1830, mais simplement parce qu'à cette date correspond une phase nouvelle de son histoire.Et, en effet, tandis que la fin des corsaires et des négriers vient enlever à ces pages tout leur intérêt anecdotique, — le seul que nous ayons eu en vue, — la vapeur, sortie de la période des tâtonnements et des essais, s'apprête à révolutionner le commerce maritime et son instrument obligé : le navire.Paul LEGRAND
1824. — L'INVENTEUR DU BATEAU ZOOLIQUE MÉDAILLÉ.Vers la fin de 1824, le jury central de l'Exposition des produits de l'industrie française, organisée à Paris, décernait une médaille de bronze à l'inventeur nantais Guilbaud, pour son bateau zoolique, mu par des chevaux sur plan incliné.Le bateau zoolique avait exécuté de nombreuses expériences sur la Seine, entre le Pont-Neuf et les Invalides et, de l’avis de tous les spectateurs, le procède adopté par Guilbaud semblait des plus pratiques ; ayant une vitesse peu inférieure à celle des vapeurs, et d'autre part, présentant sur ces derniers l'avantage d'une économie considérable de construction et d'exploitation.Le bateau zoolique mis en service sur l'Erdre continuait d'ailleurs toujours ses voyages de Nantes à Nort, et organisait fréquemment des excursions supplémentaires en plus de ses départs réguliers.Le même jury décernait également une médaille de bronze au constructeur nantais Bertrand-Fourmand pour les modèles de câbles en fer qu'il présentait, et qui, dans son esprit, devaient être substitués aux câbles de chanvre encore exclusivement employés dans la marine militaire (1).1825. — PREMIER VOYAGE DE NANTES A PARIS ACCOMPLI PAR MER PAR UN VAPEUR NANTAIS. LE “PARISIEN” - LE “COURRIER” - LA “PARISIENNE”.C'était un tout petit vapeur que celui qui, le 28 mai 1825, quittait Nantes pour se rendre à Paris, et effectuer le long et périlleux voyage autour de la Bretagne, sur ces côtes semées de tant de récifs tristement célèbres et hérissées de caps toujours entourés de tempêtes.II s'appelait le Parisien, étant destiné au service fluvial de la Seine ; avait une longueur d'à peine quatre-vingt trois pieds, de tête en tête ; et calait tout simplement deux pieds, ce qui était bien minime, en vérité, pour un vapeur devant travers de si dangereux parages. Il avait été construit sur les chantiers nantais ; mais sa machine, une modeste petite machine à basse pression de douze chevaux, venait d'Angleterre et avait été construite à Liverpool. Quant à son équipage, il était à l'avenant, et se composait : « d'un ancien capitaine au cabotage, d'un marinier de la Loire, d'un mécanicien peu capable, de deux chauffeurs, d'un ancien soldat dont on fit un cuisinier, d'un passager, du constructeur du bateau, de son fils et de son gendre ; tous, excepté le patron, sans aucune habitude de la mer ».Parti de Nantes à midi, il n'arriva qu'à sept heures du soir à Saint-Nazaire, et prit la mer le lendemain 29 mai, à trois heures du matin. À onze heures, en face d'Hœdic, il faisait la rencontre d'un banc de sardines qui émerveillait considérablement le novice équipage ; puis, à quatre heures, il passait devant Belle-Ile, et comme la mer commençait à grossir et que des vagues de plus en plus pressées et de plus en plus hautes assaillaient, le pauvre petit vapeur se mit à danser follement, et bien au-delà, certes, de tout ce qu'il avait pu imaginer de plus terrible.Tantôt il piquait de l'avant, le nez dans une lame et son gouvernail affolé battant l'air, tantôt il se couchait sur le flanc, l'un de ses volumineux tambours s'enfonçant sous la vague qui menaçait à chaque instant de l’emporter, tandis que son autre roue tournait désespérément dans le vide. Bref, au bout de quelques milles de cette navigation mouvementée, tout l'équipage, sauf le capitaine, était en proie au mal de mer, et jusqu'au mécanicien et aux deux chauffeurs « dont les vomissements bruyants trahissaient l'état de détresse ». Incapable de continuer plus longtemps ce voyage, son malheureux capitaine courant perpétuellement de la barre à la chambre des machines pour alimenter les fourneaux, le Parisien mettait le cap sur Lorient pour y passer la nuit, et fort heureusement, au moment où il cherchait à tâtons le chenal, les fusées volantes du feu d'artifice qu'on tirait à Lorient pour le couronnement « de S.M. Charles X, qui se faisait sacrer ce jour même à Reims, lui servirent de phare et lui permirent de s'ancrer, à onze heures du soir, en face de Port-Louis ».Le lendemain, à quatre heures, il repartait, bien que la mer fût encore très houleuse ; doublait la pointe du Raz à huit heures et demie, et, rencontrant une barque de pêche, la hélait pour lui demander sa route ; mais le pêcheur qui la montait, « épouvanté à l'aspect, nouveau pour lui, d'un bâtiment marchant sans voiles ni rames et exhalant une épaisse fumée », se hâta de s'enfuir à pleine voile, laissant le malheureux petit vapeur à son triste sort. Fort triste, en vérité ; il ne connaissait plus sa route ; son équipage était rendu de mal de mer ; son combustible commençait à manquer ; et de tous côtés de grandes taches pâles d'écume et de sinistres bouillonnements lui décelaient la présence d'écueils. Aussi mit-il son pavillon en berne, portant son propre deuil, le pauvre petit navire, et s'apprêtant à chaque instant à disparaître au milieu des rochers aigus et des tourbillons sauvages des mers bretonnes.Le salut lui vint sous la forme d'une barque montée par huit douaniers qui, le prenant pour un fraudeur anglais, s'étaient lancés depuis l'aube à sa poursuite. Le capitaine les héla avec un grand soulagement, et leur expliqua qu'il venait de Nantes et qu'il se rendait à Paris, « ce qu'on prit pour une plaisanterie ». Enfin, l'un des douaniers consentit à servir de pilote au petit vapeur, et, le soir venu, le Parisien s'ancrait à l'île de Batz. où il avait été chercher un asile contre la tempête.À trois heures du matin il en repartait, faisant route sur « Grenezey » ; mais le douanier-pilote, effrayé de l'état de la mer et des gémissements lamentables du petit vapeur, craquant lugubrement à chaque secousse, mit la barre sur la baie de Perros, où le Parisien entra, entouré d'une nuée de barques de pêcheurs « attirés par l'intention de porter secours, la fumée leur faisant croire qu'il s'agissait d'un navire en feu », mais attirés aussi « par l'espoir de se livrer au pillage » des épaves du soi-disant navire incendié.À peine arrivé, le vapeur nantais recevait la visite des douaniers, visite qu'il attribua d'ailleurs « plutôt au désir de voir un bâtiment d'un genre tout-à-fait inconnu dans ces parages, qu'au soupçon et à l'austérité de leurs devoirs ».Le 4, à dix heures, le Parisien appareillait pour Saint-Malo, au milieu de « la fougue vraiment effrayante des marées de la Manche, accrue par un vent violent », et, à huit heures du soir, il mouillait en rade de Saint-Servan. À peine y était-il entré, qu'une « épaisse colonne de fumée annonçait dans le lointain, du côté de la Rance, l'arrivée du Courrier. Ce vapeur, construit à Nantes sur les mêmes chantiers que le Parisien, avait été vendu à une Société de Saint-Malo pour faire le service entre cette ville, Dinan et Jersey ; il était parti de Nantes deux jours avant le Parisien, et revenait de Dinan après avoir effectué le premier voyage de son service. Les deux Nantais se saluèrent, leurs pavillons et fanions arborés, à grands carillons de leurs cloches et acclamations de leurs équipages.Le 6 juin, à quatre heures du matin, le Parisien quittait Saint-Malo pour se diriger sur Le Havre où il s'amarrait à onze heures et demie du soir. Le Parisien y fit sensation ; « des bateaux destinés à transporter les voyageurs, le vapeur nantais était, en effet, le premier qu'on y eut vu appartenant à des Français » ; aussi, l'enthousiasme fut-il très grand et manifesté « d'une manière très énergique », quand on vit le petit vapeur, « dans le trajet de trois lieues qui sépare Le Havre de Honfleur, devancer d'un tiers du chemin la Duchesse-de-Berri, paquebot appartenant au consul américain ».D'ailleurs, depuis qu'il était en eau douce, oii tout an moins saumâtre, le Parisien semblait tout ragaillardi ; il filait à toute allure, battant l'eau calme de la rivière de ses larges palettes, et déroulant derrière lui une longue volute de fumée capricieuse. « À cette époque, les bateaux à vapeur étaient rares sur cette partie de la Seine ; cette navigation avait encore tout le charme de la nouveauté », aussi « la foule se portait-elle sur la rive ; partout éclatait la curiosité, la satisfaction », excitée par « les décorations brillantes... et la forme svelte et gracieuse » du vapeur nantais, qui, tout petit au milieu de l'immensité de la mer, et tout frêle en présence des éléments déchaînés, prenait les proportions d'un majestueux et solide paquebot entre les deux rives du fleuve où l'eau coulait très calme, à peine ridée par le vent.Dans la nuit du 9 au 10, le Parisien passait le pont de Rouen, et repartait le 10, dès l'aube. La navigation était loin, d'ailleurs, d'être très rapide, ni très facile, car la Seine était alors encombrée de moulins, d'écluses et de pêcheries ; et, comparant cette rivière à la leur, les Nantais constataient que « tandis que sur l'une on évite avec soin de gêner la circulation, sur l'autre on croirait qu'on a pris plaisir à multiplier les obstacles,.... et, sans ces entraves, on pourrait, — ajoutaient-ils, — remonter du Havre à Paris en douze jours, au moyen de bateaux accélérés, semblables à ceux dont on se sert sur la Loire, employant tour à tour la voile et des chevaux, et en six jours, à l'aide de remorqueurs à vapeur d'une construction légère. »Après de longues stations aux ponts et aux écluses, aidés par des chevaux dans les passages difficiles, les Nantais, qui avaient eu l'idée heureuse de prononcer « le nom d'une personne de la famille royale qu'on voit souvent parcourir ces bords », afin de faire supposer que leur navire lui était destiné et activer un peu, par ce moyen, la lenteur des éclusiers, entraient majestueusement à Paris, le dimanche 12 juin, et, passant le Pont-Royal au bruit strident de leur sifflet, s'amarraient à trois heures de l'après-midi « près des bains Vigier ».Après quelques jours de station au Pont-Royal, pour reposer le petit vapeur des fatigues de son long voyage, et satisfaire la curiosité des Parisiens, « les actionnaires ayant décidé qu'on placerait le bateau sur la Haute-Seine, pour faire le service de Paris à Melun, on le mit en mouvement. » Au passage du Pont-Neuf, une barque, s'étant approchée trop près, fut emportée par le courant sous les roues du vapeur et chavirée ; des deux hommes qui la montaient, un seul parvint à se sauver à la nage et fut recueilli au pied du Louvre, l'autre disparut ; au pont Notre-Dame et au Pont-au-Change, le vapeur fut incapable de remonter seul le courant et dut être halé de la berge par des chevaux ; enfin, ces obstacles surmontés, le Parisien fut amarré en dehors de Paris, et le lendemain, à sept heures et demie, il partait pour Melun d'où il revenait le soir même et rentrait à neuf heures à Paris.Toutefois, après neuf voyages, « les actionnaires, découragés par des contrariétés de tout genre, par l'énormité des droits réunis, et par des passages où il fallait attendre son tour, se décidèrent à vendre le bateau. » II fut acheté par un particulier qui le mit en société, et en commanda de suite un second au même constructeur nantais ; et l'année suivante, la Parisienne quittait Nantes et faisait route vers Paris où elle arriva, après un voyage tout aussi long et tout aussi mouvementé que celui du Parisien (2).(1) Journal de Nantes et de la Loire-Inférieure, n° du 5 novembre 1824.(2) Le Lycée Armoricain, 10° volume, 1827, pp. 223 et s.Du Commencement du XIXe Siècle à 1830
RAPPEL Ces chroniques sont tirées de Marins et Corsaires Nantais par Paul Legrand Héron - J. Mesnier & C° - Éditeurs 7, Rue de Strasbourg - Nantes - 1908 Pages scannées par grapheus tis
jeudi, 02 octobre 2008 | Lien permanent
Henri MICHAUX
Au commencement, ce texte. L’exorcisme, réaction en force, en attaque de bélier, est le véritable poème du prisonnier. Dans le lieu même de la souffrance et de l’idée fixe, on introduit une exaltation telle, une si magnifique violence, unies au martèlement des mots, que le mal progressivement dissous est remplacé par une boule aérienne et démoniaque — état merveilleux ! ................................................................................................................ Cette montée verticale et explosive est un des grands moments de l’existence. On ne saurait assez en conseiller l’exercice à ceux qui vivent malgré eux en dépendance malheureuse. Mais la mise en marche du moteur est difficile, le presque-désespoir seul y arrive. Pour qui l’a compris, les poèmes du début de ce livre ne sont point précisément faits en haine de ceci, ou de cela, mais pour se délivrer d’emprises. Préface à Épreuves, exorcismes C’est lu dans le Panorama critique des nouveaux poètes français de Rousselot, que j’ai emporté avec moi dans la petite cantine où sont serrés mes premiers livres. Au chapitre “Michaux”, MON ROI, LA LETTRE, NOTES DE ZOOLOGIE, et de curieuses ARTICULATIONS :
Et go to go and go Et sucre ! Sarcospèle sur Saricot Bourbourane à talico ou te bourdourra le bodogo Bodogi. Croupe, croupe à la Chinon. Et bourrecul à la misère.La nuit remue Le bouquin sera très vite commandé. Il arrivera trois semaines après, en décembre 1955, au petit bureau de poste de la subdivision de Bongouanou, dans le centre-est de la Côte d’Ivoire ; le bureau est tenu par un receveur sérère originaire de Casamance. Au fil des mois, le postier, intrigué par ces petits colis tamponnés “Éditions Seghers”, qui me sont envoyés, me parlera de Senghor. Vivre à des milliers de kilomètres de mon ouest natal, dans une forêt extraordinaire de beauté et de senteurs, mais où les rares écrits sont d’école, de religion ou de commerce, décuplera le petit bonheur d’ouvrir le précieux colis cartonné, d’enlever une à une les couches du papier qui emballent soigneusement le petit livre. La maquette des “Poètes d’aujourd’hui” m’est désormais familière : première de couverture vert pomme, avec une encre en gris et noir en guise de portrait qui peut être un visage - plus tard, je l’associerai au terrible supplice décrit dans Pays de la magie (Ailleurs, p.142). En feuilletant, pas de portrait non plus, une seule photographie : une main fine émergeant d’un poignet de chemise - on cherche les boutons de manchette - qui trace sur une table toute en fouillis de papiers, dossiers, encriers, pinceaux, cendrier : Brassaï a photographié Michaux en 1945 ; mais Bertelé choisit de recadrer, respectant la volonté de Michaux qui “ne veut pas que tout le monde puisse le reconnaître dans le métro” . Longtemps donc, le lecteur lira sans rien savoir du visage ; seulement cette main, les mots, de curieux dessins ! Alternance qui se dépliera jusqu’au terme de l’œuvre et de la vie : quand Michaux ne peint pas, il parle de peinture ; quand il n’écrit pas, il peint comme des alphabets. Il aura peut-être été un des rares occidentaux à parvenir à “griffer et inciser” par plume et “caresser et effleurer” par pinceau, la feuille résolvant l’affrontement des calligraphies occidentale et orientale, évoquées par Roland Barthes. Ce qui s’annonçait dans les premiers textes lus dans le “Panorama” va se déployer : et au delà d'une simple révolte passagère et d’un premier refus.
Quand les mah, Quand les mah, Les marécages, Les malédictions, Quand les mahahahahas, Les mahahaborras, Les mahahamaladihahas, Les matratrimatratrihahas, Les hondregordegarderies, Les honcucarachoncus, Les hordanoplopais de puru paru puru, Les immoncéphales glossés, Les poids, les pestes, les putréfactions, Les nécroses, les carnages, les engloutissements, Les visqueux, les éteints, les infects, Quand le miel devenu pierreux, Les banquises perdant du sang, Les Juifs affolés rachetant le Christ précipitamment,, L'Acropole, les casernes changées en choux, Les regards en chauves-souris, ou bien barbelés, en boîte à clous, De nouvelles mains en raz de marée, D'autres vertèbres faites de moulins à vent, Le jus de la joie se changeant en brûlure, Les caresses en ravages lancinants, les organes du corps les mieux unis en duels au sabre, Le sable à la caresse rousse se retournant en plomb sur tous les amateurs de plage, Les langues tièdes, promeneuses passionnées, se changeant soit en couteaux,soit en durs cailloux, Le bruit exquis des rivières qui coulent se changeant en forêts de perroquets et de marteaux-pilons, Quand l'Épouvantable-Implacable se débondant enfin, Assoira ses mille fesses infectes sur ce Monde fermé, centré, et comme pendu au clou, Tournant, tournant sur lui-même sans jamais arriver à s'échapper, Quand, dernier rameau de l'Être, la souffrance, pointe atroce, survivra seule,croissant en délicatesse, De plus en plus aiguë et intolérable... et le Néant têtu tout autour qui recule comme la panique... Oh! Malheur! Malheur! Oh! Dernier souvenir, petite vie de chaque homme, petite vie de chaque animal,petites vies punctiformes; Plus jamais. Oh! Vide! Oh! Espace! Espace non stratifié... Oh! Espace, Espace!
L’Avenir in Mes PropriétésMichaux entreprend une quête patiente, méthodique d’outils de langue et de dessin pour descendre dans ses propres profondeurs et élaborer une résistance fondamentale. «... c’est bien dans ce premier refus, sans rémission, de ce qui est extérieur à lui, et dans l’intense intériorisation qui en résulte qu’il faut d’abord chercher la clé du caractère et de l’œuvre d’Henri Michaux... Non pas absent au monde, non pas indifférent certes, mais trop présent, trop exposé de par son extrême sensibilité : alors avec des mots, comme avec des armes, il lui faudra, bientôt, défendre une autonomie toujours menacée. Écrire sera son combat pour sauvegarder, sa singularité et son altérité. »
René Bertelé - p. 25
Le panaris est une souffrance atroce. Mais ce qui me faisait souffrir le plus, c'était que je ne pouvais crier. Car j'étais à l'hôtel. La nuit venait de tomber et ma chambre était prise entre deux autres où l'on dormait. Alors, je me mis à sortir de mon crâne des grosses caisses, des cuivres, et un instrument qui résonnait plus que des orgues. Et profitant de la force prodigieuse que me donnait la fièvre, j'en fis un orchestre assourdissant. Tout tremblait de vibrations. Alors, enfin assuré que dans ce tumulte ma voix ne serait pas entendue, je me mis à hurler, à hurler pendant des heures, et parvins à me soulager petit à petit.Crier in Mes Propriétés Qui je fus, Mes propriétés, Épreuves,exorcismes, La vie dans les plis emmènent loin, très loin des fugaces révoltes adolescentes.
Autrefois, j’avais trop le respect de la nature. Je me mettais devant les choses et les paysages et je les laissais faire. Fini, maintenant j’interviendrai.Michaux voyage, mais ce qu'il écrit tient plus d'un infra-voyage :
Les poètes voyagent, mais l’aventure du voyage ne les possède pas.De l’abrupt de ce jugement, seul, Blaise Cendrars....! Nous y parviendrons une de ces semaines à venir. Écuador, Un barbare en Asie, voyages bien réels. Voyage en Grande Garabagne, Au pays de la magie, Ici Poddema, enchevêtrements de parcours réels et imaginaires, d'ethnologies étranges, parcourues de bestiaires et de flores. Jusqu’aux prosaïques déplacements de Plume, du restaurant à la nuit des Bulgares, en passant par Casablanca et le Colisée :
...Et si à Rome il demande à voir le Colisée : «Ah ! non. Écoutez, il est déjà assez mal arrangé. Et puis après Monsieur voudra le toucher, s’appuyer dessus, s’y asseoir... c’est comme ça qu’il ne reste que des ruines partout.Tous voyages enveloppés dans un immense Espace du dedans.
« Lecteur, tu tiens donc ici, comme il arrive souvent, un livre que n’a pas fait l’auteur, quoiqu’un monde y ait participé. Et qu’importe ? Signes, symboles, élans, chutes départs, rapports, discordances, tout y est pour rebondir, pour chercher, pour plus loin, pour autre chose. Entre eux, sans s’y fixer, l’auteur poussa sa vie. Tu pourrais essayer, peut-être, toi aussi ? »Postface à Plume Donc, poussons notre vie à la Michaux. Comme on “traîne un landau sous l’eau”. Ce sont des efforts continuels, ce ne sont pas jeux de tout repos, des jeux infernaux qui vont jusqu’à l’exténuation. Voici alors que s’élèvent, élégiaques et désespérés, à relire souvent quand rôdent de sales ombres et des débris sanglants : Nausée ou c’est la mort qui vient, Repos dans le malheur, Dans la nuit, Qu’il repose en révolte,
Emportez-moi dans une caravelle, Dans une vieille et douce caravelle, Dans l'étrave, ou si l'on veut, dans l'écume, Et perdez-moi, au loin, au loin. Dans l'attelage d'un autre âge. Dans le velours trompeur de la neige. Dans l'haleine de quelques chiens réunis. Dans la troupe exténuée des feuilles mortes. Emportez-moi sans me briser, dans les baisers, Sur les tapis des paumes et leurs sourires, Dans les corridors des os longs, et des articulations. Emportez-moi, ou plutôt enfouissez-moi.Emportez-moi in Mes propriétés
Nous nous sommes regardés dans le miroir de la mort. Nous nous sommes regardés dans le miroir du sceau insulté, du sang qui coule, de l’élan décapité, dans le miroir charbonneux des avanies. Nous sommes retournés aux sources glauques.La lettre Labyrinthe René Bertelé écrit en 1946, ajoutant en juin 1949 une postface :«... l’œuvre d’Henri Michaux reste remarquablement ouverte... Comment prétendre fixer les traits d’une œuvre singulièrement en mouvement et qui...est loin de nous avoir encore livré toutes ses clefs ? » L’accident horrible de sa compagne l’a approché “des rumeurs de la Mort”. Le “buveur d’eau”* n’a pas encore été à la rencontre des psychotropes. Le “Lointain intérieur” va resurgir sous ses doigts de peintre, plus que jamais multiple, fourmillant, agité, furieusement agité. Et toujours s’étendront les grandes pages, plages nostalgiques : Paix dans les brisements, Iniji
Ne peut plus, Iniji Sphinx, sphères, faux signes, obstacles sur la route d’Iniji Rives reculent Socles s’enfoncent ................................................ Iniji hôte éphémère des fosses des parents, des pinces, des mots Voici la route lointaine qui ne ramène plus. Le sein dort qui a donné lé lait. Le galbe l’a quitté... et l’opale... Il n’est resté que l’ombre et le soupir des lèvres Viens, viens, vent d’Aouraou viens, toi !Et je n’ai point parlé de l’humour du “chaud” Michaux ! Écrivains, poètes, écrivassiers, tous écrivants quelconques, tous mâles maniant langue et mots, méfiance ! Méfions-nous ! Michaux nous a écrit :
Le pantalon tombé, ils perdent l’alphabet.Post-scriptum en guise de bibliographie et autres ...graphies • Michaux ne voulait pas de photographies, il ne voulait pas, non plus, être publié en livre de poche, ni en Pléiade. À peine était-il disparu, Gallimard s’est empressé de le publier en poche, puis en Pléiade. À votre gré ! Je demeure d’une fidélité un peu conne : je n’ai jamais feuilleté, ni acheté un Michaux en poche. Mais le trouve-t-on ailleurs qu’en poche et en Pléiade ? Alors ! • Des voix : Michel BOUQUET quand il n’était pas“président” (!) le lisait avec force, Catherine SAUVAGE gueulait superbement
“Je vous construirai une ville avec des loques, moi...”. Il est écrit aussi que Germaine Montéro aurait lu la Ralentie ! • Des musiques : “Épervier de ta faiblesse”, mis en musique par Milan Stibilj avec les Percussions de Strasbourg. D’autres poèmes par Boulez, Bosseur, Lutoslawsky, Amy, Le Roux. • Des livres et revues sur : André GIDE, Découvrons Henri Michaux, Gallimard 1941. Robert BRÉCHON, Michaux, Idées, Gallimard 1969. J. M. MAULPOIX, Michaux passager clandestin, Champ Vallon, 1984. • Trois n° du Magazines littéraire (février 1974 - juin 1985 - avril 1998) • * Jean-Pierre MARTIN, Henri Michaux, Biographies, NRF, Gallimard, octobre 2003 Une biographie qui peut “choquer” (provoquer un choc) chez les lecteurs de Michaux, mais l’auteur, J. P. Martin, fait précéder son énorme travail d’un avertissement et d’un avant-propos qui ont apprivoisé le vieil effarouché que je suis. • Sur la Toile : Eût-il approuvé un tel support ? Allons-y, je m’affranchis, là, de ma très ancienne fidélité : - Plume, la société des amis d'Henri Michaux - L'ADPF - Des textes et des liens sur la Toile • Les gouaches et encres sont tirées pour la plupart de Émergences-Résurgences, Les sentiers de la création, Albert Skira, éditeur, 1972
mardi, 22 février 2005 | Lien permanent | Commentaires (2)
à celles et ceux du Banfora
Tout a commencé avec la publication d'une lettre datée du 25 octobre 1955 — à éventuellement relire — publiée en note le 26 octobre 2005.
Un commentaire, le dernier en date, de Bertrand Sagot, le 10 avril 2014, vient me "secouer" de ce long et paresseux silence. Il ne s'adresse point, d'ailleurs, à l'auteur de ce blogue, mais à Hilaire, le commentateur précédent.
Il clôt — provisoirement du moins, je le souhaite — un échange, entre inconnus, lourd de d'émotions, de nostalgies, d'images, de goûts, de senteurs. De ce besoin d'évoquer, de révéler, de faire à nouveau remonter et surgir des rires, des larmes, des visages, des horizons, au seuil du grand âge.
Merci donc à
Benoît, A. Rabanel, Bertrand Sagot, Hilaire, Yves Romer, Claude Xavière Ménard, Corazzini, Xavier Vincent, Bertrand Guy, Jean-Pierre Picone, Jean-Claude Castiglioni, Micheline Cat, Georges Lour, Michel Bonneau, Didier, Berlol et François Jost (à lui, le copain, in memoriam)
pour ce lien tissé autour d'un paquebot qui nous emmena sur l'océan de nos rêves.*
Commentaires
je commence à comprendre... le blog est pour toi, entre autres, un chemin de visite de ta propre histoire et de l'Histoire telle que tu l'as vécue avec l'écriture pour véhicule et sous le regard de blogueurs attentifs ou non.
Il est donc possible de cheminer dans un temps présent et passé mêlés, avec des compagnons de voyages croisés sur la toile et d'embarquer ou d'être embarqué dans le partage d' un bout de route en commun vers des paysages et des destinations qui se découvrent chemin faisant.
François
Écrit par : F Jost | jeudi, 27 octobre 2005
C'est une assez bonne définition pour quelques blogs littéraires qui ont de la tenue. Pour moi qui suis en train de lire Assia Djebar, ces propos résonnent avec certaines nouvelles de son recueil (Femmes d'Alger dans leur appartement). Merci pour ces souvenirs et pour cette correspondance recyclée.
Écrit par : Berlol | mardi, 01 novembre 2005
Merci pour le commentaire et cette invitation à lire Assia Djebar. Etant novice dans la pratique du blog, je suppose que ce commentaire va être transmis à Berlol et non pas à Jacques André....à suivre et découvrir ce nouveau compagnon rencontré sur la route d'un commentaire d'un 26 octobre intemporel
Écrit par : F jost | jeudi, 03 novembre 2005
Bonjour, mon père était officier à bord du Banfora à l'époque que vous évoquez (années 55). Auriez-vous des photos de ce bateau ?
Merci et bonnes fêtes
Écrit par : Didier | dimanche, 25 décembre 2005
A la recherche du père....
...d'une note écrite le 26/10/05 évoquant le 26/10/1955 à bord du Banfora, au large du Maroc s'accrochent à ce navire voguant dans le sillage du temps, Assia Djebar, Berlol, Didier — que je ne connais pas — en ce 25/12/05, jour de retrouvailles dans la demeure de mon père qui nous a quitté en février dernier.
Chemin faisant, à la croisée de routes particulières, s'inscrit sur la toile de surprenantes correspondances et de compagnonnages ici et maintenant et hors du temps.
François
Écrit par : F Jost | lundi, 26 décembre 2005
Je suis désolé, Didier, mais à l'époque, je n'étais pas encore assez riche pour posséder un appareil photographique.
Je n'ai donc que des souvenirs heureux, très heureux de ce paquebot !
Croyez-moi, le Banfora en était à l'un de ses derniers voyages ; je pense qu'il fut désarmé en 1956, mais il me paraissait fort bien commandé !
Écrit par : grapheus | lundi, 26 décembre 2005
Bonjour.
Je ne suis pas un habituel des blogs. Des évènements récents de ma vie ont réveillés des questions sur la disparition de mon père. Mais le web permet des rencontres que l'on croit parfois impossibles.
Mon père Emilien BONNEAU, originaire de CREST, était marin dans la marine marchande et à fait de nombreux voyage à bord du Banfora. Il était du dernier voyage de ce bateau. Il a ensuite embarqué sur le Foch (marine marchande).
Mon père a disparu en mer le 22 avril 1958.
Il était né en 1914 dans les hautes Alpes.
Je viens de perdre ma mère et nous avons trouvé des documents concernant ses voyages avec notamment son livret maritime.
J'ai une carte postal du Banfora. Je l'ai numérisée et je peux vous la transmettre.
J'ai d'autre part une photo, prise dans la salle à manger à l'intérieur d'un bateau, où mon père figure en compagnie d'autres marins. Je ne peux certifier qu'elle a été prise sur le Banfora.
Inconnu(s) je vous salue et peut être à bientôt par messagerie. Je n'ai pas le haut débit mais cela ne saurait tarder.
Michel Bonneau
Écrit par : BONNEAU Michel | vendredi, 16 janvier 2009
Bonsoir,
En 1951, j'avais 12 ans, et j'ai voyagé sur le Banfora de Marseille à Pointe Noire, où je suis arrivé le 17 août 1951, je suis resté 50 ans au Congo. j'aimerais beaucoup recevoir des photos du Banfora. Vous en remerciant par avance.
G. Lour
Écrit par : Lour Georges | mercredi, 27 avril 2011
J'ai séjourné près de vingt ans en Afrique et j'ai effectué plusieurs voyages à bord du Banfora pour me rendre à Pointe-Noire ou Brazzaville.
Aujourd'hui je suis âgée de 82 ans et suis très nostalgique de ces voyages effectués sur le Banfora, le Brazza et le Foucauld.
Toute photo concernant le Banfora m'intéresse forcément.
Micheline CAT
Écrit par : cat micheline | mardi, 10 mars 2009
Bonjour,
j'ai 70 ans. De 1940 à 1956, puis de 1971 à 1978 j'ai vécu en Côte d'Ivoire. Toute mon enfance à Abidjan et aussi plus tard, une partie de ma vie d'adulte. C'est également la première fois que je communique sur un blog ...
Je ne trouve pas les mots pour décrire ma nostalgie, ni mes souvenirs, ça viendra peut-être...
Nous étions début septembre 1956, le paquebot "Banfora" faisait son dernier voyage, il avait un très fort gite qui l'obligeait à prendre sa retraite...comme la majorité des passagers, dont mes parents. Ce fut une vraie croisière, escale tous les jours ou presque, fête tous les soirs.
J'avais 17 ans, par le plus grand des hasards, ma jeune amoureuse était du voyage. Ne rêvaient pas à l'époque, nous étions très prudes.
Merveilleux voyage, mais la séparation à Marseille fut terrible, nos chemins ... Mon coeur c'est arrêté. Je ne le savais pas. Il s'est remis à battre cette semaine,"par le plus grand des hasard"...
Je cherche, témoignages, précisions, photos du voyage ou du Banfora. Veuillez pardonner ma maladresse. Merci d'avance si vous pouvez m' aider. Cordialement !
Écrit par : jean-claude castiglioni | samedi, 12 décembre 2009
J'ai été second mécanicien sur le BANFORA du 3.1956 au 11.1956. Je suis intéressé par toutes photographies de manifs sur ce navire à cette époque.
jp.picone@orange.fr
Écrit par : PICONE Jean Pierre | lundi, 21 décembre 2009
Octobre 1955 Embarquement sur le Banfora à Dakar à destination de Cotonou. Aussitôt embauché aux cuisines et à la boucherie et invité à prendre les repas au poste d'équipage...le rêve d'un gamin de 20 ans. On me disait déja que c'était le dernier voyage,bpourtant lors d'un court séjour à Marseille en fin 57 j'avais retrouvé une connaissance en ville (dans un taxi) qui venait de quitter le Banfora où il était mécanicien. Il semble bien qu'il y eut des prolongation (j'étais EVDA et j'ai passé 21 mois au Dahomey à PARAKOU
Écrit par : Bertrand Guy | jeudi, 12 mai 2011
Bonjour,
En faisant des recherches sur des informations sur les navires sur lesquels le deuxième mari de ma grand-mère a commandé, je suis tombé sur ce blogue. Il s'appelait Jean-Baptiste Gonfard. Je ne l'ai malheureusement jamais connu car il est décédé avant que je naisse. Si vous avez des anecdoctes ou des histoires sur son compte ou sur la vie à bord, n'hésitez pas à me contacter. Je peux retrouver quelques photographies dans les affaires de ma grand-mère.
Écrit par : Xavier Vincent | jeudi, 01 septembre 2011
Vers 1955 j'étais sur le Banfora départ de Marseille pour Conakry
Écrit par : corazzini | samedi, 21 janvier 2012
J'ai voyagé à bord du Banfora pour me rendre en Afrique de l' Ouest où j'ai vécu de 1 à 19 ans. Les souvenirs de ces traversées sont impérissables. Je cherche à reconstituer avec mon frère et ma soeur les voyages de ce bateau entre les années 1940 et 1959. Un de mes souvenirs c'est une tempête dans le golfe du Lion et un mal de mer atroce mais c'est aussi les jeux les soirées et la boutique ou l'on pouvez acheter parfums et fanfreluches, ce sont les repas somptueux et la contemplation des mouvements de la mer avec le sillage du bateau. J'aimerais échanger des souvenirs. Est ce possible ? Une nostalgique de ce temps là car c'est toute ma jeunesse.
Écrit par : Menard Claude Xavière | mardi, 14 février 2012
1955 ou 1956 ? Je ne sais plus, retour définitif vers la France, sur le Banfora!
Embarquement à bord des chaloupes au wharf de Lomé.
Descente et montée à bord dans les nacelles, par mer formée : la peur de ma vie!
La climatisation du bord et son odeur caractéristique, ces repas, ces goûters pour enfants, les jeux et les bruits , les odeurs et la sacro-sainte passerelle où officiaient les Dieux!
Quelle époque! J'ai encore quelques très pâles souvenirs. Notamment celui où ma mère jeta mon casque (colonial) au travers du hublot, sous prétexte que je n'en aurai plus besoin! Je ne me souviens pas avoir eu de plus grand chagrin depuis.
Les escales et leur folklore.
L'émotion m'étreint encore.
Je dois avoir une photo du bateau quelque part. Je la communique dès que je la retrouve.
Amitiés à vous !
Écrit par : Yves Romer | samedi, 02 mars 2013
Bonjour,
En 1941, avec mes parents, nous quittions Dakar pour rentrer en France après la tentative gaulliste avortée de débarquement. Nous voyagions à bord du Banfora. Au large de la Mauritanie, nous avons été arraisonnés par un corsaire anglais et détournés sur Freetown, où nous sommes restés 3 mois avant d'être rapatriés vers Casablanca par un navire portugais.
Je recherche des informations sur cet arraisonnement : date exacte, nom du navire arraisonneur, etc. Pourriez-vous m'indiquer une voie de recherche, parce que je ne trouve rien sur Internet.
Merci.
Écrit par : Hilaire | dimanche, 24 mars 2013
J'étais de ce même voyage avec mes parents et nous allions de Dakar, où mon pére était à l'époque inspecteur général de l'agriculture de l'AOF, à Casablanca ; j'aurai pu écrire le même résumé mais comme vous je ne me souviens plus des dates exactes (peut-être pourrais-je les retrouver en cherchant bien). J'avais 8 ans et trois souvenirs précis me restent .J'étais sur le pont avec mes parents à regarder le corsaire anglais quand il a tiré des coups de semonce qui nous ont fait rentrer précipitamment dans nos cabines .Je me souviens également des gaullistes venant à bord pour faire de la propagande pour la France libre et enfin je me souviens du dortoir organisé pour les enfants dans les salons du bateau portugais (très amusant pour les enfants en question).Le bateau portugais devait s'appeler le Lorenzo Marquès et il était déjà plein de passagers (et aurait été arraisonné par les Anglais pour nous évacuer). Bien à vous .
Écrit par : SAGOT | mardi, 08 avril 2014
Si vous habitiez Dakar dans les années 40 peut-être avez vous, après la tentative gaulliste sur Dakar en 1940 et l'arraisonnement du Banfora en 1941, connu aussi l'affaire de Casablanca en 1942. Le débarquement allié était attendu à Dakar et les autorité ont décidé d'évacuer toutes les familles de trois enfants et plus (essentiellement les familles de fonctionnaires mais aussi d'autres et même des familles de moins de trois enfants, volontaires sans doute ; les pères restaient eux sur place.)Nous étions sur le Savoie et nous avons voyagé en convoi avec deux autres paquebots et trois cargos escortés par trois bateaux de guerre (torpilleur et avisos, je crois bien). Arrivés à quai à Casa la veille au soir du débarquement allié nous avons évacué le bateau en catastrophe à 5h du matin sous les bombes pour nous réfugier dans le sous-sol d'un silo à grains sur les quais. Le cuirassé américain Massachusset prenait, parait-t-il, ce silo comme repaire pour tirer sur le cuirassé Jean-Bart accosté au même quai.Un obus de 380 a endommagé le silo mais heureusement le grain qu'il contenait s'est écoulé vers l'extérieur. En début d'après-midi une trève a eu lieu permettant notre évacuation en ville. Après un séjour de quelques mois chez l'habitant à Marrakech nous avons été rapatriés sur Dakar dans les Dakotas américains (une famille par avion, car les allemands étaient encore en Tunisie et la chasse était à craindre.
Nous avions très peu de bagages car le Savoie et les autres bateaux avaient été coulés dans le port avec toute leur cargaison (3 morts sur le Savoie). Mais à l'arrivée à Dakar nos bagages avaient considérablement grossis, comblés que nous étions de bonbons chocolats, chewing-gum et conserves en tout genres, cadeaux des américains (j'avais neuf ans et c'était le paradis).
Écrit par : SAGOT | mercredi, 09 avril 2014
J'ai écrit deux textes à la suite du vôtre mais je n'ai pas de moyens de communiquer avec vous sur ces histoires familiales de la dernière guerre ; aussi je me permets de vous communiquer mes coordonnées pour un contact éventuel :
Bertrand SAGOT 06 82 31 26 16 et sagotbertrandjulien@orange.fr (j'habite moitié à Versailles et moitié à Hatten en Alsace). Je suis âgé de 80 ans.
Écrit par : SAGOT | jeudi, 10 avril 2014
J'ai fait un unique voyage sur le Banfora. Souvenir grandiose et impérissable.
Mi-décembre, nous quittons Marseille, nous partons, ma soeur ainée, ma soeur jumelle et moi avec ma mère qui attend un bébé qui naîtra à Abidjan en 1952, rejoindre mon père déjà installé à Abidjan Nous vivons ces quelques jours de voyage dans un monde féérique pour des enfants et le comble fut pour nous, de passer Noël 1951 sur ce navire. Le père Noël, même si nous n'y croyons plus nous donne des cadeaux, les jeux et l'organisation des loisirs est extraordinaire. Quand nous rentrerons en France plus tard, c'est d'une autre planête que nous croyons arrivés.
Une violente tempête sévira lors de la traversée en Méditerrannée.
Nous ferons escale à Casablanca, découvrirons très rapidement cette ville et continuerons notre périple à bord de ce bâtiment que nous ne finirons pas d'arpenter. Manque des photos souvenirs...
Écrit par : A . Rabanel | lundi, 01 avril 2013
Bonsoir,
je suis "tombé" par hasard sur votre blog, qui m'a fait remonté 56 ans en arrière, j'ai voyagé à bord du Banfora (en compagnie de ma sœur et de ma mère), sans doute l'un de ses derniers voyages entre Marseille et Douala. Je me souviens de la seule fois où j'ai aperçu Alger et ses blanches arcades, je me souviens que nous n'avions pas eu la possibilité de descendre à terre, sans doute du fait des événements.....Casablanca, avec ses femmes voilées, ma sœur en avait tellement peur qu'elle ne cessait d'importuner Maman .... Dakar, ce fut une longue escale, le Banfora fut mis en cale sèche, pour apparemment de grosses réparations, je crois que nous sommes resté près d'un mois...... Conakry, Abidjan, peut-être Lagos.... et puis Douala, mon père étant venu nous chercher (par avion ) pour aller à Yaoundé......Deux airs de musiques de l'époque sont restés gravés dans ma mémoire : L'âme des Poètes de Trenet et Blue Diamond (de je ne sais plus qui).......elles n'avaient cessé de m'accompagner durant tout ce voyage, il y a 56 ans ....toute une vie.....comme le temps passe vite........
Écrit par : BENOIT | samedi, 16 novembre 2013
* Je puis communiquer à titre personnel à chacun(e) des 17 auteur(e)s de ces commentaires l'adresse "courriel" des uns et des autres.
S'adresser à grapheus@voila.fr ou à dachlmat@orange.fr
mercredi, 16 avril 2014 | Lien permanent
Antonin ARTAUD, le 4 mars 1948
Antonin Artaud ?
Est-on dans la poésie ? La littérature ? L’écriture ?
En deçà. Au delà.
Le n° 66 de la collection Poètes d’aujourdhui, paru en février 1959, est acheté à Nantes le jour même de mon retour en Algérie, le 7 octobre 1960. Comme pour les trois titres précédents, Rousselot, Supervielle et Essénine, la lecture de l’essai de Georges Charbonnier sur Artaud est le confluent d’une histoire amoureuse avec An et d’échanges littéraires intenses - trop littéraires, sans doute -, puisque l’amour s’effacera de par ma seule et piteuse responsabilité dans les mois qui suivirent ma reprise des “crapahuts” dans les djebels.
Tant il est vrai que si l’amour vient à manquer il n’est nul héritage
Qui puisse combler la vacuité des sens et cette absence de corsage
écrit Cadou évoquant la liaison d’Apollinaire et de Madeleine.
Cadou qui était, à An et moi, découverte et passion adolescentes communes, Cadou, une fois de plus qui fut l’ouvreur du chemin à Artaud :
Avec tes yeux comme une sonnerie bloquée Antonin
Comme un printemps foutu
Avec tes mains
Tes mains sur les barreaux de l'asile Antonin
Tes mains sur les fils électriques
Sur l'espagnolette sur la poésie partout
Antonin partout
Tes mains sur ton front pressées
Sur tous les corps de jeunes filles
Sur la campagne de Rodez
Antonin la campagne
Tu pêcherais dans la rivière
Avec une arbalète Antonin
Avec toutes les femmes
À même
À même la poésie Antonin
Et pas de camisole
Pas de frontières
Pas de répit surtout
Hélène ou le règne végétal - 1948
René Char suivra plus tard.
L’accès ne fut guère aisé, Georges Charbonnier étant, à ma connaissance, le premier à rompre avec la charte éditoriale de la collection : le choix des textes était supprimé ; bibliographie, dessins, portraits et fac-similés maintenus.
AVERTISSEMENT. Dans cet ouvrage, faute de place, et pour mieux conserver aux remarques qui le constituent, leur caractère d’essai, il a paru préférable de sacrifier tout détail historique ou anecdotique à l’approche des textes d’Antonin Artaud.
Antonin Artaud est né à Marseille le 4 septembre 1896. Dès sa jeunesse il séjourne dans une maison de santé. La vie entière d’Artaud s’écoulera sur la scène, sur le plateau, à l’asile. Le plus long séjour à l’asile dure neuf ans (Le Havre, Sotteville-lès-Rouen, Sainte-Anne, Ville-Évrad, Rodez).
Pour la société, Antonin Artaud est un drogué et un aliéné. Il n'a fait « carrière » ni au théâtre, ni au cinéma, ni dans la littérature.
L'histoire d'Antonin Artaud est celle d'un homme qui n’avait pas choisi d’être ; qui, étant, n'avait pas choisi son corps. (Un jour, cet homme constate qu’il ne sait pas choisir ses mots.............
Antonin Artaud est mort le 4 mars 1948 à Ivry.
Antonin a fait mot son corps....
De quoi laisser pantois, le lecteur ! Secoué par la violence des textes, ceux de Artaud, mais aussi par le commentaire de Charbonnier.
Plus que pantois, pantelant.
J’ai souvent eu l’envie de chambouler les deux seuls repères :
Artaud ? Pourquoi pas né le 4 mars 1896, mort le 4 septembre 1948. Expulsé avant d’être né, les os de sa momie tintinnabulant longtemps après son affaissement au pied de son lit.
ce corps inemployable
fait de viande et de sperme
Et ÇA va se lire dans les affres de la contre-guérilla, les embuscades nocturnes, les sueurs des ratissages, les soirées avinées des pitons, le staccato lointain d’un accrochage au flanc d’un djebel, les amours désertées.
Charbonnier va entrelacer, à travers onze parties précédées d’un avant-propos, les textes et ...cris d’Artaud et ses analyses de l’œuvre.
L’avant-propos laisse entendre les tensions et les petits scandales qui semblent jusqu’à nos jours animer les clans qui se partageraient Artaud et le droit de publier ou non les textes.
« LEUR Antonin Artaud qu’ils le gardent.
Le nôtre est celui qui leur échappe. »
Georges Charbonnier ? Il faudra bien qu’un jour France Cul (ou un quelconque étudiant ou chercheur ) nous livre un travail - ou un hommage - sur cet homme de radio qui, des décades durant , s’entretint avec écrivains, peintres, musiciens : Lévy-Strauss, Borgès, Audiberti, Barthes, Masson, Varèse, Queneau, Butor, Leiris, Giacometti et d’autres...
Le bouquin est écrit dix ans après la mort d’Artaud.
Antonin Artaud « retranché »
La création d’Antonin Artaud
Le corps étranglé d’Antonin Artaud
Antonin envoûté
« Toute l’écriture est de la cochonnerie »
Le sexe
« Tout vrai langage est incompréhensible »
Le Mexique
Le théâtre
Le théâtre de la cruauté
Ceux qui ont la face sempiternelle pour eux.
Une approche lente sera nécessaire pour assimiler. Tout un monde inconnu qui surgit : la folie, l’insulte, le sexe, les normes dynamitées, l’obscénité, la révolte, la rage...
Des pages seront ignorées. Par crainte ? Par répulsion ? Par difficultés de compréhension ?
Il me faudra attendre la parution de l’Ombilic des limbes et du Pèse-nerfs en Poésie/Gallimard pour entrer dans cette langue.
Une photo va marquer tout autant que le texte, une de la si poignante série réalisée par Denise Colomb. Agrandie en 40x50, elle sera collée sur un contreplaqué et me suivra dans tous les coins de lecture et d’écriture de pendant quarante ans dans mes tribulations, elle est toujours là, posée par terre, sombre interrogation !
Peut-être m’a-t-elle tout autant apporté réponse aux questions que me faisait poser Artaud : ce glissement des mots, cette faille qui s’insère entre langue et pensée, le moment de la perte quand s’insinue la folie :
Se retrouver dans un état d’extrême secousse, éclaircie d’irréalité, avec dans un coin de soi-même des morceaux du monde réel.
Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité.
Je suis celui qui a le mieux senti le désarroi stupéfiant de sa langue dans ses relations avec la pensée. Je suis celui qui a le mieux repéré la minute de ses plus intimes, de ses plus insoupçonnables glissements. Je me perds dans ma pensée en vérité comme on rêve, comme on rentre subitement dans sa pensée.
Je suis celui qui connaît les recoins de la perte.
Sous cette croûte d'os et de peau, qui est ma tête, il y a une constance d'angoisses, non comme un point moral, comme les ratiocination d'une nature imbécilement pointilleuse, ou habitée d'un levain d'inquiétudes dans le sens de sa hauteur, mais comme une (décantation)
à l'intérieur,
comme la dépossession de ma substance vitale,
comme la perte physique et essentielle
(je veux dire perte du côté de l'essence)
d'un sens.
Il me manque une concordance des mots avec la minute de mes états.
« Mais c'est normal, mais à tous le monde il manque des mots, mais vous êtes trop difficile avec vous-même, mais à vous entendre il n’y paraît pas, mais vous vous exprimez parfaitement en français, mais vous attachez trop d'importance à des mots. »
Vous êtes des cons, depuis l'intelligent jusqu'au mince, depuis le perçant jusqu'à l'induré, vous êtes des cons, je veux dire que vous êtes des chiens, je veux dire que vous aboyez au dehors, que vous vous acharnez à ne pas comprendre. Je me connais, et cela me suffît, et cela doit, suffire, je me connais parce que je m'assiste, j'assiste à Antonin Artaud.
Le Pèse-nerfs
La folie et, nouvelle, la douleur :
Cette douleur plantée en moi comme un coin, au centre de ma réalité la plus pure à cet emplacement de la sensibilité où les deux mondes du corps et de l’esprit se rejoignent....
...................................
Mais cet effritement qui atteint ma pensée dans ses bases, dans ses communications les plus urgentes avec l'intelligence et avec l'instinctivité de l'esprit, ne se passe pas dans le domaine d'un abstrait, insensible où seules les parties hautes de l'intelligence participeraient. Plus que l'esprit qui demeure intact, hérissé de pointes, c'est le trajet nerveux de la pensée que cet effritement atteint et détourne. C'est dans les membres et le sang que cette absence et ce stationnement se font particulièrement sentir.
Un grand froid,
une atroce abstinence,
les limbes d'un cauchemar d'os et de muscles, avec le sentiment des fonctions stomacales qui claquent comme un drapeau dans les phosphorescences de l'orage.
Images larvaires qui se poussent comme avec le doigt et ne sont en relations avec aucune matière.
Fragments d’un journal en enfer
Qui atteignit jamais cette atroce frontière ?
Je suis stigmatisé par une mort pressante où la mort véritable est pour moi sans terreur.
Je laisserai vides les cases “théâtre”, “peyotl” : j’y suis très nettement mal à l’aise.
Mais comment échapper au torrent révolté - haineux ? - que suscite chez Artaud la psychiatrie.
Relire Artaud le Momo ; relire dans Charbonnier les pages 68 à 84 d’Artaud envoûté :
Le Bardo est l'affre de mort dans Iequel le moi tombe en flaque,
et il y a dans l'électrochoc un état flaque par lequel passe tout traumatisé,
et qui lui donne, non plus à cet instant de connaître, mais d’affreusement et désespérément méconnaître ce qu'il fut, quand il était soi, quoi, loi, moi, roi, toit, zut et ÇA.
J'y suis passé et je ne l’oublierai pas.
................................................
La médecine soudoyée ment chaque fois qu'elle présente un malade guéri par les introspections électriques de sa méthode,
Je n'ai vu moi que des terrorisés de la méthode, incapables de retrouver leur moi.
Qui a passé par l'électrochoc du Bardo et le Bardo de l’électrochoc ne remonte plus jamais de ses ténèbres et sa vie a baissé d'un cran.
J'y ai connu ces moléculations souffle après souffle du râle des authentiques agonisants.
..........................................
Or, je le répète, le Bardo c'est la mort, et la mort n'est qu'un état de magie noire qui n’existait pas il n'y a pas si longtemps.
Créer ainsi artificiellement la mort comme la médecine actuelle l'entreprend c’est favoriser un reflux du néant qui n'a jamais profité à personne
mais dont certains profiteurs prédestinés de l'homme se repaissent depuis longtemps.
En fait, depuis un certain point du temps.
Lequel ?
Celui où il a fallu choisir entre renoncer à être homme ou devenir un aliéné évident.
Mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d’être soignés par d’authentiques vivants ?
in Artaud le Momo
Et Charbonnier d’ajouter :
« Vous aurez 65 électrochocs, M. Artaud. »
Est-ce le portrait quasi quotidiennement scruté ? Sont-ce ces éclairs du Pèse-nerfs ou de l’Ombilic des limbes ? À la fin des années soixante-dix, moi qui n’avais jusqu’alors jamais eu affaire avec les psychiatres, -chanalystes, -chologues, j’ai “rencontré” l’anti-psychiatrie en lisant “Une grammaire à l’usage des vivants” de David Cooper, il m’arrive encore de pratiquer l’exercice mental décrit au chapitre XV, mon “curriculum mortis”.
Pour me laver , écrit Artaud à propos du peyotl des Tarahumaras.
Demeurent, avant les électrochocs, l’amour - ou le sexe ? -, après les électrochocs, la peinture.
L’amour ?
Est-ce la boniche de la taverne d’Hoffmann, “ la boniche crapuleuse et mal lavée” ?
L’Héloïse d’Abélard qui “ a aussi cette chose en sextant de marine, autour de laquelle toute magie tourne..” ?
Les fillettes du chanoine Lewis ?
Les si tendres Filles du du Feu de Gérard de Nerval ?
Ce fut l'amour comme une mer, comme le péché, comme la vie, comme la mort.
L'amour sous les arcades, l'amour au bassin, l'amour dans un lit, l'amour comme le lierre, l'amour comme un mascaret.
L'amour aussi grand que les contes, l'amour comme la peinture, l'amour comme tout ce qui est.
Et tout cela dans une aussi petite femme, dans un cœur si momifié, dans une pensée si restreinte, mais la mienne pensait pour deux.
Du fond d'une ivresse insondable un peintre pris de vertige tout à coup se désespérait. Mais la nuit était plus belle que tout. Tous les étudiants regagnèrent Ieur chambre, le peintre recouvra ses cyprès.
Une lumière de fin du monde remplit peu à peu ma pensée.
Il n'y eut bientôt plus qu'une immense montagne de glace sur laquelle une chevelure blonde pendait.La vitre d’Amour
in l’Art et la Mort
En 1947, Artaud doit être devenu enfin "un aliéné évident" sans renoncer à être un homme. Il publie un extraordinaire hommage à l’un de ses pairs en aliénation, Vincent Van Gogh, :
Je reviens au tableau des corbeaux.
Qui a déjà vu comme dans cette toile la terre équivaloir la mer.
Van Gogh est de tous les peintres celui qui nous dépouille le plus profondément, et jusqu'à la trame, mais comme on s'épouillerait d’une obsession.
Celle de faire que les objets soient autres, celle d'oser enfin risquer le péché de l'autre, et la terre ne peut pas avoir la couleur d'une mer liquide, et c'est pourtant bien comme une mer liquide que Van Van Gogh jette sa terre comme une série de coups de sarcloir.
Et la couleur de la lie du vin il en a infusé sa toile, et c'est la terre qui sent le vin, qui clapote encore au milieu des vagues de blé, qui dresse une crête de coq sombre contre les nuages bas qui s'amassent dans le ciel de tous les côtés.
Mais je l'ai déjà dit, le funèbre de l'histoire est le luxe avec lequel les corbeaux sont traités.
Cette couleur de musc, de nard riche, de truffe sortie comme d'un grand souper.
Dans les vagues violacées du ciel, deux ou trois têtes de vieillards de fumée risquent une grimace d'apocalypse, mais les corbeaux de Van Van Gogh sont là qui les incitent à plus de décence, je veux dire à moins de spiritualité,
et qu'a voulu dire Van Van Gogh lui-même avec cette toile au ciel surbaissé, peinte comme à l'instant précis où il se délivrait de l'existence, car cette toile a une étrange couleur, presque pompeuse d'autre part, de naissance, de noce, de départ,
j'entends les ailes des corbeaux frapper des coups de cymbale forte au-dessus d'une terre dont il semble que Van Van Gogh ne pourra plus contenir le flot.
Puis la mort.Van Gogh, le suicidé de la société
Il ne me reste plus qu’à fermer les yeux.
L’orageuse lumière de la peinture de Van Van Gogh commence ses récitations sombres à l’heure même où on a cessé de la voir.
Artaud par Pigon-Ernest-Pignon
Le matin du 4 mars 1948, le jardinier de la maison de santé d’Ivry vient apporter le petit déjeuner ; il trouve “Antonin Artaud au pied de son lit où il s’est affaissé
— définitivement
— en liberté.”
samedi, 04 mars 2006 | Lien permanent | Commentaires (4)